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Le VecteurConversations sur la santé mentale

Le Mois de l’histoire des Noirs 2025 est axé sur l’héritage et le leadership des personnes noires, un sujet que nous avons exploré dans Le Vecteur sur les manifestations et sur la quête de soins adaptés sur le plan culturel. Dans le présent article, nous nous penchons sur le thème de cette année, la résistance, et explorons ses liens avec la résilience. Nous nous interrogeons sur la manière de rendre possible un avenir plus équitable en concevant des projets adaptés aux communautés africaines, caribéennes et noires, ainsi qu’à d’autres personnes non représentées par la « moyenne ».

Pendant que je faisais mon épicerie, une employée s’est approchée de moi et a commencé à passer les articles de mon panier à la caisse libre-service. Le tout s’est déroulé en silence. Je n’avais pas demandé d’aide et la préposée ne m’a pas demandé si j’en avais besoin. Elle est simplement venue se placer à côté de moi et a commencé à balayer mes produits.

Certains pourraient qualifier ce geste comme étant un bon service, mais je ne l’ai pas ressenti comme tel. J’ai plutôt eu l’impression qu’elle me pensait trop stupide ou trop lente pour payer pour mes articles. Elle n’a pas approché les autres clients qui étaient là, dont un jeune homme à une caisse voisine ainsi qu’une mère avec son enfant en bas âge à une autre. En me rappelant certaines expériences antérieures, je me suis demandé si elle croyait que j’essaierais de voler les produits.

Je suis Noire, et il m’est arrivé plus d’une fois d’être suivie dans les magasins. Pourtant, mes articles n’étaient ni discrets ni coûteux : des essuie-tout, un sac de riz et quelques autres choses – pas vraiment une sélection qui aurait permis de camoufler quoi que ce soit dans mes poches. En l’absence d’une affluence assez importante pour passer inaperçue, pourquoi méritais-je une telle attention?

D’autres hypothèses me sont passées par la tête alors que je quittais les lieux, et c’est là que j’ai remarqué que l’employée s’est approchée pour « aider » une autre cliente qui ne lui avait rien demandé. Ce que nous avions en commun, c’était nos cheveux gris.

Les préjugés, c’est l’équivalent de faire deux pas en avant, un pas en arrière

J’avais envie de soupirer et passer à autre chose, mais plus j’y réfléchissais, plus j’étais exaspérée. À quel moment le nombre de préjugés à votre encontre devient-il excessif? 

Je suis bien dans ma peau, je fais ce que j’aime et je le fais très bien, alors pourquoi cette employée arrivait-elle perturber mes pensées à ce point? Parce que ses actions me dénigraient; je me suis sentie inférieure. Cela m’a contrariée, et je ne suis pas la seule.

Selon une étude de l’American Association of Retired Persons, près de deux femmes sur trois âgées de 50 ans et plus aux États-Unis déclarent être régulièrement victimes de discrimination, et que ces expériences ont des répercussions sur leur santé mentale.

Les femmes – en particulier les femmes de couleur – portent le fardeau des préjugés intersectionnels liés notamment à l’âge, à l’appartenance ethnique, au sexe et au statut socio-économique.

Si vous vous dites « oui, mais ces chiffres concernent les États-Unis », sachez qu’au Canada aussi, nous vivons une situation semblable. Un sondage réalisé par Women of Influence en 2024 a révélé que 80 p. 100 des femmes affirment avoir été la cible d’âgisme dans leur milieu de travail. Un nombre équivalent de femmes ont été témoins de discrimination fondée sur l’âge dans le cadre de leur travail.

Comment le constatent-elles? La discrimination se manifeste quand les conseils formulés par les femmes sont ignorés, et que ces mêmes conseils sont salués lorsqu’ils sont émis par un membre de l’équipe plus jeune ou de sexe masculin. Ce sont les commentaires désobligeants, le fait d’être refusées pour une promotion et toutes sortes de comportements qui leur donnent l’impression de ne pas être entendues, de ne pas être vues ou d’être incompétentes.

Une moyenne éloignée de la réalité

Vraisemblablement, la plupart des gens ne croient pas que l’âgisme, le sexisme ou le racisme sont des principes vers lesquels il faut tendre, mais au-delà des considérations morales, des coûts de santé et des implications sociétales, ces préjugés entraînent des coûts réels pour les entreprises.

