Le VecteurConversations sur la santé mentale

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Si vous évoluez au sein de certaines « bulles de filtre », la santé mentale peut sembler omniprésente. « Tant de personnes consomment de l’information sur ce sujet, sans toutefois y porter un regard critique », indique Jessica Ward-King, surnommée « StigmaCrusher » (« pourfendeuse de la stigmatisation »), titulaire d’un doctorat en psychologie expérimentale qui se décrit comme une ardente promotrice de la santé mentale (et aussi « bourrée de diplômes et de médicaments »). Elle suit une thérapie par la parole en ligne et se renseigne sur TikTok et YouTube. « À mes yeux, c’est aussi de la cybersanté mentale », affirme-t-elle. Les contenus de Ward-King s’appuient sur des recherches réalisées dans le cadre de ses études doctorales, sur son savoir expérientiel du trouble bipolaire et sur d’autres sources de données probantes, mais ces méthodes ne sont pas nécessairement la norme lorsqu’il est question de santé mentale sur Internet.
Il ne fait aucun doute que la technologie transforme la façon de recevoir des soins de santé au Canada, avec la pléthore d’applications, d’influenceurs et d’outils numériques qui font leur apparition, mais comment séparer le bon grain de l’ivraie?
« Les services de cybersanté mentale canadiens présentent des avantages indéniables : ils offrent l’anonymat, réduisent la stigmatisation et permettent aux gens d’obtenir un soutien selon des modalités qui leur conviennent, mentionne Maureen Abbott, directrice de l’Innovation à la Commission de la santé mentale du Canada. Que ce soit par la souplesse qu’elle offre quant au moment et au format de la consultation, ou la possibilité de trouver de l’aide d’urgence lorsque les services en personne ne sont pas disponibles, la cybersanté mentale transforme les soins de santé mentale. Une personne nous a raconté qu’une rencontre avec un groupe de soutien par les pairs au milieu de la nuit lui avait littéralement sauvé la vie », raconte Maureen Abbott.
Maureen Abbott, directrice de l’Innovation à la Commission de la santé mentale du Canada, lors du Congrès annuel du Collectif international eMHIC, qui a eu lieu à Ottawa, en septembre, et où la Stratégie a été dévoilée. Face aux innombrables solutions de cybersanté mentale disponibles, des lignes directrices claires sont essentielles pour assurer la qualité clinique des outils, la sécurité des utilisateurs et la protection des données. Photo : Collectif international eMHIC.
Une stratégie pour l’avenir
La Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) a lancé la première Stratégie en matière de cybersanté mentale pour le Canada en 2024. Ce document contient des lignes directrices guidant le développement de services de cybersanté mentale. Il met l’accent sur la sécurité clinique, sur la création de cadres pour la collecte et la conservation des données et sur les soins culturellement adaptés.
« Si les services de cybersanté mentale comportent de nombreux avantages, nous devons aussi nous attaquer à des problèmes comme la confidentialité et la qualité des services. C’est pourquoi la CSMC, avec le soutien de Recherche en santé mentale Canada, a préparé une stratégie nationale fondée sur l’apport d’un conseil consultatif diversifié formé à majorité de personnes ayant vécu des problèmes de santé mentale, poursuit Maureen Abbott. Ce document phare établit les priorités pour l’avenir de la cybersanté mentale en assurant un engagement et une collaboration véritables à l’échelle du secteur. »
En fournissant ce soutien aux créateurs de politiques et d’outils de cybersanté mentale, la CSMC peut inspirer et améliorer ce domaine au niveau systémique. Ainsi, les pratiques exemplaires se rendent jusqu’aux développeurs d’applications, aux responsables des orientations politiques et aux dirigeants du secteur de la santé, en plus de leur donner les moyens de fixer et d’adopter des standards qui contribueront à la bonne santé des utilisateurs.
En ce sens, c’est une stratégie qui rejoint les gens là où ils se trouvent – parce que la cybersanté mentale poursuit sa croissance. Selon l’American Psychological Association, plus de 20 000 applications de santé mentale étaient disponibles sur le marché en 2021.
Cette prolifération va certainement se poursuivre, puisque les outils de cybersanté mentale peuvent représenter un éventail de choix plus vaste, plus pratique, à coût moindre et, dans certains cas, de meilleure qualité que les services traditionnels, selon un éditorial intitulé The “Uberisation” of Mental Health Care: A Welcome Global Phenomenon? (La santé mentale à l’ère Uber : un phénomène mondial bienvenu?), de Ian Hickie, professeur de psychiatrie au Brain and Mind Centre de l’Université de Sydney, en Australie.
