Un but dans la vie pour briser l’isolement

Restez à l’affût!
Abonnez-vous au magazine Le Vecteur dès aujourd’hui!
Articles connexes
Related Articles
Les personnes âgées sont plus susceptibles de souffrir d’isolement social et l’on reconnaît de plus en plus que la solitude nuit à la santé. La bonne nouvelle, c’est que le cours des choses peut changer si l’on sent que l’on compte et que l’on fait partie d’un groupe. Notre série explore ces concepts et bien d’autres encore.
À l’été 2023, Linda Fedun, une résidente de l’île de Vancouver, se sentait très seule, même si les mesures de distanciation sociale avaient été levées l’année précédente.
« Tout a commencé avec la pandémie, mais c’est quand mes douleurs dorsales sont devenues sérieuses que les choses ont vraiment mal tourné pour moi, explique cette retraitée de 63 ans, ancienne travailleuse en garderie. Je ne pouvais pas vraiment sortir. Je sortais une demi-heure, puis je devais rentrer chez moi en larmes.
L’isolement social est difficile, ajoute-t-elle. Surtout que je vis seule avec mes deux chats. »
Au Canada, de nombreuses personnes âgées peuvent se reconnaître dans cette situation. Bien qu’il soit difficile de le savoir avec exactitude, selon Statistique Canada, environ 30 % des personnes âgées risquent l’isolement social et, en 2019 et 2020, près d’une personne sur cinq déclarait se sentir seule.
L’isolement social se définit comme la situation dans laquelle se trouve une personne dont les relations avec autrui sont insuffisantes aussi bien dans leur nombre que dans leur qualité. Il se caractérise par l’absence de relations mutuellement enrichissantes et peut nuire à la santé, susciter une détresse émotionnelle et un sentiment de solitude.
Dans certains cas, ce sentiment est chronique. Pour Mme Fedun, les choses se sont améliorées après que les médecins ont établi un plan de traitement de son arthrose, en octobre dernier, et qu’elle a enfin pu renouer avec sa communauté et reprendre des activités telles que les promenades régulières. L’une de ces promenades l’a conduite près d’un campement dont elle ignorait l’existence, alors qu’il se trouvait à seulement quelques pâtés de maisons de chez elle. Elle y a rencontré une vieille connaissance qui lui a dit qu’elle et son compagnon étaient sans domicile depuis des mois.
« Je suis rentrée directement chez moi et j’ai commencé à chercher ce que je pourrais leur donner », raconte Mme Fedun. Puis j’ai réalisé que cela ne suffirait pas. Ils avaient besoin de beaucoup, beaucoup plus que cela. »
Mme Fedun a alors demandé de l’aide à ses voisins au moyen de l’application Nextdoor, un réseau social qui permet aux gens de se mettre en relation avec des gens de leur quartier pour organiser des repas, acheter ou vendre des objets, etc. Les membres de sa communauté ont répondu avec enthousiasme et ont fourni de la nourriture, des vêtements chauds et du propane pour un réchaud Coleman. Elle a organisé les collectes et les livraisons, en plus de prendre contact avec un défenseur des sans-abri qui lui a donné un « cours accéléré » sur la précarité du logement. Le duo a lancé une campagne Go Fund Me pour aider leurs amis sans domicile à trouver un appartement.
L’isolement social est désormais chose du passé pour Mme Fedun, tout comme la solitude, ce qui n’est guère surprenant. « J’ai désormais un but dans la vie, s’exclame-t-elle.
Pour beaucoup, cependant, la solution n’est pas aussi simple que de sortir dans la rue, essentiellement parce que l’isolement social et la solitude sont deux choses différentes.
Isolement social et solitude, quelle est la différence?
« L’isolement social est objectif, comme le nombre de personnes dans votre vie et la fréquence à laquelle vous interagissez avec elles, explique Eddy Elmer, gérontologue et consultant en recherche spécialisé dans le vieillissement et la santé mentale, à Vancouver. « La solitude, en revanche, est plus subjective. C’est l’écart que vous ressentez entre les relations que vous souhaitez avoir et celles que vous avez réellement, que ce soit sur le plan quantitatif ou, surtout, qualitatif.
Une personne peut être assez isolée, mais ne pas se sentir seule, tandis qu’une autre peut avoir un réseau social important, mais se sentir très seule, poursuit M. Elmer. Tout dépend des besoins et des attentes sociales de chacun. »
Ces deux problèmes étant distincts, ils se règlent au moyen d’approches complètement différentes. Il est généralement plus facile de remédier aux problèmes liés à l’isolement social que d’aider les gens à surmonter un sentiment chronique de solitude.
« Il est probablement normal de ressentir un certain degré de solitude de temps à autre, explique le Dr David Conn, psychiatre gériatrique exerçant à Baycrest Health Sciences et à l’Université de Toronto. Mais un sentiment de solitude intense et chronique trouve souvent son origine dans les relations de l’enfance et dans la façon dont on perçoit les autres globalement. »
L’isolement social et la solitude ne peuvent être confondus, mais leurs conséquences sur la santé sont négatives dans les deux cas. Chez les personnes âgées, l’isolement social est corrélé à une fragilisation et au déclin cognitif, à la dépression, ainsi qu’à un risque accru de décès prématuré.
