Lorsque je parle de ma maladie aux gens, voici ce qui se passe
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Pendant 15 ans, j’ai caché ma maladie mentale au monde entier. J’étais terrifiée à l’idée que l’on découvre mon secret et la vie que je menais réellement. Tout risquait de disparaître : la famille pour laquelle je m’étais battue, les amis dont je m’étais entourée, la carrière que je poursuivais.
Je me stigmatisais moi-même et j’avais honte, ce qui était accablant. Je pensais que vivre avec une maladie mentale faisait de moi une personne brisée et déficiente. J’étais terrorisée à l’idée que les autres me stigmatisent. J’avais peur des préjugés et de la discrimination qui seraient inévitables (selon moi) si je révélais mon trouble bipolaire.
Un jour, un élève de l’école dans laquelle je travaillais est mort par suicide. L’école a réagi en demandant à toute la communauté scolaire de ne pas parler du suicide « par respect pour la famille ». Je me suis alors rendu compte des effets que le silence pouvait avoir sur des questions de santé mentale et de maladie mentale. Les élèves ont alors eu l’impression que la maladie mentale et le suicide n’étaient pas acceptables et qu’il fallait les cacher. Il fallait que j’agisse. J’ai donc commencé à parler de mon histoire et de mes difficultés en tant qu’étudiante. J’ai parlé de ma lutte contre les idées suicidaires et de mes traitements – par exemple, l’électroconvulsivothérapie, les médicaments et la thérapie par la parole. J’espérais ainsi que je pourrais contribuer à ouvrir une conversation dans cette école et à faire de la maladie mentale un sujet de conversation.
Peur de dire la vérité
J’étais terrifiée à l’idée de raconter mon histoire. Je ne savais pas comment mes collègues, mes supérieurs et mes élèves accepteraient le fait que je vis avec une grave maladie mentale. Est-ce que je perdrais leur respect? Décideraient-ils alors de prendre leurs distances avec moi? Mais si je parlais, je savais que je me débarrasserais d’un lourd fardeau. Je n’aurais plus à cacher le combat qui constituait une si grande partie de mon existence. Je pourrais enfin être moi-même au travail, où j’ai passé le tiers de ma vie. Le fait de raconter mon histoire n’était pas sans risques, mais comportait aussi beaucoup d’avantages.
La première fois que j’ai raconté mon histoire, ma communauté m’a accueillie avec amour et soutien. La conversation était enfin ouverte, et productive. Ce sont mes élèves qui m’ont surnommé la «pourfendeuse de préjugés». Après avoir pris goût à ma mission – réduire la stigmatisation et inspirer le changement – plus rien ne pouvait m’arrêter. C’était tellement encourageant et libérateur de parler ouvertement de ma maladie mentale! Et c’est toujours le cas, chaque fois que je raconte mon histoire.
Lorsque j’en parle en personne, je reçois généralement beaucoup de soutien et peu d’hostilité. Mais quand il en est question par écrit (particulièrement en ligne), je suis confrontée à une armée de guerriers du clavier qui n’hésitent pas à me faire part de leur opinion peu éclairée. Aussi difficile que cela soit, la meilleure chose à faire est d’ignorer ces préjugés et propos ignorants, car ils sont sans fondement. Même si mon but est d’éduquer et d’éliminer la stigmatisation, dans certains cas, il vaut tout simplement mieux abandonner. Mon expérience vécue n’est que ça – la mienne, et c’est moi l’experte en la matière.
Selon les études, le contact – c’est-à-dire avoir des échanges sincères avec une personne ayant une expérience vécue de la maladie mentale – est la meilleure façon de lutter contre la stigmatisation. Il faut donc que je parle de mon histoire. Mais ce n’est pas toujours pour tout le monde. Depuis 12 ans que je parle de mes expériences de la maladie mentale et que j’écris sur la question, j’ai reçu ma part de commentaires négatifs, stigmatisants et ignorants. Voici un exemple de ce que je fais régulièrement et de la façon dont cela me touche :
Réponses courantes
« Vous n’êtes qu’un suppôt des grandes compagnies pharmaceutiques. »
Les grandes compagnies pharmaceutiques sont un peu comme le croque-mitaine pour les personnes qui ont une expérience vécue de la maladie mentale. Dans le contexte médical qui est le nôtre en Occident, les médicaments constituent généralement le traitement de première intention en cas de maladie mentale. Ils sont souvent prescrits par un médecin de famille sans formation spécialisée. C’est le premier et le meilleur espoir de se sentir mieux, mais cela ne va pas sans effets secondaires indésirables et de longs délais avant de savoir si les molécules vont agir efficacement ou pas. La décision d’essayer un traitement médicamenteux est souvent difficile à prendre (ça l’a été pour moi en tout cas) et c’est un moment décisif dans la lutte contre la maladie mentale. C’est pourquoi ce commentaire (et d’autres critiques concernant les médicaments) peut être éprouvant.