Sharon Nyangweso, fondatrice et PDG de QuakeLab, une agence multifonctionnelle de communication et d’inclusion, résume parfaitement la situation lorsqu’elle affirme que nous devons considérer l’équité comme une compétence technique.

 « Il est loin le temps où les chefs d’entreprise efficaces considéraient l’équité comme un “petit plus” intéressant au sein d’une équipe ou encore “une mesure à saveur sociale prise pour une poignée d’individus”, dit-elle. L’équité consiste plutôt à créer de meilleurs produits, services et processus. Elle vise à éviter de blesser ou de détruire des personnes parce que nous ne parvenons pas à voir plus loin que les besoins de “l’homme moyen” ».

Prenons l’exemple des oxymètres de pouls. Ces petits capteurs sont fixés à un doigt ou à un orteil et mesurent, à l’aide d’une lumière, la saturation en oxygène du sang. On les trouve partout. Selon Fortune Business Insights, ce marché était évalué à 2,24 milliards de dollars en 2023, et il devrait atteindre 3,56 milliards d’ici 2032.

On sait depuis des décennies que de multiples facteurs, de la pigmentation de la peau à la mélanine en passant par le vernis à ongles, affectent la capacité de l’oxymètre de pouls à mesurer avec précision la saturation en oxygène. Ainsi, pour les patients asiatiques, noirs et hispaniques, cela peut entraîner des lectures erronées. En outre, ces inexactitudes pourraient être associées à des disparités dans la prestation des soins, d’après le Journal of the American Medical Association.

 « Qualifieriez-vous ce dispositif d’efficace?, demande Mme Nyangweso. Peut-on affirmer qu’une personne qui a conçu un produit ne convenant pas au public auquel il était destiné est un bon ingénieur? Lorsque l’équité est intégrée en tant qu’ensemble de compétences, le processus de conception prend alors en compte toutes les personnes, ce qui donne lieu à des produits, des processus et des services de meilleure qualité et véritablement universels. » 

Du mal à vous faire comprendre?

Nos boutiques sont remplies de produits qui, sans le vouloir, ne répondent pas aux besoins du public auquel ils sont destinés. S’il vous est déjà arrivé d’utiliser un appareil audio assisté par l’IA incapable de vous comprendre en raison de votre accent, vous connaissez les limites d’une technologie conçue pour l’utilisateur « moyen ».

Que se passe-t-il lorsqu’on utilise l’IA pour prendre des décisions qui ont une incidence sur la population? Pour le moment, nous savons qu’elle peut envoyer à tort plus de Noirs en prison, prédire de manière inexacte les besoins en soins de santé des patients noirs, produire des images sexualisées de femmes asiatiques, programmer l’âgisme dans les processus de demande d’emploi, et ainsi de suite. L’IA n’est pas fautive, elle est simplement construite à partir de nos préjugés sociétaux.

Le problème ne se limite pas à l’IA. Nous possédons des téléphones intelligents, des voitures, des dispositifs de suivi de la forme physique et des prothèses de genou qui sont tous fabriqués de manière à convenir aux hommes – bien que les femmes et les autres genres en soient également des utilisateurs. Étant donné que les femmes jouent un rôle prépondérant dans les décisions d’achat, qu’elles sont à l’origine de 70 à 80 % de toutes les dépenses de consommation et qu’elles forment environ la moitié de la population, comment peut-on parler de conception efficace?

C’est ce qui se produit lorsque l’on conçoit en fonction de la « moyenne », autrement dit en fonction de l’homme blanc. Cette approche se traduit par des produits, des processus et des services inadaptés qui témoignent d’un manque de considération à l’égard du marché ciblé.

Plus étonnant encore, les produits conçus pour l’homme blanc moyen ne répondent pas non plus à la plupart des besoins de celui-ci. Pour en savoir plus, reportez-vous à l’ouvrage The End of Average de Todd Rose.

L’équité : une compétence incontournable

Lorsque vous évoluez dans un environnement qui ne vous convient pas, qui ne vous soutient pas et qui semble en fait conçu pour vous nuire, vous en payez le gros prix. C’est en partie la raison pour laquelle les discussions sur l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) s’accompagnent souvent d’une dimension émotionnelle.

