Le VecteurConversations sur la santé mentale

Prendre soin des soignants
La santé mentale des préposés aux services de soutien personnel, c’est l’affaire de tous
février 2025Related Articles
Debra Slater est le genre de personne à qui on confierait le soin de ses proches. Née pour rendre soin des autres de son propre aveu, elle s’est occupée de sa grand-mère à Saint-Vincent-et-les Grenadines, avant d’entreprendre des études pour devenir préposée aux services de soutien personnel (PSSP) lorsqu’elle a immigré au Canada. Slater adore apprendre des aînés qui se trouvent sous sa garde, dans un centre de soins de longue durée en périphérie de Toronto. Elle les salue par leur nom, s’assurant d’établir un contact, que ce soit par le regard ou par un sourire, bavarde avec eux et s’efforce de tisser des liens avec eux, quel que soit leur état cognitif. Elle traite les clients comme des personnes, qu’elle aide à accomplir leurs activités de la vie quotidienne, par exemple prendre un bain, s’habiller et manger.
« Il faut prendre le temps de comprendre leurs émotions et leurs sentiments, affirme Slater, qui a œuvré par intermittence comme PSSP pendant plus de 20 ans. On devient un peu comme leur famille. Ils ne sont pas “mes patients”. Ce sont des individus, qui cherchent à vivre d’une manière aussi autonome que possible, et ils sont ici à la maison. Mon travail est de leur apporter confort, sérénité, amour et compagnie. Tout ça est relié dans l’atmosphère que nous essayons de créer. »
Debra Slater, préposée aux services de soutien personnel, est aussi coordonnatrice du Empower PSW Network, qui revendique de meilleures conditions de travail.
Slater conserve cette attitude bienveillante, même si elle doit souvent jongler avec les besoins variés de huit résidents durant son quart de travail. Parfois, l’un d’eux a mal dormi, un autre souffre d’un problème médical… et si un des collègues de Slater s’absente, elle doit en plus prendre le relais pour une partie de ses clients. « Parfois, lorsque la journée est dure, il faut redoubler d’efforts pour demeurer pleinement présent, réfléchit-elle en faisant référence aux interventions de désescalade et de résolution de problème qu’elle doit effectuer. Il y a un prix à payer; ma santé mentale est en montagnes russes. »
De nombreux fournisseurs de soins exercent leur métier parce qu’ils ont la fibre nourricière, comme elle. Pourtant, 80 p. 100 d’entre eux ont songé à réorienter leur carrière, selon un rapport publié l’an dernier par le Centre canadien d’excellence pour les aidants (CCEA).
Partout au pays, des PSSP, des intervenants en soutien direct – qui travaillent auprès de personnes en situation de handicap – et d’autres travailleurs rémunérés dans le domaine des soins de santé se sentent stressés, surmenés et sous-payés. Cette main-d’œuvre est largement composée de femmes racisées, souvent nouvellement arrivées au Canada, qui sont confrontées à des taux élevés d’abus et de discrimination en milieu de travail.
La majorité de ces personnes, qui œuvrent dans des établissements de vie collective et assurent des soins à domicile pour divers employeurs publics et privés, sont en réalité des travailleurs à la tâche, sans avantages tels que des congés de maladie payés ou l’accès à des services de counseling.
Moins de la moitié des PSSP sondés dans le cadre d’une initiative conjointe de l’Université de Toronto et du laboratoire Upstream de l’hôpital St. Michael’s ont indiqué que leur santé était bonne ou excellente, une proportion inférieure à la moyenne nationale. Dans un article publié en 2022, les chercheurs ont constaté que plus de 20 p. 100 des répondants souffraient d’une forme de trouble dépressif, ce qui « dépasse considérablement la prévalence des épisodes dépressifs majeurs dans la population canadienne ».
Dans un pays où la population est vieillissante, le défi est de taille. Si nous ne prenons pas soin des PSSP et des autres fournisseurs de soins, comment pouvons-nous espérer qu’ils prennent en charge nos citoyens les plus vulnérables ?
