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Le VecteurConversations sur la santé mentale

En 2009, Zac Crouse et Corey Morris, deux kayakistes chevronnés, descendaient une rivière gonflée par la pluie en Nouvelle-Écosse lorsque Corey a été englouti par une chute d’eau, ce qui lui fut fatal. Les deux hommes planifiaient une expédition de kayak qui devait les mener de l’Ontario jusqu’à l’océan Atlantique. Traumatisé par la mort de son ami proche, Zac Crouse a entamé une thérapie et commencé à prendre des médicaments. Deux ans plus tard, sa guérison passait par une excursion de 1 500 kilomètres en solitaire.

« Au départ, il s’agissait d’un défi physique, mais aussi d’un défi cognitif de haut niveau, raconte Crouse, autrefois thérapeute en loisirs et maintenant enseignant en thérapie par le loisir à l’université. On entre dans une sorte de transe quand on passe tant d’heures à pagayer. Le cerveau finit par voir sur l’eau des motifs qui ne correspondent à aucune idée préconçue. Et il y a aussi les sons et la caresse du vent. On se sent apaisé », ajoute-t-il.

« Les mouvements répétitifs, l’effort, toutes les petites choses auxquelles il faut prêter attention pour avancer créent une sensation de fluidité, précise Crouse. Et les problèmes qu’il faut résoudre sont très pratiques et immédiats, l’avenir n’existe pas. »

Grâce à cette expédition, Crouse a pu laisser derrière lui ruminations et regrets. Elle l’a aidé à se rétablir. Chacun vit et réagit différemment aux traumatismes. Mais le voyage de Crouse illustre le pouvoir thérapeutique des « espaces bleus ».

Zac Crouse.

Zac Crouse enseigne la thérapie par le loisir. Après la mort de son ami proche, Corey Morris, il s’est lancé dans une longue expédition en kayak dans l’espoir de guérir.

Une seconde nature

Les bienfaits de la nature sont bien connus : baisse de la tension artérielle et du taux d’hormones de stress, diminution de l’anxiété, amélioration de l’estime de soi. À l’heure actuelle, de plus en plus d’études montrent que le fait de passer du temps au bord de l’eau, sur l’eau ou dans l’eau est peut-être plus salutaire que n’importe quelle autre activité de plein air. Par exemple, dans un article publié en 2022, deux chercheurs de l’Université de Californie à Davis montrent que les participants à une étude avaient ressenti les bienfaits de l’eau tout simplement en regardant un ruisseau ou une piscine. Ils s’étaient détendus, et leur tension artérielle et leur rythme cardiaque avaient diminué. Les auteurs expliquent ce constat entre autres par le fait que, à un moment de son évolution, l’être humain aurait éprouvé une diminution du stress lorsqu’il repérait une source d’eau potable dans un environnement aride.

Évidemment, tout milieu aquatique comporte aussi son lot de dangers. Selon les centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC), la noyade est la troisième cause de décès par blessure involontaire dans le monde. Les inondations sont parmi les conséquences les plus meurtrières du changement climatique, et elles ont tendance à déplacer ou à tuer ceux qui sont les moins susceptibles de s’échapper ou de s’adapter. Pourtant, notre espèce entretient un lien biopsychologique profond avec la structure moléculaire de l’eau, composée de deux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène.  Depuis une dizaine d’années, les chercheurs s’efforcent de décortiquer notre affinité avec l’eau et étudient en quoi l’intégration d’espaces bleus dans nos villes et nos vies pourrait s’avérer extrêmement bénéfique.

Selon Jenny Roe, psychologue de l’environnement et directrice du Center for Design and Health de l’Université de Virginie, les espaces bleus possèdent quatre propriétés qui stimulent notre système nerveux parasympathique – un réseau de nerfs qui aide notre corps à se détendre après une expérience stressante ou dangereuse.

Tout d’abord, l’eau procure une sensation d’éloignement. Tranquille ou agitée, l’eau nous incite à l’introspection ou à la connexion avec notre environnement, deux états qui rompent avec nos comportements habituels.

Deuxièmement, les espaces bleus – et tout particulièrement les vastes plans d’eau – nous procurent un sentiment « océanique », l’impression d’être plongé dans un espace sans limite où tout est possible. On peut éprouver cette sensation d’infini ailleurs, par exemple lors d’une randonnée en montagne, mais elle est encore plus prononcée dans un espace bleu, lorsque le regard balaie l’horizon ou scrute les profondeurs d’un lac.