« La psychiatrie est une imposture et vous vous laissez leurrer. »
Ce commentaire revient souvent. Il existe toute une sous-culture antipsychiatrique qui émerge lorsque je parle du traitement de la maladie mentale. Quand j’ai commencé à raconter mon histoire, j’ai consacré beaucoup de temps et d’énergie à justifier le bien-fondé de la psychiatrie et les bénéfices que j’en tirais en tant que patiente. Mais les partisans de l’antipsychiatrie sont sourds à ces arguments. Alors j’ai laissé tomber.
« L’ECT (l’électroconvulsivothérapie) est une chose barbare, et vous êtes idiote de les laisser vous faire ça. »
Malheureusement, l’ECT m’a causé des lésions cérébrales irréversibles, mais elle m’a aussi sauvé la vie. Avant, je passais beaucoup de temps à essayer d’éduquer les commentateurs sur l’utilisation moderne de l’ECT en psychiatrie, mais maintenant, je me rends compte que je ne pourrais jamais les amener à voir les choses autrement. Alors, je les laisse simplement s’exprimer.
« Vous êtes folle, et ils vous laissent adopter un bébé?? N’est-ce pas injuste pour l’enfant? »
C’est le commentaire le plus blessant, car ma santé mentale faisait partie de l’équation lorsque nous avons décidé d’adopter mon fils. J’ai choisi de ne pas porter d’enfant parce que je ne voulais pas prendre le risque de transmettre mon trouble bipolaire. Donc, lorsque nous avons décidé d’avoir un enfant, l’adoption s’est imposée comme un choix naturel. Tout au long du processus, j’ai été évaluée et réévaluée pour déterminer si j’étais apte à être mère en raison de ma maladie mentale. J’ai dû obtenir des attestations écrites de mon psychiatre et de mon thérapeute indiquant que, selon eux, je pouvais être mère. Et comme tout parent, je me demande constamment si je m’en sors bien (car les enfants ne viennent pas avec un mode d’emploi). C’est donc un sujet un peu sensible pour moi, et lorsque ça fait l’objet d’un commentaire, c’est blessant. L’éducation des enfants est un sujet de conversation très présent dans mes séances de thérapie, car c’est une question centrale dans ma vie, mais je réfute aussi ce genre de commentaire en passant délibérément du temps avec mon fils et en constatant à quel point il est extraordinaire.
« Si vous arrivez à surmonter vos crises, alors vous n’êtes pas si malade que ça. Bien des gens ont des problèmes pires que les vôtres. »
J’ai toujours été très « performante », ce qui, pour moi, signifie être capable de continuer à travailler (ou à étudier) même lorsque je ne me sens pas bien. J’ai obtenu mon doctorat entre deux hospitalisations et deux traitements par électroconvulsivothérapie. J’ai travaillé pendant ma thérapie à la kétamine et je n’ai pris que deux semaines de congé lorsque j’ai subi l’implantation d’un stimulateur cérébral profond. Je lutte énormément, mais je bénéficie des aménagements dont j’ai besoin pour continuer à faire ce que je dois faire au travail, même si je m’effondre dès que c’est terminé. Même pendant que j’écris ces phrases, je ressens le besoin de me justifier. Il est difficile que quelqu’un, en particulier quelqu’un qui ne me connaît même pas, juge à quel point je vais bien ou mal, surtout quand je ne vais pas bien. Il y aura toujours quelqu’un de pire que moi, mais cela n’annule en rien ma souffrance. (De plus, ce n’est pas un concours).
Réponse rapide à la Taylor Swift
J’ai eu la chance de ne pas perdre mes amis ni mon emploi après avoir révélé que je vivais avec une maladie mentale. Cela arrive à certaines personnes, mais pas à moi. J’ai toutefois dû m’endurcir un peu pour faire face aux commentaires stigmatisants et ignorants qui, s’ils ne sont pas filtrés, peuvent aggraver ma santé mentale. J’ai dû trouver un équilibre. Comme le dit si bien Taylor Swift : « Les détracteurs vont détester… Je vais juste passer outre. » Le plus souvent, mon histoire incite les autres à parler de leur propre expérience de la maladie mentale, la leur ou celle de leurs proches, ce qui suscite des questions bienveillantes et pertinentes sur mon vécu. La plupart des gens sont gentils et manifestent une curiosité sincère. Le fait de raconter mon histoire est une expérience globalement positive qui m’a beaucoup apporté.
Auteure: Jessica Ward-King, BSc, Ph. D., est une militante de la santé mentale qui combine une expertise universitaire et une expérience vécue. Elle signe régulièrement des articles publiés dans Le Vecteur.
Illustrateur: Kasia Niton – https://sunnystreet.studio/ Instagram: @sunnystreet.studio