Le VecteurConversations sur la santé mentale
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Surmonter la stigmatisation, le chagrin et la perte et emprunter le chemin de la guérison, de l’espoir et du soutien auprès d’une communauté après le décès par suicide d’un être cher. Une histoire personnelle.
Chaque année, en novembre, des événements spéciaux sont organisés dans le monde entier pour marquer la Journée internationale des survivants d’une perte par suicide. Les personnes directement touchées par le suicide d’un être cher profitent souvent de cette journée pour se souvenir de cette personne, raconter leur histoire et leur vécu. C’est ce que je vous propose aujourd’hui. J’ai changé les noms pour des raisons de confidentialité.
Rachel s’est suicidée le 15 juin 2022, six semaines après son 30e anniversaire. Je la connaissais depuis un peu plus d’un an. Nous avions été voisines, puis amies proches, puis brièvement amantes. Ma relation avec elle, bien que tendre, était affligée par des conflits et j’ai ressenti une immense culpabilité lorsqu’elle s’est suicidée. Je me suis attribué un rôle dans sa décision, car je n’avais pas été la partenaire qu’elle espérait et je ne l’avais pas aimée comme elle en aurait eu besoin.
Je vous raconte mon histoire, car le suicide continue d’être stigmatisé et les personnes qui restent peuvent se sentir isolées dans leur chagrin.
Comme toute tragédie, le suicide a une portée qui va bien au-delà de l’acte lui-même; ses répercussions sont considérables. Je pense aux nombreuses personnes qui ont été touchées par le décès de Rachel et qui continueront probablement à l’être : sa meilleure amie, qui l’a découverte chez elle deux jours après son décès; ses collègues, qui l’appréciaient, pas seulement pour sa productivité et son perfectionnisme; les membres de sa famille biologique et de sa famille d’élection qui, dans les semaines qui ont suivi son décès, m’ont contactée sur Facebook pour avoir des réponses à leurs questions; sa cousine adolescente transgenre, qui considérait Rachel comme un modèle et une confidente et son ex-partenaire, Nigel, avec qui elle avait eu une relation de neuf ans et qui a eu la responsabilité peu enviable de vendre la maison dont ils étaient copropriétaires et de trier tous ses effets personnels.
Des conversations honnêtes
Lorsque j’ai appris le décès de Rachel, j’ai d’abord pensé à ma fille, Joy, qui n’avait pas encore deux ans et demi à l’époque. Joy avait connu Rachel pendant la moitié de sa courte vie. Leur magnifique lien comprenait des visites à la ferme du Musée de l’Agriculture du Canada ou des séances de musique devant le piano, Joy assise sur les genoux de Rachel. En tant que parent seul élevant un jeune enfant pendant une pandémie mondiale, j’étais reconnaissante envers Rachel, elle était l’une des rares personnes à qui je pouvais confier Joy sans aucune inquiétude.
Je crois qu’il faut être transparent et sincère avec les enfants. J’ai donc dit à Joy, dès qu’elle l’a demandé, que nous ne verrions plus Rachel parce qu’elle était décédée, que c’était très triste, qu’elle allait nous manquer et qu’il était normal d’en parler.
La semaine suivante, nous avons rendu visite à plusieurs de nos anciens voisins, dont beaucoup sont venus s’asseoir près de Joy et moi, pour partager leur tristesse et leur solidarité. J’ai répondu à leurs questions, car beaucoup d’entre eux n’avaient toujours pas compris les circonstances du décès de Rachel. Et dans notre petit cul-de-sac ont soudainement plané un malaise et un climat de tristesse. L’année précédente, j’avais invité Junkyard Symphony, un groupe de percussion respectueux de l’environnement. Ils avaient joué au milieu de la rue. C’est l’un des nombreux événements qui témoignent de l’atmosphère et de la culture de notre rue; un endroit où les enfants jouaient ensemble, où Joy pouvait en toute quiétude cueillir des tomates chez les voisins et les croquer à belles dents. Un endroit où nous connaissions le nom de chaque chat et chaque chien, et même de la tortue, Miguel. Rachel adorait cette communauté, qu’elle appelait affectueusement « rue Sésame », et sa petite maison dans laquelle elle voulait vivre pour toujours.
