Si vous êtes en état de détresse, veuillez appeler ou texter le 988 n’importe quand. En cas d’urgence, appelez le 9-1-1 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.

La manosphère et la santé mentale

La violence fondée sur le genre, la haine et la discrimination envers les communautés vulnérables ont des répercussions négatives sur la santé mentale et le bien-être de tous.

Publié : Juillet 2025

Il y a moins d’un an, un sondage mené par l’organisation de prévention de la violence fondée sur le genre Ruban blanc et la société de sondage Angus Reid a révélé que la majorité de la population canadienne ignorait tout de la « manosphère », un espace numérique qui, selon les observateurs, est utilisé pour promouvoir des opinions haineuses et misogynes chez les jeunes hommes. 

Il est probable que le nombre de personnes qui connaissent la manosphère soit plus élevé aujourd’hui, grâce en grande partie au drame policier britannique acclamé par la critique Adolescence qui a été diffusé sur Netflix au début de 2025 et qui a suscité un débat sur le sujet. Pourtant, on comprend encore très mal cet espace complexe et les répercussions que certains discours qui y sont diffusés peuvent avoir sur la violence fondée sur le genre, les femmes, les personnes 2ELGBTQI+ et d’autres communautés vulnérables, ainsi que sur le bien-être des garçons et des jeunes hommes.

Qu’est-ce que la manosphère?

La « manosphère » est le nom donné à un vaste réseau informel de groupes d’hommes qui communiquent en ligne grâce aux outils et espaces suivants :

  • Balados et webdiffusions
  • Blogues
  • Site Web
  • Forums en ligne, comme Reddit
  • Plateformes de jeu
  • Médias sociaux, y compris (mais sans s’y limiter) TikTok et Instagram
  • La manosphère n’est pas fédérée autour d’une philosophie unique. De manière générale, la plupart des créateurs de contenu et des influenceurs de ce mouvement combinent antiféminisme, misogynie et une vision déformée du développement personnel fondée sur l’hypermasculinité, la domination et le contrôle.
  • Si quelques groupes présentent leur contenu comme une réflexion sérieuse sur la masculinité, une grande partie de la « manosphère » se nourrit du sensationnalisme, vendant la victimisation masculine et l’hypermasculinité comme identité et modèle économique.
  • Puisque les médias numériques sont une économie axée sur l’attention, les influenceurs sont incités à se radicaliser pour accroître l’engagement. Beaucoup utilisent un langage injurieux et encouragent la misogynie, les discours anti-2ELGBTQI+, la transphobie et la haine envers les réfugiés et les autres communautés de nouveaux arrivants.

Comment la manosphère a-t-elle commencé? 

Les origines (lien en anglais seulement) de la manosphère remontent aux mouvements pour les droits des hommes apparus dans les années 1970 et 1980 en réaction à la deuxième vague du féminisme qui avait permis aux femmes d’obtenir certaines avancées. De nombreux membres de groupes de défense des droits des hommes ont désigné le féminisme comme la cause principale d’une série de problèmes sociaux.

La riposte passe au numérique

Les groupes de défense des droits des hommes ont depuis migré vers Internet, où ils ont été rejoints par d’autres groupes, notamment des groupes de défense des droits des pères, des séducteurs professionnels (« pick-up artists ») et des célibataires involontaires (« incels »). En 2009, ce mouvement était déjà connu sous le nom de « manosphère ». Comparée au mouvement contestataire des années 1970, qui se servait des réunions en personne, de la presse écrite, de la radio et de la télévision pour faire valoir ses arguments, la manosphère a une portée beaucoup plus vaste, en particulier auprès des jeunes, dont beaucoup possèdent des tablettes et des téléphones intelligents et ont accès à Internet sans surveillance.

