Si vous êtes en état de détresse, veuillez appeler ou texter le 988 n’importe quand. En cas d’urgence, appelez le 9-1-1 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.

Le VecteurConversations sur la santé mentale

Dans son nouveau livre, l’autrice Jennifer Mullan jette un regard critique sur les soins de santé.

L’accès aux soins est parsemé de beaucoup trop d’embûches, ce qui donne lieu à « un système de bien-être vétuste, exempt de bien-être. » Ce sont les mots de Jennifer Mullan, psychologue clinique établie au New Jersey et autrice du livre Decolonizing Therapy: Oppression, Historical Trauma, and Politicizing Your Practice, qui paraîtra prochainement.

Selon Mullan, bien des gens se perdent dans un parcours d’obstacles lorsqu’ils cherchent à obtenir des soins, une expérience qui reflète ce qu’elle a baptisé le Complexe industriel de la maladie mentale. En réaction à ce constat, elle s’est jointe à un « mouvement grandissant de praticiens qui désapprennent les méthodes coloniales de la psychologie », cherchant ni plus ni moins à refondre et à restructurer le système.

Les dix chapitres du bouquin regorgent d’observations cinglantes et de réflexions critiques, sous des titres comme « Entre lobotomie et libération », « L’esclavage du diagnostic » et « Travail émotionnel-décolonial ». Tout au long des 400 pages que contient le livre, l’autrice explore un vaste éventail de problèmes plombant le système de santé mentale aux États-Unis et ailleurs dans le monde.

Ces systèmes fonctionnent comme des portes tournantes, en traitant de nombreux clients, sans toutefois ne jamais s’attaquer à la racine de la douleur individuelle. Elle est convaincue que cette défaillance explique en partie les actes de violence qui font rage de plus en plus souvent aux É.-U., comme les fusillades dans les écoles, les taux de dépression en hausse et l’augmentation des problèmes de santé mentale.

Pendant une grande partie de sa carrière, Mullan a travaillé en thérapie avec des enfants et des adultes ayant des antécédents de violence domestique, de mésusage de substances, de maltraitance durant l’enfance, de pauvreté et de problèmes liés à l’identité de genre. Au fil des ans, ces rencontres ont fini par miner son optimisme et alimenter sa frustration.

Taire le passé
Si Mullan décortique plusieurs facteurs faisant obstacle à des traitements efficaces, elle réserve toutefois ses critiques les plus acerbes au défaut du système de reconnaître les traumatismes intergénérationnels, qui sont – elle est en convaincue – la cause profonde de bien des problèmes de santé mentale.

Cover of Decolonizing Theory Book

C’est pourquoi elle présente son livre comme « un APPEL à l’ACTION lancé aux professionnels de la santé mentale, aidants et travailleurs du bien-être. Si nous souhaitons “traiter”, guérir et informer une personne, un groupe, une organisation, demande-t-elle, n’est-il pas essentiel de tenir compte également de l’historique, du vécu et des traumatismes culturels? »

Le traumatisme intergénérationnel n’est pas un concept nouveau. Il a gagné en crédibilité lorsque des chercheurs se sont intéressés aux effets de l’Holocauste perpétré en Allemagne nazie. Aujourd’hui, un corpus croissant de recherches canadiennes fait le rapprochement entre ces traumatismes et les abus subis dans les pensionnats autochtones. Une vidéo de Historica Canada décrit les expériences vécues en ces termes : « Pour bien des [survivants des pensionnats], les traumatismes psychologiques, physiques et sexuels vécus ne se sont pas estompés. Les enfants et les petits-enfants des survivants ont reçu ces blessures en héritage. Elles ont persisté, se sont manifestées sous forme de dépression, d’anxiété, de violence familiale, de pensées suicidaires et de la consommation de substances. » Une étude de l’Office for Institutional Equity de l’Université Duke illustre comment les traumatismes peuvent traverser les générations : « Il peut être très difficile pour un parent ou un grand-parent qui n’a jamais vraiment fouillé ses propres traumatismes ou guéri de ceux-ci d’offrir du soutien émotionnel à un membre de sa famille qui vit ses propres traumatismes. »

Jennifer Mullan explore ces thèmes en profondeur dans Decolonizing Therapy, où elle revient sur l’esclavage, les camps d’internement, les dictatures et les pensionnats, tout en soutenant que le défaut de se pencher sur ces pans de l’histoire condamne les générations futures à un cycle de souffrance perpétuel. La thérapie qu’elle prescrit ne se limite donc pas à l’étude de l’historique familial de la personne, mais englobe sa culture, ses traditions, ses rituels, ses croyances et ses pratiques religieuses. Lorsque ses traumatismes enfouis sont mis au jour, le patient est en mesure de recevoir des traitements plus ciblés.

Malheureusement, bien des thérapeutes n’ont appris aucune notion sur les traumatismes intergénérationnels et sont même mis en garde contre toute évocation du passé.

