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Les personnes plus âgées sont plus susceptibles de souffrir d’isolement social et la solitude est de plus en plus reconnue comme étant un facteur qui nuit à la santé. La bonne nouvelle, c’est que le sentiment d’importance et d’appartenance peut renverser la tendance. Notre série explore ces concepts et d’autres thèmes connexes.
De nombreuses personnes plus âgées ont l’impression d’être « invisibles », ce qui provoque une frustration chez certaines, tandis que d’autres le vivent comme un superpouvoir.
« Le sentiment d’être invisible est évoqué dans la fameuse série, Matlock, avec Kathy Bates, quand elle s’exclame qu’en vieillissant, les femmes ‘’deviennent presque invisibles’’, raconte Dr Gordon Flett, président honoraire de l’Association canadienne de psychologie 2024-2025 et ancien titulaire de la chaire de recherche du Canada à l’Université York. « Et puis elle ajoute qu’ensuite, elle peut utiliser cela à son avantage, car les gens ne la voient pas venir. »
Tout le monde ne peut pas trouver un côté positif au fait de passer inaperçu, et ce, probablement parce que « se sentir vu » est un élément important pour avoir le sentiment d’avoir de l’importance aux yeux du monde qui nous entoure ». « Sentir que l’on compte » est essentiel à bien-être, selon les recherches de Dr Flett, qui ont démontré que le sentiment d’importance est associé à la résilience. À l’inverse, le fait de « ne pas compter » est associé à la stigmatisation, à la discrimination, à la détresse psychologique, à la dépression et à la solitude. « Se sentir invisible aux yeux des autres est au cœur du sentiment de ne pas compter », explique Dr Flett.
Bien que certains hommes plus âgés se plaignent parfois de se sentir invisibles, ce phénomène est tellement répandu chez les femmes de plus de 50 ans qu’il a été baptisé le « syndrome de la femme invisible ». Cela suggère que la stigmatisation des personnes plus âgées n’est pas seulement une question d’âge, mais également d’identités intersectionnelles : classe sociale, origine ethnique, genre, croyances religieuses et autres marqueurs identitaires.
Kathy Bates incarne Madeline Matlock, une brillante septuagénaire, dans la série dramatique MATLOCK, inspirée de la télésérie originale du même nom. Madeline, qui a connu le succès dans sa jeunesse, décide de réintégrer un prestigieux cabinet d’avocats, où elle joue de ruse et de sa prétendue modestie pour gagner des affaires et dénoncer la corruption au sein de l’entreprise. Photo : Brooke Palmer/CBS par Getty Images.
Qui a activé le dispositif de camouflage?
C’est pourquoi le principe d’inclusion doit guider la planification et la conception des maisons de retraite, des communautés de retraités et des programmes destinés aux personnes plus âgées. C’est l’une des principales conclusions à laquelle en est arrivée Susan Braedley, professeure à l’École de travail social de l’Université Carleton, et son équipe après 15 ans d’études sur les soins de longue durée et les communautés adaptées aux personnes plus âgées dans le cadre de projets de recherche nationaux et internationaux.
« Nous avons observé de nombreuses pratiques prometteuses, explique Dre Braedley. Mais nous avons également constaté qu’il fallait éviter certaines choses qui provoquent une grande détresse chez les personnes plus âgées. »
Elle se souvient par exemple d’un programme de jour destiné aux personnes souffrant de troubles cognitifs légers dans une collectivité canadienne où la langue maternelle de nombreux résidents était le mandarin. Les aides-soignants ne parlaient pas mandarin et toutes les activités partaient du principe que les participants connaissaient les coutumes et les fêtes canadiennes courantes.