  • « C’est la portée, mais aussi l’aspect privé des médias numériques, qui fait en sorte que les parents ne savent pas forcément ce que leurs enfants font en ligne », explique Kyle Ganson, professeur adjoint à la Faculté de travail social Factor-Inwentash de l’Université de Toronto.
  • Comme les algorithmes sont conçus dans une optique d’engagement et jouent un rôle majeur dans ce que nous voyons sur les médias numériques, M. Ganson affirme qu’il est très facile de se retrouver « pris dans un engrenage sans vraiment le vouloir ».
  • Comme la manosphère peut être très lucrative, elle cherche toujours à recruter de nouveaux membres, quel que soit leur âge. « Nous avons vu des rapports qui montrent que des garçons s’impliquent dans ce genre de groupes avant l’âge de 14 ans, autrement dit il y a des enfants âgés de 8 à 14 ans qui sont déjà des membres actifs », explique Humberto Carolo, directeur général de Ruban blanc. 

La manosphère et la santé mentale

Les discussions en ligne sur la masculinité ne constituent pas en soi un risque pour la santé mentale, mais certains sites et contenus particuliers peuvent avoir un effet sur le bien-être des garçons et des jeunes hommes. En outre, on constate des répercussions négatives sur la santé mentale au sein des communautés touchées, notamment une augmentation de la discrimination, de la stigmatisation et de la violence fondée sur le genre, lesquelles sont encouragées dans certaines parties de la « manosphère ».

Voici quelques-uns des effets négatifs sur la santé mentale qui inquiètent les experts.

  • Dysmorphie corporelle et automutilation. La communauté « looksmaxxing » occupe une place importante dans la manosphère. Chaque mois, six millions d’utilisateurs consultent des sites d’optimisation de l’apparence dans l’espoir d’obtenir des conseils pour devenir plus beaux et plus masculins, selon les critères définis par d’autres utilisateurs qui notent également des photos d’hommes afin de déterminer leur niveau d’attractivité. Des recherches (lien en anglais seulement) récentes menées à l’Université Dalhousie ont révélé que la communauté de looksmaxxing « soumet ses utilisateurs à une démoralisation masculine, dans laquelle ils sont considérés comme des hommes ratés et incités à s’automutiler ».
  • Rage et agression. Certains discours que l’on retrouve dans la manosphère comportent une bonne dose de rage. « Les jeunes en viennent à croire que les personnes 2ELGBTQI+, les femmes, les nouveaux arrivants et les communautés de réfugiés sont responsables des difficultés et des problèmes auxquels font face les hommes, explique Humberto Carolo. Ils se mettent à penser qu’ils ont été laissés pour compte et qu’ils n’ont pas accès aux ressources, et une vague de rage émerge. »
  • Violence contre les communautés vulnérables. Comme l’algorithme récompense l’engagement, qu’il soit positif ou négatif, et que les créateurs de contenu cherchent à élargir leur audience pour en tirer profit, certains influenceurs dérivent lentement vers des pratiques extrêmes. La déshumanisation, le discours haineux et la rhétorique violente ne sont pas rares.

On s’inquiète beaucoup du fait que certains jeunes hommes et garçons soient radicalisés et poussés à commettre des actes violents sous l’influence de ce qu’ils voient et entendent. En 2018, un homme de 25 ans, inspiré par une communauté misogyne en ligne, a publié un message annonçant que « la rébellion des incels avait commencé » avant de foncer avec une camionnette sur des piétons sur un trottoir de North York, à Toronto. Dix personnes sont décédées; 16 autres ont été blessées.

La violence fondée sur le genre, la haine et la discrimination envers les communautés vulnérables ont des répercussions négatives sur la santé mentale et le bien-être de tous. Les contenus négatifs peuvent avoir de graves conséquences.

Prévention des préjudices : Quelles mesures pouvons-nous prendre

Les parents peuvent se renseigner sur la « manosphère » et certains des termes couramment utilisés pour être en mesure de repérer rapidement les problèmes potentiels.

