Le VecteurConversations sur la santé mentale
Rythme, planification et priorités, ou l’histoire d’une femme aux prises avec la COVID longue
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Étant donné qu’il n’existe aucun traitement pour la COVID-19 de longue durée, les personnes touchées doivent apprendre à vivre avec leurs symptômes. Un programme hospitalier novateur propose une approche interdisciplinaire combinant des soins physiques, cognitifs et psychosociaux.
Chaque jour, quand elle se lève, Lisa Evans est confrontée à un choix difficile : douche ou lingettes humides?
Il y a encore un an et demi, alors qu’elle était pleine d’énergie et faisait facilement plusieurs heures d’exercice par semaine, elle n’aurait jamais songé devoir prendre ce type de décision.
Plus d’un an après le début de son combat contre le syndrome post-COVID-19, ou « COVID longue », Mme Evans est heureuse de pouvoir marcher plus de quelques mètres. Ce n’est que l’un des nombreux changements qui ont rendu sa vie surréaliste.
En fait, Lisa Evans n’est pas son vrai nom. Elle a demandé l’anonymat, de peur d’être victime de discrimination de la part de son employeur et d’être jugée par ses pairs.
« C’est le comble de la vulnérabilité, dit-elle. Chaque jour, j’ai craint quelque chose. Est-ce que mes symptômes vont s’aggraver? Est-ce que je vais avoir besoin d’une aide-soignante? Est-ce que je vais pouvoir respirer? Je ne peux me permettre de m’inquiéter aussi des perceptions négatives au travail. »
De mon point de vue, sa prudence est tout à fait normale. Lorsque la COVID m’a moi-même laissée avec des symptômes qui ont duré bien plus longtemps que ce qu’on entendait dire dans les médias, je redoutais également toutes les questions de mes collègues bien intentionnés au sujet de mon rétablissement. J’optais pour une réponse prudente du genre « pas encore complètement rétablie », alors qu’en vérité, j’aurais plutôt dit « chaque jour de travail ressemble à un marathon pour lequel je ne me suis pas entraînée ».
Si mes propres symptômes ont disparu au bout de six mois, ceux de Mme Evans persistent : fatigue débilitante, vertiges, maux de tête, irrégularités du rythme cardiaque et troubles du goût et de l’odorat. Ses aliments préférés ayant perdu tout attrait (les tomates ont maintenant le goût de vieilles chaussettes) et cuisiner étant devenu une tâche herculéenne, elle a également perdu neuf kilos.
Nous sommes loin d’être les seules à vivre ces expériences. Au départ, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pensait que 10 à 20 % des personnes ayant été infectées par le virus présentaient un syndrome post-COVID-19 – qui se définit par des symptômes qui persistent pendant plus de trois mois, ou par l’apparition de nouveaux symptômes après une infection par le SRAS-CoV-2, ces symptômes durant au moins deux mois sans aucune autre explication. Or, de nouvelles études montrent que 30 à 40 % des personnes qui ont contracté la COVID-19 présentent des symptômes qui persistent pendant plus de trois mois après l’infection. De nouvelles données modifient sans cesse ces chiffres.
Au-delà des statistiques
Peu de gens peuvent mettre des visages sur les statistiques, mais Wendy Laframboise, oui. Elle est l’infirmière praticienne qui coordonne le programme de réadaptation post-COVID-19 de l’Hôpital d’Ottawa. Avec 287 références et plus de 400 malades et soignants qui lui ont demandé de l’aide (à ce jour), Mme Laframboise connaît très bien les réalités de la COVID longue.
« Dans la plupart des cas, on ne s’attendrait pas à ce que ces personnes aient des symptômes qui durent, raconte-t-elle au sujet de ses patients. Ce sont des gens très performants, sportifs, qui réussissent bien dans la vie et qui ont peu ou pas d’antécédents médicaux. Maintenant, la plupart d’entre eux ont dû mettre leur emploi – et leur vie – sur pause. » Elle soutient que les quelques personnes qui continuent à travailler éprouvent de grandes difficultés, car elles sont moins fonctionnelles, ce qui constitue une source supplémentaire de stress et d’anxiété au travail.
