Si vous êtes en état de détresse, veuillez appeler ou texter le 988 n’importe quand. En cas d’urgence, appelez le 9-1-1 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.

Le VecteurConversations sur la santé mentale

Qu’est-ce qui dissuade les gens de chercher de l’aide?

Pour certains, c’est le manque de ressources – généralement de temps ou d’argent. D’autres ignorent peut-être même que de l’aide est disponible.

Parfois, les gens tardent à chercher de l’aide pour une raison totalement différente, parce qu’ils craignent la façon dont ils seront traités par le système de soins de santé. Parce qu’ils craignent d’être stigmatisés.

« La stigmatisation est un phénomène auquel nous sommes confrontés tous les jours, déclare Dre Eileen de Villa, médecin hygiéniste torontoise. Toronto, comme beaucoup d’autres régions, est aux prises avec les défis interdépendants que posent l’itinérance, l’omniprésence de la maladie mentale et les dépendances non traitées. »

En mai, dans le cadre de la série annuelle de conférences Charles Hastings de Toronto, Dre de Villa a organisé un événement intitulé Diverse Dialogues: Stigma & Breaking Barriers.

Dre de Villa parle d’une « triple crise » sans précédent qui exige une solution des trois ordres de gouvernement, citant la stigmatisation comme l’un des principaux obstacles à la résolution de cette crise.

« Les gens disent “Si seulement je pouvais me reprendre en main” ou “Si seulement j’avais fait de meilleurs choix de vie”, explique Dre de Villa, mais la dépendance est une maladie complexe, pas une faute morale. »

Types de stigmatisation

« La stigmatisation jette un voile de honte, de peur du jugement et d’isolement, poursuit-elle. La peur de la criminalisation rend beaucoup moins probable la recherche d’aide et, quand la personne trouve enfin le courage de le faire, les attitudes discriminatoires auxquelles elle peut être confrontée au sein de notre système de soins de santé ne l’aident pas à se rétablir. »

Et, comme le souligne Dre de Villa, ce n’est là qu’une des répercussions de la stigmatisation sur notre population.

Mais qu’est-ce que la stigmatisation au juste? La stigmatisation est aussi compliquée qu’omniprésente. Au sens littéral, la plupart d’entre nous savent que la stigmatisation fait partie de la même famille de mots que « tache », « cicatrice » et « sceau de la honte », et signifie généralement quelque chose comme « une croyance injuste au sujet d’une personne ou d’un groupe de personnes ».

Les recherches actuellement menées par la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) définissent la stigmatisation comme la présence d’une caractéristique socialement indésirable démontrant l’« altérité ». Cette recherche se concentre sur quatre types de stigmatisation, explique Michel Rodrigue, président-directeur général de la CSMC, qui a participé à l’événement Diverse Dialogues du Bureau de santé publique de Toronto.

Il existe une stigmatisation individuelle, qui consiste principalement à intérioriser les messages négatifs. La deuxième est la stigmatisation interpersonnelle, qui peut survenir dans les relations avec les amis, la famille et les collègues.

La stigmatisation structurelle, quant à elle, englobe les règles organisationnelles, politiques, procédures, lois et normes culturelles qui perpétuent et renforcent la stigmatisation. Enfin, on parle de stigmatisation intersectionnelle lorsque la stigmatisation liée à la santé mentale ou à l’usage de substances chevauche d’autres formes d’inégalités.

Grâce au nombre croissant de recherches menant à l’établissement d’une taxonomie de la stigmatisation, il est plus facile de déterminer comment la stigmatisation – en particulier structurelle et intersectionnelle – a été utilisée pour marginaliser les populations.

Savoir expérientiel de la stigmatisation

« Il n’y a pas de stigmatisation sans marginalisation et sans discrimination », indique Dre Notisha Massaquoi, professeure adjointe au département de la santé et de la société de l’Université de Toronto à Scarborough, conférencière à l’événement et participante à la discussion de groupe. « La stigmatisation est un outil central et essentiel du racisme anti‑Noirs. »

Selon Dre Massaquoi, on ne peut dissocier la stigmatisation des autres outils d’oppression, notamment l’effacement et l’invisibilité, mais aussi la marginalisation et l’isolement. La stigmatisation sert à détourner notre attention des obstacles systémiques à la santé et entraîne d’importantes répercussions négatives sur la santé de la population.