« Si les personnes ayant vécu la maladie mentale et disposant d’une capacité de recherche dans ce domaine ne réagissent pas adéquatement, d’autres instances peuvent intervenir pour répondre aux priorités des consommateurs, à savoir l’accès, le choix, le prix concurrentiel et l’expérience utilisateur. Dans le monde entier, la demande de services de santé mentale personnalisés dépasse largement l’offre », écrit Hickie.
Ici au Canada, la Stratégie de cybersanté mentale se veut un plan directeur comportant six priorités et douze recommandations pour orienter le développement de la cybersanté mentale au Canada et stimuler l’innovation – avec considération.
Par exemple, l’une des priorités est d’améliorer la qualité des outils et services de cybersanté mentale, notamment en ce qui concerne la confidentialité et la protection des données. Pour guider les dirigeants du système de santé, les provinces et territoires, les autorités sanitaires, les organismes communautaires et les chercheurs en ce qui concerne le consentement, la collecte et la souveraineté des données, la Stratégie s’inspire de principes empruntés aux Premières Nations, à savoir les principes de propriété, de contrôle, d’accès et de possession.
« La confiance est au cœur de la cybersanté mentale, affirme Michel Rodrigue, président et directeur général de la Commission de la santé mentale du Canada. L’efficacité et la sécurité des applications et des services de cybersanté mentale doivent primer. La population canadienne doit avoir la garantie que ces solutions correspondent aux standards de sécurité et de qualité les plus élevés, qu’elles prônent une gouvernance des données axée sur l’équité, qu’elles préservent la confidentialité et qu’elles tiennent compte des perspectives des personnes ayant un savoir expérientiel des problèmes de santé mentale. »
Notre pourfendeuse de la stigmatisation, Jessica Ward-King, fait remarquer qu’une personne traversant une crise ou un problème lié à sa santé mentale ne se soucie pas nécessairement de la gestion de ses données personnelles.
« La confidentialité est une préoccupation majeure à laquelle bien des gens ne réfléchissent même pas. Et la sécurité aussi est primordiale. Quand un agent conversationnel répond à une personne aux prises avec des pensées suicidaires, quels sont les dispositifs de protection en place? Quand vous recevez des conseils d’une personne qui ne connaît pas vos médicaments, quel est le risque? La présence d’une stratégie permet d’anticiper les problèmes en s’assurant que ces questions sont posées à temps. »
Certaines recommandations de la Stratégie portent sur des questions liées à la main-d’œuvre et à l’état de préparation des usagers. Les gens veulent de l’aide pour déterminer la qualité et la sécurité des ressources face à une multitude de choix sans aucune norme commune. À mesure que les outils de cybersanté mentale continueront de s’améliorer en qualité et en efficacité, il faudra établir un moyen de transmettre de l’information au sujet des solutions fondées sur des données probantes aux praticiens et de démontrer qu’elles sont à la fois sécuritaires et efficaces.
Les changements étant si rapides, la communauté de la cybersanté mentale réclame des lignes directrices qui portent précisément sur l’utilisation de l’IA dans les soins de santé mentale, plus pointues que les orientations et les normes provinciales et nationales existantes sur l’usage éthique de l’IA au Canada.
Les experts internationaux et les collaborateurs consulté en vue de la préparation de la Stratégie ont ors des consultations qui ont précédé l’élaboration de la Stratégie, les experts internationaux comme les collaborateurs canadiens ont souvent abordé la question de la création d’une bibliothèque d’applications de santé mentale et du processus d’évaluation. Pour éliminer quelques-uns des problèmes que l’on connaît au Canada en matière de cybersanté mentale, il faudrait créer une base de données contenant les applications évaluées et mettre au point un processus d’évaluation national. De plus, il faudrait procéder à un examen et une mise à jour continus des lignes directrices en matière de pratiques exemplaires, puisque la technologie, la législation et les données issues de la recherche sont en perpétuel changement, particulièrement en ce qui concerne la sécurité des données et les normes de confidentialité.
