Le VecteurConversations sur la santé mentale
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Réécrire les récits personnels teintés de racisme contre les personnes noires
« Quel soulagement que vous soyez Noire! »
Ce sont les premiers mots prononcés par la nouvelle cliente de Donna Richards. Faisant partie des rares cliniciens africains, caribéens et noirs (ACN) travaillant au Programme d’aide aux employés (PAE) et des quelques psychothérapeutes ACN au Canada, elle a souvent entendu cette remarque.
À mesure que sa cliente énumère les difficultés qu’elle rencontre au travail, un autre sentiment familier émerge : l’épuisement. Pas l’épuisement causé par les longues journées et le manque de repos, mais l’épuisement psychologique dû aux microagressions raciales, ces petits actes insidieux de racisme contre les personnes noires qui commencent à peser lourd.
La cliente raconte ne pas avoir reçu des promotions qu’elle méritait pourtant, avoir vu des collègues s’attribuer le mérite pour ses réalisations et même avoir subi des railleries pour avoir participé à une manifestation du mouvement Black Lives Matter.
Lorsqu’elle demande à sa cliente s’il lui serait possible d’en parler à son travail, Mme Richards connaît déjà la réponse.
« Ça ne sert à rien. Personne ne s’en soucie. Rien ne changera jamais. »
Et elle sait qu’il n’est pas facile de désapprendre cette croyance.
Le supplice de la goutte d’eau
De l’avis de Rohan Thompson, psychothérapeute en cabinet privé exerçant principalement auprès d’hommes et d’adolescents ACN, les effets cumulatifs des microagressions raciales se manifestent tous les jours.
« Souvent, les clients viennent me consulter après une crise, explique-t-il. Ils ne demandent pas d’aide toutes les fois qu’ils sont mis de côté, diminués, humiliés. Ils le font lorsque l’effet combiné de tous ces incidents a mené à un problème de santé mentale beaucoup plus grave. C’est comme le supplice de la goutte d’eau. »
Ces problèmes vont du stress intense à la dépression en passant par l’anxiété et le trouble de stress post-traumatique, entre autres.
Mme Richards a constaté un effet semblable dans son travail. « Chaque geste de discrimination, si infime soit-il, même s’il est voilé ou fondé sur une bonne intention, laisse une trace invisible. Et lorsqu’ils sont minimisés ou passés sous silence, on envoie le message que ces incidents et ces traces n’ont pas d’importance, explique-t-elle. J’ai vu bien des gens perdre leur estime d’eux-mêmes à force de recevoir ce message, puis s’automédicamenter pour s’en sortir. »
La disparité dans la perception du racisme contre les personnes noires dépasse largement le cadre des milieux de travail. Dans une enquête menée en 2019, alors que près de la moitié des participants convenaient que la discrimination contre les Noirs au Canada ne constituait plus un problème, 83 % des participants noirs ont affirmé qu’ils étaient traités injustement au moins occasionnellement.
Comme le souligne Mme Richards, peu importe que cet écart soit causé par une réelle ignorance ou par le déni, ses répercussions sont coûteuses. « Quelques-uns de mes clients ont quitté leur emploi parce qu’ils craignaient les représailles après avoir dénoncé certains comportements ou demandé des comptes à leur employeur. Pour bien des gens, le jeu n’en vaut tout simplement pas la chandelle. »
Il n’est pas difficile de concevoir qu’une discrimination systématique perpétuelle conjuguée au manque de reconnaissance peut engendrer un sentiment de résignation, autant au sens figuré qu’au sens propre. Mais au-delà des brûlures causées par les microagressions répétées, un bûcher transformationnel est prêt à être allumé pour opérer un changement de paradigme.
Le mythe de la méritocratie
« On enseigne aux enfants que s’ils travaillent fort, ils récolteront du succès. Mais pour les personnes noires, ce n’est pas aussi simple, affirme M. Thompson, soulignant la puissance d’un véritable changement dans notre perception de l’égalité et du succès.
« Quand mes clients me racontent ce qu’ils vivent à leur travail, ils ne se rendent pas toujours compte qu’il s’agit de racisme dirigé contre les Noirs. Tout ce qu’ils savent, c’est qu’ils ont l’impression de porter un lourd fardeau parce qu’ils sont négligés, sous-utilisés et traités comme étant inférieurs à leurs pairs », explique-t-il. « Je vois énormément d’anxiété intense et d’autoaccusation chez les clients qui adhèrent au mythe de la méritocratie parce que leurs efforts ne produisent pas les résultats escomptés. Puis soudainement, ils se rendent compte que leur expérience n’est pas unique et qu’elle n’est pas causée par leur insuffisance. »
Pour bien des clients de M. Thompson, la reconnaissance que leurs expériences négatives découlent de problèmes systémiques plus vastes est éclairant et valide leurs sentiments, mais le chemin vers cette prise de conscience est ardu.
Souvent, M. Thompson présente des données à ses clients et utilise les statistiques pour réécrire avec eux l’historique de leur remise en question. Il met en relief diverses statistiques démontrant que les diplômés universitaires ACN gagnent seulement 80 cents pour chaque dollar touché par les diplômés universitaires blancs ayant les mêmes titres et compétences.
Il relate les recherches choquantes montrant que les candidats qui « semblent » blancs sur leur CV sont convoqués en entrevue jusqu’à trois fois plus souvent — toujours à qualifications égales — que les candidats qui « semblent » noirs.
Ces chiffres, additionnés aux données selon lesquelles les dirigeants ACN occupent moins d’un pour cent des postes de direction dans les grandes entreprises canadiennes, brossent le portrait d’un terrain de jeu fondamentalement inégal.
