Le VecteurConversations sur la santé mentale
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Une série d’outils de thérapie cognitivo-comportementale culturellement adaptée, conçue pour faire tomber les barrières.
Il était difficile de l’entendre clairement au début, mais une fois que les aspects pratiques d’une séance de thérapie virtuelle où le client appelle depuis son placard ont été compris, les choses ont commencé à se dérouler sans problème.
« Dans mes fonctions antérieures, un appel passé à partir d’un garde-robe n’aurait pas compté comme une séance. Nous aurions demandé au client de l’annuler », indique Helen Yohannes, psychothérapeute autorisée au centre de santé communautaire Somerset Ouest à Ottawa, et l’une des 29 praticiennes participant à un projet de recherche visant à tester une nouvelle forme de psychothérapie pour les personnes d’origine sud-asiatique qui sont aux prises avec l’anxiété et la dépression au Canada.
« Il se pourrait que certains clients cachent à leur famille le fait qu’ils suivent une thérapie, explique Mme Yohannes. « Dans cette étude, nous tenons compte de ce genre de situations. Nous nous concentrons sur les besoins des clients, plutôt que sur ce que nous pensons être un processus efficace. »
Il s’agit de l’une des conclusions de l’étude intitulée Développement et évaluation d’une thérapie cognitivo-comportementale culturellement adaptée (TCCca) afin d’améliorer les résultats de santé mentale des personnes d’origine sud-asiatique, réalisée par le Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) et les partenaires Moving Forward Family Services (Vancouver), le Centre de santé pour nouveaux arrivants d’Ottawa et Punjabi Community Health Services (Toronto). Cette recherche a permis d’élaborer une série d’outils pour une thérapie cognitivo-comportementale (TCC) qui soit culturellement adaptée et destinée à être utilisée avec les clients de ces communautés.
Qu’est-ce que la compétence culturelle?
La sensibilité culturelle peut rendre la TCC, communément reconnue comme étant la « norme d’excellence » en matière de thérapie, plus inclusive pour les communautés non occidentales et améliorer son acceptabilité et son impact. La TCC « régulière » tend à se focaliser sur les problèmes quotidiens d’une personne et à l’aider à interpréter et à évaluer ce qui se passe autour d’elle. La TCC culturellement adaptée le fait aussi, mais avec des ajustements subtils et efficaces.
La compétence culturelle est définie de manière générale comme étant la capacité des fournisseurs et des organisations à offrir efficacement des services de soins de santé qui répondent aux besoins sociaux, culturels et linguistiques des patients. En pratique, cela se traduit de diverses manières.
Par exemple, les clients qui ont participé à l’étude ont exprimé le désir de voir leur thérapeute établir une relation avec eux et rendre l’aspect clinique plus accueillant afin de créer un dialogue plus chaleureux comportant quelques échanges de renseignements personnels, ce qui peut sembler étranger aux lignes directrices habituelles de certains praticiens.
« Les personnes ayant des compétences sociales ou une intelligence émotionnelle supérieures ont tendance à faire ces choses de façon très ingénieuse », explique Farooq Naeem, professeur de psychiatrie à l’Université de Toronto et clinicien-chercheur au CAMH, qui était le chercheur principal de cette étude. M. Naeem a également collaboré à l’élaboration du cadre d’adaptation de Southampton, en se basant sur une étude menée au Pakistan de 2006 à 2009 qui a servi de fondement aux nouvelles recherches.
Au début de notre entretien, nous parlons de nos origines culturelles. Pour lui, cet échange amical de renseignements personnels est une façon d’ouvrir une porte à la discussion, ce qui facilite les adaptations culturelles de la TCC.
« C’est une façon d’établir une relation de confiance avant d’entrer directement dans le vif du sujet », dit-il.
D’autres conseils et outils encouragent également les praticiens à faire participer la famille élargie du client, dans une approche collectiviste de la thérapie et du traitement.
Les commentaires des répondants de l’étude ont également contribué à façonner les façons de faire des praticiens en matière de traitement. Par exemple, certains clients ont eu l’impression qu’on leur demandait d’aller à l’encontre de leurs croyances et de leurs valeurs pour obtenir des résultats favorables dans la thérapie. Dans un cas, un thérapeute avait prescrit à un client d’établir des limites strictes avec ses parents. Le client a jugé ce conseil trop simpliste, puisque la dynamique familiale ne se prêtait pas à une telle approche.
Il est également important de saisir la place qu’occupent les pratiques spirituelles dans la perspective du client.
« La personne peut avoir sa propre idée concernant la cause de ses difficultés, qui peut être ancrée dans des croyances religieuses ou spirituelles », explique Kamlesh Tello, membre de l’équipe du projet et gestionnaire de programme à la CSMC qui se consacre à l’accès à des services de santé mentale de qualité.
« Elle pourrait attribuer certains événements à la volonté de Dieu, au karma ou au mauvais œil, par exemple. Il est important que le fournisseur sache comment s’y prendre avec le client dans ces cas. »
Il est recommandé aux praticiens de discuter avec le client de son point de vue, sans le désapprouver ni suggérer d’autres explications, afin de mieux comprendre les pensées et les sentiments du client.
Toutefois, dans d’autres circonstances, il est conseillé aux fournisseurs de soins d’utiliser des méthodes plus directives lors des séances de thérapie, ce qui peut sembler être une orientation contradictoire. Farooq Naeem réconcilie les deux méthodes.
