Le VecteurConversations sur la santé mentale
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Dil Ba Dil (cœur à cœur) est l’un des nombreux programmes de soutien destinés aux nouveaux arrivants. Il s’inscrit dans la démarche de soins complexes adaptés à la culture de l’organisme ABRAR Trauma and Mental Health.
« Je veux que les gens acquièrent leur propre point de vue sur la guérison », déclare Abrar Mechmechia en faisant référence à l’avenir des services de santé mentale tenant compte des traumatismes offerts par ABRAR. Elle réfléchit à ce que pourrait être son organisme dans cinq ans et se remémore ce qu’elle a vécu lors de sa formation de psychothérapeute en 2011, pendant que la guerre éclatait en Syrie. Pour Mme Mechmechia, la guérison agit de plusieurs manières et opère un changement de perspective, un processus complexe et continu qui est différent pour chaque personne.
Cette approche unique et personnalisable de la santé mentale des nouveaux arrivants a façonné la douzaine de programmes abordables proposés par ABRAR depuis le début de ses activités, en 2020. Mme Mechmechia, qui travaille à Hamilton, met maintenant à profit son vécu pour co-élaborer des programmes tenant comptes des traumatismes, dont Dil Ba Dil (expression inspirée de la poésie et de proverbes afghans qui signifie « cœur à cœur »), lancé à l’automne 2022.
Basé sur un modèle d’intervention précoce, ce projet pilote vise à aider les femmes afghanes nouvellement arrivées au Canada à guérir et à s’épanouir dans la communauté qu’elles ont choisie. Le programme propose un soutien en santé mentale axé sur l’art ainsi que des rencontres de groupe pendant lesquelles les participantes peuvent partager leur expérience et s’épanouir pendant qu’elles s’intègrent et s’adaptent à un milieu inconnu.
Une participante résume l’initiative comme suit : « Ce programme m’aide à relâcher mon stress et me rend heureuse de vivre au Canada. Notre animatrice est géniale! Elle s’exprime tellement bien, chacune de nous se sent valorisée. On sait que l’on a des gens sur qui on peut compter. Je peux dire ce que je pense et je sais que quelqu’un va m’écouter. »
Shabnam Mahboobi, défenseure de la santé mentale d’origine afghane, dirige le programme Dil Ba Dil, qui est animé par Vida Ghodraty, psychothérapeute stagiaire. Mme Mechmechia espère élargir le programme pour l’offrir aux enfants et aux personnes d’autres genres.
« Nous voulons créer plus d’espaces pour aider les nouveaux arrivants sur le plan de leur santé mentale », dit-elle. À l’heure actuelle, ABRAR propose des services de psychothérapie, de coaching familial et de soutien de groupe ainsi que des ateliers en anglais, en arabe, en persan (farsi), en dari et en hindi, par l’intermédiaire d’une équipe de 12 professionnels, dont trois stagiaires inscrits à un programme de maîtrise en travail social. Ces services, qui sont offerts en personne dans la région du Grand Toronto et virtuellement dans tout le Canada, aident les nouveaux arrivants dans plusieurs sphères de leur vie : soins personnels, adaptation, gestion des traumatismes liés à la migration, création de relations durables, gestion de l’anxiété et régulation des émotions. Par exemple, Brave Space est un module d’intervention prenant la forme d’un groupe de soutien destiné aux femmes musulmanes touchées par des incidents islamophobes. Cette année, ABRAR offrira ce modèle à London, Hamilton, Mississauga et Kitchener, grâce à un financement d’Islamic Relief Canada. Le programme Friends and Coffee, mis à l’essai avec la Syrian Canadian Foundation, aide également les femmes arabophones nouvellement arrivées à créer des réseaux de soutien et à prendre soin de leur bien-être psychologique.
« Nous savons que les femmes passent inaperçues dans nos propres communautés, explique Mme Mechmechia. Elles tiennent la maison, font les courses, élèvent les enfants, mais personne ne leur demande comment elles s’en sortent dans ce nouveau pays qu’est le Canada, comment elles font pour apprendre la langue, préparer leurs enfants à l’avenir et faire face à toutes leurs autres responsabilités quotidiennes. Ces femmes ont besoin de cet endroit. »
ABRAR offre également des formations à d’autres organismes, notamment sur les soins de santé mentale destinés aux nouveaux arrivants et sur les approches tenant compte des traumatismes. De plus, certaines de ses initiatives s’adressent aux personnes récemment arrivées d’Ukraine.
Traumatisme sur traumatisme
Dans les formations passées, il a été question de l’art de se fixer des objectifs, de racisme et de santé mentale, des difficultés liées à l’éducation des enfants et du croisement entre les traumatismes liés à la migration et la pandémie. Comme le souligne Mme Mechmechia, ce dernier sujet est particulièrement complexe.