  • La campagne « My Friend, Max Hate » (lien en anglais seulement), lancée plus tôt cette année par Ruban blanc, est une bonne entrée en la matière. Elle propose un glossaire des mots utilisés dans la « manosphère », par exemple « red pilling » (c’est-à-dire de choisir la pilule rouge, en référence au film La Matrice) et « hustle bros » (ou les frimeurs de la réussite). Max Hate est aussi sur TikTok.
  • Le Musée canadien pour les droits de la personne propose une excellente introduction à la manosphère. 

Les parents, les familles, les enseignants, les tuteurs et toutes les personnes qui jouent un rôle de modèle peuvent guider les jeunes face aux médias numériques en instaurant des dialogues ouverts et sincères et en leur apprenant la littératie médiatique, explique Kyle Ganson. Voici quelques conseils pratiques de M. Ganson :

  • Expliquez aux enfants que les réseaux sociaux ne sont qu’un tout petit aperçu de ce qu’est réellement le monde.
  • Apprenez-leur à ne plus suivre (unfollow) et à ne plus aimer (unlike) certaines choses afin d’entraîner l’algorithme à mieux cerner leurs préférences.
  • « Au lieu de mettre l’accent sur la surveillance, présentez plutôt cela comme un périple que vous les aidez à tracer, poursuit M. Ganson. Il faut se rappeler qu’ils essaient de trouver leur place dans le monde, de définir leur identité et de s’intégrer à leur groupe de pairs. Il est donc très important de ne pas les stigmatiser ou les ridiculiser. »
  • Ganson suggère d’introduire une règle interdisant les écrans dans la chambre. S’ils sont utilisés dans un espace ouvert comme le salon, le niveau d’intimité est un peu moindre. Cela réduit également les troubles du sommeil causés par les technologies.
  • Les parents qui s’inquiètent devraient envisager de se joindre à d’autres parents dans un groupe d’amis et de discuter ensemble de la mise en place de limites.

« Je pense que l’autre moyen est de promouvoir activement ce que vous voulez que vos enfants fassent », dit Ganson. « Par exemple, les parents de jeunes garçons doivent leur enseigner à devenir des hommes et leur transmettre les valeurs de la masculinité. Les enfants apprennent essentiellement en observant. Ils apprennent en regardant leurs parents et les autres figures masculines de leur vie. »

Et ce rôle n’est pas exclusif aux parents, dit Humberto Carolo de Ruban blanc.

« On a besoin que les hommes, surtout, dénoncent cette mouvance pour aider à faire taire les idéologies haineuses et montrer aux jeunes hommes ce que c’est que d’être solidaire et d’incarner une masculinité saine, dit M. Carolo. Nous avons besoin de modèles pour nous ouvrir et parler à ceux qui nous entourent de nos problèmes et gérer nos émotions de façon plus saine. »    

Ressources

  • Les enseignants, les entraîneurs et tous ceux qui jouent un rôle de modèle trouveront des ressources, des définitions et des outils sur le site My Friend, Max Hate (lien en anglais seulement).
  • En Nouvelle-Écosse, un programme scolaire, Guys Work, (lien en anglais seulement) a été créé en 2012 pour aider les jeunes hommes à examiner comment les normes traditionnelles de masculinité peuvent avoir une incidence sur leur santé et celle de leurs pairs.
  • NextGenMen (lien en anglais seulement) propose son programme « Cards of Masculinity » (Cartes de la masculinité) dans les écoles, les communautés et les lieux de travail afin d’aider les hommes et les garçons à s’ouvrir, à remettre en question le statu quo et à réévaluer les idées largement répandues sur les normes de genre.
  • Le cours de quatre semaines (lien en anglais seulement) MAN|Made, qui se déroule à London, en Ontario, aide les pairs leaders et les jeunes hommes à devenir des vecteurs de changement dans la création d’un monde sans violence.
  • Ruban blanc, une organisation fondée après la fusillade antiféministe de masse de l’École Polytechnique de Montréal en 1989, qui a coûté la vie à 14 femmes et blessé 14 autres personnes, propose de nombreux outils et ressources sur son site Web, notamment sur les notions d’alliance et de consentement, ainsi que sur son compte Instagram, où elle aborde la question de la masculinité saine.

