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CSMC & – Diabetes Canada
Soyez les bienvenus au cinquième épisode de la série CSMC &, conçue pour faire connaître les membres de PartenairesSanté, où nous déterminons comment nos réalités se recoupent et comment nous pouvons nous soutenir les uns les autres.
Novembre est le mois de la sensibilisation au diabète et le 14 marque la Journée mondiale du diabète. La directrice du marketing et des communications de la CSMC, Debra Yearwood, s’est donc entretenue avec Laura Syron, PDG de Diabetes Canada, afin d’en savoir plus sur l’ampleur de cette maladie complexe et sur les mesures prises par cet organisme pour la freiner.
J’avais hâte de discuter avec Laura Syron, présidente et chef de la direction de Diabetes Canada, depuis que j’ai inscrit la date de cette rencontre à mon calendrier, cet été.
Ma famille connaît le diabète.
D’aussi loin que je me souvienne, il a toujours fait partie de notre vie. Pour ma mère et mes nombreuses tantes, le diabète était quelque chose d’accepté. Nous n’avions aucune idée préconçue à ce sujet et j’ai passé la majeure partie de ma vie à penser que je l’aurai.
Aujourd’hui, on sait qu’elles étaient plus vulnérables au diabète en raison de nombreux facteurs. Nous sommes d’origine Bajane et le diabète est plus fréquent chez les personnes d’origine africaine, noire et caribéenne (ANC).
Mais j’ai redoublé d’intérêt envers Laura lorsque j’ai appris qu’on lui avait diagnostiqué un diabète de type 2 à l’âge de 50 ans.
C’est alors que son engagement professionnel de toute une vie dans la défense de la santé a pris une dimension personnelle.
Quand la vie imite le travail
Quelques instants après nous être rapidement saluées et présentées lors de notre appel virtuel, Laura s’est excusée. « Je suis désolée, mon glucomètre émet des bips, dit-elle en riant malicieusement. C’est notre lot quand on vit avec le diabète. On n’est jamais en congé. »
De retour de son contrôle médical trimestriel, Laura a évoqué avec générosité l’annonce de son diagnostic et la gestion de sa santé. Bien que cela se soit passé il y a huit ans, elle dit s’en souvenir comme si c’était hier.
« J’étais assise dans le bureau du médecin après un examen de routine, et tout à coup, elle m’a dit que j’étais diabétique. »
Laura s’est arrêtée et a repris son souffle.
« Il est difficile de décrire ma surprise. Je n’y étais pas du tout préparée. Je suis restée assise là, dans une sorte de torpeur, sans la moindre idée de ce qui suivrait. »
Mais il y a eu pire que le choc et la consternation pour Laura.
« J’étais tellement gênée. »
Là, je l’ai arrêtée. « Gênée? Mais pourquoi? »
Au cours de l’une des conversations les plus révélatrices de ma vie professionnelle, Laura a démêlé les émotions complexes que tant de personnes ressentent au moment où tombe un diagnostic qui, parfois, peut être le résultat d’un mode de vie.
Honte. Reproches. Culpabilité.
« J’ai peut-être sauté trop de séances d’entraînement? Est-ce que j’ai mangé un beignet de trop pendant la fin de semaine? Ai-je été paresseuse, démotivée? »
Laura a confié qu’elle a même songé à dissimuler à son mari le diagnostic qui venait de tomber.
« À ce moment-là, je ne m’aimais pas. J’ai pensé que je méritais ce qui m’arrivait. »
Laura n’est pas la seule à être passée par là.
En 2023, dans le cadre d’une enquête nationale sans précédent, Diabetes Canada a interrogé près de 2 000 personnes ayant un savoir expérientiel du diabète. Un grand nombre de répondants ont dit avoir éprouvé la même chose que Laura. En effet, près de 90 % des personnes atteintes de diabète de type 1 et près de 70 % de celles atteintes de diabète de type 2 ont dit avoir eu honte et s’être fait des reproches.
Aujourd’hui, elle a pris le taureau par les cornes dans l’espoir que d’autres ne tombent pas dans ce piège.
« Je veux que les gens disposent de moyens que je n’ai pas eus. Je veux qu’ils sachent qu’il existe un endroit vers lequel ils peuvent se tourner pour obtenir de l’information, chercher du soutien et défendre leurs propres intérêts. »
Outre les nombreuses ressources qui existent déjà, Diabetes Canada a l’intention de mettre au point un guide de conversation à l’intention des fournisseurs de soins de santé.
« J’aurais vécu ce diagnostic d’une tout autre façon si mon médecin m’avait dit : ” Vous êtes diabétique. “ Et qu’elle avait immédiatement ajouté : ” Mais ce n’est pas de votre faute ” ».
La stigmatisation, qui pèse sur tant de maladies, n’épargne pas les personnes vivant avec le diabète.
« Mais, déclare Laura, nous sommes déterminés à faire évoluer la situation. »
Réécrire l’histoire
Diabetes Canada travaille sur trois fronts.