Un métier à haut risque
Plus de 650 PSSP dans la région du Grand Toronto ont répondu au sondage du laboratoire Upstream, qui a révélé les statistiques suivantes :
- 97 % d’entre eux sont nés à l’extérieur du Canada.
- 86 % occupent un emploi précaire.
- 89 % n’ont droit à aucun congé de maladie payé.
- 90 % sont des femmes.
- Bon nombre d’entre eux sont des travailleurs à la tâche touchant un salaire s’échelonnant de 17 $ de l’heure dans les soins à domicile et les soins communautaires à 25 $ dans les établissements publics de soins de longue durée.
Ce portrait éclair est représentatif de la situation des fournisseurs de soins partout au pays, selon l’article du laboratoire Upstream. Leurs conditions précaires sont « significativement associées à un risque accru de dépression. »
Au Canada, les emplois dans le domaine de la santé étaient généralement stables, mais au fil des trois dernières décennies, « les disparités dans le salaire et les conditions de travail des professionnels agréés (comme les médecins et le personnel infirmier) et d’autres travailleurs à temps partiel, temporaires, contractuels ou non syndiqués se sont creusées », rapportent les chercheurs. En raison de la volonté de décharger les patients des soins aigus et de privilégier le vieillissement à domicile, la demande de PSSP a considérablement augmenté, ces derniers représentant désormais quelque 10 p. 100 de l’ensemble des travailleurs de la santé. Cette main-d’œuvre croît relativement rapidement, affirme le Dr Andrew Pinto, directeur du laboratoire Upstream, sans que l’on s’attarde aux conséquences de ce changement.
Ces conditions de travail médiocres peuvent porter atteinte à la santé physique et mentale, souligne le Dr Pinto, qui est médecin de famille en plus de son poste de spécialiste de la santé publique. Dans un système qui récompense la « réduction des coûts » et la capacité de « faire plus avec moins », il explique que bien des PSSP craignent les représailles de leur employeur s’ils font mention de problèmes rencontrés au travail. Cela, le Dr Pinto l’a appris de ses recherches, et aussi des patients PSSP qu’il traite dans sa pratique. « Ils sont totalement dévoués à prendre soin des autres et tirent beaucoup de fierté de leur travail, dit-il, mais ne reçoivent pas le respect qu’ils méritent. »
Le Dr Andrew Pinto : De meilleures conditions de travail donnent lieu à de meilleurs résultats de santé. Photo: Upstream Lab
Le Dr Pinto est convaincu qu’en dépit des pressions économiques et démographiques, le système peut être réformé. Parce que le système relève d’un financement public, une revendication collective de « respect des droits fondamentaux » – salaires décents, congés de maladie, accès à des ressources de santé, possibilité de signaler des problèmes systémiques – permettrait d’améliorer les conditions des fournisseurs de soins, et ce, qu’ils travaillent pour le gouvernement ou pour un employeur privé. « Personne ne veut confier ses proches à des travailleurs à la tâche, affirme le Dr Pinto. Des emplois de meilleure qualité amélioreront non seulement la santé des PSSP, mais aussi la qualité des soins qu’ils prodiguent et les résultats en matière de santé pour tous les Canadiens. »
Pour poursuivre la campagne pour une réforme des politiques, le projet de recherche du laboratoire Upstream a créé le réseau Empower PSW Network, une coalition de prestataires de soins ayant pour but de sensibiliser les gens à la cause et de revendiquer des changements. Slater, coordonnatrice du réseau, estime qu’avant tout, les PSSP ont besoin d’un plus grand soutien structuré. « Le problème ne réside pas dans le travail comme tel, mais dans la façon dont nous sommes traités. »
Des soins réduits au silence
Liv Mendelsohn, directrice générale du CCEA, connaît des PSSP qui n’ont d’autre toit que leur voiture, parce qu’ils sont incapables de se payer un logement. Des préposés lui ont raconté le stress de courir entre les centres de soins et les résidences privées pour joindre les deux bouts. « Nous dépendons de ces gens pour fournir des soins très intimes, dit-elle, mais nous n’en faisons pas assez pour préserver leur santé. » De surcroît, lorsqu’une personne dépend d’un employeur en particulier pour conserver sa permission de séjour au Canada, elle choisit souvent de garder le silence quand elle fait face à des situations de discrimination ou d’exploitation.
