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Le VecteurConversations sur la santé mentale

Qu’est-ce qui arrive quand une personne qu’on aime sombre dans les abîmes de la maladie mentale?

C’est la question que pose Stephanie Kain en couverture de son roman-mémoire Lifeline: An Elegy (ECW Press, octobre 2023). Kain répond à cette question et à une foule d’autres, dans plus de 210 pages de prose, d’échanges de textos, de nouvelles et d’essais.

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Veuillez noter que cet ouvrage est disponible en anglais seulement.

Son ouvrage détonne par son format fragmenté qui reflète le cheminement laborieux de l’autrice face à un système de santé qui craque de toutes parts, à ses propres préjugés et perspectives, à la maladie mentale d’une personne proche et aux défis du quotidien durant la phase d’urgence de la pandémie.

Les dynamiques amoureuses, amicales et familiales sont nommées et commentées avec un humour pince-sans-rire et mises en relief par des références à la culture populaire (avec des citations de Shawn Mendes, Sara Bareilles, Mumford & Sons et autres).

Par exemple, dans Lifeline, le fait de réclamer des soins est rebaptisé d’après le personnage de Shirley MacLaine dans Tendres passions. Dans une scène mémorable de ce film, on voit le personnage de MacLaine livrer une supplication désespérée pour que l’infirmière administre l’injection d’antidouleurs dont sa fille a besoin. Elle finit par avoir gain de cause, et le ton et le volume de sa voix changent drastiquement. « Merci », souffle-t-elle à l’infirmière, bouleversée.

Kain aussi a été confrontée à cette dure réalité. Son récit porte sur sa relation compliquée avec une femme ayant un diagnostic de dépression et d’idées suicidaires. Elle parle des conditions abjectes de son pavillon sécurisé, de la puissante médication, de la difficulté de soutenir une personne souffrant des séquelles d’une thérapie électroconvulsive, et de son propre bien-être. Professeure en création littéraire à l’Université d’Ottawa, l’autrice séjourne à l’Î.-P.-É., province qui joue un rôle de premier plan dans son cheminement.

Le ton est vivant et accrocheur, et la représentation des frustrations et des réalités qui accompagnent le fait d’aider un proche vivant avec la maladie mentale est honnête et profonde, mais exempte de jugement et de stigmatisation, deux obstacles pouvant empêcher les gens de demander des soins.

L’insomnie est un personnage présenté comme un enfant adulte qui revient à la maison pour sa quarantaine; on ne peut pas l’expulser, même s’il se montre insupportable.

Le chapitre intitulé Eight Things I’m Putting in Your Care Package présente les réflexions de l’autrice qui justifie chacun des articles choisis.

Stylos multicolores : Le bleu et le noir sont carrément déprimants, et comme tu détestes tous les crayons à mine qui ne sont pas de première qualité, je ne prendrai même pas la peine de t’en envoyer. À la place, tu pourras dessiner avec des stylos multicolores sans poser de jugement sur toi-même et ton travail, parce que personne n’attend d’un dessin fait avec des stylos multicolores qu’il soit bon. Ces dessins ne servent qu’à passer le temps.

Tu l’as peut-être oublié en raison de ta #dépression, mais la dernière fois que tu étais ici, tu as réalisé une œuvre dans l’atelier d’art, avant de passer une demi-heure à la critiquer. J’ai fini par te crier que tu étais dans un hôpital psychiatrique et que l’art créé ici n’avait pas besoin d’être bon, que c’était peut-être là le problème!               

Le livre m’a fait réfléchir au portrait qu’on dresse de la maladie mentale dans la fiction contemporaine. Le magazine de la Commission de la santé mentale du Canada, Le Vecteur : Conversations sur la santé mentale s’intéresse à ce sujet dans sa section Représentations. On s’y penche sur des récits populaires en lien avec le bien-être mental pour marquer leur évolution. Si vous avez vu Vol au-dessus d’un nid de coucou ou Treize raisons, vous savez qu’il y a place à amélioration en ce qui concerne les nuances, les représentations honnêtes et les idées erronées.

Pour rédiger cet article, je me suis inspirée d’une série parue dans The Walrus qui revenait sur certaines œuvres classiques problématiques. Ce réexamen faisait la lumière sur les changements qui se sont opérés dans la société et dans la littérature. L’autrice Myra Bloom se penche sur le côté sombre de Leonard Cohen en examinant les stéréotypes dans Beautiful Losers sous une nouvelle lumière, au moyen de réflexions sur le mythe du génie et de ce que l’historien Martin Jay appelle « l’alibi esthétique », parfois utilisé pour justifier de mauvais comportements. Au sujet de L’insoutenable légèreté de l’être, Amanda Perry affirme : « À l’âge de 17 ans, je supposais encore que les phrases belles étaient vraies et je voyais les personnages comme des guides dans ma vie. » Perry s’interroge sur « les auteurs masculins dont les mots ont façonné [son] esprit » et se demande « s’il serait le temps de s’en défaire ».

Stephanie Kain

Stephanie Kain

En lisant ces phrases, je revois les représentations de la santé mentale qui peuplent mon imaginaire. J’ai grandi en écoutant la musique des Ramones, dont plusieurs chansons tournent le bien-être mental en ridicule (I Wanna Be Sedated : je veux des tranquillisants; Go Mental : devenir fou; Mental Hell : enfer psychologique; I Wanna Be Well : je veux aller bien – de quoi monter toute une liste de lecture), sans parler de l’obsédant vidéoclip de la pièce Psycho Therapy. Je repense à Sylvia Plath, qui était, comme nous le sommes tous, un produit de son époque. En relisant La cloche de détresse, je vois son œuvre comme une étude de cas sur l’autostigmatisation et la stigmatisation structurelle. Des termes qui n’étaient pas employés à cette époque. Nous sommes mieux renseignés aujourd’hui.

Les portraits problématiques dans les médias de masse ne disparaîtront pas : des images sensationnalistes et romancées sont souvent utilisées pour propulser l’arc narratif. Toutefois, le rôle prépondérant que joue la culture populaire dans la compréhension et la représentation de la santé mentale peut faire de livres comme Lifeline des ouvrages particulièrement pertinents, qui racontent le soutien à prodiguer à une personne vivant avec la maladie mentale et illustrent les hauts et les bas, les contradictions, les formes et les textures de ce parcours quotidien.

« La guérison n’est pas un processus linéaire, ma chérie », écrit l’autrice. Et elle fait ingénieusement écho à cet énoncé au moyen de sauts dans le temps, en tentant d’imaginer le moment où la personne qu’elle aime tant ira mieux.

Veuillez noter que cet ouvrage est disponible en anglais seulement.

Autres lectures : Éliminer la stigmatisation, sauver des vies.

Ressource : Une vision pour des soins de santé mentale de qualité pour tous.

Auteure:

Fateema Sayani

Une habituée des organismes à vocation sociale, ainsi que des salles de presse, où elle a passé plus de 20 ans aux commandes de nombreuses activités, de la stratégie à la collecte de fonds. Ses écrits, qui couvrent une foule de sujets allant des politiques à la culture populaire, sont parus dans des publications de premier plan à la grandeur du Canada et lui ont valu des prix pour ses reportages sur la justice sociale. Forte de ses diplômes, de ses certificats et de ses activités bénévoles, elle s’est donné pour mission de changer l’image des communautés sous-représentées. Malgré son horaire chargé, elle trouve encore le temps de se plonger dans la scène musicale canadienne.

Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

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