« Il s’agit d’un marathon, pas d’un sprint. Je pense à la santé mentale et à la manière dont vous avez réussi à attirer l’attention sur cet enjeu. Aujourd’hui, ces efforts portent leurs fruits, qu’il s’agisse de Bell cause pour la cause ou de la campagne VISAGES. »
Telle est l’ambition de Laura pour Diabetes Canada. Il faut que les gens s’engagent davantage, qu’il s’agisse des entreprises canadiennes, des lieux de travail ou des écoles.
« À partir de là, les fonds consacrés à la recherche augmentent, de même que le bénévolat et tout le reste. »
Pour lancer ce cycle virtuel, l’organisme s’efforce de devancer la désinformation, qui peut alourdir le fardeau des personnes vivant avec le diabète, comme fut le cas pour Laura lorsqu’elle a reçu son diagnostic.
« Non seulement devais-je composer avec le fait que j’étais atteinte d’une maladie importante qui allait bouleverser ma vie, mais en plus, je pensais que c’était de ma faute. »
Diabetes Canada lutte aussi contre l’apathie générale.
« La société peut manifester un certain dédain envers le diabète. C’est vrai, nous disposons de traitements qui sauvent des vies. Le diabète de type 1 était mortel avant la découverte de l’insuline. Mais il reste que c’est une maladie complexe et qu’il faut la gérer. Or, c’est un exercice d’équilibre fastidieux et souvent épuisant. Nous essayons de changer cette attitude voulant que finalement, il s’agisse « juste » de diabète.
Enfin, la stigmatisation.
Laura a qualifié cette réaction de « haussement d’épaules sociétal » ou d’indifférence du genre « vous avez fait votre lit, maintenant couchez-vous ». Mais elle fait remarquer que, même si cela est vrai, tout le monde est loin d’avoir les mêmes possibilités en matière de prévention.
« Des facteurs sociaux, environnementaux et biologiques entrent en jeu. La compassion est donc toujours de mise. »
Mais les personnes atteintes de diabète ne sont pas seulement confrontées à un déficit d’empathie.
Cette maladie draine également sur le plan financier et psychologique.
Des dollars et du bon sens.
« Le coût est énorme, souligne Laura. Je parle à la fois du tribut social et personnel. »
En un peu plus de 10 ans, l’impact financier du diabète a presque triplé, passant de 13 milliards de dollars en 2013 à 39 milliards de dollars en 2024. En 2003, selon le rapport annuel de Telus Santé sur les tendances et références canadiennes en matière de consommation de médicaments, les médicaments contre le diabète étaient la principale catégorie de médicaments faisant l’objet de demandes de remboursement auprès des assurances privées, avec une hausse de près de 30 % des montants admissibles par rapport à 2022.
Pour les personnes atteintes de diabète de type 2, les dépenses annuelles peuvent rapidement dépasser les 10 000 dollars. Pour les personnes atteintes de diabète de type 1, ce chiffre s’élève à 18 000 dollars, ce qui pèse lourdement sur le budget d’un ménage.
Diabetes Canada dispose d’une ligne d’information et d’orientation, 1-800-BANTING, baptisée d’après le père de l’invention de l’insuline, le Dr Frederick Banting, éminent chercheur canadien.
Avant la pandémie, les appels étaient principalement axés sur l’éducation.
« Les gens appelaient en détresse parce que leur taux de sucre ne baissait pas, ou parce qu’ils avaient besoin de conseils sur les différentes options de médicaments, et parfois parce qu’ils avaient simplement besoin d’une oreille attentive. »
Mais depuis la COVID, la nature des appels a changé.
Sentiment d’accablement
Aujourd’hui, les personnes qui appellent le plus souvent sont celles qui connaissent des difficultés financières.
« Les portefeuilles sont vides. Les gens ont de la difficulté à payer les médicaments, à couvrir la quote-part de l’assurance ou même à acheter ces aliments sains si essentiels à la gestion du diabète. »
Je me suis dit qu’il valait mieux prévenir que guérir.
Sans accès aux services, au soutien et aux traitements adéquats, cette tendance alarmante ne s’améliorera pas de sitôt.
« Ce coût élevé est aggravé par un sentiment d’accablement. Ainsi, certaines personnes se mettent à réfléchir à la gestion du diabète et à tout ce que cela demande du point de vue financier, mais aussi du temps, de l’énergie, de la charge mentale, et elles décident tout bonnement de tout laisser tomber.
« C’est là que les choses s’aggravent », signale Laura.
« La cécité, les amputations, l’insuffisance rénale, les maladies cardiaques peuvent toutes résulter d’un diabète qui n’a pas été pris en charge, poursuit-elle, alors qu’environ 10 % seulement des personnes atteintes de diabète sont suivies par un endocrinologue, les autres s’en remettant à leur médecin de famille ».
C’est un problème énorme. Selon le Canadian Medical Journal, 6,5 millions de personnes au Canada n’ont pas régulièrement accès à un fournisseur de soins primaires. En bref, soit elles n’ont pas de médecin de famille, soit elles n’arrivent pas à obtenir un rendez-vous au moment où elles en ont besoin.