Atténuer les risques et s’y préparer
La cybersanté mentale permet d’offrir des soins à des personnes vivant en région rurale qui sont incapables de se déplacer pour voir un professionnel de la santé. Elle permet à des gens de trouver des soins culturellement adaptés à leur situation et de protéger leurs renseignements personnels, et ce, à un coût inférieur à celui des soins obtenus en personne – tant pour le fournisseur que pour le bénéficiaire. Durant la phase aiguë de la pandémie, les solutions de cybersanté mentale ont permis aux gens d’accéder aux soins pendant qu’ils pratiquaient la distanciation physique, s’isolaient ou se rétablissaient de la COVID-19.
Les consultations virtuelles pour les problèmes de santé, de santé mentale et d’usage de substances ont bondi au printemps et à l’été 2022 : près de trois personnes sur cinq au Canada ont obtenu des soins de cette manière, selon Statistique Canada.
Dans une enquête réalisée en 2021 par Inforoute Santé du Canada, 63 p. 100 des répondants ont affirmé qu’ils n’auraient pas demandé de soins de santé mentale si des solutions virtuelles n’avaient pas été disponibles.
Shaleen Jones l’a constaté personnellement. Elle est la fondatrice et directrice générale de Eating Disorders Nova Scotia, un organisme caritatif communautaire voué aux troubles de l’alimentation qui offre tous ses services sans référence ni diagnostic.
Comme bien des organismes, Eating Disorders Nova Scotia a pris un virage entièrement numérique en 2020. Tous ses services et modules de formation se donnent désormais en ligne, ce qui lui a permis d’accroître sa portée, explique Jones.
« La technologie est certainement un outil qui nous permet d’entrer en contact avec les autres, mais à mon avis, c’est la connexion personnelle qui produit l’effet le plus considérable, estime-t-elle. Comme pour tout nouvel outil, il est crucial de réfléchir à son utilisation. La Stratégie de cybersanté mentale de la CSMC permet d’anticiper les problèmes et de mettre au point des méthodes pour établir la trajectoire que prendront les services de cybersanté mentale au Canada. »
La première Stratégie de cybersanté mentale du Canada : Les six priorités
- Améliorer la perception de la cybersanté mentale, l’utilisation de celle-ci et la sensibilisation qui l’entourent.
- Mettre en place des ressources permettant d’évaluer l’efficacité des solutions et des programmes de cybersanté mentale.
- Examiner la qualité des solutions et des services de cybersanté mentale, notamment en ce qui concerne la protection de la vie privée et des données.
- Éliminer les obstacles à l’adoption de solutions de cybersanté mentale et résoudre les difficultés systémiques qui s’y rattachent.
- Intégrer les principes IDEA (inclusion, diversité, équité et accessibilité) dans l’ensemble des activités de conception, des outils et des services de cybersanté mentale.
- Encourager les professionnels de la santé mentale à intégrer la cybersanté mentale dans leur pratique.
La première Stratégie de cybersanté mentale du Canada : Les douze recommandations
- Faire avancer la conception et la promotion d’un outil d’évaluation du degré de préparation à l’intention des fournisseurs de services.
- Concevoir et mettre en place une formation complète sur la cybersanté mentale à l’intention des professionnels de la santé mentale.
- Porter à terme et promouvoir un guide des pratiques exemplaires entourant l’utilisation des outils de cybersanté mentale.
- Rehausser le niveau de sécurité grâce aux outils d’intelligence artificielle utilisés en santé mentale.
- Constituer une bibliothèque nationale d’applications dédiées aux soins de santé mentale.
- Mettre en place un réseau de personnalités influentes qui défendront les questions de santé mentale.
- Créer un site Web et une campagne de sensibilisation du public en vue d’offrir des solutions de qualité dans le domaine de la cybersanté mentale.
- Tirer parti de la cybersanté mentale pour pérenniser la présence d’équipes de soins de santé interdisciplinaires, comprenant des professionnels de la santé mentale.
- Porter une attention particulière au rôle que joue la cybersanté mentale dans le cadre des initiatives du Canada en matière de bande passante à haut débit.
- Investir dans la création de solutions de cybersanté mentale couvrant toute une gamme de services d’intensité variable.
- Prévoir des solutions de cybersanté mentale dans tous les modèles de financement des systèmes de santé provinciaux et territoriaux.
- Améliorer l’interopérabilité des données de santé mentale, afin de permettre aux fournisseurs d’y avoir accès tout en préservant la propriété des données personnelles.
Lecture complémentaire : Lisez la Stratégie en entier.
Ressources : Cybersanté mentale : Quel est l’enjeu?
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