Le VecteurConversations sur la santé mentale
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Oui, moi.
Les raisons pourquoi ma maladie mentale me classe dans la catégorie des personnes en situation de handicap au sens de la Loi sur l’équité en matière d’emploi
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Le 3 décembre marque chaque année la Journée internationale des personnes en situation de handicap, décrétée par les Nations Unies pour promouvoir les droits et le bien-être de ces personnes.
Je vis avec un trouble bipolaire, une maladie psychiatrique chronique caractérisée par des variations extrêmes de mon humeur, de mon énergie, de mon niveau d’activité et de mes facultés cognitives. Malgré ces fluctuations radicales d’humeur et d’énergie, je fonctionne assez bien dans la vie comme au travail, où j’occupe un poste de niveau supérieur dans l’économie du savoir. Il faut dire que j’ai mis au point divers mécanismes d’adaptation, comme le masquage, pour compenser ces sautes d’humeur et me donner l’impression d’être « normale ». Mais la plupart du temps, la bataille est rude et j’ai l’impression de devoir faire deux fois plus d’efforts que n’importe qui d’autre pour être efficace. J’ai même dû changer d’orientation professionnelle et modifier mes objectifs à cause de ma difficulté à gérer ce trouble de l’humeur.
Tout au long de ma vie, j’ai lutté, pensant que je vivais un « problème personnel », et que je devais changer ma façon d’interagir avec le système pour réussir. Je me suis épuisée à essayer de trouver ma place dans un système conçu pour l’égalité – un objectif louable mais qui, tout compte fait, me désavantageait en raison de ma maladie mentale.
Une belle révélation
C’est alors que j’ai découvert la Loi sur l’équité en matière d’emploi (LEE). L’objectif général de la Loi est de réaliser l’égalité en milieu de travail afin que les travailleurs ne se voient pas refuser des perspectives d’emploi ou des avantages en raison de leur identité ou de leur niveau de capacité. En outre, la Loi vise à « corriger les désavantages subis, dans le domaine de l’emploi, par les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les personnes qui font partie des minorités visibles ». (J’accentue les termes en italiques.)
Pour moi, un handicap, ça a toujours été quelque chose de physique. Comme le fameux symbole. Des rampes pour les fauteuils roulants permettant d’accéder aux bâtiments, ou même des lecteurs d’écran pour les personnes malvoyantes ou non voyantes, d’accord, mais une maladie mentale? En fouillant de façon plus approfondie dans cette Loi, j’ai trouvé ce passage :
« Une personne en situation de handicap est une personne qui a une déficience durable ou récurrente soit de sa capacité physique, mentale ou sensorielle, soit d’ordre psychiatrique ou en matière d’apprentissage et qui :
- considère qu’elle est désavantagée en matière d’emploi en raison de cette déficience;
- pense qu’elle risque d’être considérée comme étant désavantagée par son employeur ou d’éventuels employeurs en raison de cette déficience.
La présente définition vise également les personnes dont les limitations fonctionnelles liées à leur déficience font l’objet de mesures d’adaptation pour leur emploi ou dans leur milieu de travail. »
Voilà qui est logique. En fait, cela décrit mon expérience professionnelle à la lettre. Ma maladie mentale me donne donc le statut de personne en situation de handicap? Qu’est-ce que cela signifie concrètement?
Il y a quelques aspects à éclaircir à ce propos.
La stigmatisation et les étiquettes
Tout d’abord, il y a la stigmatisation associée aux étiquettes comme celle de personne « handicapée ». Cette stigmatisation est enracinée dans le capacitisme, une attitude par laquelle les personnes non handicapées sont considérées et traitées comme des personnes « normales » et les personnes handicapées comme étant d’une certaine manière inférieures ou « autres ». Cette stigmatisation, que j’ai résumée plus haut comme un « problème personnel » (autostigmatisation), a remis en question mon image de moi-même en tant que personne capable et employée compétente. Elle m’a également fait craindre que, si je m’identifiais comme une personne en situation de handicap, les gestionnaires hésiteraient à m’embaucher en raison de cette stigmatisation à mon égard et de la peur de devoir travailler avec quelqu’un de différent.