Après deux semaines de congé, j’ai tenté de reprendre le travail. J’arrivais à me concentrer sur mes tâches pendant de courtes périodes, puis tout à coup je fixais le vide. J’avais souvent les nerfs à fleur de peau, des sanglots dans la gorge ou alors j’étais au bord de crise de panique. Mes émotions étaient instables. J’ai fait ce que j’ai pu, puis j’ai demandé un autre congé avec le soutien de mon médecin de famille. Mais j’avais du mal à canaliser mon énergie et à trouver la voie de la guérison. Les personnes qui m’avaient manifesté leur soutien au cours des premiers jours et des premières semaines ont rapidement disparu pour reprendre le cours de leur vie, ce qui est normal. Puis, certains de mes amis proches ont cessé de communiquer avec moi. La plupart se sont excusés en disant qu’ils étaient occupés, alors qu’avant le décès de Rachel nous nous rencontrions régulièrement, et l’une d’entre elles m’a même envoyé un courriel expliquant qu’elle avait besoin de mettre notre amitié « en pause » en raison du suicide de Rachel. Ce fut un coup dur, car mes relations avec ma famille immédiate étaient tendues, et j’avais besoin du soutien de la famille que je m’étais choisie.
Trouver du soutien
À la mi-août, me sentant perdue et très seule dans mon deuil, j’ai contacté Familles endeuillées de l’Ontario et j’ai commencé à participer au groupe de soutien du jeudi après-midi, sur Zoom. On y traitait de questions politiques relatives au décès, à la mort et à la maladie en rapport avec la communauté queer; par exemple, le fait que l’on compte davantage sur la famille choisie plutôt que sur la famille biologique qui n’offre pas de soutien. J’ai commencé à écouter le balado de Paula Fontenelle, Understand Suicide, qui a récemment atteint les 100 épisodes.
C’étaient les voix que j’avais besoin d’entendre : des personnes prêtes à surmonter leur malaise face à la mort et au suicide et à en parler ouvertement, que la perte soit récente ou pas. Je me suis surprise à sortir de ma propre douleur pour compatir avec l’homme dont la femme avec qui il était marié depuis 50 ans était décédée d’un cancer; avec la jeune femme dont le père avait été assassiné pour des raisons politiques, avec des personnes qui avaient subi de multiples pertes au fil des ans et qui se sentaient complètement déstabilisées par les coups répétés du destin. Contrairement à mon impression, je n’étais donc pas seule à vivre cette expérience. Le seul fait d’être en contact avec d’autres personnes, même des inconnus que je ne rencontrerais peut-être jamais en dehors du monde virtuel, m’a aidée à me le rappeler.
Pendant toute cette période, je voulais m’assurer d’être un parent sur lequel Joy pouvait compter. Une amie m’a demandé récemment comment j’avais réussi à tenir le coup pendant l’année écoulée, et la réponse qui m’est venue était tout simplement « Joy » — on ne peut pas s’effondrer quand un enfant a besoin de nous. En tout cas, pas moi. Je ne l’ai pas fait. Je n’aurais pas pu.
Mais ça n’a pas été facile. Joy évoquait souvent Rachel – les endroits où elles allaient ensemble, les jeux auxquels elles jouaient, et les objets de notre maison – comme des ustensiles de cuisine ou des vêtements – qui lui rappelaient Rachel. J’ai toujours essayé de répondre à Joy de manière positive, même s’il était parfois douloureux d’entendre parler de Rachel. Une nuit, Joy s’est réveillée en criant et, plus tard, entre deux sanglots, elle m’a dit : « Je suis triste. . . parce que Rachel est partie. » Pendant de nombreux mois, elle avait dormi confortablement dans son propre lit, mais après le décès de Rachel, elle est devenue de plus en plus réticente à l’idée de ne pas dormir avec moi. Quand je l’ai interrogée à ce sujet, elle a fini par m’expliquer qu’elle avait peur de me laisser dormir seul sans elle – parce que je risquais de mourir comme Rachel. Et d’autres questions ont suivi :
« Pourquoi Rachel est-elle décédée? »
Elle était malade, mon amour.
