Le VecteurConversations sur la santé mentale

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Les centres de services intégrés constituent une approche novatrice pour transformer les soins de santé mentale offerts aux jeunes au Canada.
Les problèmes de santé mentale de Jessica ont commencé lorsqu’elle avait 15 ans. Ils ont pris de l’ampleur lorsqu’elle a quitté la maison à 18 ans pour aller à l’université dans une autre province. Elle avait tout ce qu’il fallait – les bourses, les notes, les activités parascolaires et les heures de bénévolat – pour fréquenter l’un des établissements d’enseignement postsecondaire les plus prestigieux du Canada. Mais une fois ses études commencées, les fissures psychologiques apparues au début de son adolescence ont commencé à s’élargir. Malheureusement, bien qu’elle ait eu le courage de demander de l’aide, les ressources disponibles à l’époque n’étaient pas très développées.
« On m’a envoyée (une fois) chez le psychiatre du campus. Je me souviens encore de la honte que j’ai ressentie en entrant dans le bâtiment réservé aux soins psychiatriques. À l’époque, il ne faisait pas partie de la clinique où l’on offrait des services de santé physique, avec des médecins et des physiothérapeutes – c’était un bâtiment distinct. Toute personne qui vous voyait y entrer savait que vous étiez “folle”, raconte-t-elle. Le psychiatre m’a recommandé de prendre des antidépresseurs et de suivre une thérapie par la parole, mais je pensais mieux savoir que lui ce dont j’avais besoin. De plus, je ne pouvais pas avoir accès à ces solutions sans passer par le régime d’assurance de mes parents, et c’était un sort pire que la mort. Je ne pouvais pas les laisser tomber (ou me laisser tomber) en affichant ce genre de faiblesse. »
Aussi difficile qu’il soit d’entendre l’histoire de Jessica, elle est malheureusement bien trop courante. Soixante-dix pour cent des personnes atteintes d’une maladie mentale commencent à présenter des symptômes avant l’âge de 18 ans, et elle touche environ 1,2 million de nos enfants et nos jeunes.
Besoin d’aide
Même si les jeunes de 15 à 24 ans sont de plus en plus conscients de l’importance de la santé mentale et qu’ils sont de plus en plus nombreux à demander l’aide de professionnels, ils demeurent très vulnérables. Les jeunes ont encore de la difficulté à obtenir de l’aide, surtout ceux qui sont marginalisés ou qui vivent dans des régions rurales ou éloignées. Les statistiques portent à réfléchir :
- Au Canada, seulement 1 enfant sur 5 reçoit des services de santé mentale appropriés.
- En Ontario, 39 % des élèves du secondaire présentent un niveau de détresse psychologique d’intensité moyenne à élevée (symptômes d’anxiété et de dépression). De plus, 17 % présentent un niveau élevé de détresse psychologique.
- Environ 28 000 enfants et jeunes de l’Ontario sont en attente d’un traitement psychologique (en date de janvier 2020). Ce nombre a plus que doublé depuis 2017.
- Le temps d’attente moyen en Ontario pour les enfants et les jeunes : 67 jours pour le counseling et la thérapie, 92 jours pour un traitement intensif.
- En Ontario, la facilité d’accès aux services varie d’une région à l’autre. À certains endroits, les enfants et les adolescents peuvent obtenir des services presque immédiatement; ailleurs, ils doivent parfois attendre jusqu’à deux ans et demi.
- Environ 40 % des parents affirment qu’ils ne confieraient à personne (pas même à leur médecin de famille) que leur enfant a un problème de santé mentale.
Si de nombreuses personnes ne vont pas chercher de l’aide psychologique pour des raisons financières, d’autres ne savent pas par où commencer pour obtenir ce type de service. La maladie mentale fait encore l’objet de stigmatisation et de perceptions négatives. Par conséquent, 60 % des personnes vivant avec un problème de santé mentale ou une maladie mentale n’essaieront pas d’obtenir de l’aide, de crainte d’être étiquetées.
