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Le VecteurConversations sur la santé mentale

Pour Rachel Kingston, la chose la plus difficile à faire en tant que parent est d’essayer de limiter le temps que sa fille de 13 ans passe sur les médias sociaux.

« L’année dernière, ma fille a reçu un diagnostic de trouble d’anxiété généralisée, explique Mme Kingston, qui utilise un pseudonyme pour protéger la vie privée de sa famille. Je pense que son anxiété chronique est en partie liée aux médias sociaux. Contrairement à certains jeunes, elle n’a pas eu de problèmes d’image corporelle ou d’intimidation, mais je m’inquiète quand même parce qu’elle n’a que peu de temps d’arrêt et ne se repose pas vraiment. »

Mme Kingston, mère de deux enfants de Calgary, explique que le rapport de sa fille aux médias sociaux est devenu problématique pendant le confinement, alors qu’ils représentaient la seule forme de vie sociale possible. La situation ne s’est pas arrangée depuis, et Mme Kingston s’inquiète des effets que les médias sociaux pourraient avoir sur le système nerveux de sa fille. S’il n’en tenait qu’à sa fille, il y aurait toujours une vidéo YouTube ou TikTok qui roule en arrière‑plan, qu’elle soit en train de cuisiner, de dessiner ou même de manger.

« Si nous nous retrouvons tous ensemble pour regarder une émission en famille, elle est quand même sur Snapchat, poursuit-elle. Les enfants sont plutôt sourds à mes préoccupations. »

Nous savons bien que Mme Kingston n’est pas la seule dans cette situation. Outre les plaisanteries habituelles entre parents sur la nécessité d’éloigner les enfants des écrans, cinq conseils scolaires au Canada ont intenté des poursuites contre les géants des médias sociaux que sont Snapchat, TikTok, Facebook et Instagram.

Neinstein LLP, le cabinet d’avocats de Toronto qui représente les conseils scolaires, a affirmé (dans une déclaration écrite) que les produits de médias sociaux sont « intentionnellement conçus pour une utilisation compulsive » et que « les propriétés de ces produits qui entraînent une accoutumance ont compromis la capacité d’apprentissage des jeunes, perturbé les salles de classe et créé une population étudiante qui souffre de plus en plus de problèmes de santé mentale ».

Amorce de conversation

Les actions en justice, de même que la proposition encore plus récente de restreindre l’utilisation problématique des téléphones intelligents dans les écoles de l’Ontario, ont suscité tout un débat. Certains, surtout les jeunes concernés, estiment que ces mesures ne sont pas justifiées, et qu’il s’agit même d’une atteinte à leur liberté.

Un reportage de la CBC à Toronto a révélé que plusieurs étudiants de l’East York Collegiate Institute n’étaient pas en faveur de ces poursuites judiciaires. Une étudiante a dit ne pas comprendre en quoi le téléphone pouvait lui nuire puisqu’elle réussissait toujours bien à l’école. Un autre a déclaré que personne n’avait à lui dire s’il pouvait ou non utiliser les médias sociaux et que c’était à lui de choisir. Il a ajouté que les enseignants n’avaient qu’à confisquer les téléphones des étudiants plutôt que d’aller devant les tribunaux. Un peu plus d’un mois plus tard, c’est exactement ce qu’a fait le gouvernement provincial en limitant l’usage des téléphones intelligents dans les écoles. D’ailleurs, cette politique est relativement conforme aux recommandations de l’UNESCO qui, l’an dernier, préconisait une interdiction dans les écoles, soutenant qu’ils étaient une source de distraction et nuisaient à la santé mentale et au bien‑être des jeunes.

Des preuves de plus en plus nombreuses viennent étayer cette affirmation. Jonathan Haidt, auteur de l’ouvrage récemment publié The Anxious Generation : How the Great Rewiring of Childhood is Causing an Epidemic of Mental Illness, s’est mis à écrire sur la question après avoir constaté une hausse des diagnostics de maladie mentale chez les étudiants de premier cycle aux États-Unis. Entre 2012 et 2019, période durant laquelle le téléphone intelligent est devenu omniprésent, les taux d’anxiété et de dépression ont plus que doublé (de 134 % et de 106 %, respectivement).

Bien entendu, ces données reposent sur des corrélations et non sur des liens de causalité irréfutables. Cela dit, les neuroscientifiques tentent de comprendre les mécanismes qui rendent les enfants plus susceptibles de développer une dépendance aux médias sociaux et des problèmes de santé mentale.

Votre cerveau face aux médias sociaux

« Le cortex préfrontal, la partie du cerveau qui vous dit qu’il serait temps de mettre votre appareil de côté, se développe beaucoup plus tard et les enfants n’ont donc pas cette capacité », explique Emma Duerden, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en neurosciences et troubles de l’apprentissage et professeure adjointe à la Faculté d’éducation de l’Université Western.

La difficulté à contrôler ses pulsions et à savoir à quel moment ranger son appareil n’est qu’une partie du problème. Aussi, les enfants sont particulièrement sensibles à l’apprentissage axé sur la récompense, les rendant particulièrement susceptibles à l’usage compulsif des écrans.

