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Le VecteurConversations sur la santé mentale

Guérir et entrevoir les possibilités grâce au patin

Ce récit est le dernier de la série consacrée à la santé mentale pendant les fêtes. Si les festivités de fin d’année peuvent être source de joie, en revanche, elles peuvent aussi éveiller des sentiments de stress et de deuil. Lisez tous les articles pour savoir comment d’autres personnes ont réussi à surmonter ces difficultés.

En 1984, j’ai décidé de rechausser les patins.

J’avais déjà patiné dans l’enfance, mais cette fois-ci, ça allait plus loin. C’était devenu une passion, voire une obsession, après de longues années loin de la glace, après avoir abandonné le sport en raison de tout ce qu’il représentait pour un jeune adepte du punk rock, de la politique, de la rébellion et de l’art. Le sport correspondait au statu quo et était réservé aux sportifs. C’était en quelque sorte « l’opium du peuple » et un lieu où les hommes et les femmes – mais surtout les hommes – se comportaient méchamment. Mais le patinage. Le patinage était différent. Le fait de simplement patiner me permettait un retour facile au sport, sans qu’il n’y ait de contact physique violent ou qu’il ne soit question de compétition.

J’ai fait mes débuts sous les lampadaires du parc Valleyfield à Etobicoke – même le nom avait une consonance réconfortante et bucolique malgré les températures inférieures à zéro – pour ensuite m’aventurer sur d’autres patinoires à travers la ville : Weston, Rosedale, Ramsden, Dufferin Grove, Regent Park. Je parcourais les patinoires de la ville, allant même jusqu’à rédiger un article pour le Toronto Star sur la façon dont on pouvait se déplacer d’est en ouest en glissant sur ses surfaces gelées, un peu comme dans le film The Swimmer avec Burt Lancaster, mais en version hivernale. J’ai acheté une paire de patins usagés, puis une autre, et enfin une toute nouvelle paire de Bauer 300, ne manquant pas de me vanter de ce superbe achat à qui voulait bien l’entendre. 

Au début, je ne pensais pas que le patinage pouvait raviver autant le moral que le physique. Mon corps se mouvait différemment, et ce, dans des cadres nouveaux. Je combattais le froid et le vent, et je transpirais abondamment en bougeant – un concept inédit pour un être habitué à la relative inertie des redressements assis. Le patinage est un exercice qui consiste à se déplacer constamment, en dévorant chaque centimètre de glace. Je n’étais pas le genre de patineur qui mettait en danger les enfants avec ses triples boucles piqués ou qui engueulait les patineurs plus âgés et plus lents qui se mettaient en travers de sa trajectoire – je me sentais complètement zen et détaché du reste du monde. J’étais libre et heureux, même en avançant à une cadence modérée. J’avais très chaud malgré le vent glacial, je sentais mes jambes agréablement fatiguées après avoir sillonné la glace jusqu’à minuit, moment où quelqu’un sifflait pour indiquer que la barrière se refermait.

Pour moi, le patinage unit l’extase des mouvements fluides et la nostalgie de revisiter l’époque lointaine où mon univers s’est compliqué par la contrainte de choisir entre le sport et la musique. J’ai 59 ans maintenant, mais je retrouve toujours ma jeunesse sur la glace, cherchant toujours à grandir et à m’épanouir davantage. En vérité, il s’agit d’un geste teinté de mélancolie, car si tout s’était bien déroulé jadis, je n’aurais jamais arrêté. Comme j’avais rapidement compris qu’être actif me permettait de garder l’équilibre entre les deux oreilles, le patinage a contribué à enrichir mon imagination et ma mémoire. Pourtant, cette activité n’a pas toujours été synonyme de bonheur de jeunesse ni de jubilation sur l’étang gelé. Elle m’a également replongé au cœur de la période la plus difficile de ma vie.

