CSMC & – l’Association pulmonaire du Canada
Par Nitika Rewari Chunilall
Soyez les bienvenus au sixième article de la série CSMC &, conçue pour faire connaître les membres de PartenaireSanté, pour discuter de l’intersection de nos réalités et pour découvrir la meilleure façon de nous soutenir les uns les autres.
La directrice des programmes de prévention et de promotion de la CSMC, Nitika Rewari Chunilall, s’est entretenue avec Sarah Butson, directrice générale de l’Association pulmonaire du Canada, pour en savoir plus sur les répercussions majeures d’une incapacité à respirer et mieux connaître le travail de l’APC.
Pendant que vous lisez ceci, respirez profondément.
Inspirez pendant quatre secondes. Retenez votre souffle pendant quatre secondes. Expirez pendant quatre secondes.
Sentez vos poumons se contracter et se dilater. Quand vous respirez en pleine conscience, vous commencez à relaxer. Cette technique, appelée « respiration en boîte », est largement utilisée pour calmer le stress ou l’anxiété.
Elle indique à votre système nerveux parasympathique que vous êtes en sécurité. De plus, la partie rationnelle du cerveau, celle qui réfléchit, est continuellement alimentée en oxygène.
Cela n’est qu’un exemple de la puissance du souffle.
Tout cela m’a amenée à penser que si les systèmes de santé fonctionnent parfois en silo étanches, ce n’est pas le cas du cerveau et du corps.
Dans cette optique, je me suis entretenue avec Sarah Butson, directrice générale de l’Association pulmonaire du Canada (APC), afin de découvrir les répercussions majeures d’une incapacité à respirer. Je voulais aussi mieux connaître le travail de l’APC en matière de sensibilisation sociale et de collecte de fonds essentiels.
Prêt à célébrer 125 ans d’héritage
En 1900, l’APC a d’abord été un mouvement visant à freiner la propagation de la tuberculose et à offrir de meilleurs soins aux patients. L’organisation n’a cessé d’évoluer depuis. Elle a notamment élargi son mandat pour y inclure la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), l’asthme, la fibrose kystique, la fibrose pulmonaire, le cancer du poumon et d’autres maladies.
« Je dirais que notre plus grande force au cours de ces 125 années – et je ne les ai pas toutes vécues! – a été de rester en phase avec le monde qui nous entoure. Pensons à la lutte contre l’industrie du tabac ou à notre opposition au vapotage, qui prend des proportions alarmantes, nous sommes restés pertinents, car nous ne perdons pas de vue l’essentiel », a déclaré Mme Butson lors d’un entretien virtuel depuis Toronto.
Bien qu’elle fasse partie intégrante de l’APC depuis 15 ans, Mme Butson n’est à la tête de l’Association que depuis six mois.
« Notre directeur général sortant, Terry Dean, qui a dirigé l’APC pendant presque dix ans, a mis la barre très haut. Mais ce dossier me tient profondément à cœur, aussi bien sur le plan professionnel que personnel », explique Mme Butson.
Elle-même vit avec l’asthme, tout comme sa fille cadette.
« Il est difficile de décrire la panique qui s’empare de vous quand vous n’arrivez pas à respirer. Il faut l’avoir vécu. Cette terreur n’a d’égale que celle de voir son propre enfant manquer de souffle. Tant de gens prennent la respiration pour acquise, ajoute-t-elle. La mission de l’APC consiste à remettre les pendules à l’heure, à nous faire apprécier notre respiration à sa juste valeur et à inviter les gens à faire ce qu’il faut pour la préserver. »
Jouer sur le long terme
L’un de nos plus grands défis est de faire comprendre l’urgence de la prévention.
