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Au-delà de la survie : Répondre à la crise de santé mentale chez les personnes déplacées dans le monde

Par Karla Thorpe, vice-présidente, Programmes et priorités, Commission de la santé mentale du Canada

Les chiffres sont stupéfiants, mais ils représentent des vies humaines réelles : 117 millions de personnes dans le monde ont été contraintes de quitter leur foyer en raison de la guerre, de la famine et d’autres conditions horribles. Pour bien en mesurer la portée, c’est quatre fois le nombre de personnes déplacées pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans le cadre de la conférence de l’Association internationale pour la prévention du suicide de cette année, des experts se sont réunis pour aborder une question critique : comment soutenir la santé mentale de ceux qui ont tout perdu?

L’ampleur de la crise

Les chiffres ne disent pas tout. Les deux tiers des demandeurs d’asile trouvent refuge non pas dans des pays riches comme le Canada, mais dans des pays à revenu faible ou moyen qui manquent souvent de ressources pour répondre à leurs besoins accablants. Ces populations déplacées font face à une multitude de défis : diminution des possibilités d’établissement, services de soutien limités et pénurie désespérée de soins adaptés à la culture.

Pour bien des réfugiés, le traumatisme ne disparaît pas à leur arrivée en lieu sûr. L’exposition prolongée à la violence, la séparation d’avec les proches et l’incertitude liée au déplacement créent des conditions dans lesquelles les pensées et les comportements suicidaires deviennent une réalité trop fréquente. Pourtant, nous avons peu de données sur le suicide dans les camps de personnes déplacées, notamment parce qu’elles craignent souvent qu’exprimer leur mal-être psychologique compromette leurs chances d’immigration ou celles de leurs familles.

Comprendre les besoins complexes

Les problèmes de santé mentale des réfugiés vont bien au-delà des symptômes cliniques. Les familles déchirées par les circonstances peuvent se retrouver dispersées dans différents camps, voire dans différents pays. Le traumatisme se manifeste différemment selon les groupes démographiques et les cultures, nécessitant des réponses nuancées plutôt que des solutions universelles.

Les hommes ont souvent plus de difficulté à gérer leur sentiment d’impuissance. Le travail devient alors un moyen de se reconstruire, de retrouver un sens à leur vie et de subvenir aux besoins de leur famille. Les femmes sont touchées par des vulnérabilités différentes, devant notamment se protéger contre la violence tout en essayant d’apporter stabilité et espoir à leurs enfants. Les enfants – qui constituent environ 40 % de tous les réfugiés – subissent des pertes considérables : membres de la famille, sécurité, et souvent jusqu’à leur propre enfance.

Il convient de rappeler une évidence parfois négligée lors des discussions cliniques : même les interventions les plus sophistiquées en matière de santé mentale échouent si les besoins fondamentaux – nourriture, eau et médicaments – ne sont pas satisfaits.

Malgré des défis considérables, la conférence a mis en lumière des exemples inspirants de programmes systématiques et d’innovations locales qui améliorent réellement la vie des réfugiés.

Interventions structurées

Il a aussi été question de pratiques prometteuses mises en œuvre de manière systématique dans différents pays et des initiatives communautaires novatrices mises en place spontanément pour répondre à des besoins locaux spécifiques. Dans le cadre du programme « Gestion des problèmes Plus » de l’Organisation mondiale de la Santé, des bénévoles réfugiés sont formés pour réaliser de courtes interventions de thérapie cognitivo-comportementale, créant ainsi un modèle durable qui renforce les capacités communautaires tout en répondant aux besoins immédiats.

De même, le programme « Contact and Safety Planning » (CASP) propose une approche rentable : identifier les personnes présentant le risque de suicide le plus élevé, puis travailler directement avec elles pour élaborer des plans de sécurité personnalisés.

