Le VecteurConversations sur la santé mentale
Que vos jours soient aussi joyeux et lumineux que possible
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Vivre avec un trouble de l’humeur, c’est être continuellement à l’affût de la moindre étincelle de joie. Pour passer de la déprime à l’espoir pendant les fêtes.
Ce récit est le second de la série consacrée à la santé mentale pendant les fêtes. Si les fêtes de fin d’année peuvent être synonymes de joie, elles peuvent aussi être une source de stress et d’un sentiment de perte. Lisez tous les articles pour savoir comment d’autres personnes ont réussi à surmonter ces difficultés.
J’entends souvent des gens dire qu’ils détestent la veille du Nouvel An. Moi je l’aime pour une simple et bonne raison : ce n’est pas Noël. Quel soulagement! La veille du Nouvel An, on peut faire ce qui nous chante. On peut décider de se mettre sur son trente-et-un, de faire sauter des bouchons de champagne, de se promener avec des chapeaux de fête et de se dandiner en écoutant Ce n’est qu’un au revoir avec une foule d’inconnus. On peut aussi décider de fêter la nouvelle année à la maison, en pyjama devant la télévision, et de se coucher avant minuit. Personne ne nous en voudra.
Noël, par contre, c’est une autre paire de manches! Les attentes sont nombreuses, tout comme les possibilités de conflit et de tourmente émotionnelle. Pour moi, Noël, ce n’est peut-être pas un traitement de canal, mais ça ressemble un peu à un nettoyage de dents ou à un petit plombage. Je ne peux pas y échapper, mais quand j’y suis, comme j’ai hâte de laisser derrière moi tout cet inconfort!
Vous vous demandez pourquoi? En fait, j’ai de très beaux souvenirs de mes Noëls d’enfant. Mes parents étant laïques, ils insistaient sur le côté festif de Noël plutôt que sur son aspect religieux. Mais le « véritable sens » de Noël — bienveillance, paix sur Terre, miséricorde, donner plutôt que prendre — s’infiltrait dans tout.
C’est à l’âge adulte que les difficultés ont commencé. L’une d’entre elles fut de recevoir un diagnostic de dysthymie (trouble maintenant appelé trouble dépressif persistant ou TDP) — dont les symptômes comprennent la mauvaise humeur, le désespoir, l’inquiétude, la culpabilité et une foule d’autres problèmes.
Puis, quand j’avais 21 ans, ma mère, âgée de 58 ans, a eu un accident vasculaire cérébral (AVC), un événement catastrophique contre lequel elle a lutté (avec des effets à la fois physiques et mentaux) pendant plus de dix ans, jusqu’au jour de sa mort. Ma sœur et moi nous sommes alors inquiétées à savoir comment notre père allait s’en sortir après 46 ans de mariage. Ce premier Noël sans elle a été difficile pour nous tous. Mais notre père nous a étonnées. Lui, normalement impassible et replié sur lui-même, a fait preuve d’une incroyable résilience. Un soir, après dîner, il a éclaté en sanglots. C’était la deuxième fois que je le voyais pleurer, la première étant quand ma mère était partie, deux mois plus tôt. On s’est consolé tant bien que mal et, même si nous n’avions pas le cœur à la fête, nous avons réussi à traverser la période de Noël.
Une semaine plus tard, mon père s’est laissé convaincre d’assister au traditionnel lever du Nouvel An de son voisin politicien. Évidemment, il a bougonné — c’était probablement la première fois qu’il se rendait à un tel événement depuis des décennies — mais à notre grande surprise, il s’est mêlé à la foule avec élégance. Chaque fois que je le cherchais des yeux, il était en train de bavarder avec un groupe de personnes différent. « Il est en train de conquérir la salle », ai-je dit à ma sœur tandis que nous nous tenions près d’une plante en pot, loin de la mêlée. Au moins l’une des personnes âgées avec lesquelles il s’entretenait venait également de perdre sa conjointe. Le tableau était touchant.
Plus tard, à la maison, lorsque nous lui avons fait remarquer qu’il avait réussi à nouer la conversation avec beaucoup de gens, il nous a fait part de ses règles de bienséance en de telles occasions. « Tu entres et tu sors », a-t-il déclaré. Quelques minutes à peine avec chacun, puis au suivant. « Personne n’a envie de t’entendre raconter ta vie ». Il avait raison.
Quand on vit avec un trouble de l’humeur, en particulier un TDP, ce qui devrait être une source de joie — ou du moins de réjouissance — peut avoir l’effet inverse. Après des années passées à côtoyer ce trouble et grâce à un traitement réussi (qui m’inspire beaucoup de reconnaissance), je suis plus perspicace, j’ai plus de recul et j’ai des outils pour m’aider à traverser la période des fêtes. Je sais ce qui risque de déclencher un accès de déprime — j’évite donc les centres commerciaux, je ne regarde pas de films de Noël, j’appuie sur le bouton de sourdine de la télécommande quand des publicités de Noël passent à la télévision, je fais des plans réalistes et je respecte mon rythme quand il s’agit de socialiser.