« Pour plusieurs, la pandémie a été difficile à traverser. Chacun était coincé chez soi avec ses pensées, ses traumatismes et ses souvenirs. Certains ont perdu leur emploi et des proches. Ça fait beaucoup de choses à absorber. Personnellement, j’ai ressenti la même chose. Et on se sentait tous plutôt impuissants devant tout ça. »
Cette accumulation de traumatismes peut perdurer et se complexifier. « Bien des gens ont vécu une série d’événements graves au cours leur vie, ajoute-t-elle. Ils ne sont pas guéris et doivent composer avec ces traumatismes complexes. Le stress se loge dans leur corps – parfois plus qu’ils l’admettent. »
Cela peut notamment se manifester par des problèmes d’insomnie.
« Chez moi, en Syrie, je voyais des enfants qui faisaient des cauchemars. Ils vivent vraiment les symptômes. Par le passé, j’ai aidé de nouveaux arrivants à composer avec leurs traumatismes. Ils arrivaient, s’établissaient, et cinq ans plus tard, les symptômes se manifestaient. Parmi les enfants irakiens arrivés au Canada, certains ont commencé à vivre des difficultés après dix ans, mais les symptômes étaient plus complexes. Je crois d’ailleurs que les conséquences de la pandémie ne se sont pas encore manifestées. »
Selon les résultats d’une étude récente publiée dans l’European Journal of Health Psychology qui portait sur plus de 2 000 adolescents, les nouveaux arrivants souffrent davantage du syndrome de stress post-traumatique et de problèmes avec leurs pairs, tandis que les personnes qui n’appartiennent pas au groupe des migrants ou des nouveaux arrivants vivent davantage d’hyperactivité. Dans tous ces groupes, la discrimination a des effets négatifs sur tous les aspects de la santé mentale. Le soutien familial est un facteur de protection, mais la recherche montre qu’il faut mettre au point une approche adaptée et diversifiée des soins de santé mentale pour les nouveaux arrivants, pour les migrants qui ne sont pas de nouveaux arrivants et pour les non-migrants. De plus, selon cette étude, les interventions favorisant le soutien social par un cercle d’amis sont particulièrement bénéfiques.
Les recherches menées par ABRAR confirment ces résultats et ont conduit l’organisme à s’associer à des dizaines d’autres au pays pour mettre au point des programmes destinés aux personnes issues des communautés 2SLGBTQ+ et BIPOC, aux nouveaux arrivants et aux jeunes handicapés, qui sont pris en charge ou qui l’ont été, ou qui s’identifient comme marginalisés.
En retour, le travail d’ABRAR avec les particuliers et les groupes éclaire les études qu’il réalise. Par exemple, dans In This Together, un rapport s’appuyant sur un travail réalisé avec 20 jeunes militants de partout au pays pendant la première année de la pandémie, l’équipe d’ABRAR signale que les obstacles financiers, l’inefficacité des traitements, la stigmatisation, le manque de sensibilité culturelle et les difficultés liées au milieu scolaire avaient des répercussions sur la santé mentale des jeunes marginalisés. L’organisme entend demander aux décideurs politiques d’investir davantage dans les programmes d’intervention précoce et continuera à mettre au point des services et à former des prestataires sensibilisés aux différentes réalités culturelles. La démarche idéale d’ABRAR amènerait les gouvernements, les ministères et les programmes à donner une plus grande priorité au financement des services communautaires.
Grâce à son travail, Mme Mechmechia veut jeter un pont entre les jeunes et les décideurs. « Nous voulons que les jeunes sachent qu’ils ne sont pas seuls », déclare-t-elle. En outre, ABRAR a adhéré à la campagne Agir pour la santé mentale (orchestrée par l’Association canadienne pour la santé mentale), qui plaide en faveur de soins de santé mentale universels financés par l’État, et ce, pour en améliorer l’accessibilité et le coût.
Pour en revenir à notre conversation sur l’avenir de son organisme, Mme Mechmechia souligne l’importance de ce processus. « Quand on a une vision, les gens sont motivés à aller de l’avant, croit-elle. Les êtres humains ont besoin d’un objectif, et en ce qui nous concerne, d’ici cinq ans, nous aimerions être présents partout au Canada pour soutenir les nouveaux arrivants et les réfugiés qui ont vécu des traumatismes ».
« Le monde est compliqué; certaines personnes vivent dans un climat de paix et de calme, alors que d’autres sont accablées par des obstacles sans fin. C’est comme la pandémie, on ne sait pas quand on en aura fini avec cette situation traumatisante. Nous voulons aider les gens à puiser dans leur vécu pour modifier le regard qu’ils portent sur les choses. »
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