Le VecteurConversations sur la santé mentale
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Florence K. – musicienne, mère, animatrice à la CBC et candidate au doctorat – aborde le thème de la Semaine de la santé mentale de cette année et partage son histoire sur les défis liés à la santé mentale, le bien-être et la découverte.
La phrase qui m’a le plus marquée de l’histoire du cinéma est le célèbre « Life is like a box of chocolate… you never know what you’re gonna get » prononcé par Forrest Gump depuis son banc de parc à Savannah. J’avais 12 ans lorsque j’ai vu le film et déjà, je savais que quelque part, ces paroles disaient la vérité.
Dès mon jeune âge, je me voyais suivre un chemin que dans ma tête j’avais tracé des centaines de fois pendant mon adolescence : celui qui me mènerait vers une fructueuse carrière de chanteuse, et j’ai tout fait en mon pouvoir pour que ce rêve devienne réalité. À l’adolescence, puis comme jeune adulte, j’ai passé des auditions, participé à des concours, suivi des cours de perfectionnement, accepté des contrats dans des bars miteux, joué dans des boîtes de nuit à Atlantic City et à Casablanca, chanté à des messes, joué du piano pendant des années dans un restaurant du Vieux-Montréal. Bref, aucun public, aucune scène n’étaient à mon épreuve, car ils me garantissaient un pas de plus vers mon rêve.
Je voulais briller sur scène, être couverte par l’amour des gens, montrer ce que j’avais à offrir, être le centre de l’attention, transformer mes émotions brutes en notes de musique pour les sortir de mon être. Et sans même en prendre conscience, je souhaitais fort probablement combler ce que j’appelle aujourd’hui mon « trou intérieur ». À l’époque, une ère où le terme « santé mentale » ne faisait certainement pas les manchettes, je n’avais pas de mots pour définir ce trou. Il me faisait l’impression d’un sentiment de vide alimenté par des pensées négatives envers moi-même, voire autodestructrices, qui m’avaient même menée à avoir de l’idéation suicidaire à l’âge de quatorze ans, à la suite d’une rupture amoureuse. Mais jamais je n’aurais pu penser qu’il s’agissait là de quelque chose qui n’était pas « normal ». Que ça n’était pas la réalité de tout le monde. Que ce trou portait un nom et qu’il y avait des solutions pour le parer.
À l’adolescence, cette solution était composée de partys, d’alcool et de drogues, puis vers mon jeune âge adulte, de la scène. Mais quoi que j’en fasse, le trou continuait à grandir avec moi, sournoisement, subtilement, sans que je ne remette en question sa présence. Je le tassais du revers de la main lorsqu’il prenait trop de place, en me concentrant sur ma carrière. À 23 ans, au même moment où mon premier album, Bossa Blue a été certifié disque d’or, je suis devenu maman. Mon trou s’est recouvert pendant un temps, durant les premières années de ma maternité, enivrée de bonheur que j’étais par la présence de ma merveilleuse petite fille.
Puis, après une première tournée, j’ai rapidement enchaîné l’enregistrement d’un deuxième, puis d’un troisième album, les deux suivis d’autres séries de spectacles et de campagnes de promotion. Je ne pouvais demander mieux : mon grand rêve était désormais réalité. Mon équipe entrevoyait pour moi un succès international et mes ambitions correspondaient aux leurs. Mais parallèlement, je sentais mon trou intérieur se rouvrir tranquillement. La relation avec le père de ma fille s’effritait, je souhaitais le quitter, mais je n’y arrivais pas, rongée par la culpabilité à l’idée de briser le nid que l’on avait construit pour la petite. J’avais désormais deux univers : le premier sur la scène, qui devenait une dépendance, et le deuxième, en couple, où j’avançais à reculons. Cette culpabilité anticipatoire d’une éventuelle rupture commençait à m’engloutir, à m’aspirer dans une spirale de pensées persécutrices envers moi-même. Je me détestais, je m’en voulais, j’avais peur, je souffrais en silence, car j’avais honte de me sentir de la sorte au moment où tant de gens sur cette terre vivaient dans des pays en guerre alors que moi, mon frigo était plein, ma fille était en santé, j’avais des amis, de l’argent, et un travail que j’adorais. J’ai commencé à perdre ma concentration, à continuellement disparaître dans mes pensées, à perdre du poids, à perdre des cheveux, et surtout, à perdre mon sommeil. L’insomnie a été le point de départ vers l’enfer qui a habité ma tête durant les huit mois qui suivirent. Des nuits entières à sentir mes doigts trembler, à regarder le cadran dans l’angoisse, à m’attraper le crâne avec les mains en le suppliant d’y laisser entrer un peu de tranquillité.
