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Le VecteurConversations sur la santé mentale

En vedette : Carole Shankaruk, Kellie Garrett et Cheryl Fraser, membres du conseil d’administration de la CSMC

Il est tentant de croire que l’on connaît une personne en se fiant à ses réussites scolaires, ses réalisations professionnelles ou ses dons philanthropiques. Mais quand on lève le voile, on découvre parfois des épreuves et des souffrances qui disent une histoire bien plus complexe qu’une note biographique de quelques phrases.

Notre récente conversation virtuelle avec trois membres du conseil d’administration de la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) nous rappelle avec éloquence que les réalisations les plus significatives ne sont pas toujours celles qui attirent les éloges de la communauté.

La passion de Carole Shankaruk, Kellie Garrett et Cheryl Fraser pour la santé mentale prend ses racines dans leur cheminement personnel. Ces trois femmes ont puisé dans les moments de noirceur qu’elles ont traversés la volonté d’ensoleiller l’existence des gens qui les entourent.

Militantes par accident

Carole Shankaruk

Carole Shankaruk

Nos trois interlocutrices méditent un instant avant d’entreprendre leur récit qui paraît sans doute bien plus linéaire aujourd’hui que l’étaient les événements qu’il relate.

« Pour être honnête, commence Mme Shankaruk, installée à son domicile près de Winnipeg, je redoutais un peu cette conversation. Revivre des événements passés fait remonter tellement d’émotions douloureuses. »

Mais plutôt que de les enfouir en elle, elle brandit ses mouchoirs et se lance dans les événements qui ont bouleversé sa vie. Comme travailleuse sociale clinique, Carole Shankaruk croyait disposer des outils nécessaires pour affronter les aléas de la maternité.

« Mais lorsque c’est votre propre enfant qui souffre, la théorie n’est plus d’aucun secours. »

Quand son fils Noah avait sept ans, la douleur débilitante qu’il ressentait a été attribuée à la maladie de Crohn, une affection causant une inflammation particulièrement douloureuse de l’intestin.

Quant à Cheryl Fraser, son périple a commencé dès la première année de vie de son fils Jamie. « Il semblait constamment frustré, il ne mangeait pas suffisamment et son développement semblait au ralenti, raconte-t-elle. Les médecins n’ont rien décelé de particulier, mais nous savions qu’il avait besoin d’aide et, surtout, que quelqu’un devait prendre sa défense. »

L’amour (et la culpabilité) d’une mère

Kellie Garrett

Kellie Garrett

L’un des premiers obstacles que Mme Shankaruk a rencontrés est la difficulté à composer avec la douleur de son fils. « Nous avons tout essayé, mais elle perturbait absolument tous les aspects de notre vie. » Elle se souvient du fardeau accablant de la culpabilité qui l’écrasait et qui pèse encore sur ses épaules à ce jour. « Est-ce que j’en ai fait assez? Y a-t-il d’autres interventions que j’aurais pu tenter? »

Entendant cette crainte, exprimée avec hésitation d’abord, Kellie Garrett, mentor auprès de cadres, conférencière et conseillère, l’encourage depuis sa résidence de Regina.

« La fameuse culpabilité! Je ne sais pas si nous, les mères, pouvons nous en libérer totalement. » Mme Garrett a combattu une dépression postpartum non diagnostiquée après la naissance de son deuxième enfant, qui est survenue peu après le décès de sa mère et un déménagement à l’autre bout du pays.

« Je croyais que ce qui m’arrivait, c’était simplement la définition de la maternité, explique-t-elle. Le sentiment d’être épuisée, submergée, isolée… pour moi, c’était une épreuve que toutes les mères devaient traverser. Je venais d’emménager dans une nouvelle ville, alors je n’avais pas d’amies à qui me confier. En plus, mon conjoint n’était pas en mesure de reconnaître mes symptômes, et comme j’ai grandi dans une famille difficile, je n’avais aucun modèle positif dont je pouvais m’inspirer. »

Mme Garrett prend un moment pour maîtriser ses émotions avant de se plonger dans le récit des maladies mentales qui ont affligé sa mère et sa grand-mère. « Ma grand-mère a vécu des souffrances atroces quand son mari a abandonné sa famille. Complètement effondrée, elle a subi plusieurs rondes d’électrochocs, avant de recevoir un diagnostic de trouble bipolaire. De plus, ma mère a été atteinte de dépression majeure tout au long de sa vie adulte. Quand mon fils a commencé à souffrir de dépression, j’ai pensé que c’était son triste legs. J’avais l’impression que le sang qui coulait dans ses veines était empoisonné par ma faute… C’est une pensée obsédante. »

Mme Shankaruk intervient : « Nous nous jetons tellement de blâmes. Pourtant, en faisant cela, en plus d’alimenter la stigmatisation entourant la maladie mentale, nous essayons de faire tourner le moteur alors que le réservoir est à sec. Lorsqu’il est question de maternité, nous subissons de petits et de grands traumatismes, mais nous n’avons pas nécessairement les mots pour les nommer et les outils pour les surmonter. Alors nous persévérons, sans nous rendre compte que nous perpétuons les mêmes préjudices que nous cherchons à éviter à tout prix. »

La culpabilité de Mme Fraser ne se rapporte pas à la maladie de Jamie, mais à son incapacité à le protéger dans l’environnement où il était le plus vulnérable : la salle de classe. Jamie avait toujours eu des difficultés à l’école, exacerbées par ses différences en matière d’apprentissage, sa coordination limitée et sa taille imposante, mais sa sixième année a marqué un point décisif.

