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Le VecteurConversations sur la santé mentale

Amanda Friesen, professeure de science politique et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en psychologie politique à l’Université Western Ontario, raconte une conversation qu’elle a eue récemment avec un collègue vivant beaucoup de stress face à « tout ce qui se passe » dans la sphère politique. « En tant que psychologue politique, je me suis demandé : “Est-ce que l’anxiété politique existe?” J’ai conclu que oui, et j’en ai discuté avec mon collègue. » Depuis, Friesen a été invitée à s’exprimer à titre de commentatrice nationale sur le sujet et à formuler des conseils sur la manière de gérer le stress politique et d’éviter la surcharge d’information politique.

Dans le sillage de transformations politiques et économiques rapides, voire bouleversantes, au cours des derniers mois, de nombreux experts en psychologie et conseillers en santé mentale au Canada ont rapporté une hausse du nombre de clients affirmant vivre de l’anxiété lorsqu’ils réfléchissent aux répercussions que les changements politiques et sociaux auront sur eux.

Amanda Friesen

La psychologue politique Amanda Friesen ici à Copenhague, lors d’un projet de recherche : on recherche un équilibre en demeurant informé, sans les effets néfastes.

La CBC a récemment fait état d’une montée des « recherches nerveuses » sur Google, avec des termes comme « tarifs douaniers » et « récession ». Bien des gens disent perdre du sommeil à s’inquiéter de ce qui pourrait arriver, et à se sentir démunis face à toute cette agitation. Certains évitent carrément les actualités pour se protéger des émotions difficiles. D’autres sont pris dans l’engrenage du défilement morbide de mauvaises nouvelles et s’exposent à une rhétorique chargée de haine sur les réseaux sociaux. D’autres encore subissent les contrecoups émotionnels d’être coupés de membres de leur famille et d’amis défendant des opinions et des croyances profondément divergentes. Des symptômes de dépression peuvent en découler.

Le nouveau désordre mondial

La tendance est tellement prononcée que certains spécialistes de la santé mentale se demandent si le « trouble d’anxiété politique » devrait faire l’objet d’un diagnostic à part entière, distinct des autres formes d’anxiété.

« Je constate beaucoup de colère et d’incrédulité, indique Stefanie Peachey, travailleuse sociale agréée, médiatrice familiale accréditée et fondatrice de Peachey Counselling and Family Support, à Burlington et Oakville, en Ontario. Les clients se demandent : “Qu’est-ce que tout cela signifie pour moi? Mes finances me causent déjà de l’anxiété, j’ai peur d’être incapable de me nourrir et de payer mon loyer. Je ne comprends pas vraiment les tarifs douaniers, mais je sais que les prix risquent d’augmenter. Comment vais-je m’en sortir?” ».

Les pertes d’emploi, les flambées de prix dans tous les domaines, des aliments aux matériaux de construction, et le manque de logements abordables… ces problématiques sont bien réelles, tout comme leur impact sur l’ensemble de la société. Il est naturel de s’inquiéter, mais si l’inquiétude fait place à une colère et à un désespoir qui nuisent à votre fonctionnement, il est primordial de trouver des moyens de composer avec la situation sans fuir la réalité.

Stefanie Peachey

La travailleuse sociale Stefanie Peachey: Avec tout ce qui arrive, il est compréhensible de s’inquiéter. Un thérapeute peut aider les gens à démêler des problèmes et des sentiments complexes.

« Nous avons besoin d’outils accessibles aux gens pour éviter qu’ils se détournent de la démocratie, souligne Friesen. Je crois qu’il revient aux journalistes, aux spécialistes des sciences sociales et aux politologues de trouver des moyens pour aider les gens à rester mobilisés et informés sans subir d’effets indésirables. »

Friesen suggère de se doter d’une stratégie intentionnelle et officielle pour la consommation de nouvelles. Elle-même l’a fait : « Je compartimente ma consommation des actualités. Je ne lis jamais d’articles avant de m’endormir. Je suis abonnée à quelques organes de presse, où les manchettes des nouvelles importantes et des faits divers me sont livrées sur une base quotidienne ou hebdomadaire. Je lis ces articles et j’évite d’enchaîner frénétiquement les liens. Je fais mes lectures, puis j’arrête et je mets les nouvelles de côté. »