« La prévention ne porte pas le sceau de l’immédiateté, insiste Mme Butson. Prenons l’exemple des feux de forêt, des polluants environnementaux – qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur – de la mauvaise ventilation en milieu de travail… autant de facteurs qui provoquent des problèmes respiratoires délétères, voire mortels. Chaque année, la pollution de l’air cause 15 000 décès. »
Mais le défi reste de démontrer ce lien et d’amener les décideurs politiques à agir en conséquence.
Selon Mme Butson, la réduction du tabagisme, notamment chez les jeunes, est l’un des domaines où l’APC exerce une influence particulièrement grande.
« La lutte est inégale, car cette grande industrie a des ressources et des moyens que nous n’avons tout simplement pas. Nous avons dû mettre les bouchées doubles pour faire passer notre message en réaction à ce que nous savons maintenant être une tentative dissimulée d’accrocher des millions de personnes à l’une des substances les plus addictives qui soient. »
Mais la persévérance de l’APC a donné des résultats. Environ 4,2 % des personnes de 15 à 19 ans fument la cigarette, et ce chiffre continue de baisser.
Mais il y a encore beaucoup à faire.
Plus généralement, quelque trois millions de Canadiens fument la cigarette. Cela représente environ 12 % de la population, soit plus du double de l’objectif fixé par le gouvernement fédéral, à savoir moins de 5 % d’ici à 2035.
Comme le tabagisme demeure la principale cause de décès évitable au Canada, l’organisme refuse de baisser les bras. « Même si de nouveaux défis se posent constamment », déclare Mme Butson.
En août 2024, l’APC a célébré une victoire, lorsque ses efforts pour tenir les poches de nicotine hors de la portée des enfants et des jeunes gens ont porté fruit.
« Nous devons sans cesse faire preuve de vigilance, précise Mme Butson. On ne peut pas faire autrement. »
Défendre le droit de vivre et de respirer
Au sein de l’APC, les personnes victimes de l’industrie du tabac font partie des plus ardents défenseurs de la santé pulmonaire.
Je fais remarquer à mon interlocutrice qu’elle vient d’employer un terme bien particulier.
« Vous dites “victimes”, c’est une façon puissante de recadrer la conversation sur le tabagisme. »
Mme Butson est d’accord. « Le langage est important, il ne modifie pas seulement la manière dont nous parlons de quelque chose, il peut également changer la manière dont nous y réfléchissons et, ultimement, la manière dont nous nous comportons. »
À l’heure actuelle, le tabagisme semble être de l’histoire ancienne, car il ne fait plus partie de notre champ de vision. Mais c’est une bataille durement gagnée.
« Le tabagisme était omniprésent, bien commercialisé et socialement acceptable, raconte Mme Butson. Les gens ont commencé à fumer et se sont rendu compte que, même s’ils le voulaient, ils n’arrivaient pas à s’arrêter.
Les anciens fumeurs regardent en arrière avec indignation et veulent que les choses changent réellement à l’échelle systémique, explique-t-elle. Il ne s’agit pas d’humilier ou de blâmer quiconque. La plupart des fumeurs aimeraient arrêter. La meilleure façon de les aider, c’est de faire preuve de compassion. »
Nous convenons que si l’on veut réécrire l’histoire, il faut en remettre le fil entre les mains de ceux qui l’ont vécue. Je souligne au passage que la CSMC a trouvé ses meilleurs défenseurs parmi les personnes qui ont un savoir expérientiel.
Leur courage est un antidote puissant à la stigmatisation et à ses nombreux préjudices.
À court de mots
À ce sujet, en 2018, l’APC a publié un rapport portant précisément sur la stigmatisation associée aux maladies pulmonaires. Parmi les personnes interrogées, 45 % ont déclaré avoir reporté leur visite chez le médecin par crainte d’être jugées.
Je n’ai pas pu m’empêcher de dresser un parallèle avec ce que vivent les personnes qui ont une maladie mentale. La stigmatisation chez les fournisseurs de soins de santé est un sujet sur lequel la CSMC a travaillé dur, et notre conversation vient confirmer la nécessité d’agir rapidement.