« Si vous pensez que vous êtes censé connaître les réponses, mais que ce n’est pas le cas, cela peut être très déroutant, car vous commencez à penser que votre mémoire est moins bonne qu’elle ne l’est en réalité, explique Dre Braedley. Le programme a généré beaucoup d’anxiété. Il visait à réduire l’isolement social des personnes atteintes de démence, mais je pense qu’il a eu l’effet inverse. On ne peut tout simplement pas reproduire les mêmes programmes dans tous les contextes. »
Mais tout n’est pas négatif. Au cours de ses recherches, Dre Braedley a constaté que de nombreux programmes étaient adaptés à la culture, axés sur la communauté et pertinents pour les participants. Lorsque c’était le cas, Dre Braedley a été témoin de beaucoup de joie, et elle en a elle-même ressenti. L’un de ses programmes préférés était celui que propose 519, un organisme à but non lucratif de Toronto qui vient en aide aux communautés 2ELGBTQI+. Ce programme mettait en relation de jeunes bénévoles de la collectivité avec des personnes plus âgées souffrant de solitude.
« Les personnes plus âgées ont vécu des expériences incroyables. Parfois, tout simplement parce qu’elles étaient accompagnées pour se déplacer en ville quand elles craignaient d’y aller seules, explique-t-elle. Mais ce qui est très intéressant, c’est que beaucoup de ces jeunes bénévoles travaillaient à domicile et affirmaient qu’eux aussi se sentaient seuls et isolés. »
Eddy Elmer, gérontologue et consultant en recherche spécialisé en vieillissement et en santé mentale, à Vancouver, signale que les personnes plus âgées issues des communautés 2ELGBTQI+ sont beaucoup plus susceptibles d’être isolées socialement et de se sentir seules.
« Cela s’explique en partie par le fait que cette population est moins importante, il est donc plus difficile de rencontrer des gens ou de trouver un partenaire, explique M. Elmer. Les personnes LGBT qui ont plus de 70 ans ont également grandi à une époque où l’homosexualité était très stigmatisée. Elle était illégale, criminalisée et perçue comme une pathologie, elles redoutent donc davantage le rejet ou la discrimination. »
Elmer craint un retour en arrière, car le climat en ligne se détériore et l’hostilité est plus marquée envers les personnes 2ELGBTQI+. Il estime que les risques sont plus grands, en particulier pour les personnes transgenres qui sont plus âgées.
Le mystère des personnes plus âgées disparues
Les personnes plus âgées en situation de précarité financière, qui sont sans domicile fixe, incarcérées ou qui souffrent déjà d’une dépression, ont toutes tendance à être plus vulnérables. C’est également le cas des hommes plus âgés qui ont récemment vécu un changement important, comme le départ à la retraite. Cela peut s’expliquer par le fait que, de manière générale, les femmes ont des réseaux sociaux plus étendus. En revanche, lorsque les hommes cessent de travailler, ils sont nombreux à perdre leur espace social le plus important.
Dans bien des cas, cependant, il s’agit également d’un changement dans la perception de soi et d’une perte d’identité.
« Les gens me disent : “J’étais directeur d’une école secondaire, professeur ou avocat, et j’avais toutes ces différentes fonctions et identités”, raconte Dr Raza Mirza, directeur des Partenariats nationaux chez Aide aux Aînés. Puis ils prennent leur retraite et ils ont l’impression que, désormais, ils ne sont plus que des personnes plus âgées qui sont toutes mises dans le même sac. Maintenant, leur identité, c’est ça. »
L’un des nombreux projets de recherche de Dr Mirza visant à aider les personnes plus âgées est une étude menée avec Men’s Sheds Canada. Il s’agit d’un programme conçu pour aider les gens à trouver de nouveaux rôles de mentors au sein de la société et à entrer en contact et à s’engager avec d’autres hommes de tous les âges.
« L’idée est de donner plus d’autonomie aux hommes plus âgés, explique Dr Mirza. Il s’agit également de promouvoir la santé, car ces activités leur permettent de discuter entre eux des transitions de la vie, d’échanger des ressources et de l’information ayant une incidence sur leur bien-être mental et physique. »
Cela pourrait avoir des effets considérables, car le dépistage et de simples mesures préventives peuvent complètement changer la donne en matière de santé sociale, mentale et physique des personnes plus âgées. Les appareils auditifs et les lunettes, par exemple, constituent un moyen peu coûteux de réduire l’isolement social et d’améliorer le bien-être.