Solutions axées sur la communauté

Les récits les plus inspirants ont été livrés par les réfugiés eux-mêmes. Dans tous les sites d’accueil, des cercles de guérison et d’écoute sont organisés pour ceux qui partagent des expériences ou des défis communs. Les chefs religieux, les enseignants et les entraîneurs sportifs se mobilisent pour soutenir les professionnels de la santé débordés. Des femmes en forment d’autres à des interventions de faible intensité pour aider celles qui n’ont pas accès aux soins, utilisant WhatsApp pour faire des suivis et les messages texte pour apporter du soutien.

Plus que de la débrouillardise, ces solutions organiques incarnent une vérité fondamentale que les conférenciers ont maintes fois soulignée : les réfugiés sont résilients, comprennent leurs propres besoins et possèdent de précieuses connaissances sur la guérison et le rétablissement.

Redéfinir le soutien

Un thème central est ressorti tout au long des discussions : pour soutenir la santé mentale des réfugiés, il faut changer le mode de prestation des services, qui est traditionnellement descendant. Les interventions efficaces doivent être conçues en collaboration avec les populations réfugiées pour garantir leur pertinence culturelle et l’adhésion de la communauté. Bon nombre des programmes les plus efficaces sont également étonnamment peu coûteux, démentant l’idée que les modèles de traitement nécessitent des ressources importantes.

Mais ce que j’ai retenu avant tout, c’est notre approche fondamentale. Après avoir été victimes d’actes profondément inhumains tout au long de leur périple, les réfugiés se trouvent à un moment critique lorsqu’ils reçoivent de l’aide : notre réponse peut soit aggraver leur déshumanisation, soit leur offrir compassion, attention et véritable connexion. Dans un monde qui les a traités avec cruauté, nos interactions deviennent des occasions de démontrer que l’humanité existe encore.

Leçons pour le Canada

Comment le Canada peut-il mettre à profit ces enseignements internationaux pour améliorer ses propres systèmes d’aide aux réfugiés?

La stabilité comme fondement : Après avoir vécu leur lot de bouleversements et d’incertitude, les réfugiés ont besoin de prévisibilité. Offrir un statut permanent plutôt que des mesures temporaires procure une stabilité émotionnelle cruciale pendant le rétablissement.

Éliminer les obstacles : Il faut remédier à l’inégalité d’accès aux services, notamment aux délais d’attente pour bénéficier d’une couverture santé, qui privent les populations vulnérables de soins essentiels pendant les périodes d’adaptation critiques.

Changer le discours public : Les campagnes de sensibilisation du public devraient aider les Canadiens à comprendre la crise humanitaire mondiale et à voir les réfugiés non pas comme un fardeau, mais comme des personnes résilientes qui méritent d’être soutenues et qui sont capables d’apporter d’énormes contributions à nos communautés.

Un appel à la compassion

La crise de santé mentale des réfugiés exige plus que des réponses politiques; elle exige un engagement fondamental à reconnaître l’humanité dans chaque personne déplacée. Les programmes novateurs mis en place partout dans le monde montrent que les interventions les plus efficaces émanent souvent des réfugiés eux-mêmes, à condition qu’ils reçoivent un soutien adéquat et que l’expertise tirée de leurs propres expériences soit respectée.

À l’échelle mondiale, nous pouvons et devons faire mieux. La question n’est pas de savoir si nous avons les ressources nécessaires pour soutenir 117 millions de personnes déplacées, mais si nous avons la volonté collective de démontrer que la compassion et la dignité humaine restent des forces puissantes dans notre monde.

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Avis de non-responsabilité

Le contenu publié sur nos blogues ne vise en aucun cas à remplacer l’avis d’un médecin, un diagnostic ou un traitement. Pour toute question relative à votre santé mentale, demandez toujours l’avis de votre professionnel de la santé. Si vous êtes en détresse, vous pouvez téléphoner ou envoyer un message texte au 988 à tout moment. En cas d’urgence, appelez le 9-1-1 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.