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Le VecteurConversations sur la santé mentale

Le manque d’options en matière de logement entraîne un sentiment de mal du pays qui lui est propre. Nous nous pencherons sur le lien entre le logement et la santé dans ce deuxième article de la série publiée dans le cadre du Mois de la littératie financière.

J’ai récemment reçu de la part d’un ami un message texte de masse trop bien connu : « Connaissez‑vous quelqu’un qui déménage d’un quatre et demie? Notre propriétaire a obtenu un permis de rénovation et nous devons partir au plus vite. »

Malheureusement, il est difficile de trouver des pistes de solution. C’est la réalité de Halifax. Bien qu’elle ait la réputation d’être une ville balnéaire décontractée, son marché locatif dégage une autre impression. Ne disposant d’aucune solution concrète et sachant très bien que cela n’allait pas l’aider, j’ai souhaité bonne chance à mon ami par message texte.

Si c’était possible, j’expédierais ces souhaits en grande quantité à la plus grande province canadienne, où un rapport sur le logement de la Chambre de commerce de l’Ontario révèle que 1,85 million de logements seraient nécessaires afin de rétablir l’accessibilité au logement, et ce, en plus des logements dont la construction est déjà prévue.

Ce nombre effarant est très préoccupant pour les jeunes Canadiens, groupe dont je fais partie en tant qu’étudiant universitaire songeant à son avenir. Pour plusieurs, la foi en un avenir abordable a été ébranlée. Les personnes qui ont une vision des choses plus optimiste cherchent pourtant des moyens d’agir et de nouveaux modes de vie.

La tête, le cœur et la maison
La maison n’est pas qu’une simple habitation : sa valeur psychologique dépasse largement ses quatre murs. Elle représente la fiabilité et la routine, explique Madeleine Hebert, qui travaille à titre de spécialiste principale du logement chez Happy Cities, une société d’experts‑conseils à Vancouver qui œuvre dans les domaines de l’aménagement urbain, de l’esthétique urbaine et de la recherche urbaine.

« Le plus éprouvant pour la santé mentale des locataires est le moment où le problème de l’accessibilité les pousse à vivre dans des situations plus transitoires, dit‑elle. Nous avons constaté un lien très fort entre le temps où l’on vit dans un endroit, la capacité à tisser des liens sociaux ainsi que le sentiment d’appartenance et la raison d’être. Il est difficile pour les locataires de prendre racine dans les villes où la sécurité du logement est limitée par les propriétaires privés, qui peuvent leur demander de partir à tout moment ».

Les pressions liées à l’accessibilité poussent les gens à faire des choix de vie difficiles, comme quitter leur communauté, trouver un nouveau foyer pour leur animal de compagnie ou emménager chez leur partenaire plus tôt qu’ils ne le souhaiteraient.

« Il existe un grand nombre de besoins pour différentes personnes », souligne Mme Hebert tout en mentionnant que la disponibilité et l’accessibilité constituent des besoins essentiels lorsqu’il est question du logement. « De nombreux locataires à faible revenu n’ont plus le luxe de choisir et c’est là où l’on commence à observer des problèmes de santé mentale. »

Ce manque d’options abordables s’ajoute à d’autres obstacles auxquels les gens font face. Valery Navarrete en a fait l’expérience en 2022. Cette année‑là, sa mère est décédée. Cette dernière avait été la principale proche aidante du frère de Mme Navarrete, qui habite à Toronto et qui vit avec une maladie mentale grave et des problèmes de consommation de substances. Lorsque Mme Navarrete a commencé à chercher des options de logement supervisé ou subventionné pour son frère, elle s’est heurtée à un mur.

« Si vous avez la chance de trouver quelque chose, rien ne garantit que ce sera situé près des services de soutien médical et d’aide personnelle », dit‑elle. Mme Navarrete est experte‑conseil pour des organismes sans but lucratif et elle a travaillé pendant des décennies dans les domaines de la politique et de la défense des droits en matière de santé. Elle a également produit un balado sur des modèles de logement collectif. Bien qu’elle comprenne les points d’accès et les obstacles, ces connaissances se heurtent à la réalité de la demande. Les listes d’attente pour des logements supervisés à Toronto se situent dans les deux chiffres (14 ans), ce qui laisse sa famille sans options. Son frère est actuellement pris en charge par sa famille où une personne âgée agit comme personne de soutien. La situation n’est donc pas durable.

« La plupart des familles n’ont pas les moyens de s’offrir des options médicalisées à long terme, dit Mme Navarrete, et de nombreuses personnes souhaitent conserver leur autonomie. » À son avis, le Canada a besoin de plus de logements sociaux, et vite.

Alors que la population est aux prises avec le coût élevé de la vie, les demandes de logement plus abordable se font de plus en plus pressantes et deviennent un enjeu électoral au Canada. Parallèlement, les longs délais d’attente nécessaires pour des changements systémiques face à des besoins immédiats en matière de logement stimulent la création de nouveaux modèles et donnent un souffle nouveau aux anciens.

