Le VecteurConversations sur la santé mentale
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Une infirmière chevronnée tend la main à d’autres professionnels du secteur pour engager un dialogue constructif sur la stigmatisation entourant la santé mentale
Dans toute profession, les périodes de pointe sont monnaie courante. Pensons à la file d’attente le matin au café du coin, aux échéances serrées d’un projet et au lancement d’un nouveau produit – tous ces exemples sont source de stress et d’excitation pour le personnel.
Cependant, lorsque l’on parle du système de santé au Canada, on constate que les défis à relever sont d’un tout autre ordre. Les salles d’urgence saturées ont été mises à rude épreuve par les répercussions de la COVID-19, qui continuent de peser lourdement sur nos systèmes fragilisés. Face à ces pressions, le personnel médical, infirmier et administratif a travaillé d’arrache-pied pour maintenir un bon niveau de service malgré des ressources limitées. Nombre d’entre eux n’entrevoient toujours pas la fin du problème.
Une étude réalisée avant la pandémie a mis en lumière le rôle du stress professionnel dans le bien-être mental du personnel infirmier canadien – et ses conclusions sont stupéfiantes. Les résultats révèlent qu’un membre du personnel infirmier sur trois a obtenu un résultat positif au dépistage d’un trouble dépressif majeur, un sur quatre d’un trouble d’anxiété généralisée et d’épuisement professionnel. Mais le plus inquiétant, c’est que 33 % de ces travailleurs ont déclaré avoir des pensées suicidaires, et 8 % ont dit avoir fait une tentative de suicide au moins une fois dans leur vie.
Comment en sommes-nous arrivés là? Et à quel point la situation s’est-elle détériorée depuis la pandémie?
Debbie Phillips, qui a été infirmière autorisée pendant plus de 30 ans – dont la majeure partie passée aux urgences en tant qu’infirmière psychiatrique –, a été directement témoin de la pression croissante que subit le personnel soignant dans les hôpitaux.
« En raison des coupes budgétaires dans le système de santé, nous devons constamment accomplir plus de travail tout en disposant de moins en moins de ressources. Lorsque j’ai commencé ma carrière aux urgences, s’il fallait hospitaliser un patient, nous disposions de plusieurs lits. Vers la fin de ma carrière, je devais appeler les hôpitaux à travers la province pour trouver des places convenables pour nos patients, et souvent attendre jusqu’à cinq jours avant que des lits se libèrent. »
Hélas, son expérience n’est pas exceptionnelle. Selon la Banque mondiale, le ratio de sept lits d’hôpital pour 1000 patients observé dans les années 1970 et 1980 a chuté à moins de trois et ne cesse de diminuer. Ce recul a eu de graves répercussions sur le bien-être physique et mental du personnel hospitalier et des patients.
Donner, mais ne rien recevoir
Lorsqu’ils prodiguent des soins, les professionnels de la santé sont responsables de notre sécurité et de notre bien-être à un moment où nous sommes particulièrement vulnérables. Ils sont plus de 700 000 à remplir ces fonctions altruistes et souvent ingrates pour veiller à ce que nos besoins en matière de santé physique et mentale soient comblés.
Pourtant, face à une telle pression sur nos systèmes, on néglige parfois de se demander qui est là pour répondre à leurs besoins.
On pourrait penser que les professionnels de la santé sont très en phase avec leur propre bien-être physique et mental, vu le métier qu’ils exercent quotidiennement en tant que fournisseurs de soins. Mais ce n’est pas le cas, rectifie Mme Phillips.
« Les membres du personnel infirmier négligent souvent les signes avant-coureurs de leur propre déclin sur le plan mental, souligne-t-elle. Nous pensons que nous maîtrisons la situation et que nous ne nous laisserions pas aller à ce point. »
Et pour ceux qui détectent des symptômes, les ressources se font rares. En raison du manque de personnel, il faut prouver que l’on souffre d’une incapacité physique pour prendre un congé de maladie. Et il n’y a pas de jours de congé prévus en cas d’épuisement.