« Vous pouvez observer un changement de comportement très rapide chez un enfant à qui vous offrez un bonbon ou un biscuit pour qu’il fasse quelque chose qu’il n’a pas envie de faire, explique Mme Duerden. Le cerveau d’un enfant répond aux récompenses. Or, les médias sociaux agissent véritablement sur ce système parce que les mentions “j’aime”, les commentaires et les notifications sont conçus pour être très gratifiants. »

Mme Duerden signale aussi que les jeunes exposés très tôt à des images stressantes sont plus à risque d’avoir de graves problèmes de santé mentale vers la fin de l’enfance.

« Le contenu n’est absolument pas réglementé dans les médias sociaux, explique Mme Duerden. Les organismes de réglementation devraient examiner de près le contenu offert à la télévision, dans les films et même dans les jeux vidéo. »

Bien que ses travaux portent actuellement sur les enfants, Jonathan Haidt a commencé à s’intéresser aux problèmes de santé mentale des adolescents alors qu’il travaillait sur le rôle des téléphones intelligents dans l’amplification des « failles de la démocratie », un problème connu depuis longtemps. Les dysfonctionnements politiques sont certes plus difficiles à mesurer que les diagnostics de maladie mentale, mais comme le savent tous ceux qui disent vivre à l’époque « la plus stupide », ils sont manifestement en hausse.

« Je dirais que les médias sociaux et, plus généralement, les appareils, ont accéléré l’érosion du discours civil sur les campus », note le professeur Randy Boyagoda, premier conseiller de l’Université de Toronto en matière de discours civil.

À son avis, à force d’utiliser nos appareils, il est devenu difficile d’apprécier l’importance des interactions en personne.

« Je dirais que la médiation quasi permanente de nos vies par nos appareils nous empêche de comprendre, surtout en tant qu’étudiant, mais aussi comme professeur, bien que différemment, l’importance irréductible des rencontres en face-à-face, explique-t-il. Nous préférons nous tourner vers nos appareils, comme supports ou même comme boucliers, pour dire les choses franchement, afin d’éviter ce type de rencontre. »

D’après son expérience, le discours était moins constructif, plus ciblé et plus critique lorsque les cours et les réunions des professeurs se déroulaient en ligne pendant la pandémie.

« Les commentaires demeurent ciblés ou critiques, mais ils sont perçus différemment en raison, encore une fois, du discours désincarné, précise-t-il. Je peux voir le langage corporel de l’autre personne et elle peut voir le mien. Elle peut entendre le ton de ma voix et je peux entendre le sien. Si quelqu’un dans une pièce n’est pas tout à fait d’accord avec moi sur un point, je peux le sentir et je veux comprendre pourquoi. Et ce n’est possible qu’en personne. »

Là pour rester

L’érosion de la santé mentale et du discours civil n’a pas qu’une seule cause. D’ailleurs, les jeunes ne réagissent pas tous de la même manière aux médias sociaux. Amori Mikami, professeure de psychologie à l’Université de la Colombie-Britannique, conseille d’appréhender les médias sociaux comme une forme de communication parmi d’autres et de trouver une façon de les utiliser qui nous est utile, et non l’inverse.

« J’ai l’impression que les gens parlent beaucoup des aspects négatifs des médias sociaux et de leur effet néfaste sur la santé mentale, déclare Mme Mikami. Et je crois vraiment que c’est le cas. Mais je ne pense pas que ce soit une fatalité. Ils peuvent aussi être bénéfiques pour la santé mentale lorsqu’ils sont utilisés à bon escient ».

Mme Mikami estime que bien des problèmes proviennent de la consommation passive que font certaines personnes des médias sociaux, elles qui ne font que « surfer sur la vague des médias sociaux » pour voir où elle mène. Pour choisir en connaissance de cause les médias sociaux auxquels nous allons consacrer du temps, il faudrait plutôt nous demander ce que nous retirons de cette interaction, quels en sont les avantages et comment nous nous sentons ensuite.

Tous s’entendent pour dire que les médias sociaux sont bien enracinés dans nos vies. Mais nous devons trouver des moyens de les utiliser intelligemment, et ne pas simplement nous contenter de désactiver les notifications ou de remplacer l’affichage en couleur par un autre en nuances de gris (bien que ces deux méthodes soient très efficaces).

Dans The Anxious Generation, Jonathan Haidt préconise d’agir collectivement sur un certain nombre de fronts, notamment en encourageant les enfants à jouer et à s’immerger véritablement dans des communautés du monde réel. Pour le bien du discours civil, la fin du secondaire ne peut pas en sonner le glas.

« Nous devons montrer aux enseignants comme aux étudiants qu’il y a quelque chose d’irréductiblement bon dans le fait de penser à voix haute en compagnie d’une autre personne, précise M. Boyagoda. Et le meilleur moyen d’y parvenir, c’est d’avoir les mains libres, c’est-à-dire de n’utiliser aucun appareil. »

« Nous devons reconnaître les désaccords et les différences, en tenir compte et considérer leurs bons côtés dans la mesure où ils peuvent nous permettre de mieux nous comprendre et de mieux nous entendre sur des questions communes, et ultimement de contribuer au bien commun, et à la quête de vérité. »

Lecture complémentaire : Le soutien en matière de cybersanté mentale est-il approprié pour vous?

Ressource : #ClavardagePrudent : un guide pour les jeunes pour communiquer en ligne en toute sécurité au sujet de l’automutilation et du suicide

Christine Sismondo est titulaire d’un doctorat en histoire et écrit régulièrement sur un large éventail de sujets couvrant des questions sociétales contemporaines. Elle a déjà remporté un Prix du magazine canadien et écrit régulièrement des articles pour le Toronto Star.
Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

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