« À une fête d’anniversaire organisée pour Jamie, j’ai entendu un de ses amis parler d’un enseignant qui lançait des objets, se souvient-elle. Quand j’ai cherché à en savoir plus, les vannes se sont ouvertes. Les garçons se sont mis à me raconter que leur enseignant obligeait Jamie à lui apporter du café et qu’il lui lançait des brosses à tableau lorsqu’il donnait la mauvaise réponse. J’étais horrifiée. » Nous avons découvert que cet enseignant avait des antécédents de maltraitance envers des élèves ayant des besoins particuliers.

Mme Fraser et son mari ont retiré leur enfant de l’école, mais ils ont dû le changer d’établissement deux fois de plus. En huitième année, Jamie en a eu ras le bol. Frustré par des années d’incompréhension, tant de la part de ses pairs que de ses enseignants, il s’est rendu chez le directeur pour déclarer : « Si vous ne faites rien, je vais me tuer. »

« À ce moment, nous avons dû intervenir directement et prendre le relais, relate Mme Fraser. Jamie avait du mal à faire confiance aux adultes, mais nous avions besoin qu’il fasse confiance à ses parents. Dieu merci, il l’a fait. »

Chez Mme Shankaruk, Noah a retrouvé une certaine joie de vivre au début de l’adolescence. Bien que des vagues de douleur continuaient de l’affliger, il s’en sortait bien au début de l’âge adulte. « Il travaillait et l’avenir paraissait radieux, dit-elle, gagnée par l’émotion. Puis, un jour, sur un chantier, il s’est plaint de ses douleurs à un ami. Sans réfléchir, il a pris la pilule qu’on lui tendait. Celle-ci a soulagé ses symptômes physiques, mais elle a aussi déclenché une dépendance qui allait éclipser la douleur causée par la maladie de Crohn. »

Les décisions que son fils a prises lorsqu’il consommait des substances ont mené à son arrestation et à une comparution en cour. « J’étais terrifiée. Je ressentais tellement de colère face au traitement qu’il subissait. Je tremblais littéralement de la tête aux pieds sous l’effet des émotions que je réprimais. Oui, il avait fait une erreur. Oui, il avait pris des pilules qui modifiaient son comportement et altéraient son jugement. Mais tout un pan de l’histoire était occulté. Pourquoi personne ne prenait-il sa maladie chronique en considération? Pourquoi personne ne voyait-il le portrait de tout ce qu’il avait accompli dans sa vie? Pourquoi le système est-il tellement punitif alors que l’objectif devrait être la réadaptation, ou dans le cas de mon fils, l’intervention médicale? Il est un être humain tellement formidable, mais il a été réduit à un numéro dans un registre de casiers judiciaires. »

« Je suis vraiment désolée, intervient Mme Garrett. Je ne connaissais pas cette histoire. » Toutes deux marquent une pause, comme par solidarité dans le sentier solitaire que tant de mères doivent parcourir avant de trouver un sentiment de paix ou de réconfort.

« Un de mes fils est autiste, reprend-elle. J’ai consacré beaucoup de mon temps à veiller à ses besoins, pendant que mon autre fils s’enfonçait peu à peu dans l’anxiété, quand il était enfant, puis dans la dépression… Je m’en veux qu’il soit tombé entre les craques. »

Les deux femmes se sont jetées à corps perdu dans le travail, un baume sur leurs plaies à un moment où leur vie familiale déraillait. « Je faisais de l’excellent boulot, se rappelle Mme Garrett, et je savais ce que je faisais. Pour la maternité, il n’existe aucun mode d’emploi. Je me sentais comme un rat dans un laboratoire. Je naviguais à l’aveugle, et pourtant on conditionne les femmes à croire que ces aptitudes devraient leur être innées. Plus jeune, je ne savais pas comment demander de l’aide. Pire encore, j’aurais eu honte d’en avoir besoin. »

S’accorder un répit

Cheryl Fraser

Cheryl Fraser

Aujourd’hui, Mmes Shankaruk, Garrett et Fraser ont conscience que les leçons qu’elles ont apprises au fil des épreuves pourraient aider des femmes qui entreprennent le même genre de parcours, et c’est précisément pourquoi elles ont accepté de livrer des témoignages aussi intimes.