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Lorsque le moment de rédiger un autre livre est survenu en 2013, mon amour de la glace a fait remonter en moi un souvenir de la septième année à l’école Dixon Grove Junior Middle School d’Etobicoke. Cette année-là, j’ai vécu de l’intimidation de la part d’un garçon plus grand et plus costaud que moi, prénommé Roscoe (nom fictif), qui me brutalisait tous les jours après les cours. J’étais beaucoup trop humilié et terrifié pour en parler à qui que ce soit; pourtant, il s’en prenait souvent à moi en pleine cour d’école, à la vue des élèves, du personnel enseignant et des passants. Jamais personne ne s’est arrêté pour se demander pourquoi ce gros gaillard était assis sur son camarade, en train de le frapper derrière la tête. Peut-être que certains d’entre eux ont simplement jugé habituel que des enfants s’amusent de cette façon – cela arrive trop souvent, malheureusement – mais la question à savoir pourquoi aucun enseignant n’est intervenu s’est imposée dans mon esprit, à mesure que je ressassais mes souvenirs. J’ai utilisé tout ce vécu pour m’inspirer dans la rédaction de mon livre Keon and Me, où je raconte l’histoire de cette année-là en alternant les sections : l’une, rédigée à la troisième personne, du point de vue de moi, en tant que gamin de 11 ans, et l’autre, à la première personne, selon ma perspective de quinquagénaire, basé sur le recul que j’ai maintenant. Je suis reconnaissant que le patinage m’ait inspiré cette idée créative, même si elle m’a astreint à revivre le stress, la douleur et la colère qui viennent avec la réminiscence de cette période de ma vie. J’ai tenté de faire œuvre utile en déballant mes souvenirs de cette époque. Toutefois, bien qu’il réveille des vérités crues enfouies le passé, le sentiment de nostalgie nous amène souvent à célébrer ce qu’il y a de meilleur dans la jeunesse, la simplicité et la nouveauté. 

Même si le patinage – et le hockey (deux ou trois fois par semaine depuis trente ans) – s’avère une excellente façon de continuer à faire de l’exercice, il s’agit aussi d’un espace où je me rends pour plonger dans mes pensées. Dans un contexte si peu contraignant, bien des gens ont le réflexe de ruminer leurs pensées, mais pour ma part, le fait de bouger et de jouer me fait sentir libre et inspiré. La bouffée d’air frais que me procure le froid d’une patinoire extérieure ou d’un aréna fait en sorte que ma tête se libère et je ne pense à rien d’autre qu’au plaisir de jouer. Les éclairs d’inspiration pour des chansons ou des histoires, des mélodies ou des récits surgissent ainsi lorsque je suis sur la glace ou tout juste à côté, assis sur le banc en attendant mon tour pour jouer ou en train de me préparer pour la mise au jeu. La balle molle, le tennis, le golf, le basket-ball… j’ai pratiqué toutes ces activités. Mais aucune d’entre elles n’a suscité ou fait naître de nouvelles idées comme l’a fait le hockey. Je pense que chaque personne a son propre moteur– qu’il s’agisse de jouer du violoncelle, tricoter, faire du vélo, classer ses albums par ordre alphabétique – et pour moi, c’est ce qui fonctionne le mieux. Je suis très heureux de l’avoir trouvé, et reconnaissant qu’il m’ait trouvé.

Je ne patinerai pas toute ma vie; personne ne le fait. Mais alors que la plupart des gens se désoleront de tourner la dernière page du calendrier en fin d’année – d’autant plus en période de COVID-19, où la noirceur et le froid de l’hiver sont de mauvais augure pour les gens qui doivent éviter les regroupements intérieurs afin d’éviter les risques d’infection – moi, je me réjouirai de l’arrivée du froid, car, à mes yeux, son apparition signifie le retour de la glace et du plaisir de jouer. Le sol va geler et de la fumée s’élèvera au-dessus des cabanes abritant les patineurs.

Et je serai là, en train de patiner.

Auteur: est membre fondateur de Rheostatics, l’auteur de 13 livres, trois fois lauréat du National Magazine Award, et l’éditeur du journal West End Phoenix, à Toronto.
Voici d’autres ressources pour favoriser votre bien-être pendant les êtes :
Comment redonner (ou demander de l’aide) durant la période des fêtes (Commission de la santé mentale du Canada)
Cinq façons de protéger votre santé mentale durant le temps des Fêtes (Association canadienne pour la santé mentale)
Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

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