Le VecteurConversations sur la santé mentale
Une mesure du progrès
Tout commence par l’apprentissage. Ce cours gratuit sur la lutte contre la stigmatisation structurelle dans les soins de santé a pour objectif de susciter des changements concrets pour les personnes confrontées à des problèmes de santé mentale et d’usage de substances.
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L’été dernier, lorsque Kristen Parks s’est plongée dans le cours en ligne sur la stigmatisation structurelle liée à la santé mentale en soins de santé, elle a rapidement eu une impression de déjà-vu.
Rapidement, elle s’est rendu compte qu’une partie du contenu lui était familier : elle avait déjà appris ces notions. Il y a plus de dix ans, dans le cadre de sa formation en soins infirmiers, elle a suivi un cours complet sur la santé mentale.
« J’ai eu l’impression de solliciter des muscles que je n’avais pas utilisés depuis longtemps, explique Mme Parks, infirmière diplômée œuvrant dans l’Unité de soins cardiaques d’un hôpital des provinces de l’Atlantique. « En choisissant de travailler en milieu hospitalier, vous vous concentrez sur un domaine de spécialisation. C’est ce dans quoi vous avez le plus d’expertise et c’est aussi ce sur quoi votre attention se porte le plus. »
Le cours – lancé il y a un an par le fournisseur canadien d’apprentissage en ligne sur la santé, SoinsSantéCAN, en partenariat avec la Commission de la santé mentale du Canada – est gratuit, dure une à deux heures et est mis à la disposition de tous. L’objectif est de sensibiliser les participants à la stigmatisation structurelle, dont les répercussions peuvent être particulièrement néfastes sur les personnes vivant des problèmes de santé mentale ou d’usage de substances.
Un type de stigmatisation
Dans le domaine des soins de santé, on parle de stigmatisation structurelle lorsque les lois, les politiques et les pratiques donnent lieu à un traitement inéquitable des personnes dotées d’un savoir expérientiel. Cette injustice se traduit par un accès inégal et une moindre qualité des soins pour ces personnes, et ce, autant pour des préoccupations de santé physique que pour des problèmes liés à la santé mentale ou à l’usage de substances.
Au cours de la dernière décennie, des chercheurs – dont plusieurs Canadiens – ont constitué un imposant corpus d’études portant sur les répercussions de la stigmatisation dans les soins de santé, en se consacrant plus récemment au phénomène de la stigmatisation structurelle. Les initiatives pédagogiques, comme le cours auquel Mme Parks s’est inscrite, s’appuient sur ces recherches – ainsi que sur les points de vue de personnes ayant un savoir expérientiel passé et présent en matière de santé mentale et d’usage de substances – dans le but de renforcer la compréhension et la prise de conscience.
« En ce qui concerne le contenu que je connaissais déjà, je voulais surtout le replacer au premier plan dans mon esprit, explique Mme Parks, mais j’ai aussi acquis de nouvelles notions. J’ai suivi ce cours il y a une douzaine d’années et, depuis, les perspectives et les recommandations ont évolué, ce qui est très prometteur. Nous voulons que les choses changent. »
Qu’est-ce qui a changé?
Parmi les personnes qui ont suivi la formation durant la dernière année, plus de 40 pour cent ont indiqué être capables de dépeindre le problème ainsi que son incidence sur les patients, de repérer les endroits où la stigmatisation est présente au sein de leur organisation et de « décrire les facteurs qui ont contribué à alimenter la stigmatisation structurelle dans les soins de santé ».
Bien que la stigmatisation structurelle pose plus d’un problème, le principal enjeu est qu’elle constitue un obstacle de taille pour de nombreuses populations marginalisées. En effet, il a été établi que la stigmatisation dissuade non seulement la recherche de soins préventifs ou hâtifs, mais que lorsque les personnes ont finalement recours à un traitement, la stigmatisation peut mener à plans de traitement médiocres et à des diagnostics manqués, ce qui est trop souvent le résultat de « l’occultation du diagnostic ».
Gretchen Grappone, consultante en formation et clinicienne spécialisée dans le changement structurel. Elle travaille avec des professionnels de la santé sur la lutte contre la stigmatisation structurelle.
Par exemple, une personne souffrant d’un trouble lié à l’usage de substances pourrait consulter pour n’importe quel motif, d’un bras cassé à des calculs rénaux; cependant, lorsque le personnel médical apprend que le patient a déjà un diagnostic de troubles de dépendance à des substances, il arrive que ce dernier éclipse tous les autres problèmes médicaux. Cette occultation peut brouiller le jugement des soignants qui, soudainement, ne voient plus qu’un « toxicomane », alors que le patient ressent manifestement des douleurs et qu’il a besoin de médicaments.
« C’est extrêmement préjudiciable, déclare Gretchen Grappone, travailleuse sociale clinique indépendante et agréée, dont les activités sont désormais axées sur la formation des professionnels de la santé à la stigmatisation structurelle. À cause de l’occultation des diagnostics, plusieurs personnes ayant une maladie mentale ou un trouble de l’usage de substances ne reçoivent pas le traitement dont elles ont besoin. »
Madame Grappone se souvient d’un exemple où une personne s’est présentée aux urgences avec de violentes douleurs thoraciques mais, comme elle était déjà venue dans ce service d’urgence auparavant et qu’elle avait été traitée pour un trouble de la personnalité limite, elle n’a pas été prise au sérieux lors de sa visite concernant un tout autre problème. « Cette personne est décédée parce qu’elle n’a pas reçu les soins dont elle avait besoin ».
