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Le VecteurConversations sur la santé mentale

La Semaine de la santé mentale de l’Association canadienne pour la santé mentale aura lieu du 5 au 11 mai. Le thème de cette année est #SantéMentaleSansMasque, une invitation lancée à toute la population canadienne à ne pas s’arrêter à la surface et à regarder la personne dans son ensemble.

Vous connaissez peut-être la chanson au sujet d’Eleanor Rigby.

« Elle garde le visage qu’elle garde dans un pot près de la porte. C’est pour qui? »

Dans cette chanson classique qui traite de la solitude, les Beatles résument magnifiquement ce que représente le fait de vivre avec une maladie mentale. Quand je traverse un épisode de trouble bipolaire, je porte toujours mon masque avant de sortir. Souvent, dans un sens littéral. Je me maquille minutieusement pour offrir au monde le visage de l’adaptation et du professionnalisme (trait de crayon ailé pour des yeux brillants! Fard rose sur les joues pour avoir l’air en bonne santé!). Lorsque je sors de chez moi, j’adopte l’attitude et le ton des personnes que je côtoie, je fournis un effort mental énorme pour penser aux gestes qui me feront paraître « normale ».

Ce masque donne l’impression que « je vais bien » quand, à l’intérieur, rien ne va plus. Quand je rentre chez moi le soir, j’enlève la peinture qui recouvre mon visage et je la regarde s’écouler et disparaître dans le drain du lavabo comme si c’était la métaphore de mon épuisement. Ensuite, je m’écrase sur mon lit, sans force.

Selon moi, cette année, le thème de la Semaine de la santé mentale est un appel à l’action. Quand on démasque l’état psychologique réel, on crée les conditions nécessaires pour réduire la stigmatisation, promouvoir la compréhension et éliminer la discrimination à l’endroit des personnes vivant avec une maladie mentale.

Se masquer : qu’est-ce que ça signifie? Qui y a recours et pourquoi?

Selon Autisme Canada, se masquer, ou « se camoufler », consiste précisément à essayer de se comporter conformément aux attentes de la société, en supprimant des symptômes ou des traits de caractère. C’est un concept qui a été le plus étudié dans le contexte de l’autisme et du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Il est lié à l’idée de « dépression souriante », terme familier désignant les personnes qui affichent un sourire pour dissimuler leurs sentiments profonds.

Zachary Houle vit avec l’autisme et la schizophrénie. Il souligne que l’autisme est de plus en plus célébré dans les médias (on parle même d’« autisme chic »), mais que les représentations médiatiques peuvent masquer la réalité et la complexité des maladies.

« Dans le cas de la schizophrénie, les gens pensent immédiatement que je suis un meurtrier à la hache ou que je suis dangereux et violent, explique-t-il. Il est plus facile de faire semblant d’être normal que d’aller au bureau en sachant que je vais me faire harceler, ce qui s’est déjà produit. »

M.Houle note que beaucoup de choses ont changé depuis le moment où il a reçu son diagnostic, il y a une vingtaine d’années. Il travaille maintenant dans un milieu très progressiste et compréhensif, mais il continue de porter son masque chaque jour, c’est une seconde nature.

Et il n’est pas le seul dans cette situation. Selon un sondage réalisé en 2023 par Benefits Canada, 45 % des employés canadiens atteints d’autisme sentent que, au travail, ils doivent dissimuler les traits qui trahiraient leur autisme.

Tanya Lepine-Darwiche, une femme qui s’identifie comme vivant avec le trouble du spectre de l’autisme et qui éprouve de l’anxiété, partage cet avis. « Je porte un masque pour pouvoir entrer dans une pièce et exprimer mon opinion sans que l’on me juge parce que je suis neurodivergente, dit-elle. C’est comme faire un spectacle. » Elle note qu’il est plus difficile d’entretenir des relations sociales lorsqu’elle ne porte pas de masque. « C’est ce que je dois faire pour être socialement acceptable. »

Comme le notent M. Houle et Mme Lepine-Darwiche, il est très utile de se masquer pour promouvoir l’interaction sociale et se protéger, mais cela ne va pas sans en payer le prix : épuisement et isolation.

J’aimerais me montrer vulnérable avec les gens, leur montrer à quel point je leur fais confiance mais, au travail en tout cas, je ne pense pas pouvoir y arriver », déclare M. Houle. Mme Lepine-Darwiche explique que le fait de passer toute une journée avec un masque a eu des effets sur sa vie personnelle. En rentrant chez elle, elle avait besoin de faire une sieste de trois ou quatre heures pour refaire le plein d’énergie. « C’était vraiment difficile pour moi et pour mes relations avec ma femme et ma famille, jusqu’au jour où j’ai compris que toute mon énergie passait à faire tenir le masque », confie-t-elle.

Pourquoi le fait de se masquer nuit-il au traitement

Si vous « excellez » dans l’art de vous masquer et que vous continuez à bien fonctionner, cela peut vous amener à minimiser l’importance de vos symptômes. En fait, votre masque vous leurre vous-même, tout comme il leurre votre professionnel de la santé. Vous recevez donc un diagnostic et un soutien qui ne sont pas à la mesure de vos difficultés. C’est exactement ce que M. Houle et Mme Lepine-Darwiche ont vécu.

Quand on se masque, on ne reçoit pas tout le niveau de soutien social dont on aurait besoin. Par exemple, quand vous répondez « ça va bien », votre entourage ne peut pas deviner que vous auriez besoin d’un coup de pouce.

