Le VecteurConversations sur la santé mentale

Faire tomber les barrières
Les systèmes doivent être à l’écoute des personnes qu’ils servent. Des chefs de file et des militants suscitent des changements politiques et réclament la prise en compte du savoir expérientiel et la sensibilité culturelle dans la prise de décisions. Faites connaissance avec les coprésidentes du Conseil consultatif des jeunes de la Commission de la santé mentale du Canada, Em Alexander et Colbi Mike.
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Un an après la fondation de la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) en 2007, l’OBNL a créé son Conseil des jeunes, un programme conçu pour faire participer les jeunes adultes (âgés de 18 à 30 ans) à la mission de la CSMC, à savoir d’améliorer le système de santé mentale du Canada. À l’époque, le Conseil des jeunes était une initiative révolutionnaire parce qu’il marquait un mouvement vers la consultation de personnes provenant de différents horizons et ayant un savoir expérientiel en vue de transformer les attitudes entourant le bien-être mental et d’éliminer les obstacles aux soins de santé mentale.
Fondamentalement, le Conseil des jeunes de la CSMC est un groupe de défense d’intérêts voué à amplifier les voix des jeunes. Il est composé de personnes déterminées à générer des changements positifs et dirigé par Em Alexander et Colbi Mike, les actuelles coprésidentes du Conseil.
Colbi Mike, jeune mère autochtone, documentariste et étudiante en droit issue du territoire visé par le traité no 6, au centre de la Saskatchewan, souhaite s’attaquer, entre autres dossiers, aux obstacles à la santé mentale rencontrés par les mères et aux effets de l’oppression sur les peuples autochtones.
Em Alexander, mère queer de deux enfants et membre des Premières Nations ayant aussi des ancêtres européens qui ont vécu à Terre-Neuve-et-Labrador, se passionne pour la promotion de la santé mentale et pour le soutien des personnes ayant vécu un traumatisme et celles faisant face à des obstacles systémiques dans l’accès à des soins de qualité.
Nous avons demandé aux coprésidentes du Conseil des jeunes de nous livrer leurs impressions concernant les difficultés auxquelles les jeunes font face aujourd’hui et sur ce que les systèmes de santé mentale peuvent faire pour mieux répondre aux besoins en constante évolution d’une population soumise aux facteurs de stress sans cesse changeants qui caractérisent notre époque.
Reconnaître que les difficultés vécues par les jeunes générations d’adultes sont uniques
Em Alexander et Colbi Mike
Em Alexander : Les gens de mon âge ont grandi dans des environnements sensiblement différents de ceux de nos parents et de nos grands-parents, qui n’ont pas connu l’influence écrasante de technologies comme les médias numériques. Nous avons grandi avec une exposition constante aux actualités internationales, et cela peut avoir des effets puissants sur la santé mentale et le bien-être des jeunes. Ce facteur fait en sorte qu’il est particulièrement important que les programmes de santé mentale tiennent compte des points de vue et des idées des jeunes afin d’être efficaces, engageants et pertinents pour les personnes qu’ils servent.
Colbi Mike : De nos jours, les jeunes sont confrontés à des obstacles additionnels, allant de l’économie aux problèmes de santé mentale et d’usage de substances en passant par le racisme systémique. Les jeunes Autochtones, en particulier, portent le fardeau des traumatismes intergénérationnels et de la discrimination persistante, et bien des mères autochtones – sinon toutes si vous voulez mon avis – subissent du racisme systémique. J’imagine que c’est dû à un manque de connaissances de qui sont les Premières Nations et de notre cheminement de guérison sociétale.
Inclure davantage de jeunes dans les discussions concernant la santé mentale
Colbi Mike : Les jeunes amènent un regard neuf, des expériences vécues et des idées novatrices, et comme ils sont directement touchés par les politiques et les programmes, leur participation assure que ces initiatives sont pertinentes, efficaces et valorisantes. Parce qu’on a fait la sourde oreille au point de vue des jeunes par le passé, leurs besoins sont aujourd’hui mal compris. En les impliquant, non seulement on bâtit de meilleurs programmes, mais on favorise aussi le sentiment d’appartenance, le leadership et la responsabilité chez les jeunes. Je trouve qu’il est essentiel d’écouter les personnes qui ont vécu à notre époque et de faire résonner leur voix, et ce, dès maintenant.
Em Alexander : La prise en compte des voix des jeunes est un facteur déterminant dans l’élaboration des programmes, particulièrement ceux qui desservent les jeunes. Le Conseil des jeunes a été fondé en 2008, et à mes yeux, la CSMC est un chef de file lorsqu’il est question de véritablement inclure les jeunes et les personnes ayant un savoir expérientiel dans ses programmes et ses politiques. Il est essentiel que les jeunes participent aux décisions qui les concernent.