Mais impossible d’échapper à tout. Il suffit d’un ancien chant de Noël à la radio, alors que je suis en train d’emballer des cadeaux en espérant qu’ils sauront plaire, pour que je plonge dans une méditation profonde sur tout ce qui cloche en cette période de l’année, sur toute la planète. Les gens comme moi sont les Bourriquet et les Charlie Brown de ce monde (Charles M. Schulz a souffert de dépression) — nous finirons toujours par trouver le ver dans la pomme ou la tarte au mincemeat, il suffit de nous en laisser le temps. On ne peut que s’appesantir sur le fait que la plupart des gens ne vivent pas dans l’univers de Norman Rockwell. On pense à ceux qui n’ont pas de famille ou à ceux dont la famille est si compliquée que rien ne justifie le stress des fêtes et de leur organisation. Et cette année, nombreux seront ceux qui auront du mal à assumer les dépenses liées aux fêtes. Sans parler de ceux qui ne fêtent pas Noël et qui, depuis le lendemain de l’Halloween, doivent supporter un monde en rouge et vert et le rire gras des pères Noël. Et quelle merveilleuse saison pour ces millions de dindes qui finissent à l’abattoir! Et n’oublions pas ces montagnes de papier d’emballage scintillant et non recyclable qui encombrent les décharges.
Vous avez une petite idée de l’endroit où me mène le TDP. Là où rien ne va.
Je prends alors une profonde inspiration et me rappelle que, si une mélancolie passagère n’est pas mauvaise en soi, il est stérile de ruminer sur la misère du monde. Apprécier sa chance est une chose, mais se sentir coupable d’avoir le réfrigérateur plein, une famille et des amis aimants et un endroit chaleureux où vivre n’aidera personne. Le confort et la joie ne sont pas le fruit du hasard. Il faut les inviter dans sa vie et faire preuve d’une bonne dose de générosité d’esprit (comme l’a appris le fameux Grincheux de Noël) au lieu de se replier sur soi au point de n’avoir pour horizon que son propre nombril.
Ironiquement, je partage maintenant ma vie avec quelqu’un qui aime Noël. Il ne construit pas de villages enneigés ni ne s’y prend des mois à l’avance pour confectionner des gâteaux et des biscuits fantaisistes. Et il ne porte pas d’affreux chandails tricotés à la main. Mais il possède une importante collection de boules de Noël, insiste pour décorer un arbre vivant et accroche systématiquement des guirlandes lumineuses à l’extérieur — en fredonnant des airs de Noël et en pensant à ses enfants adultes et petits-enfants.
Nous avons transformé mon aversion pour Noël en une plaisanterie commune. On se met tout à coup à chanter Mon beau sapin avec beaucoup de ferveur et on fait semblant de ne pouvoir contrôler nos sanglots. Il faut peut-être en arriver là pour apprécier l’humour noir, mais croyez-moi, il transforme mes larmes en rires et me sort de la déprime.
Un autre ami dépressif s’en sort en se concentrant sur les origines païennes de Noël — l’arbre allumé, signe de vie qui éloigne les mauvais esprits dans les ténèbres de l’hiver. Toutes les décorations vertes qui ornent les couloirs sont chargées de symboles : la couronne est un cercle de vie; le gui, un hommage à l’amour et à la réconciliation.
Je suis sûre que mon père n’a pas toujours aimé Noël après la mort de ma mère. Il a encore vécu 13 ans après elle. Il a fait son deuil avec une dignité tranquille et mené sa propre vie, qu’il appréciait, je crois. Lorsqu’on lui a diagnostiqué un cancer du poumon à l’âge de 86 ans, nous avons tout fait pour l’accompagner. Nous avons passé un Noël modeste ensemble, en tenant compte de la fatigue liée aux traitements de radiothérapie et au cancer lui-même. Il avait peu d’appétit et dormait beaucoup. Nous ne savions pas qu’il lui restait six semaines à vivre, mais nous savions que ce serait probablement notre dernier Noël avec lui.
Après sa mort, lorsque nous avons vidé sa maison, j’ai trouvé plusieurs cadeaux de Noël portant mon nom sous son lit. De toute évidence, il avait oublié de les mettre sous le sapin. L’un d’entre eux était un stylo en argent sculpté de spirales celtiques. Évidemment, j’ai eu mal au cœur, mais il me sera toujours très précieux. Je suis surtout émue à l’idée que, malgré les ravages du cancer, mon père ait trouvé l’énergie de sortir et de choisir soigneusement des cadeaux pour ses filles.
Joie et réconfort. Jusqu’à la fin, il a tenté de nous en prodiguer. Je me fais souvent un devoir de me rappeler cela. Si lui a pu le faire, je le peux aussi.
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