« J’aimerais pouvoir dire que nous avons fait des progrès importants depuis la publication du rapport sur la stigmatisation, mais la prise de parole reste un défi pour notre communauté. Quand une maladie est possiblement le résultat de nos actes, il est difficile d’y remédier. Les gens peuvent avoir l’impression qu’ils ne méritent pas d’être soignés… et parfois cette peur est confirmée lorsque les prestataires de soins manquent d’empathie. »
Mme Butson explique également que la dépendance à la nicotine est si forte que même les personnes qui reçoivent un diagnostic de maladie pulmonaire n’arrivent pas toujours à arrêter les comportements nocifs, ce qui devient un autre facteur d’isolement social.
« Or, certaines maladies pulmonaires sont héréditaires ou environnementales, et pourtant les gens font de fausses suppositions.
Quoi qu’il en soit, il est toujours préférable de faire preuve d’empathie.
Tout comme la maladie mentale peut être perçue comme une faiblesse morale, les maladies pulmonaires peuvent être décriées comme étant le résultat d’un « choix » de vie, même si elles sont parfois causées par des facteurs qui n’ont rien à voir avec la cigarette.
Nous nous entendons aussi pour affirmer que la consommation de substances comme le tabac peut être une façon de s’automédicamenter pour apaiser son anxiété, par exemple. À cet égard, l’APC a d’ailleurs créé de précieuses ressources, notamment à l’intention des jeunes, afin de promouvoir l’adoption de comportements sains en remplacement de solutions faciles et séduisantes comme le vapotage.
Les études montrent qu’il y aurait un lien entre le vapotage et la dépression ;par exemple, les personnes qui vapotent sont plus susceptibles de faire état de problèmes de santé mentale. L’anxiété ou la mauvaise humeur peuvent déclencher l’envie de vapoter, même si le vapotage et la cigarette électronique contiennent des toxines nocives pour la santé en général.
Ces constats soulignent combien il est important de réclamer collectivement un système de soins de santé plus souple, plus compatissant et plus équitable, un système qui traiterait la personne dans son ensemble.
« Encore une fois, il s’agit d’un enjeu qui se règlera à long terme, précise Mme Butson. Notre mission est d’aider les personnes en bonne santé à préserver leurs poumons, et d’aider les autres à bien vivre avec une maladie pulmonaire. Malheureusement, tout le monde ne dispose pas des mêmes ressources. »
Faire des choix éclairés
« Nous devons bien doser l’information que nous transmettons aux gens, souligne Mme Butson en attirant mon attention sur l’information fondée sur des données probantes qui est publiée sur le site Web de l’APC, et qui couvre des sujets aussi variés que le radon (Radon : Pourquoi devrais-je m’en préoccuper) ou les feux de forêt (Comment protéger vos poumons de la fumée des feux de forêt).
Car, prévient-elle, si on inonde les gens d’information, on risque de les paralyser. »
J’en conviens, mais je l’interroge sur l’importance de reconnaître que le fardeau ne doit pas incomber à une seule personne.
Mme Butson s’empresse d’acquiescer. « Tout le monde n’est pas sur un pied d’égalité quand il s’agit de respirer librement, déclare-t-elle. En matière d’équité, il existe des problèmes fondamentaux qui nuisent à la concrétisation des changements espérés. Nous ne sommes en bonne santé que dans la mesure où les systèmes dans lesquels nous vivons le sont. »
Et parfois, ces systèmes perpétuent les problèmes de santé, en particulier dans les groupes de population rendus vulnérables en raison de facteurs comme la race, le statut socio-économique, l’identité sexuelle, etc.
C’est une réalité dont il est question dans le nouveau plan stratégique triennal de l’APC, qui témoigne avec éloquence de la souplesse dont fait preuve l’Association pour répondre aux nouvelles réalités sociétales, y compris à une meilleure compréhension des déterminants sociaux de la santé.