On peut aussi gérer l’incertitude en se préparant en amont à différents scénarios possibles. « Imaginons que vous travaillez dans un secteur qui va être touché par l’une des mesures tarifaires. Contactez votre organisation professionnelle ou votre entreprise et posez des questions, par exemple : “Quelle sera notre réaction à cette situation? Existe-t-il un moyen de s’y préparer, de lever une partie de l’incertitude?”, suggère Friesen. On peut imaginer toutes sortes de scénarios, plausibles ou non. Ce qui compte, c’est d’obtenir des réponses concrètes. D’un côté, on a les événements susceptibles de se produire, et de l’autre, les réponses et les plans potentiels pour y faire face.  Cette information procure généralement un certain réconfort. »

Pourquoi la solution n’est pas de s’isoler complètement

On peut grandement atténuer le sentiment de désespoir en s’engageant dans la vie de sa communauté ou en défendant une cause qui nous tient à cœur. Selon Friesen, il vaut mieux consacrer son temps et son énergie à faire avancer une cause plutôt que de se laisser paralyser par un sentiment de surcharge émotionnelle face à tous les problèmes qui sont rapportés dans les médias. « On peut opter pour un programme environnemental dans la collectivité, ou une initiative menée avec un ami pour réclamer davantage de pistes cyclables sur le territoire. Agissez. Trouvez les éléments sur lesquels vous avez du contrôle et concentrez-vous là-dessus », conseille Friesen.

Peachey abonde dans le même sens. « Comme thérapeutes, nous travaillons souvent sur les pensées inconfortables et les inquiétudes des clients. Toutes les questions commençant par “Et si…”. Par exemple, un client qui remet en question sa sexualité peut se demander : “Et si on me rejetait pour cette raison?” Nous déconstruisons leur peur, discutons du soutien qu’ils peuvent trouver autour d’eux et proposons différents moyens d’atténuer leur stress. Ça ne veut pas dire que la situation n’est pas stressante ou qu’il est mal de s’inquiéter, mais la pensée du client peut être recadrée. La même chose s’applique dans ce contexte. Comment peut-on minimiser le stress et se concentrer sur des facteurs qui nous rendent plus confortables? »

Dans un article intitulé How to cope with political and social uncertainty as a Canadian (Comment gérer l’incertitude politique et sociale au Canada), Peachey écrit : « Lorsque nous détournons consciemment notre attention des éléments qui échappent à notre contrôle pour nous concentrer sur des questions sur lesquelles nous pouvons exercer une réelle influence, nous économisons non seulement une énergie mentale précieuse, mais nous acquérons également un sentiment d’autonomie ».

Peachey et Friesen sont unanimes : plus que jamais, il est essentiel de prendre soin de soi, ne serait-ce que par des gestes simples comme de dormir et de bouger suffisamment, de manger sainement, de consulter les nouvelles avec modération, de pratiquer la pleine conscience – bref, s’adonner à des activités qui vous font plaisir, comme de prendre contact avec des proches qui vous soutiennent et vous nourrissent.

« Il ne sert à rien de se préoccuper de politique à chaque instant de votre journée. Vivez votre vie. Passez du temps avec vos proches, profitez de la nature, laissez-vous absorber par des projets ou des activités qui vous procurent de la joie. Le surmenage ne vous rendra pas apte à défendre des causes ultérieurement. Il se pourrait que ce soit une course de fond! », prévient Friesen.

Par-dessus tout, ajoute Peachey, rappelez-vous que vous n’êtes pas seul. Bien des gens au Canada ressentent la même chose et expriment leurs frustrations par des actions concrètes telles qu’acheter canadien ou modifier leurs plans de voyage, par exemple.

Si vous avez besoin d’aide, contactez un thérapeute qui pourra vous aider à mettre en perspective vos peurs et vos angoisses et à trouver des moyens constructifs d’y faire face. Pour reprendre les mots de Peachey, « plutôt que de vous attarder sur des circonstances et des comportements qui épuisent vos réserves émotionnelles, redirigez votre énergie vers des actions et des initiatives qui correspondent à vos valeurs profondes. De cette manière, vous regagnez non seulement un sentiment de sens et de satisfaction, mais vous cultivez aussi votre bien-être mental.

Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

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