Si vous êtes en état de détresse, veuillez appeler ou texter le 988 n’importe quand. En cas d’urgence, appelez le 9-1-1 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.

Le VecteurConversations sur la santé mentale

Ce récit fait partie de la série consacrée à la santé mentale pendant les Fêtes. Notre recueil littéraire annuel traite de divers sujets liés à cette période de l’année. Nous nous intéressons aux bonnes nouvelles, aux séparations difficiles et aux nouvelles traditions, autant de choses qui naissent de l’éloignement, du changement et des grands bouleversements. Si les festivités de fin d’année riment généralement avec joie, elles peuvent aussi être source de stress et de deuil. Nous vous invitons à lire l’ensemble du recueil pour découvrir comment d’autres ont réussi à surmonter ces difficultés. Vous trouverez ici des articles publiés antérieurement sur la mélancolie, l’adaptation et l’espoir. Meilleurs vœux en cette saison des Fêtes.

Pour Rheostatics, la route a été longue. Nous nous sommes produits pour la première fois au club The Edge à Toronto en octobre 1980. Je me souviens aussi bien des larmes que des cris de joie. L’un ne va pas sans l’autre : les conflits, la détresse, quatre enfants qui vivent à fleur de peau, qui sont devenus quatre jeunes adultes, puis quatre adultes un peu moins jeunes. Les cicatrices guérissent et les blessures se referment, et les spectacles, les albums et les tournées couronnés de succès s’estompent et sombrent dans le passé, mais survivre, c’est essentiellement ce qui m’anime depuis plus de 40 ans. D’une manière ou d’une autre, nous y sommes parvenus.

Pour de nombreux musiciens et artistes d’autres disciplines, l’art sert de soupape émotionnelle. Le cœur s’ouvre, l’esprit dérive sur un océan d’idées et de rêves, et personne ne sait vraiment ce qui va en découler : extase, colère, éclats de rire ou cris de détresse. Faire partie d’un groupe de musique, c’est comme jouer sur un terrain qui s’étend à perte de vue : des mines, et des rivières invisibles de souffrance, s’y cachent parfois. Les moments difficiles peuvent sembler malsains, et pourtant, ils ne le sont pas. Les bons moments peuvent donner l’impression qu’ils dureront toujours, mais quiconque en a vécu pendant assez longtemps sait très bien qu’il n’en est rien.

Maître de son âme

Jouer de la musique avec d’autres personnes, c’est plonger dans les profondeurs de l’âme d’autrui, s’en inspirer et parfois s’en servir comme monnaie d’échange. Si l’art est de qualité, il doit faire un peu mal à l’arrivée, et cette vulnérabilité peut être éprouvante, même lorsqu’elle permet à une personne proche de nous de créer de belles mélodies. Au sein de Rheostatics, la tension nerveuse était toujours à son comble lorsque l’un d’entre nous présentait une nouvelle chanson. Quelques minutes plus tard, nous honorions et célébrions son existence en travaillant dur pour l’amener à pleine maturité, sans jamais perdre de vue ce qu’il avait fallu, de douce lutte, à son auteur pour la mettre au monde.

Image fixe d’une vidéo de Mark Sloggett.
« Les acclamations de la foule me faisaient penser à une magnifique nuée d’oiseaux chantant et pleurant. C’est un moment que je n’oublierai jamais. »

Essentiellement, nous vivons dans un monde qui nous enseigne à nous conformer et à réprimer tout élan artistique : les grandes forces de la société commerciale voudraient que nous nous comportions « normalement » plutôt que de crier à tue-tête dans un micro en compagnie d’une armée d’amis qui s’agitent derrière nous, mais la musique et l’art nous invitent à nous faire entendre. Cet exercice mental déclenche en nous des sentiments de bonheur et de liberté, mais sur le plan social, c’est assez déstabilisant. Récemment, j’ai regardé une vidéo de Yoko Ono dans laquelle elle hurle dans un micro alors que Chuck Berry interprète une chanson à l’émission de Mike Douglas. Son intrépidité m’a sidéré. Cette expression, cette voix et cette personnalité à l’état pur n’en avaient que faire de la réaction de l’animateur, de la foule ou du groupe. Ce geste musical exceptionnel était dépourvu de doute ou de volonté de bienséance, un moment où seule comptait l’effusion de la chanteuse.