Puisqu’il n’y a pas de remède à la COVID longue, le programme vise à aider les patients à gérer leurs symptômes et à améliorer leur qualité de vie sur trois plans : physique, cognitif et psychosocial. Le modèle repose sur le programme de lutte contre la douleur chronique de l’hôpital et s’inspire des recherches menées par l’unité de réadaptation sur les traumatismes cérébraux et les maladies respiratoires chroniques.
Pendant quatre semaines, lors de séances virtuelles très interactives, les patients travaillent avec une infirmière praticienne, un inhalothérapeute, un ergothérapeute, un physiothérapeute, un diététicien et un psychologue. Grâce à l’information, aux discussions et aux ateliers permettant de se fixer des objectifs, ils apprennent à composer avec des symptômes comme l’essoufflement, le stress et les problèmes de concentration (souvent qualifiés de « brouillard cérébral » par les personnes souffrant d’une COVID longue).
Jusqu’à présent, cette démarche a produit des résultats extrêmement positifs, les patients montrant des améliorations sur les trois fronts, tant à la fin du programme que lors du suivi, trois mois plus tard. Pour certains, l’amélioration se traduit par une meilleure capacité respiratoire. Pour d’autres, c’est pouvoir jouer avec leur enfant au lieu de rester au lit.
Mme Laframboise attribue une grande partie du succès du programme à l’équipe interdisciplinaire, qui comprend la participation active d’un psychologue en réadaptation.
« La COVID longue a des répercussions sur la santé mentale de tout le monde », explique-t-elle en soulignant que la dépression et l’anxiété apparaissent souvent pour la première fois chez ces patients, ou s’aggravent chez ceux qui en étaient déjà atteints avant la COVID. « Les patients sont nombreux à dire qu’ils doivent faire le deuil de leur ancien moi. Ils éprouvent beaucoup de frustration et de culpabilité par rapport à ce qu’ils ne peuvent plus faire dans le contexte de leurs relations, pour leurs enfants et pour eux-mêmes. »
Mme Laframboise ajoute que la stigmatisation des maladies invisibles est bien réelle, surtout lorsqu’il s’agit d’une affection aussi récente que la COVID longue. « Les gens n’arrivent pas à croire que l’on puisse passer de 100 % à 10 %. Et pourtant, c’est possible. »
Pour compliquer encore les choses, poursuit-elle, il n’y a pas de trajectoire de guérison claire. Contrairement à une jambe cassée, dont on connaît les étapes de guérison à la semaine près, la COVID longue n’est ni linéaire ni cohérente. Une semaine, une personne peut souffrir de maux de tête et d’étourdissements; la semaine suivante, elle peut avoir des bourdonnements d’oreilles et des essoufflements.
Incomprise et laissée pour compte
Mme Evans ne connaît que trop bien les montagnes russes des symptômes et l’isolement dans lequel ils la laissent. « J’ai passé tout l’été sur le divan. Je mourais d’envie d’être dehors, au soleil, mais mon corps m’en empêchait. »
Si elle reste confinée dans son appartement en raison de contraintes physiques, elle est également isolée en raison de l’incompréhension de ses amis et sa famille.
« Mes proches m’ont suggéré de simplement essayer de dormir un peu plus longtemps », explique-t-elle. De plus, ses absences répétées ont impatienté des amis qui ont tout simplement annulé leurs appels vidéo. « Je pourrais dormir tant que je veux, ça ne me guérira pas. »
En quête de compréhension, Mme Evans s’est jointe à un groupe Facebook pour les personnes souffrant de COVID longue au Canada. Il s’agit d’un groupe privé auquel seules les personnes aux prises avec une COVID longue et leur famille peuvent s’inscrire. Il compte actuellement plus de 18 000 membres.
« Chaque jour, il y a de nouveaux témoignages qui ressemblent à ce que je vis, raconte Mme Evans. Certaines personnes en sont à leur troisième année de COVID longue et n’ont plus d’espoir. Personne d’autre ne comprend ce que c’est. »
Dans le contexte du programme de réadaptation post-COVID, Mme Laframboise a été surprise par deux choses : le handicap causé par la maladie et le pouvoir de la validation.
