Si vous êtes en état de détresse, veuillez appeler ou texter le 988 n’importe quand. En cas d’urgence, appelez le 9-1-1 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.

Le VecteurConversations sur la santé mentale

Tristesse et espoir composent souvent la trame de fond du rap conscient, le tout porté par un enchaînement de paroles sur l’injustice, le racisme et la brutalité. Cette musique chante les difficultés auxquelles se heurtent les communautés Noires et exhorte ces dernières à rester fortes malgré les préjugés. La musique contribue largement à la survie de la culture et de l’identité Noires, mais aussi à la santé mentale des personnes Noires, car elle vient exprimer les conflits internes, externes et apparemment éternels découlant de l’oppression.

Malgré nos bonnes résolutions en matière d’équité, chaque jour, le racisme emprunte les traits de la normalité et agit dans notre quotidien. Ces micro-agressions paraissent souvent insignifiantes ou habituelles, et bien qu’elles fassent mal, il est parfois plus facile de les ignorer que de s’y attaquer. Lorsque j’étais adjointe politique sur la colline du Parlement, il y a de nombreuses années, de petits autobus verts se déplaçaient dans l’enceinte du Parlement pour transporter le personnel et les députés d’un édifice à l’autre. Ces autobus passaient régulièrement devant moi sans s’arrêter. Les chauffeurs me voyaient bien leur faire signe, mais dans leur esprit, une femme Noire ne pouvait pas faire partie du personnel parlementaire. Alors ils passaient tout droit. Cela se produisait si fréquemment que lorsqu’ils s’arrêtaient, j’en restais tout étonnée.  

Freda Bizimana

Freda Bizimana

Le cercle vicieux

Ces comportements racistes sont si fréquents qu’ils sont considérés comme trop mineurs pour s’y attaquer. Pourtant, ils ont un effet d’usure et alimentent les relations sociales de pouvoir et d’oppression et, au fil du temps, ils nuisent à la santé et au bien-être des personnes Noires et d’autres personnes de couleur. En effet, ce racisme quotidien est à l’origine du racisme systémique. Et le racisme systémique permet au racisme quotidien de proliférer. L’un et l’autre minent la santé mentale. 

Comment ne pas s’abandonner au désespoir ou au cynisme quand la violence contre des citoyens Noirs est normalisée ou passée sous silence et que personne ne réagit, et encore moins les médias ou le gouvernement? Selon une étude publiée en 2018 dans The Lancet, les Noirs américains qualifient leur santé mentale de mauvaise pendant au moins 14 jours après chaque incident au cours duquel un Noir américain non armé est assassiné par la police dans l’État où ils résident.  

Tout ça se répercute sur des générations entières. La discrimination subie par un parent peut également entraîner des répercussions sur la santé mentale de son enfant, même si ce dernier n’a pas subi directement de traitement discriminatoire. Toujours selon l’étude dont traite The Lancet, les effets du racisme « indirect » ou « vicariant » aggravent la progression des maladies inflammatoires, des troubles du sommeil, des affections chroniques et des fonctions cognitives, autant de choses qui détériorent la santé mentale. 

La musique est, et sera toujours, un moyen d’expression important de la culture Noire. Elle a le pouvoir de transmettre des messages et des émotions complexes. C’est sa redoutable efficacité qui a poussé le législateur américain à interdire le tambour aux esclaves en 1739. Près de 150 ans plus tard, en 1988, la chanson de NWA, « F–k tha Police », a eu le même effet et a suscité des inquiétudes de la part des autorités lors de sa sortie.        

Il n’est donc pas surprenant que la musique rap et la culture hip-hop jouent un rôle important dans l’expression des préoccupations, des craintes, de l’espoir des Noirs d’aujourd’hui, ainsi que des possibilités qui s’offrent à eux, et qu’elles contribuent aussi à leur santé mentale. En 1998, le Dr Edgar Tyson, chercheur et clinicien, a présenté la thérapie hip-hop lors du 20e symposium annuel de l’Association for the Advancement of Social Work. 