De graves conséquences
Ce genre d’incidents a motivé Mme Grappone à délaisser le counseling individuel au profit de la formation et de la sensibilisation à la stigmatisation en milieu médical. Un autre motif réside dans le fait qu’elle a vécu la dépression.
« Je n’ai reçu le diagnostic qu’après avoir subi diverses formes de discrimination pendant de très nombreuses années, explique-t-elle. Cette discrimination provenait non seulement de ma dépression, mais aussi du fait que je sois ouvertement homosexuelle, de sorte qu’il s’agit d’une stigmatisation intersectionnelle. »
Cette expérience personnelle, conjuguée à son travail de clinicienne, l’a placée aux premières loges pour observer différents types de discrimination au sein du système de santé. Elle est ainsi devenue une ressource précieuse dans le mouvement croissant visant à éradiquer la stigmatisation structurelle au sein du système, car la recherche a montré que les personnes marginalisées ayant vécu la stigmatisation possèdent une vision éclairée de ce phénomène.
Souvent, les personnes ayant un savoir expérientiel passé et présent sont les seules à pouvoir détecter les problèmes inhérents à des pratiques que beaucoup considèrent comme allant de soi et comme des protocoles standard. La dichotomie code bleu/code blanc en est un bon exemple : les médecins sont appelés à intervenir en cas de crise de santé physique (code bleu), tandis que les premiers intervenants en situation de code blanc (violence ou agression) sont souvent des membres du personnel de sécurité.
Par exemple, dans le cadre du questionnaire de suivi, une personne ayant participé au cours a déclaré qu’avant de suivre la formation, elle ne prenait pas en compte le point de vue du patient lorsqu’elle répondait à des codes blancs au sein de l’hôpital où elle travaille; avec le recul, bon nombre de ces situations auraient probablement pu faire l’objet d’une intervention non violente ou être résolues par une certaine immobilisation physique.
Un message à décoder
Un patient en crise psychologique, déjà stressé et désorienté, peut devenir agité en raison des expériences qu’il a vécues avant que le code blanc ne soit déclenché, a-t-elle fait remarquer. « Je comprends maintenant mieux pourquoi le fait que la sécurité soit la première à arriver sur les lieux d’un code blanc n’est pas forcément la meilleure solution pour le patient; cela risque de le troubler ou de l’agiter davantage, de le mettre sur la défensive et d’envenimer encore plus la situation. »
Les protocoles de ce genre, appelés « politiques et pratiques coercitives », représentent une atteinte aux droits des patients aux prises avec des problèmes de santé mentale et de consommation; ces derniers peuvent être admis contre leur volonté, soumis à des contentions physiques et se voir refuser le droit de participer à la prise de décision concernant leur santé.
Il n’est pas facile de s’affranchir de la stigmatisation du jour au lendemain (voire jamais), mais pour faire un premier pas dans la lutte contre cette discrimination, il faut envisager le fonctionnement du système du point de vue des personnes lésées. De nombreux participants à la formation en ligne ont affirmé que les exemples individuels de stigmatisation les avaient aidés à ouvrir les yeux sur ces enjeux.
Ils ont également appris à saisir les occasions de lutter contre la stigmatisation, ce qui prouve qu’il est possible de faire bouger les choses en mobilisant les connaissances. Près de la moitié des personnes interrogées ont déclaré que cela les avait poussées à changer ou à prendre des mesures pour combattre la stigmatisation structurelle. Un nombre à peu près équivalent de diplômés sont allés jusqu’à élaborer des stratégies de déploiement de leurs nouvelles connaissances. Parallèlement, nombreux sont ceux qui craignent que la remise en question du statu quo ne soit pas une mince affaire.
« Oui, l’intégration de la matière apprise dans mon milieu de travail peut signifier que je serai confronté à des difficultés : résistance institutionnelle, manque de ressources, culture organisationnelle, contraintes juridiques et réglementaires, réticence des parties prenantes, déclare un autre répondant au questionnaire. Il me faudra de la persévérance, des actions de sensibilisation et des solutions créatives pour surmonter ces obstacles ».
Kristen Parks affirme que des bilans réguliers et des mises à jour des certifications aideraient aussi les gens qui désirent transformer la culture des soins dans n’importe quelle institution, citant la formation annuelle à la réanimation cardiorespiratoire (RCR) comme une pratique de référence. À titre d’exemple, tout le personnel d’un hôpital, des cuisiniers aux administrateurs, doit être formé en RCR. Il est tout à fait possible qu’un membre du personnel se retrouve dans un ascenseur avec un patient, en situation d’urgence. Mme Parks estime que cette formation pourrait se révéler salutaire pour l’ensemble du secteur de la santé.
« Ce cours m’a rappelé qu’il faut toujours considérer la personne dans son ensemble, et pas seulement, par exemple, son usage de substances, explique Mme Parks. Il existe de nouvelles connaissances et, si vous avez terminé vos études depuis 15 ou 20 ans, il est possible que la situation présente ne corresponde plus du tout à ce que vous avez appris. »
Suivez le cours (gratuit; une à deux heures): https://chalearning.ca/programs-and-courses/structural-stigma-training-for-health-care-leaders/
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