Le VecteurConversations sur la santé mentale
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Le manque de connaissances économiques ou de contrôle sur nos propres finances peut avoir des répercussions à long terme. Examen du lien entre la violence conjugale et l’argent dans ce troisième article de notre série pour le Mois de la littératie financière.
Au début de leur union, Margaret Williams (un pseudonyme) ne voyait aucun inconvénient à laisser son mari prendre l’initiative et planifier leur budget et leur vie professionnelle.
« Il m’assurait que c’était mieux pour notre famille si j’élevais les enfants en faisant l’administration de son entreprise à temps partiel, raconte Williams. Essentiellement, cela a fait en sorte que je n’ai acquis aucune qualification utile sur le marché du travail. Il veillait à tout ce qui touchait nos finances. C’est seulement plus tard que je me suis aperçue que toutes ses décisions étaient à son avantage. »
Par « plus tard », elle entend le moment où l’abus physique et psychologique perpétré par son mari l’a poussée au point de rupture, quand elle a voulu le quitter.
« Lorsque les choses ont dégénéré, il m’a menacée de retirer tout son argent de notre compte conjoint, relate-t-elle. Et comme il était officiellement le seul à travailler, c’était tout l’argent que nous avions. Et c’est exactement ce qui s’est produit lorsque j’ai mis fin au mariage, poursuit Williams. Je me suis retrouvée les mains vides. »
Mais son ex-mari ne s’est pas contenté de vider le compte conjoint. Après le divorce, il a poursuivi ses abus économiques en refusant de verser la pension alimentaire pour enfants ordonnée par la cour, entaché l’historique de crédit de son ex-épouse en lui laissant peu d’autres options que d’accumuler des dettes sur la marge de crédit d’un membre de sa famille.
Le contrôle coercitif
Hélas, ce genre de récits n’est que trop courant. Bien des gens croient que la violence conjugale est avant tout physique, sexuelle et émotionnelle, mais on estime que des mauvais traitements économiques ont lieu dans 99 p. 100 des cas de violence conjugale, selon une étude publiée dans le magazine Forbes.
L’abus économique peut faire en sorte qu’il est particulièrement difficile pour la personne visée de quitter la situation. Il pose également un obstacle considérable au rétablissement et à la bonne santé mentale de la personne survivante.
« Si vous ne disposez pas des ressources financières pour obtenir des services de santé mentale, votre rétablissement sera beaucoup plus long, explique Kristina Nikolova, Ph. D., dont les recherches à l’Université de Windsor portent sur l’abus économique. Pourtant, malgré les effets dommageables de cette forme d’abus, le soutien en la matière est souvent négligé au Canada.
« Nous sommes dotés de bons refuges, de banques alimentaires, de systèmes d’aide d’urgence et de lignes d’écoute téléphonique, énumère Meseret Haileyesus, fondatrice et directrice générale du Centre canadien pour l’autonomisation des femmes (CCFWE). Mais les survivantes ont aussi besoin d’un solide programme d’émancipation économique. » Pour répondre à ce besoin, le CCFWE offre plusieurs ressources, par exemple des ateliers de littératie financière et des listes de contrôle pour les survivantes de mauvais traitements économiques, en plus de militer pour des changements systémiques. En commençant par la sensibilisation.
« Cette forme de violence n’a pas réellement été définie au Canada, signale Haileyesus. Les définitions qui existent sont généralement articulées en trois volets, à commencer par le contrôle des finances : le conjoint va délibérément restreindre l’accès aux comptes de banque, les communications et le transport, mais aussi le travail, l’éducation et la formation. »
Le deuxième volet est l’exploitation économique, qui peut prendre la forme de destruction matérielle (p. ex. du logement, de la voiture) ou de dommages infligés aux finances de la victime en s’adonnant au jeu, en réalisant des dépenses excessives ou en faisant traîner les coûteuses procédures de garde d’enfants et de divorce. « Dans cette exploitation économique, le partenaire violent peut contracter des dettes au nom de la victime, explique Nikolova. Techniquement, il existe des lois antifraudes pour ces cas, mais dans une relation de couple, il est très difficile de prouver à qui une dette appartient réellement. »
Le troisième volet est le sabotage de l’emploi, un comportement délibéré visant à empêcher la victime de travailler en la privant de transport, en la confinant ou en la surveillant dans son milieu de travail. Selon Nikolova, parce que les employeurs ne sont souvent pas au courant de la situation de harcèlement économique, ils tiennent souvent les victimes pour responsables de leur absentéisme ou de leur piètre rendement, même si la cause directe est plutôt la violence conjugale.