Le CCEA a appelé le gouvernement fédéral à imposer un salaire horaire minimal de 25 $ pour tous les PSSP. Mendelsohn signale qu’il est primordial d’offrir des avantages sociaux uniformes afin de prévenir l’épuisement et de réduire le nombre de PSSP qui migrent vers des emplois dans les soins aigus, à la recherche de plus de stabilité. Malgré l’ampleur de la tâche, elle garde espoir. « Notre système n’a pas le choix de s’améliorer, déclare-t-elle. La situation ne peut tout simplement pas continuer sans renforcer le soutien offert aux PSSP. »
« Ce qu’il faut, c’est plus que des bras, poursuit Mendelsohn, qui entrevoit une nouvelle ère où, par exemple, un aîné atteint de démence gagnerait en qualité de vie parce qu’il est pris en charge par la même personne tous les jours. Nous avons besoin de gens qualifiés et empathiques, et nous devons reconnaître qu’ils sont un maillon indispensable de notre système de santé. »
Dans une autre réalité, Kezia (nom de famille omis pour protéger ses perspectives d’emploi) aurait pu devenir une de ces travailleuses de soutien. Née en Inde, elle a passé son enfance aux Bahamas avant de déménager à l’Île-du-Prince-Édouard, où elle a fait ses études universitaires en travaillant comme PSSP et comme intervenante en soutien direct pour couvrir ses dépenses. Kezia a cuisiné, nettoyé, aidé ses clients dans les activités de la vie quotidienne, les a accompagnés à des programmes de jour et des rendez-vous médicaux. La courbe d’apprentissage était abrupte, mais grâce à des collègues bienveillants, elle a trouvé son rythme. « Nous essayions de cultiver une ambiance chaleureuse, comme à la maison, dit-elle. Avec le temps, c’est devenu une vocation. »
En revanche, Kezia, qui était au début de la vingtaine à l’époque, a aussi subi du racisme et des commentaires inappropriés à caractère sexuel. Lorsqu’elle en parlait à son gestionnaire, « c’était comme frapper un mur ». Elle sentait que ses employeurs ne la reconnaissaient pas à sa juste valeur, même après un quart de 16 heures. Si elle manquait une journée, elle n’était pas payée, ce qui grugeait son budget pour son loyer et son épicerie. Épuisée, elle négligeait sa propre santé. Après trois ans, elle a abandonné le métier.
« Si j’avais été mieux traitée, je serais peut-être restée, conclut-elle. Les PSSP sont la colonne vertébrale de notre système de santé. Mais je ne pourrai jamais y retourner. » À la place, Kezia est retournée sur les bancs d’école. Elle veut devenir infirmière.
Lecture complémentaire : La santé mentale au travail, ça compte. Comment engager la conversation.
En savoir plus : Ressources pour les aidants, du Centre canadien d’excellence pour les aidants (CCEA).
Derniers articles
Les espaces bleus et leur pouvoir thérapeutique
Il suffit de passer du temps au bord de l’eau, dans l’eau ou sur l’eau pour favoriser la détente, l’activité physique et les liens sociaux.
Apprenez-en plusClub de lecture – Mind the Science (ou La science en tête)
L’auteur et psychologue clinicien Jonathan Stea propose des outils pour distinguer le bon grain de l’ivraie dans l’univers chaotique du bien-être.
Apprenez-en plusLa conception tenant compte de l’équité
Des allées d’épicerie à l’IA : Les coûts cachés de l’échec à concevoir en fonction de la diversité
Apprenez-en plus