« La perte sensorielle est une considération très importante, car de nombreuses personnes plus âgées ont des problèmes d’audition ou de vision, explique Dre Fereshteh Mehrabi, chercheuse postdoctorale au département de psychologie de l’Université Concordia. La perte auditive grave est beaucoup plus répandue chez les hommes que chez les femmes, et souvent, ils décident de ne même pas essayer de communiquer ou de socialiser, car cela leur semble trop compliqué, ce qui peut les fragiliser à la longue, car moins on communique et on socialise, plus on est isolé, ce qui a des répercussions sur la santé. »
Être vu, entendu et invité à la fête
Les raisons pour lesquelles les hommes plus âgés souffrent de perte auditive font débat, mais il est certain que beaucoup d’entre eux refusent d’utiliser un appareil auditif, car cela ’est associé au vieil âge. Autrement dit, ils préfèrent souvent se retirer du monde plutôt que d’affronter les préjugés liés à l’âge. (Soit dit en passant, la nouvelle génération d’appareils auditifs est beaucoup plus discrète et la technologie permet aux utilisateurs de faire des choses intéressantes, comme filtrer les bruits ambiants pour se concentrer sur la personne qui parle, ce qui, quand on y pense, semble être un superpouvoir à avoir).
Les femmes plus âgées ne sont pas à l’abri des problèmes auditifs, mais Mme Mehrabi affirme que, selon les statistiques, le dépistage et la prévention de la fragilité devraient être la priorité absolue pour les femmes. Ces dernières sont beaucoup plus susceptibles que les hommes de souffrir de fragilité. Sa récente étude, publiée dans Age and Ageing a révélé que, à long terme, la fragilité conduit à l’isolement social et à la solitude, peut-être pour la simple raison qu’il est plus difficile de sortir et de participer à des activités sociales et physiques. Même si le conditionnement physique destiné aux femmes est un domaine en pleine expansion, de nombreux obstacles culturels et systémiques empêchent les femmes plus âgées de se muscler, de bien manger et de faire des exercices de résistance, ce qui n’arrange pas les choses.
« Selon le portrait idéal, la personne plus âgée néolibérale est assez fortunée pour vivre jusqu’à la fin de ses jours et reste active et en bonne santé en utilisant son Fitbit, explique Dre Braedley. C’est comme si notre santé dépendait totalement de nous. Il suffirait de bien manger et de faire tout ce qu’il faut pour rester en bonne santé. Mais c’est ridicule, car on finit tous par mourir. »
De très nombreuses personnes, et de manière disproportionnée, les femmes, ne correspondent pas à ce portrait idéal de la personne plus âgée autonome, ajoute-t-elle. Je pense que c’est de cela qu’il s’agit. Je pense qu’il s’agit d’un mélange de classisme, de sexisme, de racisme et de capacitisme.
Pour en revenir à ces femmes invisibles, il est important de noter que, si c’est un superpouvoir pour certaines, c’est préjudiciable pour d’autres. « Une personne plus âgée qui se sent invisible et qui vient d’un milieu marginalisé ne verra pas cette invisibilité comme un avantage, explique Dr Flett. Lorsqu’une personne subit à la fois l’injustice, l’inégalité et l’invisibilité, c’est une combinaison très douloureuse. »
Il est donc de la responsabilité de chacun de trouver un moyen de rassurer les gens sur leur importance, quel que soit leur âge.
Lecture complémentaire : Santé mentale des aînés : 5 moyens pratiques d’améliorer votre humeur.
Ressources : Côte à côte : Expériences en matière de prévention du suicide chez les hommes.
Auteure: Christine Sismondo est autrice de Toronto et espère un jour vivre avec des amis dans un projet de vie en communauté sur le modèle des « Craquantes ». Nous avons encore besoin d’un personnage joyeux comme Rose Nyland pour nous divertir avec ses histoires. Et, cela va sans dire, Kathy Bates est toujours la bienvenue!