Diana Lind donne des détails sur les modèles de la cohabitation et des communautés de micrologements dans Brave New Home: Our Future in Smarter, Simpler, Happier Housing [notre avenir dans des logements plus intelligents, plus simples et plus joyeux] [en anglais seulement]. Son livre publié en 2020 se concentre en grande partie sur New York, d’abord rétrospectivement sur son extraordinaire croissance au cours du XIXe siècle par l’intermédiaire d’immeubles à usage locatif, puis par l’étude d’Airbnb et des autres formes temporaires. Selon Mme Lind, le modèle de la maison unifamiliale auquel la société nous a fait aspirer n’est pas durable. L’accès au marché des maisons unifamiliales nécessite à lui seul un investissement considérable et ce type de logement utilise l’espace de manière inefficace. De nos jours, la fameuse clôture en lattes verticales blanches est devenue une image d’une autre époque pour beaucoup de gens. Mme Lind considère que le temps est venu de renoncer au rêve américain d’une maison avec un garage double. Non seulement ces maisons sont trop chères et constituent une source de solitude, mais d’autres modèles de logement nous permettraient de mieux vivre ensemble en tant que communautés, étant donné que de nombreuses personnes vivent seules, se marient plus tard dans la vie, ont des familles moins nombreuses, adoptent davantage le mode virtuel et se déplacent plus. En d’autres termes, les modèles de logement ne suivent pas le rythme de nos besoins actuels.

Mme Hebert parle de l’un de ces projets, que Happy Cities nomme Co‑housing lite [que l’on pourrait traduire par « cohabitat léger »]. Tomo (qui correspond à la contraction des mots together [ensemble] et more [plus] en anglais) sur la rue Main à Vancouver est un modèle de logement sans coûts initiaux importants. Ce complexe abrite 12 familles sous un même toit qui partagent une structure et une cour communes. Ces plus petits logements qui appartiennent aux occupants laissent suffisamment de place aux grands espaces communs, dont une cuisine, une salle à manger et un salon commun. Des repas sont pris en commun trois fois par semaine et les résidents accomplissent des tâches dans la cuisine à tour de rôle. En outre, plusieurs comités s’occupent de prendre diverses décisions touchant l’autogestion.

« Le but est de renforcer l’entraide et d’aider les gens à veiller les uns sur les autres, dit Mme Hebert. Les avantages sont substantiels. » Elle souligne que de tels immeubles ont des taux de rétention élevés et qu’ils permettent de nouer des liens communautaires plus forts. « Les gens ont également tendance à se sentir plus concernés et à mieux s’occuper des espaces dont ils disposent, ajoute‑t‑elle. Les voisins qui entretiennent de meilleures relations règlent les différends plus facilement entre eux. »

Prendre de l’âge
Lorsque nous vieillissons, nos besoins en matière de logement évoluent également en fonction de facteurs aggravants, qui vont de la mobilité réduite aux problèmes de santé, en passant par la solitude, et nous sommes plus nombreux à vivre plus longtemps. Selon Statistique Canada, le nombre de personnes âgées de 85 ans et plus ne cesse d’augmenter au fil du temps. En 1971, 139 000 personnes avaient plus de 85 ans au Canada. En 2021, ce nombre était six fois plus élevé, soit 871 400 personnes. Les projections démographiques indiquent que ce groupe s’accroîtra encore davantage entre 2031 et 2050, puisque la génération du baby‑boom entrera dans l’âge d’or. Y entrera‑t‑elle en conservant son autonomie et ses penchants à contre-courant qui lui sont caractéristiques?

L’un des modèles va dans ce sens. Les collectivités de retraités formées naturellement gagnent en popularité. Ce terme désigne un pâté de maisons ou un immeuble d’habitation qui abrite une forte population de personnes âgées. Ces collectivités peuvent comporter des services de soutien comme des activités sociales, récréatives et liées à la santé, qui peuvent être offertes grâce à un financement public, à un financement privé ou aux deux. Les raisons peuvent varier selon les personnes et peuvent comprendre le souhait ou l’incapacité d’entretenir une maison unifamiliale, les pressions économiques ou le souhait de se rapprocher des gens ou des services. Ces logements constituent une option prometteuse pour créer une communauté tout en permettant aux personnes de conserver leur autonomie et de bénéficier d’un soutien.

Disposer d’un endroit où se sentir chez soi est essentiel à notre stabilité et à l’établissement d’une base pour la vie. De plus, le lien avec la santé mentale est indéniable, comme l’a montré le mouvement Logement d’abord. Son principe sous‑jacent, selon lequel les gens peuvent mieux avancer dans leur vie s’ils sont d’abord logés, leur permet de s’investir dans leurs activités sociales, professionnelles, récréatives et d’emploi pour favoriser leur rétablissement et leur bien‑être, et ainsi briser le cycle de l’itinérance.

En réalité, le modèle Logement d’abord s’est révélé être la façon la plus efficace de réduire l’itinérance. C’est l’une des principales constatations de l’étude Chez Soi lancée par la Commission de la santé mentale du Canada en 2008. Ce projet mené pendant quatre ans dans cinq villes avait pour objectif de fournir un soutien concret et significatif aux Canadiens en situation d’itinérance et souffrant de problèmes de santé mentale.

Quelles sont les prochaines étapes?
J’aimerais dire que nous sommes tous dans le même bateau, mais il est clair que certains d’entre nous sont plus en crise que d’autres. Il n’existe pas de situation unique pour tous lorsqu’il est question du logement et le sentiment de sécurité du logement d’une personne peut varier en fonction des aléas de la vie. Diverses options en matière de logement seront nécessaires pour garantir que l’on tienne compte de la diversité des besoins et que l’on ne s’en remette pas seulement à la chance. En attendant, il m’arrivera peut‑être encore d’être désabusé. Toutefois, puisque de nouvelles options en matière de logement abordable voient le jour, j’essaierai aussi de garder espoir lorsque j’enverrai un message à mes amis.


Autres lectures : Série l’argent et santé mentale

Ailleurs dans Le Vecteur : Seul chez soi : Au Canada, les personnes âgées qui vieillissent sans aucun soutien sont de plus en plus nombreuses. Comment pouvons‑nous endiguer ce phénomène?

Auteur : étudie les sciences humaines et la psychologie à l’Université de King’s College à Halifax, en Nouvelle Écosse.
Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

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