Confier aux personnes ayant un vécu expérientiel de la maladie mentale un rôle plus important dans la prise de décision
Em Alexander : On en revient toujours à ce principe essentiel : « rien sur nous sans nous ». Quand on crée ou actualise une politique qui touche les personnes ayant des antécédents de maladie mentale, celles-ci devraient faire partie du processus dès le départ. Que diriez-vous si quelqu’un élaborait des programmes d’aide pour vous sans tenir compte de votre vécu ou de vos besoins, ni des initiatives qui ont fonctionné et échoué par le passé? Vous n’en voudriez pas, évidemment. Il faudrait que les savoirs expérientiels soient pris en compte. Il s’agit d’un élément incontournable dans l’élaboration des politiques, puisque celles-ci peuvent avoir des effets à long terme sur les services, l’accès, la qualité des soins et d’autres aspects.
Colbi Mike : Il est primordial d’écouter davantage les personnes ayant une expérience vécue. Les politiques influent directement sur les réalités vécues, et les personnes concernées devraient avoir leur mot à dire. Les personnes ayant un savoir expérientiel ont des perspectives que les professionnels et les décideurs omettent parfois, c’est pourquoi leur participation assure que les politiques sont non seulement pratiques mais aussi inclusives. De plus, la participation favorise la confiance, la reddition de comptes et le succès à long terme.
Comme mère autochtone, j’ai une connaissance directe des défis liés aux obstacles, au décalage culturel et aux systèmes de soutien insuffisants. Mon vécu m’a permis de mieux comprendre les questions de l’empathie et de la sensibilité culturelle, et de veiller à ce que les programmes et politiques reflètent les difficultés et les réussites de la vie réelle.
Em Alexander : En tant que coprésidente, mon expérience vécue tant à titre personnel que comme aidante influence ma démarche. Mes objectifs sont d’incarner un leadership tenant compte des traumatismes et axé sur le rétablissement en plus de reconnaître et de célébrer les identités et expériences intersectionnelles de nos membres. Ce poste, que j’occupe depuis quelques années, me tient particulièrement à cœur, et nous fonctionnons très bien en tant que conseil, dans le respect, la confiance et le soutien mutuel.
Les prochaines étapes consistent à sensibiliser la population, à diffuser de l’information et à obtenir du financement
Colbi Mike : La réconciliation passe par l’information. Les professionnels de la santé doivent comprendre les répercussions persistantes des pensionnats, des politiques coloniales et de l’oppression systémique pour fournir des soins sécuritaires sur le plan culturel. Bien qu’on ait vu des efforts pour incorporer ces notions à certains programmes d’études, le processus est lent et inégal. L’appel à l’action 24 (parmi les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada) insiste sur le caractère prioritaire de cette question, mais une plus grande responsabilisation est nécessaire pour faire en sorte que tous les travailleurs de la santé sont en mesure de soutenir les patients autochtones avec respect et compréhension.
Em Alexander : Mon expérience professionnelle au croisement du secteur sans but lucratif et celui de la santé mentale m’a appris qu’un plus grand soutien doit être donné aux travailleurs de la santé. On constate une prise de conscience croissante de ce problème, mais l’un des plus grands défis que j’observe encore est que des personnes bien intentionnées souhaitent pouvoir faire plus pour aider, mais, au niveau systémique, n’ont pas les ressources ou la capacité de le faire. Cela se répercute parfois sur le coût des services, l’accès, les temps d’attente ou l’admissibilité, mais les personnes désireuses de soutenir les autres ne manquent pas. J’espère sincèrement que le financement pour les soins de santé mentale et les programmes et initiatives connexes sera maintenu au fil des transitions de gouvernance politique.
Nous avons tous un rôle à jouer pour soutenir les personnes dans le besoin
Em Alexander : Lorsque les gens demandent de l’aide, ne faites pas de suppositions quant à leurs identités, leurs besoins et leur vécu; à la place, demandez-leur et soyez à l’écoute. Nous vivons dans une époque difficile, particulièrement pour les personnes 2SLGBTQI+. Notre communauté est exposée à des menaces très réelles pour sa sécurité, nées de la haine et de l’ignorance à l’extérieur de nos frontières… et aussi ici, au Canada. Prenez des nouvelles des personnes faisant partie de ces groupes dans votre entourage, car elles sont particulièrement ciblées en ce moment – les communautés BIPOC, 2SLGBTQI+, les immigrants, les réfugiés et d’autres – et elles ont besoin de tout le soutien possible.
Colbi Mike : La santé mentale est intimement liée au bien-être des familles et des communautés, et pourtant les mères sont souvent confrontées à la stigmatisation, à l’isolement et au manque d’accès à des services de santé mentale sécuritaires. De ce fait, il est important de soutenir les mères en investissant dans des soins de santé mentale accessibles et appropriés ainsi que dans les services de garde et de transport.
Nous devons également mettre en place des programmes qui intègrent les savoirs culturels et le soutien communautaire, car pour les peuples autochtones, la guérison passe souvent par la reconnexion avec notre culture, notre langue et nos communautés. L’investissement dans ces secteurs peut renforcer la résilience et l’identité pour les générations à venir.
Auteure: Christine Sismondo, Ph. D., est historienne et s’intéresse aux questions sociales. Son travail est régulièrement publié dans le Globe and Mail et le Toronto Star. Elle a remporté un Prix du magazine canadien et elle a signé plusieurs livres.
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