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Je me coiffe. Me maquille. Repasse mon chemisier juste comme il faut. Porte des boucles d’oreilles, un collier assorti et des lunettes pour compléter le look. Je suis prête pour le gros plan… dans une réunion Zoom, évidemment. J’ai l’air soignée et professionnelle. Branchée, même. Accomplie.
À partir de la taille, mon allure correspond davantage à mon sentiment : bas de pyjama taché et pantoufles, jambes pas rasées. J’ai peine à me traîner de ma chambre à mon bureau. Ma tasse d’hier contient le café tiède d’aujourd’hui. Je me sens abattue et déprimée. Mentalement malade, même. Une épave.
Ce contraste ne m’échappe pas. Jour après jour, je parviens à tromper tous ceux qui gravitent dans mon univers virtuel. Durant les appels Zoom de 40 minutes, je suis dynamique et alerte, je mène les discussions et pose des questions pertinentes. Mais entre ces appels, je me désintègre en un amoncellement de débris, en m’efforçant de ne pas laisser mes larmes ruiner mon maquillage. À la seconde où je raccroche, mon sourire s’efface et mes épaules s’affaissent aussitôt. C’est plus fort que moi. C’est tout ce que je peux faire pour mobiliser l’énergie nécessaire pour apparaître devant la caméra, mais lorsque les yeux du monde ne sont plus tournés vers moi, je retombe dans la déprime.
Je vis avec une dépression bipolaire de haut niveau. Vous ne trouverez pas ce diagnostic dans le DSM-V. C’est un terme populaire employé pour désigner le type de vie que je décris. Pour le monde extérieur, je suis capable de livrer une solide prestation. Comme le comédien qui porte un masque sur scène, je me fais passer pour quelqu’un qui me ressemble, mais qui est une version beaucoup plus réussie de moi. Mon public n’a aucune idée de ce qui se joue derrière ce masque, il ne voit que la performance et, ignorant qu’il se trouve dans un théâtre, il confond ce masque avec la réalité. Littéralement. À moins de lire ce blogue, mes collègues ne connaîtront pas l’ampleur de mes difficultés.
Ce n’est pas quelque chose que je peux simplement activer ou désactiver quand ça me chante. Je suis contrainte à me produire comme un animal de cirque. « Le spectacle doit continuer » est ma devise malgré moi. Les rares journées où je suis déterminée à briser le statu quo, où je ne me maquille pas ou porte un t-shirt élimé pour travailler, où j’insiste pour rester silencieuse et abattue durant une réunion, ma détermination vacille rapidement et je dissipe les inquiétudes de mes collègues avec une de mes fameuses boutades, une couche de mascara et de rouge à lèvres et une écharpe autour du cou pour cacher ce que je ressens vraiment.
L’attribut « de haut niveau » est moins un choix qu’un impératif : un symptôme du trouble à proprement parler. Se présentant initialement comme un facteur de protection permettant aux gens de rester actifs au travail et dans la collectivité, ce symptôme insidieux ferme la porte à toute aide extérieure en masquant les autres symptômes de la dépression de manière si efficace que nul ne sait que la personne est en difficulté. À la maison, le seul endroit où la personne peut ôter son masque et se montrer telle qu’elle est réellement, tout s’écroule aussitôt, car il ne lui reste plus d’énergie pour son partenaire, sa famille et les tâches ménagères. Cette routine à la Jekyll et Hyde est aussi épuisante pour les proches de la personne atteinte que pour elle-même, si bien que les familles se sentent confuses, incrédules, abandonnées et sans soutien de la part d’une collectivité qui n’a conscience de rien.
Même si l’on parvient à demander de l’aide, on se heurte souvent à l’incrédulité : « Jessica? Déprimée? Elle est en forme, assurée, accomplie et carrément heureuse pour être déprimée! » Comment leur en vouloir? Le monde extérieur croit ce qu’il voit et n’aime pas qu’on lui jette de la poudre aux yeux. Pourtant, y a-t-il vraiment quelqu’un qui croit un seul instant que les personnages des superproductions hollywoodiennes et les acteurs qui les incarnent ne font qu’un?
Je vous implore donc de me croire quand je dis que la dépression de haut niveau est réelle. Les maladies mentales de haut niveau sont réelles. Croyez les membres de votre famille s’ils vous disent qu’ils livrent une prestation digne d’un Oscar pour le reste du monde. Soutenez vos proches qui demandent de l’aide pour surmonter une maladie impossible. Et si vous êtes aux prises avec la dépression de haut niveau, sachez que vous méritez d’être aidé. Même si vous arrivez encore à faire semblant, même si vous fonctionnez bien au travail et même si vous avez l’air de réussir. Vous êtes en difficulté, mais vous n’avez pas à l’être. Je sais que vous avez l’impression d’être le seul ou la seule à vous sentir ainsi, mais c’est la définition même de « haut niveau » : personne d’autre ne sait que vous éprouvez des problèmes, tout comme vous ne pouvez pas voir la souffrance des autres derrière leur masque. Alors, demandez de l’aide. Vous ne le regretterez pas.