Mme Nyangweso décrit ainsi cette convergence : « Les gens confondent notre travail dans ce domaine avec la moralité ou la moralisation, ce qui brouille les pistes et nous empêche de parler du problème que nous tentons de résoudre. Au lieu d’aborder la question comme on le ferait pour n’importe quel enjeu professionnel, les gens attendent de moi – une personne qui travaille dans ce domaine – que je sois leur évaluatrice ou la police de la moralité, explique-t-elle.

Nous devons faire en sorte que la question de l’équité soit recentrée sur les obligations et la responsabilité professionnelles. Je veux entrer dans la pièce en tant que professionnelle. Je ne suis pas là pour discuter des sentiments de chacun. Je ne suis pas là pour remettre en cause des décennies de socialisation ».

Il s’agirait non seulement d’une tâche impossible, mais surtout d’une distraction du véritable rôle de l’EDI, car elle impose une charge émotionnelle aux personnes qui tentent de résoudre de réels problèmes, sources de dangers bien concrets pour les patients, les consommateurs et les clients.

« Pour comprendre l’équité en tant que compétence technique et prendre les mesures qui s’imposent sur le terrain, il faut comprendre les trois volets ou aspects du travail d’EDI », indique Mme Nyangweso, qui les énumère comme suit :

  1. L’équité en tant qu’activité intellectuelle ou processus pédagogique.
  2. L’activisme.
  3. L’équité professionnalisée.

L’équité en tant qu’activité intellectuelle ou processus pédagogique est synonyme de recherche et de données. Par exemple, on ne peut pas affirmer que l’âgisme est un problème tant que personne ne mesure les perceptions et les répercussions.

L’activisme, comme le décrit Mme Nyangweso, est « le processus pratique par lequel nous tentons d’atteindre la libération dans le monde ».

Ce travail remet en question le statu quo, nous oblige à débattre de choses que nous tenions pour acquises et finit par pousser les gens à s’interroger sur la manière dont ils font les choses et sur les raisons qui les motivent. C’est la force émotionnelle qui déclenche le changement. Combien de débats ont été provoqués par Black Lives Matter ou Every Child Matters?

L’équité professionnalisée s’inscrit dans les tactiques de gestion du changement et constitue souvent la manière dont les organisations mettent en œuvre les processus de changement nécessaires pour devenir des producteurs, des fournisseurs et des employeurs plus équitables.

Mme Nyangweso fait remarquer qu’il existe de nombreux recoupements entre ces trois types d’actions. « Le travail des activistes soutient le secteur de l’EDI et rend possible un travail d’équité professionnalisé, et on fait appel à la recherche pour éclairer les pratiques et les approches. »

Les trois volets sont valables et répondent à des objectifs distincts. Lorsqu’on privilégie l’un d’entre eux sans tenir compte des autres, le changement réel risque non seulement d’être compromis, mais aussi de devenir impossible.

L’équité, ça fonctionne

Tous les milieux de travail se portent mieux lorsque la sécurité psychologique – le fruit de la création d’espaces équitables – est présente. La sécurité psychologique consiste à se sentir libre d’être soi-même au travail. Cela signifie que l’on peut prendre part aux activités sans craindre d’être puni ou de subir d’autres conséquences négatives. Pour les employeurs, la sécurité psychologique ne se limite pas à améliorer le climat de travail, elle est également synonyme de rentabilité financière grâce à l’augmentation de la productivité et à la diminution de l’absentéisme et du roulement de personnel.

Nous sommes tous confrontés au défi de devoir composer avec un monde inéquitable. Nous avons le choix entre perpétuer ces inégalités en prétendant qu’elles n’existent pas et qu’elles n’ont pas de conséquences pour nous ou pour ceux qui nous entourent, ou alors prendre l’initiative d’apporter des solutions concrètes en vue de changer les choses. Il faut se demander pourquoi nous ignorons les conseils des employés plus âgés; il faut dénoncer les commentaires inappropriés sur l’âge, le genre, la race, l’orientation sexuelle ou tout autre élément contraire à une interaction respectueuse.

L’absence de réflexion sur l’équité dans l’évolution du monde professionnel a des conséquences tangibles dans le monde réel. Pour effectuer nos tâches de manière efficace, que nous soyons commis d’épicerie ou concepteur de produits, nous devons apprendre, comprendre et vivre l’équité, la diversité et l’inclusion.

Illustration Holly Craib

Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

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