Le VecteurConversations sur la santé mentale
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Le chanteur belge Stromae, dont les succès européens mêlent des thèmes lourds à des rythmes dansants, aborde les complexités de la santé mentale dans son récent album Multitude. À l’approche de la tournée nord-américaine de l’artiste, Florence K, animatrice à CBC Music, chanteuse, auteure de trois livres sur la santé mentale et candidate au doctorat en neuropsychologie, se penche sur les paroles et les nuances de l’album.
On le lit partout. On le voit partout. On le dit partout : il n’y a pas de honte, pas de culpabilité à avoir lorsque la souffrance psychique frappe à notre porte. Il n’y a aucune raison valable de maintenir la stigmatisation entourant la santé mentale. Il en aura fallu des prises de parole, des campagnes de sensibilisation, des interventions d’experts et des témoignages pour que le propos soit diffusé haut et fort, pour qu’il fasse un bout de chemin dans une société qui est encore enfermée dans ses tabous. C’est le travail de dizaines d’années.
Mais il n’aura fallu qu’une seule chanson, que quelques phrases de Stromae pour qu’une génération entière soit interpellée. Stromae n’avait pas besoin d’en dire plus :
J’suis pas tout seul à être tout seul…Dire que plein d’autres y ont d’jà pensé, mais malgré tout, j’me sens tout seul. Du coup, j’ai parfois eu des pensées suicidaires et j’en suis peu fier…Ces pensées qui me font vivre un enfer. —
Stromae est un homme de peu de mots, même si les mots sont son métier. Il rappe lentement, ne cherchant pas à enfiler le plus de texte possible dans un même couplet. Mais comme ses mots sortent du lot, ils peignent des images si précises qu’elles nous accrochent inévitablement. On ne peut que les voir.
Stromae ne s’est pas caché derrière des métaphores pour raconter ses problématiques de santé mentale, ni pour décrire la honte qui l’a affligé bien malgré lui : « J’ai parfois eu des pensées suicidaires, et j’en suis peu fier. On croit parfois que c’est la seule manière de les faire taire. Ces pensées qui me font vivre un enfer ». L’écho de ce refrain a résonné dans des millions et des millions de cœurs, leur ont fait du bien, les ont libérés de la solitude, ont validé leur souffrance psychique. Combien sont-ils ceux qui se sont dit : « si même Stromae a souffert de dépression, peut-être ne suis-je pas coupable de ce qui m’arrive? ».
Ce message est important. Car même s’il ne fait aucun doute que la dépression est un trouble de santé mentale dont les causes sont biopsychosociales et que la science démontre depuis des décennies que de nombreux mécanismes complexes tant neurochimiques que neurophysiologiques, génétiques que psychologiques et environnementaux sont à l’origine de cette souffrance psychique, celle-ci est encore malheureusement trop étiquetée comme étant un signe de faiblesse, de paresse. Rien ne pourrait être plus faux. Pour preuve : personne ne pourrait être moins paresseux ou « faible » qu’un artiste qui a su se construire une carrière aussi prolifique que celle de Stromae.
En s’ouvrant de la sorte sur son vécu, Stromae crie haut et fort qu’un trouble de santé mentale n’est pas un choix et qu’il ne sélectionne pas ses victimes selon leur classe socioéconomique, leur niveau d’éducation, leur portefeuille, leur succès. Et force est d’admettre qu’il rejoint beaucoup plus de gens à la fois qu’une campagne de lutte contre la stigmatisation. C’est la magie de la chose. Avec son album Multitude, il fait avancer la cause à grandes enjambées.
Outre son titre coup-de-poing « L’enfer », les autres chansons de l’album forment un compte-rendu assez précis de l’état de notre société. Le groupe rap N.W.A., véritable pionnier du genre, disait « Our raps are documentary. We don’t take sides ». C’est ainsi que l’on perçoit l’album de Stromae. C’est un portrait honnête qui ne se cache ni dans la positivité toxique ni dans un pessimisme au parfum de fin du monde.
Ce que raconte Stromae n’a pas de parti pris, il ne cherche pas à se faire le porte-étendard d’une cause sociale en particulier, ni à s’autoproclamer défenseur de tous ceux qui souffrent. Mais ses textes mordent là où il le faut. Dans « Déclaration », il dénonce l’hypocrisie de ceux qui se targuent d’être féministes, alors que la vérité, celle qui choque, est que la bataille est loin d’être gagnée et que les mentalités changent trop lentement : « T’inquiète pas, ça va aller, faudra bien que ça change. Ça prendra quelques années vu que ça nous arrange ». Ce sarcasme cache une bienveillance que Stromae répand à travers tout son album. Cela s’entend également dans son titre « Santé », où, au lieu de faire l’éloge du « bling-bling », il met en valeur les travailleurs de l’ombre. Dans « La solassitude », il décortique la vraie solitude. Une solitude qui n’est guère tributaire du fait d’être entouré ou de ne pas l’être, mais plutôt d’un vide intérieur qui nous suivrait comme une ombre, où qu’on aille.
Stromae ne dépeint pas la vie comme si elle était clivée entre le bon et le mauvais. Il l’embrasse telle qu’elle est, avec ses côtés les plus sombres comme ses plus lumineux. Il le démontre dans les deux pièces consécutives sur l’album, « Mauvaise journée » et « Bonne journée », où chacun d’entre nous saura se reconnaître d’une manière ou d’une autre. Parce que nous avons tous des hauts et des bas. Nous connaissons tous une multitude d’états et nous voyons nos vies sous une multitude d’angles. Stromae nous le rappelle, et par le fait même, nous rassemble.
Même quand il ne se sent pas bien, Stromae trouve le moyen de tendre la main. Avec Multitude, il la tend vers le haut lorsqu’il appelle à l’aide, mais il la tend aussi vers le bas, vers ceux qui en ont peut-être encore plus besoin. Avec sa musique, Stromae crée des liens, comme dans une belle grande chaîne humaine à laquelle nous avons envie de nous joindre.
La tournée nord-américaine de Stromae commence le 21 octobre à Vancouver.
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