La thérapie hip-hop marie le hip-hop, la bibliothérapie et la musicothérapie. La musicothérapie a fait ses preuves depuis les recherches menées par Zane Ragland et Maurice Apprey, dès 1974. De même, la bibliothérapie, dont le traitement repose sur l’utilisation de la littérature, comme la lecture d’histoires et de poésie, est également bien établie et a fait ses preuves, comme le révèlent diverses études systématiques portant sur le traitement de problèmes d’ordre affectif, physique et psychologique chez l’adulte. 

Les travaux de recherche d’Edgar Tyson sont la pierre angulaire de la thérapie hip-hop contemporaine qui convient parfaitement bien à une approche thérapeutique adaptée à la culture, particulièrement chez des jeunes.

À Toronto, au Growth and Wellness Therapy Centre, Freda Bizimana, M.S.S., T.S.A., travaille avec de jeunes Noirs et des jeunes racisés qui ont des démêlés avec la justice. Elle explique combien il est difficile d’entrer en contact avec un jeune Noir, surtout celui qui se retrouve en thérapie en raison de problèmes avec le système judiciaire. « Le jeune n’a pas envie de parler à une pure étrangère, raconte-t-elle. Le hip-hop crée un pont entre nous, on arrive à communiquer grâce à quelque chose qu’il aime. C’est une approche qui n’est pas enracinée dans l’expérience européenne. Ça fait écho aux tambours de la diaspora africaine. »

Nouvelle sortie

Dans sa pratique, Mme Bizimana remarque que les clients semblent souvent détachés et que, au début d’une rencontre, leurs réponses se résument souvent à un seul mot. Elle regarde alors leurs écouteurs et leur demande ce qu’ils écoutent. Ils commencent par parler de leurs chansons préférées, puis s’attardent sur les paroles. À un moment donné, Mme Bizimana leur demande : « Est-ce que tu te sens comme ça des fois? » Et c’est le début d’une conversation. « Cette approche les attire plus facilement dans le processus thérapeutique », explique-t-elle.

Que répond Mme Bizimana aux personnes qui mettent en doute l’efficacité ou la pertinence de cette approche thérapeutique? « Le hip-hop est un miroir de la société. Si ça ne vous plaît pas, vous devez regarder ce qui se passe autour de vous, souligne-t-elle. Comment luttons-nous contre le racisme envers les Noirs? Comment nos systèmes scolaires composent-ils avec la jeunesse noire? Que faisons-nous pour mettre un terme à la brutalité policière? Pourquoi les jeunes cherchent-ils à s’abrutir? »

Le rap sert à surfer sur les tensions, c’est un exutoire. Quand on parle de politique sur une mesure à quatre temps, on transforme la frustration qu’engendre le racisme structurel en un hymne à l’expérience collective. L’album de Kendrick Lemar, To Pimp a Butterfly, contient des commentaires politiques sur la foi, la culture et la race. En 2015, la chanson « Alright », qui concentre toutes ces idées, s’est retrouvée sur la liste des grands succès du classement Pitchfork et Billboard. Dans le poème qui précède et suit la chanson, le chanteur note que la discrimination et l’apartheid sont à l’origine des tensions. À l’instar des chants d’esclaves, il chante qu’avec Dieu, tout ira bien. La grande popularité de cette chanson et son rythme entraînant en ont fait l’hymne du mouvement Black Lives Matter, ce qui vient renforcer la relation entre le rap conscient et l’activisme. 

L’union fait la force

Le rap traite de thèmes, à la fois spécifiques et inspirants, qui portent sur la capacité à surmonter les obstacles et les défis de la vie. Les thèmes reflètent les réalités de la vie quotidienne de nombreuses communautés Noires. La thérapie hip-hop emprunte à la musique rap et à d’autres éléments de la culture hip-hop afin de créer un cocktail thérapeutique adapté à la culture. Contrairement à la musicothérapie traditionnelle, la thérapie hip-hop s’applique aussi à la thérapie de groupe. Elle permet d’échanger au sujet de son vécu et de sortir de l’isolement dans lequel le racisme plonge souvent les personnes qui en sont victimes. Les études montrent que cette approche peut réduire la dépression et l’anxiété et améliorer la communication et l’expression de ses émotions. 