Cette contrainte accentue la stigmatisation que les membres du personnel soignant ressentent lorsqu’il s’agit de leurs problèmes de santé mentale. « Il n’est pas envisageable de prendre un jour de congé pour se reposer, déclare Mme Phillips. Lorsque l’on s’absente du travail, on se sent coupable de ne pas être là parce que notre équipe n’aura pas de ressources suffisantes pour nous remplacer. Nous sommes bien conscients du fait que des patients sont en attente de soins, et cela est accablant. Ce stress vient alourdir davantage la situation. »
Selon Mme Phillips, certaines personnes ne sont pas pleinement conscientes du stress qu’elles s’infligent, et d’autres ont trop peur d’être stigmatisées pour demander de l’aide. Alors, que faire? Quelles sont les ressources disponibles pour aider au mieux celles et ceux qui en ont besoin?
Ressources pour susciter un changement
Selon un article paru dans Nurse Leader en avril 2022, 76 % des membres du personnel infirmier aux États-Unis ayant souffert d’épuisement professionnel n’ont pas cherché à obtenir de l’aide pour leur santé mentale. De plus, seulement 42 % des employés du secteur de la santé estiment que leur employeur accorde de l’importance à leur santé mentale.
Sur la base de ces données probantes notamment, l’article plaide en faveur de la transformation des « perceptions du personnel infirmier et du contexte culturel, qui fait obstacle à la prise en charge de leur bien-être et à l’accès aux soins de santé mentale. »
En investissant dans la lutte contre la stigmatisation, ajoute l’article, « il serait également possible d’améliorer la perception du personnel infirmier à l’égard des besoins et des soins en matière de santé mentale de leur patientèle. »
Du point de vue de Mme Phillips, les investissements dans les programmes de santé mentale en milieu de travail n’ont guère été constants. Les subventions disponibles de temps à autre étant destinées à des programmes ponctuels, elle estime que ces aides n’ont eu aucun effet durable auprès de son équipe.
Pour combler cette lacune, les formations doivent à la fois répondre de manière adéquate aux besoins du personnel et réduire de façon concrète la stigmatisation au travail. Un programme expressément conçu à cette fin se nomme L’esprit au travail du secteur de la santé, une version adaptée du programme L’esprit au travail de la Commission de la santé mentale du Canada.
Ce cours fondé sur des données probantes est conçu pour amener les travailleurs à changer leur façon de penser, d’agir et de se sentir face aux questions de santé mentale dans le cadre du travail. Il vise à réduire la stigmatisation liée à la santé mentale et à encourager un dialogue ouvert entre collègues. En tant que formatrice de L’esprit au travail, Mme Phillips a été à même de constater les effets de la formation sur les participants.
« On pouvait réellement voir que les choses devenaient plus claires pour les gens. Qu’il s’agisse du continuum de la santé mentale ou des quatre grandes stratégies d’adaptation, on pouvait lire un changement d’expression sur les visages des participants à mesure qu’ils découvraient ces notions. Il était évident que l’on était en train de leur ouvrir les yeux. »
Grâce à son expertise dans le secteur des soins de santé, Mme Phillips est en mesure d’établir des liens plus profonds avec les personnes qu’elle forme. Elle parvient ainsi à créer un environnement propice au dialogue, sachant que toutes les personnes présentes ont traversé des épreuves semblables.
Le commentaire le plus fréquent qu’elle entend après ses séances vient des participants qui regrettent de ne pas avoir suivi le cours plus tôt. « Je pense que ce cours devrait faire partie intégrante du processus d’orientation de tous ceux qui vont travailler dans un établissement de soins de santé, dit-elle. Pourquoi ne pas préparer la prochaine génération à réussir dès l’embauche? »
Puisque la lutte contre la stigmatisation entourant la santé mentale dans les établissements de santé est un travail de longue haleine, il est primordial que nous fassions tous en sorte d’être attentifs au stress que subissent ces professionnels lorsque nous les croisons.
Eric Gronke
Diplômé de la Sprott School of Business de l’Université Carleton, Eric possède une vaste expérience du marketing et des communications dans le monde du sport et du divertissement. Eric est le cofondateur de mssn, une marque dédiée à la collecte de fonds et à la sensibilisation à la santé mentale au bénéfice des jeunes dans la région d’Ottawa.
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