« Est-ce qu’elle était vieille? »
Non ma chérie, elle était jeune. Plus jeune que moi.
« Je ne veux pas qu’elle soit décédée. »
Moi non plus.
« Elle me manque. »
À moi aussi.
Bien que je ne puisse pas ramener Rachel ou promettre que nous ne perdrons pas d’autres personnes proches à l’avenir, j’ai fait de mon mieux pour la rassurer en lui disant que « Maman et Joy sont pour toujours », au cas où elle aurait des doutes.
« Et Ba aussi? » demande-t-elle en parlant de son béluga en peluche.
Et Ba aussi.
Plus d’un an a passé maintenant, et je ressens encore les effets du décès de Rachel, y compris les symptômes de stress post-traumatique. J’ai de la difficulté à me concentrer et à gérer mon anxiété, en particulier devant un ordinateur, ce qui m’empêche de travailler comme avant. J’ai donc récemment abandonné mon emploi de salariée et me suis lancée à mon compte pour pouvoir gérer mes horaires avec plus de souplesse. Dans le cadre d’une thérapie soutenue, j’ai travaillé sur mes sentiments de culpabilité et sur ma volonté d’être le meilleur parent possible pour Joy. J’ai reconstitué un réseau de soutien, trouvant du réconfort auprès des personnes qui m’ont soutenue dans les moments les plus difficiles. Je fais de l’exercice et de la méditation pour garder un corps sain et un esprit paisible. Et j’écris autant que possible.
Au début de l’année, peut-être en réaction au deuil, j’ai acheté des billets d’avion pour Londres, en Angleterre, où j’ai vécu quatre ans il y a un peu plus de dix ans. Pendant quatre semaines, en juillet dernier, nous avons traversé l’Europe en train avec seulement une petite valise et un sac à dos. Le fait de sortir de notre routine nous a fait du bien. Nous avons laissé derrière nous tous les souvenirs de l’été dernier. Outre les difficultés que l’on peut avoir quand on se déplace avec un jeune enfant, qui peut faire des crises de colère quand son environnement change sans cesse, ce voyage nous a beaucoup rapprochées, Joy et moi.
J’aime ma vie et chaque jour j’éprouve de la reconnaissance d’être en vie et de vouloir le rester, même aux jours les plus sombres. Je tiens farouchement, non seulement à survivre, mais à m’épanouir pleinement. Alors, avec Joy à mes côtés, c’est exactement ce que je vais continuer à faire.
Soutien en cas de crise – Espace Mieux-être Canada : Si vous éprouvez de la détresse, à n’importe quel moment, vous pouvez texter MIEUX au 741741. S’il s’agit d’une urgence, composez le 911 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.
Aide : Les personnes en détresse au Canada peuvent obtenir de l’aide par l’intermédiaire de Parlons Suicide Canada. Composez le numéro sans frais : 1-833-456-4566
Ressource :
- Prévention du suicide (Commission de la santé mentale du Canada).
- Parler d’un suicide à des enfants.
Jessica Ruano
(elle) est écrivaine, interprète et éducatrice queer. Au cours des 20 dernières années, elle a collaboré avec des compagnies de théâtre et des organismes artistiques à Ottawa et à London. Elle travaille actuellement sur son premier mémoire, une histoire d’amour queer, et sur un second qui porte sur son parcours d’adoption en tant que parent seul. Elle étudie aussi la psychologie en vue d’obtenir une maîtrise en éducation dans le domaine de la psychologie du counseling. Dans ses temps libres, Jessica pose comme modèle pour divers artistes, lui permettant ainsi de s’éloigner un peu de l’ordinateur et de préserver sa santé mentale.
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