La thérapie hip-hop a un autre atout : elle rend plus fort. La musique rap est très variée et peut renforcer les doctrines du sexisme, du mercantilisme et de la culture de la drogue. Pour les femmes Noires, cela peut être une autre source d’irrespect et de déni. Grâce à la thérapie hip-hop, les femmes peuvent contrecarrer ces influences en créant des paroles et des discussions qui racontent leur histoire avec leur propre voix.  

« Le hip-hop donne une voix aux jeunes Noirs, explique Bizimana. Il leur permet d’avoir un espace pour s’exprimer, guérir et grandir grâce à un moyen d’expression qui leur est familier. J’aimerais qu’il soit utilisé plus fréquemment au Canada », avoue-t-elle, tout en précisant que de plus en plus de thérapeutes adoptent cette approche dans le cadre de séances individuelles et de groupe. Elle constate que les écoles l’intègrent à leurs programmes d’études. « Parfois, l’aide peut prendre la forme d’une liste de lecture adaptée aux humeurs, dit-elle, par exemple, une liste pour les moments de tristesse et une autre pour les moments où l’on a besoin de motivation. »

Il y a quelques années, si on me l’avait demandé, j’aurais exprimé un certain dédain pour la culture hip-hop. Elle m’apparaissait souvent comme une autoflagellation et je ne comprenais pas pourquoi tant de jeunes Noirs, en particulier des femmes, s’y adonnaient. Cependant, lorsque mon fils a commencé à me faire écouter du rap conscient et que j’ai entendu des paroles qui reflétaient mes propres vérités, je n’ai pas pu m’empêcher de revenir sur mon point de vue. Aujourd’hui, dans les moments de doute et de lutte, lorsque les normes culturelles me laissent peu d’options ou rétrécissent mes horizons, je trouve cette musique édifiante. Il n’est donc pas étonnant que j’aie été séduite par la thérapie hip-hop. Elle saisit et formalise ce que beaucoup d’entre nous, dans la communauté Noire, savent déjà : la musique guérit, et aucune musique ne guérit aussi bien que la nôtre.

Auteure:

Après s’être penchée sur le sujet pour rédiger cet article, Debra Yearwood, leader certifiée en santé, a dressé une liste de lecture de rap conscient. Elle signe régulièrement des articles dans Le Vecteur.

Illustrateur: Holly Craib

Dans ses œuvres, Holly Craib explore la relation entre la couleur et la lumière. Elle s’est vu décerner le prix Applied Arts pour une série d’illustrations conceptuelles.

Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

Derniers articles

Se mobiliser pour devenir un allié

À l’approche de la Journée internationale de la visibilité transgenre, un événement annuel visant à soutenir les personnes transgenres et à lutter contre la discrimination, Jessica Ward-King, militante en matière de santé mentale, également connue sous le nom de The Stigma Crusher (la pourfendeuse de préjugés), réfléchit aux moyens de manifester son soutien.

Apprenez-en plus

Le meilleur du Vecteur en 2023

Morceaux choisis à relire dans le magazine de la Commission de la santé mentale du Canada.

Apprenez-en plus

La Santé Mentale Pendant Les Fêtes

Lorsque nous parlons ouvertement de nos difficultés, maladies et problèmes et de notre bien-être, nous reconnaissons que la santé mentale fait partie intégrante de notre santé générale. De telles conversations peuvent mener à des changements de taille, et le temps des Fêtes est une période tout indiquée pour s’attaquer à la complexité et à la pluralité des problèmes de santé mentale.

Apprenez-en plus

Lancement du 988 au Canada

Ce numéro à trois chiffres, facile à retenir, pour la prévention du suicide, permet aux personnes ayant besoin d’un soutien immédiat d’appeler ou d’envoyer un texto pour obtenir de l’aide.

Apprenez-en plus