Dans une étude Ipsos réalisée en 2019 auprès de travailleurs canadiens, 76 % des répondants ont affirmé qu’ils seraient tout à fait à l’aise de côtoyer un collègue vivant avec une maladie mentale et qu’ils le soutiendraient, mais encore faudrait-il qu’ils le sachent.

Le critère « haut niveau de fonctionnement » ne fait partie d’aucun diagnostic, mais c’est un terme qui reflète la réalité de nombreuses personnes. Il est possible que l’on soit incapable de sortir du lit ou d’aller travailler quand on souffre d’une maladie mentale grave, mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. M. Houle, Mme Lepine-Darwiche et moi-même pouvons le confirmer : nous fonctionnons correctement même lorsque nos symptômes sont aigus. Même mon psychiatre a fini par comprendre que ce n’est pas parce que je suis maquillée et en tenue de travail que je vais bien.

Jessica Ward-King

Jessica Ward-King publie sous le nom de « The StigmaCrusher » [la pourfendeuse de préjugés] pour sensibiliser ses lecteurs aux questions de santé mentale. De son point de vue, le thème de la Semaine de la santé mentale nous donne l’occasion de parler du masque et des différentes formes qu’il prend dans une variété de contextes sociaux, et nous invite à nous démasquer. Et parfois, on se masque littéralement : on peint sur son visage un masque disant « je vais bien », puis on l’essuie à la fin de la journée.

Stigmatisation, divulgation et masque

La stigmatisation – sous toutes ses formes – pèse beaucoup dans la balance quand on décide de porter un masque. Selon le sociologue Erving Goffman (1922-1982), les personnes neurodivergentes ou vivant avec une maladie mentale font un effort concerté pour dissimuler leurs symptômes, ou pour être « discréditées » par les autres. Même maintenant, à l’heure où nous parlons de plus en plus couramment de santé mentale, de nombreuses personnes hésitent à parler de leur vécu. Toujours dans la même étude Ipsos réalisée en 2019, 75 % des personnes interrogées ont dit qu’elles hésiteraient à parler de maladie mentale à leur employeur ou à un collègue, ou refuseraient de le faire, par peur de la stigmatisation et de la discrimination.

Goffman et d’autres auteurs ont noté que la plupart des gens portent un masque dans leur vie quotidienne. Ils essayent de se présenter d’une certaine manière dans certaines circonstances, comme dans les médias sociaux ou au travail. Cependant, se présenter sous son meilleur jour n’est pas la même chose que porter un masque car, dans ce dernier cas, l’objectif est de supprimer une partie essentielle de son identité.

Par exemple, je vis ce dilemme dans un autre contexte – en tant que lesbienne, je dois constamment choisir de divulguer (« coming out » ou « sortie du placard ») ou pas mon identité, selon les situations. Ainsi, dans une conversation, je peux utiliser un langage neutre pour éviter de parler du fait que je partage ma vie avec une femme, mais alors je ne me montre pas sous mon vrai jour.

C’est pareil quand je choisis de parler (ou pas) de ma maladie mentale. Est-ce que je montre ma vulnérabilité aux autres, ou pas? C’est une décision que je dois constamment prendre, et qui dépend de la situation, des personnes en présence, du fait que je me sens ou pas en sécurité, et de mon instinct quant aux conséquences plus ou moins négatives que pourrait avoir une « sortie du placard ».

L’œuf ou la poule

Si la stigmatisation n’existait pas, il serait inutile de porter un masque, mais pour réduire la stigmatisation, les personnes qui ont une expérience vécue de la maladie mentale doivent se lier à d’autres êtres humains – alors qu’est-ce qui vient en premier?

Si l’éducation, les campagnes de sensibilisation, les journées de commémoration et les articles comme celui-ci ont une certaine efficacité, le contact interpersonnel est essentiel selon une étude publiée en 2021 dans Society and Mental Health.

Pour ce faire, il faut toutefois que les personnes ayant une expérience vécue se démasquent, une personne et une situation à la fois. Autrement dit, il faut réduire la stigmatisation pour permettre aux gens de se sentir en sécurité et de se démasquer, mais il faut aussi que les gens révèlent leur maladie mentale et se démasquent pour réduire la stigmatisation. L’œuf ou la poule.

Pour briser ce cercle vicieux, on peut compter sur les alliés. Ils peuvent créer les conditions dans lesquelles on se sent suffisamment en sécurité pour parler de nos difficultés et se confier au sujet de la neurodivergence et de la maladie mentale. 

Selon moi, cette année, le thème choisi à l’occasion de la Semaine de la santé mentale est un appel à l’action, une invitation à me montrer tel que je suis, tantôt très fonctionnelle et performante, et tantôt pas.

Il s’agit aussi de ne pas dépenser toute mon énergie à garder un masque parfaitement peint, à ne pas me contenter de dire « je vais bien » pour m’assurer que tout le monde est à l’aise, mais à me sentir libre de dire que j’ai des difficultés si je me sens suffisamment en sécurité pour le faire.

Lorsque je rentre du travail et que je me démaquille, je veux qu’il me reste assez d’énergie pour ma famille, mes loisirs et mon bien-être.

À l’extérieur de la maison, je veux être dans un monde où je peux retirer mon masque. Je ne pourrai pas braver le monde à chaque fois, dans chaque situation et avec chaque personne, et c’est correct. Le masque peut me protéger lorsque la situation le justifie, mais si je le retire peu à peu, je peux créer des liens authentiques qui permettront aux mentalités d’évoluer.

Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

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