« La stigmatisation nuit à tous les aspects de la cascade des soins de santé, enchaîne Dre Massaquoi. Elle nuit au diagnostic, au traitement, à l’accès équitable aux soins et aux résultats positifs. »

Avant de travailler à l’Université, Dre Massaquoi œuvrait dans le domaine de la santé publique, d’abord en tant que fournisseuse de services pour les personnes d’origine africaine continentale de Toronto ayant reçu un diagnostic de VIH. C’était à la fin des années 1980, avant l’apparition des traitements médicaux. Elle raconte que chaque jour, elle espérait que personne ne franchirait sa porte, car tous les patients qu’elle rencontrait décédaient dans l’année qui suivait.

« Quand nous avons enfin reçu le médicament, quand l’AZT (un type de médicament antirétroviral utilisé pour lutter contre le VIH) est arrivée pour la première fois au Canada, ce que je voyais, c’étaient les effets de la stigmatisation, se souvient-elle. Les Africains étaient accusés d’avoir apporté le VIH au Canada et stigmatisés pour leurs pratiques sexuelles considérées comme inhabituelles. Toutes sortes d’étiquettes stigmatisantes ont été attribuées à cette communauté. »

Plusieurs ont ainsi perdu leur emploi. « Et si l’on découvrait qu’ils étaient séropositifs, ajoute Dre Massaquoi, les fournisseurs de soins de santé les rayaient de leur liste. » La communauté noire de Toronto a été la dernière à avoir accès aux médicaments.

Parfois, la discrimination naît d’obstacles structurels difficiles à percevoir, comme l’absence de cliniques du VIH/sida dans les quartiers de la ville où vivent d’importantes communautés noires, même si l’incidence de l’infection par VIH est plus élevée au sein de ces populations. Cette disparité est enfin prise en compte aujourd’hui, mais elle a persisté pendant des années.

Mais il arrive aussi que la discrimination et la stigmatisation dans le système médical soient flagrantes et indéniables.

Dre Eileen de Villa, Dr James Makokis, Dre Notisha Massaquoi et Michel Rodrigue à l’événement Diverse Dialogues.
Quelle ampleur la stigmatisation peut-elle prendre? Dre Notisha Massaquoi répond à Dre Eileen de Villa alors que Dr James Makokis (deuxième à partir de la gauche) et Michel Rodrigue (à droite) écoutent.

« Mon premier jour de résidence en tant que médecin à l’Hôpital général Victoria, une infirmière m’a empêché de pratiquer un accouchement en saisissant ma tresse et en me criant dessus », se souvient le Dr James Makokis, médecin de famille bispirituel de la nation Crie de Saddle Lake (Alberta), vainqueur de la septième saison de The Amazing Race Canada et conférencier lors de l’événement.

« Quand on pense à ce qui arrive aux patients autochtones qui ont beaucoup moins de pouvoir que moi en tant que médecin, relève Dr Makokis, il est logique qu’il y ait des personnes comme Joyce Echaquan, qui a littéralement filmé sa mort sur les médias sociaux alors qu’elle subissait précisément les stéréotypes souvent véhiculés sur les Autochtones. Comme celui qu’elle n’était bonne qu’à une chose, le sexe. »

Joyce Echaquan, une Atikamekw de 37 ans, est décédée d’un œdème pulmonaire à l’hôpital de Joliette, au Québec, en septembre 2020, après avoir été mise sous contention et s’être vu administrer de la morphine. Sa famille affirme qu’elle était allergique à la morphine et qu’elle avait exprimé des inquiétudes quant à une éventuelle réaction indésirable.

Alors qu’elle agonisait, elle a enregistré et diffusé en direct une vidéo de sept minutes montrant des infirmières qui l’insultaient, la traitaient de « complètement idiote » et mettaient son problème de santé sur le compte de ses « mauvais choix ».

Selon Dr Makokis, des actes comme celui-ci, qui montrent de manière flagrante le racisme structurel, sont rendus possibles par la déshumanisation. La déshumanisation, quant à elle, est portée par la stigmatisation. Tout cela s’inscrit dans la même logique de suprématie blanche qui a justifié et permis la colonisation et le génocide.

« Une partie de la déshumanisation consiste à insinuer qu’un groupe de personnes a moins d’intelligence ou de moralité, explique-t-il. On peut penser aux Autochtones qui, dans les pensionnats, n’ont souvent été scolarisés que jusqu’à la sixième année parce qu’on croyait qu’ils avaient les capacités mentales nécessaires pour atteindre seulement ce niveau. »

Il existe d’autres composantes de la déshumanisation : suggérer qu’une population est une « infestation » et qualifier ces gens de « sauvages » ou de « cafards ». Tout cela contribue à justifier la violence, l’injustice et l’iniquité systémique.