Troisièmement, les sons et les mouvements de l’eau – qui s’écoule sur des rochers, par exemple, ou qui danse au soleil – peuvent susciter une « fascination dure », c’est-à-dire capter notre attention par la stimulation, ou une « fascination douce », qui nous plonge doucement dans une sorte d’état hypnotique laissant notre esprit libre de vagabonder sans effort. Ces deux types d’attention favorisent le mieux-être. Quatrièmement, l’eau confère un sentiment de compatibilité avec notre environnement, de confort et d’appartenance.

Dan Rubinstein

L’auteur, Dan Rubinstein, qui pratique la planche à pagaie, est parti d’Ottawa en juin 2023 pour parcourir 2 000 kilomètres sur l’eau et explorer le pouvoir thérapeutique des espaces bleus – une expédition qui lui a inspiré le livre qui va bientôt paraître, Water Borne.

État de grâce

Mat White, de l’Université de Vienne, est également psychologue de l’environnement et sans doute la plus grande autorité mondiale en matière d’espaces bleus. Il étudie ce qui se passe quand on fait une activité (planche à pagaie, nage, surf, marche, contemplation) au bord de l’eau ou sur l’eau, qu’il s’agisse de l’océan ou d’une fontaine en pleine ville. Après avoir dirigé plusieurs projets de recherche et réalisé de savants calculs, White a atteint la conclusion que les milieux aquatiques nous sont bénéfiques, car ils offrent des occasions de réduire le stress et de faire de l’activité physique.

Dans un article, Mat White résume les conclusions d’une étude ayant consisté à analyser un recensement réalisé au Royaume-Uni qui comptait environ 48 millions d’adultes. Il a constaté que plus les gens vivent près d’une côte, plus ils sont heureux et en bonne santé. « Cette étude nous montre essentiellement que ce sont les collectivités et les personnes les plus pauvres qui bénéficient de la proximité de l’eau, explique-t-il en parlant de la santé mentale et physique. Quand on est riche, peu importe le temps que l’on passe dans un espace bleu, on est en bonne santé et heureux de toute façon. Mais quand on est pauvre, l’effet est considérable. »

L’idée selon laquelle un lieu doté de certaines caractéristiques environnementales aurait le pouvoir de réduire les inégalités socioéconomiques sur le plan de la santé s’appelle l’équigénèse. C’est Rich Mitchell, chercheur en santé publique à l’Université de Glasgow, qui a inventé ce terme dans un article sur la question. Il y affirmait que, dans le domaine de la santé, les disparités liées au revenu s’estompaient dans les quartiers situés à proximité de la nature.

Selon White, la qualité des espaces bleus influe sur leurs propriétés thérapeutiques, tout comme la manière dont nous interagissons avec eux. Ces variables sont influencées par la géographie ainsi que par des différences cognitives et culturelles.  Par exemple, on a tendance à aimer retourner dans les endroits que l’on a visités quand on était enfant. Et il existe aussi des différences substantielles entre marcher et s’asseoir. De plus, les effets varient en fonction de la proximité d’un espace bleu et de la fréquence des visites.  Mais dans l’ensemble, lorsqu’on est près de l’eau, on perd la notion du temps et on a tendance à bouger. Or, chaque minute d’activité profite à notre santé.  Selon White, « ce n’est pas seulement la proximité de l’eau qui nous fait du bien », mais aussi le sentiment d’appartenance qu’elle procure et qui nous amène à passer des moments de qualité avec les autres, sur une plage par exemple.  « La présence de l’eau induit ce genre d’interactions. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous pensons que les espaces bleus atténuent les inégalités en matière de santé. Ce sont des espaces sociaux qui favorisent les contacts intergénérationnels. »

Une adaptation de Water Borne: A 1,200-Mile Paddleboarding Pilgrimage, par Dan Rubinstein, qui paraîtra en juin 2025 chez ECW Press.

Lecture complémentaire : Bien faire son deuil : Y a-t-il une bonne manière de vivre un deuil… et combien de temps cela doit-il durer?

Ressource : Où obtenir des soins? – Un guide pour s’orienter dans les services publics et privés de santé mentale au Canada.

Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

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