La sous-représentation commence dès l’enfance
Or, la faible représentation des personnes ACN ne se borne pas aux cadres d’entreprises, poursuit Mme Richards. « À titre d’exemple, j’aurais voulu exercer la psychothérapie plus tôt, mais dans les milieux cliniques, je ne voyais personne qui me ressemblait, ce qui m’a fait comprendre que je n’y avais pas ma place, comme femme ACN. »
Bien avant les établissements postsecondaires, la sous-représentation ACN parmi le personnel d’enseignement, de direction et d’orientation projette une image faussée des possibilités qui s’offrent aux jeunes racialisés. Avec une proportion de personnes ACN deux fois moins élevée chez les enseignants que chez les élèves (en pourcentage de la population), la disparité saute aux yeux, même pour un enfant.
« Les élèves doivent avoir accès à des orienteurs noirs dès le primaire », affirme Mme Richards. Elle ajoute qu’au fil de leur parcours scolaire, les étudiants ACN sont rarement encouragés à choisir une profession clinique. Cet écart contribue à l’extrême pénurie de psychothérapeutes ACN au Canada.
Comme ancien directeur adjoint de l’équité et des partenariats communautaires au Conseil scolaire du district de Peel, M. Thompson convient sans réserve qu’il faut accroître la représentation ACN dans les écoles.
« Bien souvent, le mythe de la méritocratie et les comportements autodestructeurs qui en découlent naissent dans les écoles. » Des données recueillies dans les écoles secondaires de Toronto montrent que les élèves ACN sont suspendus et expulsés en nombre disproportionné et qu’ils reçoivent deux fois moins de mentions d’excellence de leurs enseignants que les autres élèves, même lorsqu’ils obtiennent les mêmes scores aux tests normalisés.
En outre, des études révèlent que le fait d’avoir un enseignant ACN augmente la probabilité que les élèves entreprennent des études postsecondaires et diminue le risque de décrochage.
Mais comme l’explique M. Thompson, la présence de personnes ACN dans le système scolaire ne suffit pas si les écoles ne s’attaquent pas ouvertement au racisme chez le personnel. « Comment les enseignants noirs peuvent-ils soutenir leurs élèves si personne ne les soutient? »
Donner des outils aux employeurs
Mme Richards est fascinée par le potentiel des employeurs à générer des changements transformationnels dans les milieux de travail, admettant du même souffle qu’il y a beaucoup à faire. « L’inclusion et les formations sur la diversité sont une bonne première étape, mais il faudra beaucoup plus qu’un cours ponctuel pour créer un réel changement. La diversité doit faire partie intégrante de notre façon de travailler, soutient-elle. Les employeurs doivent prendre conscience de leur manière d’interagir avec leurs employés et donner l’exemple. Pour cela, ils doivent prendre le temps d’apprendre à connaître leurs employés et faire preuve d’un esprit critique face à leurs propres préjugés. »
Pour espérer modifier les comportements à l’échelle de leur organisation, ajoute Mme Richards, les employeurs doivent être prêts à exiger que tous adhèrent à des normes plus élevées. « La responsabilisation est incontournable. Il ne s’agit pas seulement de créer de nouvelles occasions d’apprendre et de s’améliorer. Il faut aussi prendre en main les personnes, les pratiques d’embauche, les comportements et les politiques qui perpétuent la culture du racisme. »
De surcroît, Mme Richards indique que les employeurs ont intérêt à élargir la couverture de services psychologiques, puisque très peu de travailleurs, qu’ils fassent partie de la communauté ACN ou non, peuvent se permettre la psychothérapie sans une assurance privée.
Dans son récent document d’information Braquer la lumière sur la santé mentale dans les communautés noires, la Commission de la santé mentale du Canada montre que l’abordabilité constitue un des principaux obstacles à l’obtention de services psychologiques. Compte tenu du revenu moyen inférieur des travailleurs ACN, il est d’autant plus crucial d’améliorer la couverture de ces services pour eux.
Même dans ses fonctions au PAE, Mme Richards signale que la couverture offerte est souvent insuffisante pour répondre aux besoins des clients. « Pour une personne qui souffre de traumatismes raciaux depuis des dizaines d’années, une poignée de séances dans le PAE ne permettra pas de faire un travail en profondeur. Pour aider les personnes ACN à remonter à la source de leurs problèmes et à entreprendre une véritable guérison, il faut leur offrir un soutien de plus longue durée. »
Réécrire la fin de l’histoire
Mme Richards et M. Thompson sont unanimes : pour les personnes qui demandent une aide professionnelle en santé mentale, le parcours de consultation exige un important travail de reconstruction.
« Les gens doivent d’abord déconstruire leurs expériences individuelles et reconnaître les répercussions qu’ils ont vécues, et ce processus peut être éprouvant, souligne Mme Richards. Mais ils apprennent à tirer des leçons de ces expériences et se rendent graduellement compte qu’ils ne valent pas moins que leur voisin, qu’ils sont au moins aussi importants. »
Pour M. Thompson, l’une des plus importantes fonctions de la thérapie est de cultiver la joie. Il invite souvent ses clients à réfléchir à ce qui leur procure de la joie et à faire une plus grande place à ces choses dans leur vie.
« En fin de compte, j’essaie d’accroître leur résilience et de leur inspirer un sentiment de contrôle, explique-t-il. Je veux faire comprendre à mes clients qu’en dépit de ce que la société leur a enseigné, leur expérience a de la valeur, ils sont importants et ils ont le pouvoir de changer leur vie. »
Illustrateur : Dorcas Markwei of, LynSow Creative
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