Jouer dans un groupe a ses bons côtés. Mais c’est aussi beaucoup de travail. Il faut apprendre à bien s’entendre, mais aussi à honorer les sentiments des autres. Bien sûr, il y a un aspect technique et fonctionnel à la construction d’une chanson pour qu’elle ait plus ou moins de sens, mais les beaux moments sont ceux où nous surfons sur cette vague, sans savoir si la réussite nous attend. Le pire, c’est lorsque vos acolytes ne trouvent pas la vague, laissant l’auteur vaincu et éploré. Mais il est tout aussi important d’accueillir l’échec que le succès. Les chansons ne provoquent pas toutes une euphorie collective au sein du groupe, mais lorsque c’est le cas, ouf! Notre vulnérabilité s’empare des autres et, avec un peu de chance, elle attire des dizaines, des centaines, voire des milliers de personnes.

Une fois, lors d’une représentation au Massey Hall, c’est ce qui s’est produit, un moment de grâce, baigné de lumière et de joie, et après, une fois la chanson terminée, je me suis simplement arrêté et j’ai écouté. Les acclamations de la foule me faisaient penser à une magnifique nuée d’oiseaux chantant et pleurant. C’est un moment que je n’oublierai jamais.

L’obscurité, cette vieille amie

Les artistes portent toujours en eux une part d’obscurité dans la lumière. Dans les années 1990, je me souviens que cette obscurité était rarement reconnue, explorée et abordée de front. Si la prestation d’un artiste semblait inquiétante, ou son comportement préoccupant, la mythologie nous signalait un tempérament bouillant, un artiste torturé, portant son âme à travers le processus difficile de création d’œuvres de qualité. Mais récemment, des artistes comme Menno Versteeg du groupe Hollerado, Kendrick Lamar ou Big Boi du groupe OutKast ont fait preuve d’audace en reconnaissant l’environnement malsain dans lequel évoluent tant de musiciens : des heures de tournée interminables, de l’alcool tous les soirs dans les loges, des emplois du temps chaotiques, la pression pour livrer une œuvre meilleure que la précédente, une cicatrice qui a hanté Eddie Van Halen jusqu’à son dernier souffle.

Maintenant, les blessures sont plus évidentes que jamais : les musiciens sont davantage conscients de leurs démons et les admirateurs sont plus indulgents et n’exigent plus d’excès de la part de leur groupe préféré. Des artistes comme Miranda Mulholland ont plaidé pour que les salles de concert proposent davantage de produits sans alcool et, dans les locaux du journal West End Phoenix, où nous nous produisons, nous organisons des concerts « sobres », sans vente d’alcool. Il aura fallu des générations avant de comprendre les dangers et l’absurdité d’un métier où un plateau de Bud Ice vous attend dès que vous rentrez au travail. Nous avons eu, et continuons d’avoir, une grande carrière, mais je me demande si nous aurions pu traverser les moments difficiles sans ingérer tout cet alcool. Mais cette cicatrice s’est aussi refermée.

Nous avons survécu et pouvons maintenant contempler cette vie et cette carrière avec du recul, dans toute leur plénitude, ce qui ne signifie pas pour autant que les nouveaux musiciens doivent faire de même. Peut-être que les masques sont tombés et que le bandage a été arraché. Peut-être qu’il n’est plus nécessaire aujourd’hui de souffrir pour qu’une œuvre soit fluide et belle. Peut-être qu’il est possible d’aller jusqu’au bout sans avoir l’impression d’avoir payé trop cher. 

Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

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