Le VecteurConversations sur la santé mentale

« Sans logement » et « sans-abri » – Quelle est la différence?
Le meilleur conseil des défenseurs de la cause : parlez des enjeux et utilisez les termes que les personnes touchées emploient pour parler de leur vécu
mars 2025Articles Connexes
Cet article fait partie de la série intitulée Le choix des mots est important dans Le Vecteur.
Comme le fait de ne pas avoir de chez-soi, la question des mots que l’on emploie pour nommer cette réalité est complexe et comprend plusieurs aspects. Les chercheurs, les experts et les personnes ayant un savoir expérientiel se demandent s’il existe une manière de nommer et de penser le logement qui permettrait de faire avancer la conversation plutôt que de l’enliser dans la stigmatisation, les préjugés et la discrimination. Comme pour les personnes en situation d’insécurité en matière de logement – une situation que l’on peut observer sous différents angles, qu’il s’agisse de l’accès au logement ou du maintien d’un logement – il n’existe pas de bonne réponse unique.
Selon l’observatoire canadien sur l’itinérance (The Canadian Observatory on Homelessness), l’itinérance se définit comme la situation d’une personne, d’une famille ou d’une communauté qui ne peut pas compter sur un logement stable, sûr, permanent et approprié, ou qui n’a pas la possibilité ou les moyens immédiats de s’en procurer un.
Il peut s’agir de personnes qui vivent dans des refuges d’urgence, qui passent d’un sofa à l’autre, qui vivent dans des campements ou dans des environnements qui ne sont pas faits pour l’habitation humaine (comme des voitures, des garages ou des abris de fortune), et de personnes qui risquent de se retrouver dans ces conditions de vie. La définition englobe non seulement le revenu et le logement, mais aussi l’accès à l’emploi, aux soins de santé, à l’eau potable et à l’assainissement, aux écoles et à la garde d’enfants.
Le choix des mots
Les mots que nous prononçons ne changent pas en eux-mêmes l’expérience ou l’impact de l’itinérance, mais ils influent la conversation. Par exemple, des termes comme « sans maison » ou « sans logement » sont de plus en plus courants. Ils mettent l’accent non plus sur la personne, mais sur le problème plus vaste – le manque de logements abordables, un problème qui préoccupe beaucoup 45 % des personnes au Canada, d’après les résultats de l’Enquête sociale canadienne de fin 2024.
Al Wiebe connaît ce problème. Défenseur du logement à Winnipeg, il a connu l’itinérance et se décrit lui-même comme n’ayant pas d’adresse fixe. Il utilise le terme « sans-abri » pour décrire son expérience, car « une maison n’est qu’un abri, un toit au-dessus de votre tête », dit-il, notant que certaines personnes vivant dans des campements, par exemple, peuvent avoir l’impression d’avoir un « foyer », et ce, même si elles n’ont pas de « maison » dans le sens traditionnel du terme.
En outre, M. Wiebe signale que plus de 31 % des personnes sans abri sont issus de communautés autochtones, et que de nombreuses personnes appartenant à ces communautés estiment que les termes « sans logement » ou « sans maison » sont plus appropriés pour désigner les personnes qui considèrent la Terre comme leur foyer.
Le langage centré sur la personne
Ce terme correspond au langage centré sur la personne – c’est-à-dire qui met l’accent sur la personne. Par exemple, dans le cas des troubles de santé mentale, vous pourriez décrire une personne comme « vivant avec la schizophrénie » plutôt que comme « étant schizophrène ». Personne n’a ou n’est une maladie, un handicap ou un état. Dans le cas du logement, c’est le manque d’options abordables qui est le problème, et non la personne.
Pearl Eliadis parle de cette nuance dans « Turning Off the Tap : Preventing Homelessness for Victims of Violence », un chapitre de l’ouvrage intitulé Ending Homelessness in Canada : The Case for Homelessness Prevention (2024), de James Hughes.
Madame Eliadis est professeure associée à l’Université McGill et avocate. Elle compte plus de dix ans d’expérience, notamment aux Nations Unies et à la Commission canadienne des droits de la personne. En 2021, elle a mené un projet de recherche avec Melpa Kamateros dans le cadre du Collectif québécois pour la prévention de l’itinérance. Dès le départ, elles ont eu une conversation sur les mots.
Melpa Kamateros, cofondatrice et directrice générale de l’association montréalaise Shield of Athena Family Services, qui offre un refuge d’urgence aux personnes victimes de violence conjugale, estime qu’il faut faire preuve de prudence dans l’utilisation de ce terme.
« Les femmes que nous accueillons ne sont pas sans-abri, du moins pas tant et aussi longtemps qu’elles sont dans notre refuge! » Melpa Kamateros explique à Pearl Eliadis, qui tient la plume : « Il y a un argument féministe en jeu ici : le fait de qualifier l’expérience d’une femme qui a fui la violence de « sans-abrisme » place le problème politique sur elle; cela touche son identité même, alors qu’en réalité, sa situation est le produit de la violence de quelqu’un d’autre à son égard. Cette femme est provisoirement sans logement, mais cela ne fait pas d’elle une « sans-abri ».
Évolution des idées
Certains, comme Regeneration Outreach, à Brampton, en Ontario, disent « sans-abri » pour désigner quelqu’un sans domicile fixe, et « sans maison » pour désigner quelqu’un qui n’a pas de maison dans le sens traditionnel du terme, mais qui habite à un endroit, par exemple, dans un véhicule récréatif ou une structure non permanente. Blanchet House, à Portland, en Oregon, utilise indifféremment « sans logement » et « sans maison », plutôt que le terme plus stigmatisé de « sans-abri ».
Cependant, comme le font remarquer les défenseurs de cet enjeu, remplacer un terme par un autre risque d’éclipser le plus important.
« Même l’avantage de passer d’un mot chargé de connotations péjoratives à un autre qui signifie la même chose, mais sans ces connotations, n’a qu’un avantage négligeable qui dure quelques années, jusqu’à ce que le nouveau terme soit à nouveau porteur de stigmatisation », a écrit Frances Koziar, une jeune retraitée handicapée et une activiste de la justice sociale vivant à Kingston, en Ontario, dans un article d’opinion publié dans l’Ottawa Citizen.
Si le langage continue d’évoluer, ce n’est qu’une partie d’un problème beaucoup plus vaste. Le débat sur la terminologie ne devrait pas servir de vertu de façade. Il doit être doublé d’efforts réels visant à trouver des solutions aux problèmes plus graves que sont l’accessibilité au logement, la santé mentale et l’usage de substances.
Lecture complémentaire : Un toit à soi : Le manque d’options en matière de logement crée pour ainsi dire une sorte de dépaysement.
Ressource : La santé mentale : Notre façon d’en parler importe!
Jessica Ward-King mène des recherches et signe ses textes sous le nom de The StigmaCrusher [la pourfendeuse de préjugés]. C’est lorsqu’elle s’informe et défend les questions de santé mentale qu’elle se sent le plus à l’aise.
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