« En Ontario, les milieux de travail sont censés être dotés de directives et de protocoles de sécurité pour les cas de violence conjugale, mais rares sont les personnes qui reçoivent cette formation, indique-t-elle. En conséquence, la maltraitance économique passe souvent inaperçue, jusqu’à ce que quelqu’un arrive en criant, une arme au poing. C’est la seule forme de violence où la victime pourrait être reconnue et éviter de perdre son emploi en raison de l’abus qu’elle subit. »
D’autres chercheurs dans le domaine ainsi que des personnes ayant un savoir expérientiel en la matière signalent que d’une certaine façon, même involontairement, les employeurs se rangent du côté de l’agresseur. Williams affirme que son expérience de séparation et de divorce l’a amenée à croire que les cours de justice comprennent mal l’abus économique, ce qui permet aux agresseurs de facilement tirer profit du système.
« J’ai toujours cru que si les choses tournaient mal, la loi et la justice veilleraient au bien-être de mes enfants, dit-elle. J’y croyais, mais j’ignorais que c’est loin d’être la réalité. J’ai le regret d’affirmer que ce n’est pas la société que j’espérais léguer à mes enfants. »
Le changement systémique
Bien que la Loi sur le divorce du Canada ait été modifiée en 2021 pour reconnaître le rôle que les abus financiers jouent dans l’iniquité des genres, le système dans son ensemble doit être réformé pour que les choses puissent changer. Par exemple, Williams est d’avis que les Bureaux des obligations familiales ne détiennent pas les outils pour obliger le paiement des pensions alimentaires pour enfants – du moins dans sa province.
Il y a également beaucoup de place à amélioration dans la sensibilisation aux abus économiques, notamment en ce qui concerne le logement et les soins de santé. Selon le CCFWE, environ les deux tiers des travailleurs sociaux et des professionnels de la santé n’ont suivi aucune formation en dépistage de la maltraitance économique. C’est pourquoi l’organisme a lancé un outil de dépistage à l’intention des fournisseurs de services.
Mais c’est l’industrie financière qui détient le plus d’influence à cet égard, puisque c’est là où la grande majorité des actes d’abus économique se produisent. « En Australie et au Royaume-Uni, des programmes sont désormais en place pour aider les victimes de maltraitance économique », indique Haileyesus, en référence à de récentes initiatives pour faciliter l’accès au crédit et aux comptes bancaires personnels pour les personnes survivantes.
Cette année, une banque britannique a modifié son application pour permettre aux usagers de mettre en sourdine les messages qui accompagnent les transferts d’argent, afin d’éviter aux victimes de recevoir d’éventuelles menaces de la part de leur agresseur en même temps que leur pension alimentaire. Ce changement peut sembler minime, en comparaison avec le rétablissement d’un crédit entaché, mais il illustre de façon éloquente les nombreux angles morts et lacunes qui permettent à la maltraitance économique de se poursuivre, même après la fin d’une relation.
Malheureusement, les banques canadiennes ont encore beaucoup à faire dans ce domaine. « En termes simples, résume Haileyesus, le manque de compréhension et de politiques fait en sorte que notre système bancaire n’est pas outillé pour aider les victimes. » Cet automne, le CCFWE a dévoilé un tableau de bord de l’abus économique, qui comprend des recommandations stratégiques destinées au secteur financier.
Pour Nikolova, ces lacunes ont des répercussions concrètes immédiates qui nuisent au rétablissement des personnes survivantes et à leur bonne santé mentale. Selon ses études, c’est particulièrement vrai pour les femmes autochtones, Africaines, Caribéennes et Noires, qui subissent généralement une plus grande discrimination dans les systèmes judiciaire, financier et de soins de santé. « Nous mesurons aujourd’hui le stress financier des personnes survivantes pour déterminer l’impact qu’elles ont subi, et nous avons constaté que celui-ci est fortement corrélé avec l’anxiété, la dépression et les symptômes accrus de stress post-traumatique, résume-t-elle. Nous avons remarqué que même cinq ou dix ans après la fin d’une relation, les femmes qui ont vécu de la maltraitance économique ont toujours un statut socioéconomique inférieur à celui de leurs pairs. »
Williams continue de subir le dénigrement et l’abus financier de son ex-mari, plusieurs années après la séparation. « Il répète que je ne réussirai jamais seule, ce qui est absolument faux, raconte-t-elle. Dans ces cas, c’est presque comme si l’abus continuait. Cela ajoute l’insulte à l’injure et nous empêche de nous concentrer sur la guérison et de remettre notre vie sur les rails. C’est difficile quand on tente par tous les moyens de se reconstruire. »
En dépit de ces difficultés, Williams est convaincue que son engagement nouveau envers son indépendance – qu’elle souhaite d’ailleurs transmettre à ses enfants – lui permettra de se rétablir des abus financiers qu’elle a subis. C’est cet espoir qui lui permet de faire face au défi quotidien de jongler avec le travail, l’éducation des enfants, la formation pour une nouvelle carrière et les procédures judiciaires.
Autres lectures : Le jour où j’ai décidé de partir : Le Vecteur
Ressource : Services de soutien partout au Canada, de la Fondation canadienne des femmes.
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