« Vous n’êtes pas comme moi, poursuit Dr Makokis. Je suis meilleur que vous. Vous êtes moins humain que moi. Et quand cela se produit, c’est une composante essentielle de la déshumanisation qui nous permet de faire n’importe quoi à un groupe de personnes, et qu’elles deviennent simplement un ensemble de stéréotypes. »

Que pouvons-nous faire?

Dr Makokis affirme que les Canadiens aiment croire (à tort) que nous vivons dans une nation post-raciale de gentils gardiens de la paix et que la discrimination est chose du passé. Dr Makokis, M. Rodrigue, Dre de Villa et Dre Massaquoi considèrent tous l’éducation comme la première étape du démantèlement du racisme systémique.

Dans les écoles publiques, on n’apprend rien ou presque sur le génocide, les pensionnats ou les contributions apportées à la société par les Canadiens noirs – et l’invisibilité et l’effacement sont les premiers pas vers la stigmatisation. En commençant par là, nous pouvons aider à mettre fin à la déshumanisation et à la stigmatisation avant qu’elles ne se manifestent. Après cela, Dre Massaquoi déclare que les données fondées sur la race sont essentielles pour pouvoir réclamer des services exempts de stigmatisation qui sont réellement accessibles aux communautés qui en ont le plus besoin.

Considérer la stigmatisation selon une perspective de santé publique est un excellent moyen de comprendre que la santé publique est un pilier essentiel du tissu social. Comme l’a montré la pandémie, nous sommes tous liés d’une manière que nous ne saisissons pas toujours jusqu’à ce que nous soyons en situation de crise.

« Nous avons toujours œuvré pour la justice, conclut Dr Makokis. Il est important de se rappeler les paroles du Dr Martin Luther King à ce sujet : “Une injustice, où qu’elle soit, est une menace pour la justice partout. Nous sommes tous inéluctablement pris dans un réseau de relations mutuelles, liés par un destin commun. Tout ce qui affecte directement quelqu’un nous affecte tous indirectement.” »

Ressource : Stigmatisation structurelle : Un guide de mise en œuvre pour susciter un véritable changement pour et avec les personnes vivant avec la maladie mentale et/ou des problèmes d’usage de substances.

Photos : avec l’aimable autorisation du Bureau de santé publique de Toronto.

Author: , Ph. D., est une historienne qui écrit sur les questions sociales. Son travail est régulièrement publié dans le Globe and Mail et le Toronto Star. Elle a déjà remporté un Prix du magazine canadien et est l’auteure de plusieurs ouvrages.
Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

Derniers articles

Sons et sensations

Quatre membres d’un groupe ont vécu quatre décennies de découvertes musicales. Notre compréhension du tempérament et de la tempérance a évolué. Ce n’est pas seulement une question de musique : c’est aussi une question de résilience, de renouveau et de reconnaissance, tissés dans une histoire qui pourrait être une chanson.

Apprenez-en plus

Sœurs en déroute

En mai 2021, ma sœur a annoncé qu’elle ne demanderait pas le vaccin contre la COVID-19, même si la plupart des gens de notre âge – plus de 60 ans – étaient soulagés, sinon heureux de pouvoir le faire. J’étais stupéfaite. J’avais du mal à croire que ma seule adelphe, une septuagénaire dynamique et éduquée qui a beaucoup voyagé, prenait une décision aussi irresponsable et, à mes yeux, stupide.

Apprenez-en plus

Oui, moi.

Les raisons pourquoi ma maladie mentale me classe dans la catégorie des personnes en situation de handicap au sens de la Loi sur l’équité en matière d’emploi

Apprenez-en plus

Huit grandes idées qui changent des vies dans le monde entier

Découvrez des initiatives mondiales visionnaires qui redéfinissent la façon dont nous dispensons les services de santé mentale et y avons accès

Apprenez-en plus

On ne peut rien apprendre d’une fenêtre pop-up

Mais il y a beaucoup à apprendre de notre magazine numérique, des experts et de ceux qui ont vécu l'expérience. Recevez chaque mois des conseils et des idées dans votre boîte aux lettres électronique gratuitement!

S'abonner à Le Vecteur

This field is hidden when viewing the form