Avant même d’entamer le programme, les patients inscrits sur la liste d’attente sont rassurés sur le fait que ce qu’ils vivent est légitime et que, malgré ce qu’ils peuvent ressentir, ils ne sont pas seuls. Le programme laisse également une large place aux discussions ouvertes, que ce soit en groupe ou dans le contexte de séances individuelles avec des cliniciens expérimentés. Mme Laframboise n’aurait jamais imaginé à quel point il est bénéfique pour ces patients de parler de leur vécu sans craindre d’être jugés.
« Une fois que les patients se sentent validés dans leur vécu, il leur est plus facile de se concentrer sur les techniques leur permettant de composer avec ce qui leur arrive, dit-elle. Chacun apprend à planifier ses activités quotidiennes, à les hiérarchiser et à les exécuter à son rythme, dans les limites de son extrême fatigue, car c’est le symptôme de la COVID longue qui est le plus contraignant.
Rythme, planification et priorités – ce sont les trois choses que Mme Evans a dû apprendre toute seule, et elle pense que c’est ce qui lui permet de continuer à travailler. « J’ai appris à effectuer une analyse coûts-avantages des activités qui m’attendent quotidiennement. Je calcule exactement comment je vais dépenser mon énergie, précise-t-elle. Je dois choisir entre aller au travail, me préparer à manger ou faire la lessive, car je ne peux faire qu’une seule de ces trois choses. »
Réinventer la productivité, et tout le reste
L’expérience de Mme Evans lui a montré d’autres choses, qui sont un peu plus difficiles à digérer. Elle a appris à ses dépens que, à bien des égards, la société n’est pas faite pour les personnes ayant un handicap. Les produits de première nécessité, comme l’épicerie, coûtent plus cher lorsqu’il faut toujours payer la livraison. De même, le scooter électrique à trois roues pourrait lui donner plus de liberté, mais il faudrait payer une autre place de stationnement dans son immeuble, ou alors le soulever pour qu’il passe le seuil de sa porte d’entrée.
Mais Mme Evans se rend compte que le capacitisme est bien plus qu’une question de portefeuille. « Nous sommes conditionnés à placer la productivité au-dessus de tout, illustre-t-elle. On demande “qu’as-tu fait aujourd’hui?” au lieu de “à quoi as-tu pensé aujourd’hui?”, ou “comment t’es-tu sentie aujourd’hui?”. Peut-être que ce sont les questions que nous devrions nous poser les uns les autres. »
En entendant ces propos, je ne peux m’empêcher de penser aux récentes manchettes qui vantaient les mérites de nouvelles recherches selon lesquelles la plupart des symptômes de la COVID longue devraient disparaître d’eux-mêmes au bout d’un an. Mes propres symptômes post-COVID ont duré six mois, et la simple idée qu’ils auraient pu durer deux fois plus longtemps me donne mal au ventre. Un an de possibilités manquées et d’objectifs impossibles à atteindre. Un an à choisir entre le repos et l’écriture. Un an à ignorer les conversations et à me concentrer sur ma propre respiration. Un an marqué d’épisodes de brouillard – je me souviens à peine des deux fois où j’ai pris des vacances. J’ai appris qu’être à moitié présente, c’est un peu comme être complètement absente.
Quant à Mme Laframboise, elle est heureuse que le programme de l’Hôpital d’Ottawa procure un soulagement à tant de personnes, mais elle sait qu’il ne peut répondre à tous les besoins. « Je veux que d’autres personnes comme mes patients entendent parler de programmes comme celui-là. On a besoin d’un plus grand nombre de programmes du genre pour les aider à reprendre leur vie en main, et ils en ont besoin maintenant.
Mme Evans reconnaît qu’il y a beaucoup à faire pour soutenir les personnes comme elle, car les études, les ressources et la compréhension font cruellement défaut. Mais elle ne perd pas espoir. « Je suis résolue à profiter de l’été cette année, conclut-elle. Même si cela prend toute mon énergie, je veux sentir le soleil sur ma peau. »
Ressources :
Espace Mieux-être Canada (soutien gratuit en matière de santé mentale pour toute personne au Canada)
Programme de réadaptation post-COVID de l’Hôpital d’Ottawa
Ressources COVID-19 Canada
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