L’APC ne se contente pas de cerner le problème, elle comble les lacunes en matière de services.
Par exemple, l’organisme a mis au point un programme virtuel de réadaptation pulmonaire, Respirez mieux, gardez la force, visant à mieux faire comprendre la gestion des maladies. Ce type d’information est normalement disponible auprès d’un médecin de famille – mais 6,5 millions de Canadiens n’ont pas accès à des soins primaires.
Dans le cadre de ce programme, l’APC a créé des groupes virtuels de soutien par les pairs. C’est une façon de réduire l’anxiété sociale et l’isolement que ressentent souvent les personnes aux prises avec une maladie pulmonaire.
Je me suis dit qu’au sein d’un système aussi fragmenté que le nôtre, les organismes caritatifs jouent un rôle important. Ils viennent combler le fossé entre les soins de santé disponibles et les besoins propres à la maladie. C’est pourquoi nous devons nous unir dans la poursuite d’objectifs communs.
L’un de ces objectifs est de tirer la sonnette d’alarme quant à la situation du vapotage au Canada, que Mme Butson qualifie de nouveau « Far West ».
Le Jour de la marmotte
Lorsque j’ai demandé à Mme Butson ce qui l’empêche de dormir la nuit, elle admet que le taux de vapotage au Canada a atteint des niveaux si élevés qu’on a l’impression de revivre les débuts de la cigarette et de sa promotion. Et elle n’a pas peur d’affirmer que l’APC et tous les organismes de promotion de la santé doivent en faire plus.
« Nous ne disposons pas de preuves accumulées pendant 60 ans sur le vapotage et ses méfaits, comme on en a pour la cigarette, mais on sait que l’on ne devrait pas respirer autre chose que de l’air (sain, de préférence) ou des médicaments qui nous sont prescrits », déclare Mme Butson.
Pourtant, le vapotage reste populaire et Mme Butson s’inquiète non seulement de ses conséquences à long terme, mais aussi du fait qu’il puisse mener à la consommation de cigarettes, ce qui pourrait marquer un recul considérable des progrès enregistrés pour réduire les méfaits du tabagisme.
« Nous avons besoin d’une intervention musclée en matière de vapotage aromatisé. C’est l’une de nos demandes politiques les plus importantes. Il faut étouffer cela dans l’œuf, sinon, dans 60 ans, on risque de se retrouver avec une série de preuves tangibles sur les méfaits du vapotage. Mais on aura sacrifié la santé et le bien-être de toute une génération, c’est-à-dire les jeunes d’aujourd’hui.
Mme Butson et moi réfléchissons brièvement à la prévalence des boutiques de vapotage. Elles surgissent dans certains des coins les plus reculés du pays, ce qui contraste nettement avec la pénurie accrue de soins de santé, et plus particulièrement de soins en santé mentale.
« Je me réjouis cependant, déclare Mme Butson, parce que cette fois, nous sommes équipés. Nous avons déjà vu ce scénario. Il nous suffit de nous mobiliser et de mettre en place des contre-mesures solides.
Lorsque je lui demande comment elle fait pour rester si déterminée après 20 ans dans le domaine de la santé respiratoire, elle me répond sans hésitation.
« Il suffit d’avoir manqué d’air une seule fois dans sa vie pour que cela reste gravé à jamais dans la mémoire. Quand on a vécu ça, on ne respire plus jamais comme si c’était quelque chose d’acquis.
J’ai conclu cette conversation passionnante par une dernière question.
« Si vous aviez une baguette magique qui vous exauce un seul souhait, quel serait-il? »
Du tac au tac, Mme Butson répond : « Que tout le monde puisse respirer à son aise. »
D’ici là, elle reste fidèle à la devise de l’APC :
« Nous ne sommes pas seulement là pour les personnes atteintes d’une maladie pulmonaire. Nous sommes là pour tous ceux qui ont des poumons. »