« Le conseil que j’aimerais donner à toute personne aux prises avec des difficultés, qu’elle soit une jeune maman ou non, est de demander de l’aide à ses semblables, souligne Mme Shankaruk. Dans mon cas, j’ai trouvé le soutien d’un groupe spirituel de femmes. La plupart d’entre elles étaient beaucoup plus âgées que moi, et cet écart a été une réelle bénédiction. Elles avaient plus d’expérience que moi, si bien qu’elles voyaient venir les écueils qui m’attendaient et me donnaient de précieux conseils fondés sur un vécu que je n’avais pas encore. »

Mme Garrett aussi a fini par trouver du réconfort dans l’amitié féminine, signalant toutefois que la croyance selon laquelle les femmes cherchent davantage à rivaliser entre elles qu’à se soutenir doit être remise en question. « Je ne crois pas que nous soyons intrinsèquement plus compétitives ou que nous soyons mues par le désir de causer du tort aux autres femmes. Je trouve plutôt que la société a créé des attentes impossibles à combler pour les femmes, ce qui les place dans un perpétuel état d’insuffisance. » À ses yeux, « la solution serait de recadrer la discussion. Nous aurions intérêt à souligner les nombreuses manifestations de soutien entre femmes. Comment faire pour célébrer ces femmes qui défrichent de nouveaux territoires et ouvrent de nouvelles possibilités pour nous toutes, et comment leur fournir une tribune? »

Mmes Garrett et Shankaruk ont aussi trouvé une certaine stabilité dans la nature. « C’est dans mon jardin, entourée de beauté naturelle, que je me sens le plus chez moi, illustre Mme Shankaruk, qui est Métisse et fait souvent appel au pouvoir guérisseur de la terre.

C’est bienfaiteur de se donner de l’espace pour assimiler son propre vécu. C’est libérateur de nommer ses traumatismes, de s’approprier ses difficultés, puis de partager les connaissances chèrement acquises avec d’autres personnes. »

Mme Fraser est d’avis que cette sagesse durement gagnée naît parfois d’une intuition, et c’est précisément le conseil qu’elle souhaite adresser aux parents : « Écoutez votre instinct. Si vous sentez que quelque chose cloche chez votre enfant ou vous-même, c’est probablement le cas, affirme-t-elle. Nous devons parfois chercher longtemps les réponses et les solutions dont nous avons besoin, mais il ne faut pas abandonner, et il ne faut surtout pas arrêter de nous battre. »

« C’est aussi essentiel, poursuit Mme Garrett, de trouver des gens qui vous voient et vous aiment telle que vous êtes. Quand on a un enfant malade ou qu’on est débordée par les exigences de la maternité, on se sent parfois limitée à deux dimensions, celle de mère et d’employée, par exemple. »

Elle est convaincue qu’il est crucial de se réserver du temps pour soi-même (tout en accordant le même privilège à son conjoint ou sa conjointe). « En créant de l’espace pour se connecter avec soi-même et poursuivre des activités qui font du bien à l’âme en dehors du contexte familial, on devient un meilleur parent. »

« Lorsque Connor a reçu son diagnostic d’autisme, j’ai pleuré sans interruption pendant deux ans. Je ne souhaite cela à personne. J’ai songé au suicide plus d’une fois. Mes enfants sont la seule chose qui m’a gardée en vie. J’avais la conviction viscérale que je ne pouvais pas les abandonner. »

Une perspective nouvelle
Au fil des années, les trois femmes ont acquis une certaine objectivité.

« Je ne m’en rendais pas compte à ce moment, souligne Mme Fraser, mais les épreuves que j’ai traversées avec Jamie m’ont amenée à devenir une meilleure soignante pour ma mère lorsque la maladie d’Alzheimer a commencé à faire des ravages. J’ai appris à donner priorité à la joie et j’ai appris que toute personne pouvait être heureuse, peu importe l’étape de sa vie ou l’aspect que ce bonheur revêt. »

Mme Garrett aussi a vécu une telle révélation. « Très longtemps, j’ai ressenti de la colère contre ma propre mère. Mais avec le recul, je me rends compte qu’elle faisait de son mieux. En pardonnant ses lacunes, je suis arrivée à diriger une partie de cette compassion vers moi-même. C’est le meilleur cadeau que je me suis fait. »

Mme Shankaruk abonde dans le même sens. « C’est l’espoir que nous entretenons. Nous pardonnons à nos parents pour leurs défauts et nous espérons que nos enfants feront preuve d’autant d’indulgence envers nous. Parce que la maternité, dans toute sa complexité, m’a amenée à découvrir des qualités insoupçonnées et un amour inimaginable. Mais nous n’avons pas à parcourir ce chemin seule. »

Illustrateur : Kasia Niton – https://sunnystreet.studio/  Instagram: @sunnystreet.studio

Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

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