La pression scolaire
À tout âge, il peut être difficile de reconnaître ou d’accepter que l’on puisse avoir besoin d’aide psychologique. Mais pour les étudiants, cela peut poser des difficultés uniques et complexes. La transition vers les études postsecondaires coïncide avec d’autres grands changements dans la vie. C’est souvent la première fois qu’un jeune quitte la maison et vit comme un adulte pleinement indépendant. En plus de jongler avec les relations, les finances, le ménage et la santé, ces jeunes doivent également gérer leur propre apprentissage.
Ils peuvent aussi être soumis à de fortes pressions pour obtenir de bons résultats, réussir, s’intégrer et décrocher des bourses d’études. Difficultés financières. Attentes familiales. Pression scolaire. Tout cela peut être accablant.
Une telle pression fait souvent remonter à la surface des problèmes de santé mentale – comme l’anxiété, la dépression, l’usage de substances et les troubles de l’alimentation –, et les difficultés liées à la santé mentale rendent les choses plus ardues. Elles peuvent affecter la mémoire, la concentration, le niveau d’énergie, la prise de décisions et la motivation.
Pourtant, beaucoup d’étudiants souffrent en silence, car ils s’inquiètent de ce que leurs professeurs ou leurs pairs pourraient penser. En raison de la stigmatisation associée aux problèmes de santé mentale, ils hésitent souvent à admettre qu’ils souffrent d’anxiété lors des examens ou qu’ils ont besoin de mesures d’adaptation. Des études menées aux États-Unis montrent que seulement 20 à 40 % des étudiants qui ont un problème de santé mentale demandent de l’aide pendant leurs études.
Pour Jessica, au moment où le stress et la pression liés à l’obtention de bourses d’études supérieures faisaient apparaître de nouvelles difficultés que ses médicaments ne pouvaient pas contrôler, elle a déménagé loin de sa famille et de ses amis dans un endroit où elle ne connaissait personne. « Je ne connaissais pas le système et j’étais soumise à une immense pression pour être performante, et c’est à ce moment-là que ma santé mentale a atteint un point de rupture », se souvient-elle.
Jouer au détective et franchir des obstacles
Les étudiantes et étudiants qui ont le plus besoin de services de santé mentale sont souvent les moins susceptibles de demander de l’aide et de la trouver. Et pour ceux qui y ont accès, les soins sont généralement limités à un certain nombre d’heures, après quoi on ne les oriente pas vers les services communautaires. Lorsque Jessica a demandé de l’aide, on lui a proposé un nombre prédéterminé de rendez-vous au centre de psychothérapie du campus. Ce n’est qu’après plusieurs séjours à l’hôpital psychiatrique local qu’elle a pu avoir régulièrement accès à des services de santé mentale. Pour Jessica, la quête de soins au sein de la communauté est devenue une épreuve de plus.
« J’ai dû courir aux quatre coins de la ville pour avoir des services. Chaque fois, je devais à nouveau raconter mon histoire, et chaque fois, cela faisait remonter des souvenirs, des traumatismes, des souffrances et des mauvais traitements. Et chaque fois, j’avais l’impression de tout revivre. Mon esprit était confus et ma mémoire défaillante, je ne me souvenais plus des médicaments que je prenais, des changements apportés à mes doses, des traitements que j’avais essayés. Tout était flou. Je traînais un cartable pour ne pas perdre le fil. C’était épuisant, et je sentais que je ne pouvais tout simplement pas continuer comme ça. »
Comme le montre le parcours de Jessica, s’il est difficile de s’orienter dans le labyrinthe des services de santé quand on est en forme, cela peut devenir accablant quand on ne va pas bien. Lorsqu’on doit en plus composer avec d’autres problèmes, comme le logement, les difficultés financières ou la discrimination, on peut avoir l’impression qu’on ne s’en sortira jamais.
Services intégrés : Une approche novatrice
Pendant de nombreuses années, les services de santé mentale pour les jeunes ont été limités, fragmentés et inefficaces. Heureusement, les choses changent. Une approche novatrice, sous l’appellation des « services intégrés pour les jeunes » (SIJ), est en train de transformer l’accès des jeunes aux services sociaux, aux soins de santé mentale et usage de substances ainsi qu’aux soins de santé primaire. Grâce aux centres de services intégrés pour les jeunes, présents dans la plupart des provinces et dans un territoire, les personnes âgées de 12 à 25 ans peuvent désormais obtenir l’aide dont elles ont besoin au moment où elles en ont besoin, à un même endroit adapté à leur réalité.