« Dans leur formation, déplore-t-elle, bien des thérapeutes et travailleurs sociaux ont appris à toujours rester neutres, à n’exprimer aucune opinion et à ne rien montrer dans leur bureau qui soit politique ou provocant. On ne parle pas de l’histoire des Noirs. On ne parle pas d’esclavage. On ne parle pas de racisme. »

Attendre et vouloir
Les séances de counseling se résument habituellement à de brèves conversations laissant peu de temps pour approfondir les sujets. Pour insister sur ce point, Mullan cite en exemple un collègue œuvrant dans une clinique communautaire où il reçoit plus de 90 clients par deux semaines. Et dans son ancien poste de psychologue à l’emploi d’une université, la liste d’attente pour le counseling s’est maintenue à près de 100 étudiants pendant six mois sans interruption. « Les ressources ont été distribuées de façon inadéquate, voire criminelle », soutient-elle. Cela fait en sorte que dans bien des établissements, « les fonds doivent être réorientés ».

La question de l’écrasante charge de travail s’ajoute à ces difficultés en causant des problèmes de santé mentale et physique aux thérapeutes eux-mêmes. Le livre décrit en détail les conditions abominables que vivent certains thérapeutes, qui doivent occuper un deuxième emploi pour subvenir à leurs besoins fondamentaux, rembourser leur prêt étudiant, composer avec d’intenses traumatismes indirects en raison des charges qu’ils aident leurs clients à porter, se surcharger en gérant jusqu’à 80 cas par mois, passer d’un emploi à l’autre, vivre de l’épuisement professionnel, faire constamment l’objet de microagressions, de préjugés, de discrimination.

Un thérapeute cité dans le livre décrit les suites de la crise cardiaque qu’il a vécue dans son bureau. « Ce n’était pas de la faute du client. Je considérais que c’était de ma faute. J’ai alors changé mon alimentation et commencé à faire plus d’exercice. Je suis retourné au travail, mais j’avais des crises de panique entre mes clients. Mon supérieur m’a dit : “Tu dois te reposer davantage. Est-ce que tu dors bien? Est-ce que tu consultes toi aussi un thérapeute?” Les autosoins ne vont pas guérir mon cœur, mon anxiété et mon système nerveux. »

Changer de vitesse
Il y a quelques années, Mullan a décidé d’arrêter d’accepter des patients pour plutôt se concentrer à réformer le système au moyen de conférences et de son livre, qui propose aussi des idées pour une réforme plus profonde.

Bien que ses opinions tirent leur origine des États-Unis, ses appels à l’action pourraient résonner dans de nombreux pays. Ici au Canada, des initiatives comme le Modèle de soins par paliers 2.0, qui sont déjà en place à Terre-Neuve-et-Labrador, dans les Territoires du Nord-Ouest, en Nouvelle-Écosse et ailleurs, ont radicalement réduit les temps d’attente pour des services de santé mentale. De plus, davantage d’organisations reconnaissent aujourd’hui les moyens de guérison autochtones comme des formes de thérapie éclairées et culturellement pertinentes. Aussi, un récent programme de la Commission de la santé mentale du Canada et du Centre de toxicomanie et de santé mentale propose une thérapie cognitivo-comportementale adaptée à la culture des communautés sud-asiatiques.

Comme de nombreuses publications traitant de santé mentale, Decolonizing Therapy contient des exercices, des questions de révision et des références détaillées. Ce qui fait sortir l’ouvrage du lot est son ton fougueux, passionné et provocateur, conjugué à la personnalité de Mullan, toujours en filigrane. « Je tiens le Complexe industriel de la maladie mentale pour responsable et, de concert avec vous cher lecteur, je réclame du changement », écrit-elle.

Ses opinions sont vues comme controversées dans certains cercles, et certains de ses collègues n’appuient pas son activisme. Un ancien professeur pour lequel elle a beaucoup de respect lui a déjà déconseillé de mêler la politique à la psychologie. Mais Mullan voit les choses autrement. En fait, en braquant les projecteurs sur des sujets difficiles, son livre est spécialement conçu pour changer ce discours.

Ressource : Fiche d’information :Idées reçues et mythes courants sur la santé mentale

Autres lectures : La TCC pour vous et moi : Une série d’outils de thérapie cognitivo-comportementale culturellement adaptée, conçue pour faire tomber les barrières.

Auteur : est écrivain, photographe et vidéographe établi à Ottawa
Photo : Jennifer Mullan Crédit photo : Michael Mullan
Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

Derniers articles

Sons et sensations

Quatre membres d’un groupe ont vécu quatre décennies de découvertes musicales. Notre compréhension du tempérament et de la tempérance a évolué. Ce n’est pas seulement une question de musique : c’est aussi une question de résilience, de renouveau et de reconnaissance, tissés dans une histoire qui pourrait être une chanson.

Apprenez-en plus

Sœurs en déroute

En mai 2021, ma sœur a annoncé qu’elle ne demanderait pas le vaccin contre la COVID-19, même si la plupart des gens de notre âge – plus de 60 ans – étaient soulagés, sinon heureux de pouvoir le faire. J’étais stupéfaite. J’avais du mal à croire que ma seule adelphe, une septuagénaire dynamique et éduquée qui a beaucoup voyagé, prenait une décision aussi irresponsable et, à mes yeux, stupide.

Apprenez-en plus

Oui, moi.

Les raisons pourquoi ma maladie mentale me classe dans la catégorie des personnes en situation de handicap au sens de la Loi sur l’équité en matière d’emploi

Apprenez-en plus

Huit grandes idées qui changent des vies dans le monde entier

Découvrez des initiatives mondiales visionnaires qui redéfinissent la façon dont nous dispensons les services de santé mentale et y avons accès

Apprenez-en plus