Autres ressources

  • CBC Gem a diffusé en 2024 un documentaire, Harder, Better, Faster, Stronger, portant sur la manosphère.
  • En 2024 également, Télé-Québec a publié Alphas, un autre documentaire explorant la manosphère.
  • L’Institut pour le dialogue stratégique offre une analyse approfondie (lien en anglais seulement) du lexique de la manosphère, décrit les principales communautés touchées et propose une liste de liens vers des lectures complémentaires.

Révisé par

  • Humberto Carolo, expert en prévention de la violence fondée sur le genre reconnu mondialement et chef de la direction de Ruban blanc, dont l’objectif est de mobiliser les hommes et les garçons comme alliés dans la promotion de l’égalité entre les genres et des masculinités saines. Ancien coprésident et membre actuel du conseil d’administration de la Global MenEngage Alliance, M. Carolo est membre fondateur du North American MenEngage Network. Il a acquis une expérience interculturelle considérable dans divers environnements, notamment au Brésil, au Cap-Vert, au Sri Lanka, au Kenya, en Papouasie–Nouvelle-Guinée, au Vietnam, en Zambie et en Éthiopie. Il siège au Conseil consultatif externe pour le Centre de soutien et de ressources sur l’inconduite sexuelle du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, et est membre du Comité d’examen des décès dus à la violence familiale du gouvernement de l’Ontario et de la Commission permanente sur la promotion de l’égalité des sexes de la coalition Religions for Peace.

  • Kyle T. Ganson, Ph. D., M. Serv. soc., est professeur adjoint à la Faculté de travail social Factor-Inwentash de l’Université de Toronto. Ses recherches portent sur les troubles de l’alimentation, la dysmorphie musculaire et les comportements de renforcement musculaire chez les adolescents et les jeunes adultes, particulièrement chez les garçons et les jeunes hommes. M. Ganson est le chercheur principal de la Canadian Study of Adolescent Health Behaviors, une étude nationale longitudinale sur les comportements liés à la santé, notamment les troubles alimentaires et les comportements visant à développer la masse musculaire, chez les adolescents et les jeunes adultes canadiens dans les 13 provinces et territoires du Canada. M. Ganson a publié plus de 125 articles scientifiques évalués par des pairs dans des revues de premier plan consacrées à la santé des adolescents, aux troubles alimentaires, à l’image corporelle et à l’usage de substances. Ses recherches ont été présentées, entre autres, sur CBC, CTV News, U.S. News and World Report, Healthline, Fatherly et Runner’s World. M. Ganson possède plus de 10 ans d’expérience directe dans le domaine du travail social clinique et enseigne cette discipline à des étudiants à la maîtrise en services sociaux.

  • David Garzon est directeur du marketing et des communications chez Ruban blanc. M. Garzon est responsable de l’élaboration et de la mise en œuvre d’initiatives stratégiques de marketing et de communication visant à mobiliser divers partenaires, à promouvoir les efforts philanthropiques et à sensibiliser le public aux objectifs et à la portée de l’organisation. Il a travaillé en Bolivie, au Guatemala et en Colombie, où il a animé des ateliers et mis en œuvre des projets sur l’égalité des sexes, les masculinités, les droits des personnes 2SLGBTQI+, la violence fondée sur le genre, le féminisme, l’émancipation des jeunes, la santé et le commerce équitable. M. Garzon est titulaire d’un baccalauréat en sociologie et en études latino-américaines et caribéennes de l’Université York, ainsi que d’un certificat en réflexions critiques sur les masculinités du Center for Social Research, Appropriate Technology and Capacity Building, en Bolivie.