Comment les centres de services intégrés pour les jeunes permettent-ils de générer de meilleurs résultats chez les jeunes au Canada? Nous avons posé la question à Karen Tee, directrice générale associée de Foundry, un réseau provincial de centres de santé et de services sociaux intégrés pour les jeunes, en Colombie-Britannique. « Nous savons qu’au Canada, un quart des jeunes vivent avec des problèmes de santé mentale ou de consommation de substances, et nous pensons qu’ils méritent d’avoir facilement accès aux services communautaires dont ils ont besoin, déclare Mme Tee. Les initiatives des centres de services intégrés pour les jeunes transforment le système de soins de santé, car elles sont conçues en collaboration avec les jeunes, les familles, les soignants et les prestataires de services pour s’assurer qu’elles répondent aux besoins des jeunes. Grâce aux services intégrés pour les jeunes actuellement offerts partout au Canada, nous constatons que les résultats en matière de santé et de bien-être s’améliorent pour les jeunes, les familles et les soignants. Nous rejoignons davantage de jeunes, de familles et de soignants dans leur propre communauté. De cette façon, ces jeunes ont plus facilement accès à des ressources et à des services conçus spécialement pour les aider à régler des préoccupations de toutes sortes. »
Que signifie la promesse de soins de santé mentale intégrés pour des personnes comme Jessica ?
« Je pense que mon histoire aurait pris une tout autre tournure si j’avais eu accès à des services intégrés pour les jeunes. J’aurais trouvé des soins de santé mentale et physique à un même endroit; il y aurait eu moins de stigmatisation et je n’aurais pas eu à raconter plusieurs fois mon histoire et à revivre chaque fois mes traumatismes. Je n’aurais pas eu à trimballer un cartable pour avoir accès à des soins de base. Les jeunes ont besoin d’une équipe de personnes avec lesquelles ils peuvent établir des liens, et non d’un réseau de cliniques où ils rencontrent des cliniciens différents à chaque visite. Les jeunes ont tant de choses à comprendre à cette époque de leur vie qu’ils doivent pouvoir facilement se tourner vers des soins de santé indépendants. Ils ne sont pas seulement de petits adultes. Ils essaient de trouver leur chemin à travers un million de choses nouvelles, excitantes et difficiles. »
Principaux résultats associés aux services intégrés pour les jeunes
- 86 % des jeunes recommanderaient les centres de services intégrés pour les jeunes à d’autres jeunes.
- 2 parents de jeunes sur 3 recommanderaient les centres à d’autres jeunes.
- 84 % des jeunes ont déclaré qu’un espace jeunesse serait utile, notamment en raison de ses horaires flexibles, de la possibilité de s’y rendre sans rendez-vous et de l’accès à de nombreux services différents à un même endroit.
- 60 % des jeunes se verraient bien visiter un tel centre (75 % parmi ceux qui ont reçu un diagnostic de problème de santé mentale).
- Au cours des deux dernières années, 57 % des jeunes ont connu un problème de santé mentale, mais moins d’un sur trois a demandé de l’aide.
- 31 % des jeunes ont déclaré avoir un problème de santé mentale, avec ou sans diagnostic.
- 27 % des jeunes ayant eu un problème de santé mentale au cours des deux dernières années ont déclaré ne pas savoir où obtenir de l’aide. 40 % étaient trop timides ou honteux pour parler de leur problème (ce pourcentage est plus élevé chez les jeunes de 18 à 25 ans).
Ces résultats sont fondés sur les résultats non publiés d’un sondage en ligne réalisé auprès de Canadiens par Bell entre le 22 mars et le 7 avril 2022, par l’entremise d’un fournisseur de panel (Schlesinger Group). Les résultats ont été pondérés statistiquement pour représenter la population canadienne selon différents critères, dont la région, le genre et l’âge.
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