Mon entourage a commencé à s’inquiéter. Je n’arrivais plus à m’occuper de ma fille. J’avais demandé à son père de partir et il m’avait pris au mot, disparaissant complètement de la vie de son enfant de cinq ans. Elle a été prise en charge par mon père, ma mère et ma belle-sœur. L’important était de lui fournir un cadre, de l’entourer, de continuer à lui offrir tout ce dont un enfant a besoin pendant que sa maman essayait d’aller mieux. Je n’y suis pas arrivée toute seule. Au point où j’en étais, c’était impossible. Je mettais mon plus beau sourire, le plus faux, pour monter sur scène avec le peu de voix qu’il me restait. Je m’accrochais à cette sphère de ma vie, l’unique endroit où j’étais encore capable de donner quelque chose, pendant 90 minutes, trois fois par semaine.
Mais la maladie m’a rattrapée. La suite a été une enfilade d’idéation et de comportements suicidaires, d’essais-erreurs de médication, de séjours à l’urgence, le tout sous le regard complètement désemparé de mes proches. Ils n’étaient pas équipés pour faire face à un tel tourbillon et la santé mentale était encore si mal expliquée en 2011 qu’ils ne comprenaient eux‑mêmes pas tout à fait ce qui s’était emparé de leur fille, de leur sœur, de leur amie. C’est finalement à bord d’une ambulance, escortée par deux policiers, que j’ai été emmenée une dernière fois à l’urgence, d’où on m’a finalement hospitalisée.
Les semaines suivantes ont été fort difficiles, mais salvatrices. C’est en psychiatrie que j’ai enfin saisi que j’étais réellement malade. Mais aussi que je n’étais pas seule; je me sentais comprise et entourée par les autres patients. Avec un ajustement de médication, puis grâce à la psychothérapie, j’ai repris du mieux au fil des années. C’est au bord d’une rechute, en 2017, que je suis retournée voir un psychiatre, qui m’a donné un diagnostic de trouble bipolaire de type II. Ce diagnostic a été un cadeau : je pouvais finalement m’expliquer ce qu’était ce trou intérieur avec lequel je vivais depuis mon adolescence. Mettre des mots dessus, et identifier les symptômes, les facteurs de déclenchements, les outils et les ressources qui pouvaient m’aider.
Cette quête vers l’équilibre m’a infusé une énorme fascination pour le cerveau et le comportement humain. Et cette passion est devenue le moteur de mon retour sur les bancs d’université où j’ai d’abord effectué un certificat en psychologie, une maîtrise en santé mentale, puis un baccalauréat en psychologie pour enfin être acceptée au doctorat en psychologie. Mon sujet de thèse s’inspire de mon histoire puisqu’elle porte sur les liens possibles entre la créativité et le trouble bipolaire.
Aujourd’hui, je suis fière de mon parcours. Il a été tortueux, inattendu, chargé et j’ai failli plus d’une fois y laisser ma peau. Mais il m’a aussi fait découvrir des trésors cachés au fond de moi‑même dont jamais je n’avais auparavant soupçonné la présence. Même si je vis avec un trouble mental chronique, ma santé mentale est excellente. Je m’occupe de mon équilibre, et j’ai appris à reconnaître et écouter les signaux d’alarme qui pourraient m’emmener dans des eaux plus troubles. Auprès de mon mari et de mes deux merveilleuses filles, ainsi qu’accompagnée de ma passion pour mon domaine d’étude, je suis aujourd’hui comblée. Et s’il m’arrivait un jour de croiser Forrest Gump dans la rue, je lui dirais tout simplement la chose suivante : « Forrest, you were ab-so-lu-te-ly right! »
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