« Ici, le mot clé est « corrélé », car il n’est pas facile d’établir un lien de causalité, explique M. Elmer. Mais des études montrent que la solitude et l’isolement social sont associés à une augmentation de l’inflammation, à un affaiblissement du système immunitaire, à l’hypertension, aux maladies cardiovasculaires, au diabète et à une mauvaise qualité du sommeil. »
Ce dernier symptôme pourrait être une pièce importante du casse-tête. Selon la théorie évolutionniste de la solitude, un mauvais sommeil fait partie d’un état d’« hypervigilance » déclenché par la déconnexion sociale. En résumé, pour les premiers humains qui vivaient dans de petites tribus de chasseurs-cueilleurs, la solitude était dangereuse, car la survie passait par une étroite collaboration. Le sentiment de solitude est une réaction émotionnelle désagréable qui pourrait être un mécanisme d’adaptation, car la douleur associée au fait d’être seul pourrait servir de signal biologique incitant à agir en vue de rétablir les relations sociales et de retrouver la sécurité.
Eddy Elmer, gérontologue à Vancouver : On peut être isolé sans se sentir seul; on peut aussi avoir un large cercle social et se sentir seul. Tout dépend des besoins et des attentes de chacun.
L’impression de compter nourrit la matière grise
Même si les prédateurs à dents de sabre sont beaucoup moins nombreux de nos jours, le choix le plus sûr et le plus sain pour la plupart des gens est de faire partie d’un clan. Dans une étude récente, l’Université Carleton montre que – chez tout le monde, mais surtout chez les personnes âgées – plus le sentiment d’appartenance est fort, plus l’état de santé semble s’améliorer.
« Nous avons constaté que les personnes âgées qui se sentaient intégrées dans leur quartier étaient en meilleure santé de 6 % à 7 % par rapport à celles qui ne se sentaient pas intégrées, explique Mehdi Ammi, professeur associé à l’École de politique publique et d’administration de l’Université Carleton. Le sentiment d’appartenance réduisait la plupart des maladies chroniques et avait un effet préventif sur l’arthrite et sur tout ce qui est lié au stress chronique. »
Dans l’optique de la psychologie sociale, un fort sentiment d’appartenance peut contribuer à lutter contre le stress chronique et offrir ainsi une protection aux personnes qui ont le sentiment d’avoir leur place dans la société. Certains adeptes de la psychologie positive affirment toutefois que, si le sentiment d’appartenance est un bon début, on observe une protection encore plus forte chez les personnes qui ont le sentiment de compter.
« L’appartenance, c’est s’intégrer et avoir sa place, explique Gordon Flett, président honoraire de l’Association canadienne de psychologie en 2024-2025 et ancien titulaire de la chaire de recherche du Canada à l’Université York. Avoir l’impression de compter, c’est sentir que l’on a une importance et une valeur au sein de ce lieu. Par exemple, une personne peut faire partie d’une communauté, mais avoir néanmoins l’impression de ne pas être prise au sérieux. »
Selon lui, la corrélation entre la solitude et le sentiment de ne pas compter est très forte. « Les recherches sur la solitude et les personnes âgées montrent qu’il y a tout simplement trop de personnes qui n’ont pas d’échanges réels et durables avec les personnes qui comptent pour elles, poursuit M. Flett. « Elles se retrouvent alors seules. Et lorsque les gens se sentent à la fois seuls et insignifiants, on parle de « double peine ».
À l’inverse, le fait de sentir que l’on compte est considéré comme une sorte de tampon qui protège les personnes contre un stress important, qu’il soit causé par la solitude, la prise en charge d’une personne dépendante, la perte d’autonomie ou même des problèmes financiers.
« En fin de compte, savoir que les gens vous apprécient et se soucient de vous est très réconfortant, explique M. Flett. Et je pense que cela signifie également que vous serez plus enclin à demander de l’aide aux autres lorsque vous en aurez besoin. »
Les personnes âgées ont peut-être de la difficulté à se sentir valorisées et utiles, en particulier en Amérique du Nord, où la culture valorise la jeunesse, ne prévoit pas d’espaces inclusifs pour les personnes âgées ni de villes adaptées à leurs besoins, et considère la santé comme une responsabilité individuelle plutôt que collective. Tous ces facteurs contribuent à la solitude généralisée parmi la population âgée du Canada.
En attendant que la société change, de nombreuses personnes âgées qui le peuvent trouvent des moyens de vieillir au sein de leur communauté et de vivre des expériences enrichissantes. Pour certaines, il s’agit de s’occuper de leurs petits-enfants. Pour d’autres, ce peut être le bénévolat auprès d’autres personnes âgées.
« L’oncle de ma femme, Derek, qui a failli atteindre l’âge de 100 ans et qui a vécu seul toute sa vie à Fort Qu’Appelle, en Saskatchewan, était bien connu pour son travail bénévole, raconte M. Flett. Il a livré des repas à domicile à des personnes plus jeunes que lui jusqu’à l’âge de 90 ans, car il était en excellente forme physique.
Alors que je lui demandais un jour s’il se sentait parfois seul, il m’a interrompu. I« Pas une seconde, m’a-t-il répondu. Parce que je sais qu’il y a des gens qui se soucient de moi. Et je peux les voir, et ils peuvent me voir. »
Lecture complémentaire : Seul chez soi : Au Canada, les personnes âgées qui vieillissent sans aucun soutien sont de plus en plus nombreuses. Comment pouvons-nous endiguer ce phénomène?
Auteure: Christine Sismondo est autrice, elle vit à Toronto et espère un jour vivre avec des amis dans un projet de vie en communauté sur le modèle des « Craquantes ». Comme c’est elle qui a eu l’idée, c’est elle qui sera Dorothy.