Les désavantages
Pourquoi faire l’effort de surmonter la stigmatisation que je m’impose à moi-même, risquer la stigmatisation des autres et choisir de m’identifier comme personne en situation de handicap et de le déclarer publiquement? En raison des désavantages que ma santé mentale me cause sur le plan de l’emploi. Le fait de vivre avec un trouble bipolaire peut me donner du fil à retordre pour accomplir mon travail à l’intérieur d’un système de travail uniformisé. Le fonctionnement de mon cerveau et de mon corps lorsque je traverse un épisode de troubles de l’humeur peut limiter ma capacité à réussir. J’ai la conviction que ces limitations fonctionnelles causées par ma maladie mentale m’empêchent d’atteindre mes objectifs professionnels et de progresser dans ma carrière.
Ce n’est pas un problème personnel
La LEE ne se borne pas à reconnaître l’existence d’une barrière ou d’un désavantage, mais va plus loin : les aménagements, qui stipulent que « l’équité en matière d’emploi requiert, outre un traitement identique des personnes, des mesures spéciales et des aménagements adaptés aux différences ».
Grâce à diverses mesures d’adaptation au travail, j’ai découvert que je pouvais réaliser mon potentiel et exceller dans mon emploi. Ces aménagements sont des ajustements physiques, temporels et sociaux apportés à mon environnement et aux processus de travail qui m’aident à répondre aux attentes. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’au lieu que mes limitations désavantageuses soient un « problème personnel », elles deviennent un problème systémique pour lequel le système doit faire de la place et offrir des solutions.
À quoi peuvent ressembler les aménagements?
Le secret consiste à reconnaître ses limitations fonctionnelles et à déterminer les modifications qui permettraient de surmonter ces contraintes. Ainsi, si un nouveau médicament me rend très somnolente le matin, il pourrait être avantageux de modifier mes horaires de travail pour commencer plus tard. Si le fait de travailler au bureau me demande trop d’énergie pendant un épisode dépressif, peut-être serait-il préférable que je travaille à la maison. Si ma motivation ou ma capacité à prendre des décisions sont réduites, des directives plus fréquentes et plus structurées de la part de mon patron ainsi que des échéanciers légèrement plus souples pourraient être nécessaires. Si j’ai du mal à me concentrer lors de la lecture de documents complexes, un lecteur d’écran pourrait m’aider.
Quelle que soit la limitation fonctionnelle, il existe souvent un aménagement qui m’aidera à surmonter et à compenser le désavantage causé par mon handicap. De plus, mon employeur est en fait assujetti à une obligation d’adaptation, ce qui signifie qu’il ne peut pas refuser un aménagement raisonnable jusqu’à un point de contrainte excessive. L’objectif est d’aplanir les disparités pour tout le monde – et non de conférer un avantage – dans un contexte où on vise l’équité, qui diffère de l’égalité.
La représentation et le changement de perspective
La LEE comporte un ultime élément, qui est très important. Il vise à corriger la sous-représentation des membres de groupes désignés dans le milieu de travail. Cela signifie que la Loi encourage et aide les employeurs à embaucher et à maintenir en poste des membres des groupes désignés, notamment les personnes en situation de handicap, afin de compenser les obstacles systémiques qui ont empêché ces personnes de participer pleinement à la vie active.
La stigmatisation et les attitudes capacitistes perdurent dans la société et dans le monde du travail, mais la LEE me procure le cadre législatif – et le courage – de défendre mes intérêts. Cette Loi m’a permis de m’affirmer et d’expliquer sans détour quels sont les outils et les conditions dont j’ai besoin pour réussir au travail en tant que personne vivant avec une maladie mentale. En fin de compte, cela fait de moi une meilleure employée, en faisant en sorte que je sois toujours en mesure d’exploiter pleinement mon potentiel et de contribuer au succès de mon organisation.
Lecture complémentaire : La santé mentale au travail, ça compte. Comment engager la conversation.
Ressource : Une vision pour des soins de santé mentale de qualité pour tous.
Author: Jessica Ward-King, (B. Sc., Ph. D.), alias « StigmaCrusher » (ou pourfendeuse de préjugés), est une militante de la santé mentale et une conférencière qui possède un rare bagage alliant expertise scientifique et expérience vécue.
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