Cet article de blogue traite du suicide.
Je vais parler de choses plutôt sombres, et je vous invite à me suivre jusqu’au bout, car c’est important. J’ai eu des idées suicidaires (et j’en aurai sûrement encore étant donné le caractère cyclique des troubles bipolaires) et j’aimerais vous expliquer ce que c’est. Je n’en ai jamais parlé à personne, mais j’aimerais le faire maintenant, car c’est la journée de la sensibilisation au suicide, qui a lieu chaque année, le 10 septembre, en mémoire de toutes les personnes décédées par suicide et de celles qui ont fait des tentatives de suicide ou qui ont des idées suicidaires, ainsi que de leurs proches.
Les idées suicidaires, ou pensées suicidaires sont sans doute différentes pour chacun d’entre nous, c’est pourquoi je ne parlerai que de mon expérience. Si, en lisant cet article, une seule personne peut se sentir vue et comprise, alors, ça aura valu la peine de vous raconter mon histoire.
La plupart du temps, mes idées suicidaires sont passives, du genre « je serais mieux morte » ou « il vaudrait mieux que je ne me réveille pas ». Ce sont les pensées dont je vais parler ici. Évidemment, si j’éprouve de la détresse, ce type de pensée peut devenir plus active et, dans mon cas, aboutir à un plan de suicide, mais c’est plus rare (et c’est là, surtout lorsque les pensées suicidaires sont accompagnées d’un plan, que les proches et les professionnels de la santé doivent intervenir).
Mes pensées de suicide provoquent des sentiments contradictoires. Elles sont à la fois horribles et étrangères, mais apaisantes et familières. Permettez-moi de m’expliquer. Les pensées selon lesquelles je serais mieux morte surgissent dans mon esprit sans crier gare et n’y sont pas bienvenues. J’en ai profondément honte. Je sais qu’elles sont « déviantes » (du moins, j’ai choisi de les qualifier ainsi), et elles semblent m’être imposées par une force extérieure que je rejette. Mais en même temps, elles sont apaisantes et familières — elles m’offrent un moyen de sortir d’une situation à laquelle je réfléchis encore et encore, mais à laquelle je ne trouve aucune solution (ma dépression). Elles offrent un moyen séduisant et facile de sortir de ma situation, presque comme une mère qui m’apaiserait avec un « tout doux, tout doux » et une tape dans le dos, en me promettant que tout ira bien — il y a une solution (et elle est facile).
Les idées suicidaires se manifestent aussi avec des intensités variables. Parfois, c’est un murmure à peine audible en toile de fond. Parfois, elles sont insistantes, comme un enfant qui demande sans cesse du temps d’écran et qui tire sur ma manche. D’autres fois, elles hurlent pour se faire entendre, et rien ne peut les étouffer; je suis donc obligée de prêter l’oreille à leurs suggestions, cajoleries, demandes insistantes et exigences pour que je tienne compte d’elles.
Est-ce que le fait d’avoir ces pensées signifie que je prévois de me suicider? Non. Aussi sombres et insistantes qu’elles soient, ces pensées ne sont que des pensées. Tout comme l’idée de percuter la voiture qui vous précède dans la circulation ou tout autre fantasme qui vous traverse l’esprit tout au long de la journée, les idées suicidaires ne sont rien d’autre que des fantasmes. Des fantasmes qui rendent la vie plus vivable. Ces fantasmes sont très stigmatisés, c’est pourquoi ils sont si effrayants et si difficiles à aborder. Il faut veiller à ne pas tomber dans le piège de la stigmatisation du suicide et à ne pas en faire une véritable option. Je pense que cette frontière est suffisamment nette pour qu’il soit possible de réduire la stigmatisation et de soulager les personnes qui, comme moi, se sentent coupables et honteuses d’avoir des pensées suicidaires, au point de ne pas chercher d’aide.
Alors, comment résiste-t-on, me demanderez-vous? Quelle est la bonne nouvelle? J’ai de la chance. J’ai une compagne à qui je peux parler de ces pensées effrayantes. Elle ne s’effondre pas. Elle m’écoute calmement, en me caressant la main. Puis elle me demande si j’ai un plan. Elle me demande ce que nous devrions faire — devrions-nous appeler mon psychiatre (à qui j’ai aussi la chance de pouvoir révéler mes idées suicidaires sans être rapidement hospitalisée) ou m’emmener à l’hôpital, ou sommes-nous en sécurité en attendant de voir ce qui se passera, et ensuite elle s’allonge avec moi pendant que je pleure. J’ai de la chance. Tout le monde n’a pas une compagne ou un compagnon comme ça, car bien des gens ne comprennent pas que le fait d’avoir ces pensées ne signifie pas que je suis en danger imminent ou, pire, que je suis « folle ». La plupart des gens paniquent en entendant parler d’idées suicidaires et se perdent dans cette peur. Je vous en prie, ne faites pas ça. Je vous assure que l’être cher qui vous confie cela a encore plus peur que vous. Gardez votre calme. Mieux encore, avant de vous retrouver dans cette situation, suivez une formation de base qui vous aidera à faire face à la situation, comme les Premiers soins en santé mentale ou une formation plus spécialisée sur l’aide au suicide. Ces cours vous aideront à évaluer les risques et à déterminer la marche à suivre, qu’il s’agisse simplement de rester avec votre proche ou d’élaborer un plan de sécurité et d’obtenir de l’aide.
Le suicide n’est pas un phénomène qui touche seulement « les autres ». Dans ce pays, 12 personnes par jour meurent par suicide — et il ne s’agit là que des décès dont le caractère suicidaire a été vérifié. En raison de la stigmatisation, pour ne pas jeter la honte sur une famille ou une communauté, bien des décès par suicide sont attribués à d’autres causes. Le suicide est la deuxième cause de décès chez les jeunes et les jeunes adultes (de 15 à 34 ans), et 12 % des Canadiens admettent avoir eu des pensées suicidaires au cours de leur vie. Nous aimons tous quelqu’un qui pense ou pensera à se suicider. J’espère que cette petite incursion dans ma vulnérabilité aidera au moins l’un d’entre eux.