« De nombreuses cultures non occidentales sont encore très hiérarchisées dans leur style de communication; il relève du sermon, alors que le dialogue socratique, qui est ouvert, guidé et curieux, relève de la TCC, explique-t-il. Les personnes appartenant à ces cultures douteront de votre jugement si vous les interrogez au sujet de l’approche thérapeutique à adopter. »
Ces constats ne s’appliquent pas universellement lorsqu’on prend en compte l’acculturation, c’est-à-dire le degré d’occidentalisation d’une personne dans ce contexte. M. Naeem conseille de ne pas généraliser. Les fournisseurs de soins peuvent plutôt adopter une démarche autoréflexive qui leur permet de contourner leurs propres biais conscients et inconscients lorsqu’ils travaillent avec des clients sud-asiatiques.
Stigmatisation structurelle
Même avec des efforts de sensibilisation, les clients qui ont participé à l’étude ont reconnu les défis systémiques plus larges que présentent le racisme, la discrimination, l’immigration et l’installation, ainsi que d’autres facteurs sociopolitiques indépendants de leur volonté qui ont affecté leur identité, leur rôle sociétal et leur santé mentale. Comme l’a fait remarquer un soignant de la région du Grand Toronto, « il y a des biais dans les thérapies, des biais dans les systèmes et des biais chez les personnes qui contrôlent ces systèmes. Soit ils n’en sont pas conscients ou, dans le cas contraire, ils refusent d’admettre les préjugés inhérents à ces systèmes. Et ces biais ont certainement une incidence sur la façon dont les thérapies sont dispensées aux personnes marginalisées, aux personnes défavorisées et aux membres de groupes en quête d’équité. »
Les biais font obstacle à l’utilisation des services de santé mentale; en effet, les recherches montrent que ces communautés sont moins susceptibles d’obtenir de l’aide que les autres Canadiens. Environ 7 % des habitants du Canada (2,6 millions de personnes) s’identifient comme Sud-asiatiques; ils forment également le groupe racialisé qui connaît la plus forte croissance au pays.
Au-delà des mots
La série de vidéos et de guides de formation autogérés sur les approches adaptées à la culture des communautés sud-asiatiques utilisées dans le cadre de la TCC peut aider les praticiens de toute origine culturelle », explique Mme Yohannes.
« Je me disais que je n’étais pas sud-asiatique, que j’étais originaire de l’Afrique de l’Est, d’Érythrée; j’avais probablement des similitudes culturelles, mais j’avais aussi des doutes. Et si les clients refusaient de me voir? » Heureusement, ces craintes se sont rapidement dissipées.
« Les participants à l’étude voulaient simplement avoir une thérapeute compétente et consciente des aspects culturels susceptibles de modifier la manière dont la thérapie est mise en œuvre, ou même l’organisation des séances », raconte-t-elle (en citant le cas du client dans le garde-robe), ainsi que l’évolution des normes au sein de la profession.
« On constate que dans de nombreuses cultures, on hésite à parler de ce qui se passe chez soi avec des étrangers. Certains thérapeutes peuvent avoir l’impression que le client n’est pas prêt à s’ouvrir. Ils le laissent alors partir et lui demandent de revenir quand il sera prêt à parler. J’ai constaté cela avec des thérapeutes qui ne sont peut-être pas aussi sensibles à la culture. Il s’agit d’un facteur qu’il faut prendre en compte. »
Mme Yohannes affirme que les thérapeutes doivent être disposés à apprendre et à s’ouvrir aux conversations sur le racisme. « On ne peut pas échapper à ce sujet. Il faut être en mesure de parler des microagressions, de l’anxiété et de la dépression et de leur lien avec la race. »
Les participants à l’étude ont confirmé que les thérapeutes ayant reçu une formation en TCC culturellement adaptée semblaient plus attentifs à leur réalité. « Je n’ai pas eu à prendre le temps d’informer, de former ou de sensibiliser le [thérapeute] sur ma culture ou sur la réalité de ma persécution historique et culturelle », a déclaré un participant.
Cette compréhension a permis d’améliorer les taux de fidélisation des clients et de réussite des séances thérapeutiques chez les 146 participants à l’étude, dont la moitié ont reçu une TCC culturellement adaptée (contre l’autre moitié une TCC régulière). Leurs pays de naissance étaient le Canada, l’Afghanistan, le Bangladesh, l’Inde, le Népal, le Pakistan, le Sri Lanka, l’Angleterre, les États-Unis, le Qatar, les Émirats arabes unis, le Royaume-Uni et la Suède. Leurs affiliations religieuses ou spirituelles étaient l’hindouisme, l’islam, le sikhisme, le bouddhisme, le christianisme, le zoroastrisme, l’athéisme et l’agnosticisme.
« Nous utilisons beaucoup les termes “multiculturel” et “culturel”, mais je ne sais pas si nous les analysons suffisamment », dit Mme Yohannes, en faisant référence à l’expression « sensibilisés à la culture ». Selon elle, les praticiens ne peuvent pas appliquer un même type de thérapie à tous les groupes et s’attendre à ce que cela fonctionne, car la rigidité et la généralisation vont à l’encontre de l’esprit de ce travail. Il faut plutôt faire preuve d’une ouverture à de nouvelles approches et d’une volonté de modifier les façons de faire.
« C’est dans ces circonstances que les gens se montrent plus disposés à parler de la santé mentale ».
Fateema Sayani
Une habituée des organismes à vocation sociale, ainsi que des salles de presse, où elle a passé plus de 20 ans aux commandes de nombreuses activités, de la stratégie à la collecte de fonds. Ses écrits, qui couvrent une foule de sujets allant des politiques à la culture populaire, sont parus dans des publications de premier plan à la grandeur du Canada et lui ont valu des prix pour ses reportages sur la justice sociale. Forte de ses diplômes, de ses certificats et de ses activités bénévoles, elle s’est donné pour mission de changer l’image des communautés sous-représentées. Malgré son horaire chargé, elle trouve encore le temps de se plonger dans la scène musicale canadienne.
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