Laura a une solution. « Nous devons élargir le champ d’action des pharmaciens, des infirmières praticiennes et des nutritionnistes. Ces professionnels paramédicaux font partie intégrante du système. Nous devons repenser le système de santé universel puisque tant de personnes ayant des problèmes complexes, comme le diabète, en sont exclues. »
Une piscine surpeuplée
Laura m’annonce que quatre millions de personnes au Canada sont atteintes de diabète, mais elle utilise une analogie puissante pour illustrer son propos.
« Imaginez que quatre millions de personnes atteintes de diabète nagent dans une piscine. »
Certaines, comme Laura, sont en eau peu profonde. D’autres, atteintes de maladies plus graves, se débattent dans des eaux plus profondes.
« Ensuite, poursuit Laura, un autre groupe de six millions de personnes a les pieds dans l’eau [avec un prédiabète], et des millions d’autres s’en approchent.
Ajoutez à ces chiffres surprenants que les personnes atteintes de diabète sont deux fois plus susceptibles de souffrir de dépression, et vous obtenez un scénario doublement compliqué.
D’un côté, il y a la détresse liée au diabète, de l’autre, la dépression, et nous devons être attentifs aux deux. »
La détresse liée au diabète provient de l’anxiété et de l’inquiétude constantes liées à l’implacable nécessité de constamment prendre des décisions, en plus d’accomplir ses tâches quotidiennes habituelles.
« L’une des particularités du diabète est qu’il incombe à la personne de gérer son taux de glycémie, ce qui peut exiger de changer son mode de vie, d’avaler des médicaments, de se faire des injections d’insuline ou d’utiliser une pompe, etc. »
Mais il peut s’avérer difficile de s’ajuster à tout cela.
« Il m’a fallu huit ans pour trouver le bon dosage. Je ne parlerai pas des terribles effets secondaires qui peuvent survenir lorsque vous ne réagissez pas bien aux médicaments, et c’est exactement la raison pour laquelle Diabetes Canada préconise des traitements personnalisés. »
Métabolisation des traumatismes
Le diabète et la dépression vont de pair, et Laura préconise l’adoption de pratiques exemplaires, par exemple, la prestation de soins tenant compte des traumatismes, ce qui est depuis longtemps une norme de référence en matière de traitement de la santé mentale.
« Nous évoluons dans des systèmes imparfaits et je crains que le fossé entre les nantis et les démunis ne se creuse. Ce manque d’accès s’accompagne de jugements, et les jugements des fournisseurs de soins de santé peuvent être très préjudiciables. »
Par exemple, lorsque le taux de sucre d’une personne diabétique est bas ou élevé, on peut avoir l’impression qu’elle est intoxiquée. Et comme les Africains, les Noirs et les Caribéens, ainsi que les personnes d’origine autochtone, ont des taux de diabète plus élevés, un préjugé, même inconscient, peut s’avérer mortel.
Toute cette conversation m’amène à réfléchir à la manière dont le corps traite les traumatismes et à l’empreinte qu’ils laissent.
Les personnes souffrant de dépression ont un risque accru de 40 % à 60 % d’avoir le diabète, et celles qui vivent avec le diabète sont deux à trois fois plus susceptibles de souffrir de dépression.
C’est l’éternelle énigme de l’œuf ou la poule.
Cependant, quel que soit le problème qui vient avant l’autre, la piscine métaphorique dont parlait Laura est de plus en plus achalandée.
« Quelqu’un s’y glisse toutes les trois minutes. »
En attendant que nous puissions vider la piscine, ces personnes ont besoin d’un soutien vital, égal à la panoplie de soins dont Laura elle-même a la chance de bénéficier.
« Toute personne atteinte de diabète devrait avoir accès aux médicaments, aux soins des yeux et des plaies, à un médecin de famille et, bien sûr, aux soins de santé mentale. Cela devrait être la règle, et non l’exception ».
Éradiquer le diabète
En 2021, le Canada a célébré le 100e anniversaire de la découverte de l’insuline — l’une des plus grandes réalisations de notre pays.
« Le Canada est le berceau de l’insuline et, à ce titre, il a un héritage à faire valoir, déclare Laura. Oui, des millions de vies ont été sauvées, mais il y a encore des millions de personnes atteintes de diabète. Nous ne pouvons pas attendre encore 100 ans pour trouver un remède. »
Laura énumère une série de choses que les gens peuvent faire pour marquer le Mois de la sensibilisation au diabète, et pour aider le Canada à se faire le leader de l’éradication du diabète.
« Vous pouvez vous informer et vous renseigner sur les risques que vous courez, vous pouvez transmettre de l’information pour sensibiliser d’autres personnes, ou même prendre le temps de faire du ménage avant l’hiver et donner des vêtements, des objets de décoration, des livres ou de petits articles ménagers. »
Alors que notre entretien tire à sa fin, Laura vérifie une dernière fois son glucomètre.
« Imaginez le jour où nous aurons un remède!… »
D’ici là, Laura poursuit la bataille — à la maison comme au travail.