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Le VecteurConversations sur la santé mentale

Il n’est pas évident de commercialiser un ouvrage consacré à la dépression chez les enfants, et pourtant, ce sujet est d’une importance majeure. Retour sur la rédaction et l’autopublication du livre The Semicolon [qui signifie le point-virgule].

Quand je repense aux innombrables refus essuyés pour The Semicolon, deux me viennent à l’esprit. Tout d’abord, celui d’un agent littéraire incrédule qui se demandait pourquoi j’avais choisi la dépression comme sujet de lecture pour des enfants. Puis un deuxième, encore plus tranchant, m’a dit sans détour : « La partie consacrée à la santé mentale des enfants ne m’intéresse pas du tout. »

Les refus sont inhérents à mon métier d’écrivaine, et je suis la première à admettre que ma proposition était inhabituelle. J’ai eu envie de la mettre sur papier après avoir lu un article sur Amy Bleuel, du « Project Semicolon », et les autres militants de la santé mentale qui ont adopté le point-virgule comme symbole d’espoir et de résilience dans le cadre d’initiatives de prévention du suicide. Bon nombre de ces personnes se sont fait tatouer un point-virgule pour manifester leur solidarité envers la cause, ou pour marquer leur propre expérience de survie. Ce geste est motivé notamment par la fonction du point-virgule : il représente la continuité d’une phrase plutôt que sa fin. Cette symbolique m’a interpellée, non seulement en tant qu’autrice, mais aussi parce que, ayant traversé une grave dépression dans ma vingtaine, je suis convaincue que la maladie mentale est tout aussi incomprise que la grammaire.

Je cherchais un moyen de reprendre ce brillant concept du point-virgule afin de le présenter, d’une manière non didactique et bien adaptée à leur âge, à de jeunes lecteurs pouvant eux-mêmes éprouver des troubles de santé mentale.

Pour autant, mon choix n’a pas été facile. Le marché des livres jeunesse est déjà particulièrement difficile à conquérir pour les auteurs qui n’illustrent pas leurs propres œuvres, et voilà que je proposais une histoire portant sur un sujet délicat et raconté de manière abstraite. Néanmoins, je refusais de sous-estimer la sensibilité et la capacité des enfants à imaginer et à réfléchir, et ce même s’ils ne connaissent pas le point-virgule. Mon concept a peut-être rebuté les agents littéraires, mais je le voyais s’inscrire dans une catégorie de livres illustrés traitant de thèmes difficiles et destinés à être lus – et à susciter des discussions – avec les enfants, et ce, aux côtés d’ouvrages tels que The Scar de Charlotte Moundlic et Virginia Wolf de l’autrice canadienne Kyo Maclear.

Qui plus est, il s’agissait (et il s’agit toujours) d’un sujet qui doit absolument être abordé.

Britt Sayler

Britt Sayler

Même avant la pandémie, le CDC évaluait à 2 % la prévalence de la dépression chez les enfants âgés de six à onze ans (et à plus du triple chez les adolescents). Au dire de tous, la santé mentale des enfants n’a fait que se détériorer depuis. La société Kidthink, basée au Manitoba, estime maintenant que de 10 à 20 % des très jeunes enfants au Canada vivent des troubles de santé mentale. De plus, en octobre, la Société canadienne de pédiatrie signalait que les jeunes doivent attendre de plus en plus longtemps pour obtenir des soins de santé mentale.

À la lumière de ce qui précède, en quoi le fait d’écrire sur la santé mentale pour un jeune public était-il si tabou? Avait-on peur des mots? Était-ce parce que, en tant que société, nous nous accrochons encore à l’idée que l’enfance est une période joyeuse et insouciante? Ou encore, était-ce précisément le sujet de la dépression, plutôt que la santé mentale en général, qui posait problème?

Plus d’une fois, on m’a conseillé de présenter mon livre comme un ouvrage sur le deuil, puisque la dépression du personnage principal fait suite à la perte d’un parent (les bouleversements de la vie sont souvent des déclencheurs). Pour moi, cette approche passait à côté de l’essentiel. Finalement, j’ai décidé de m’autopublier. Il m’était impossible d’occulter le propos même que je tentais de faire entendre.

Venir en aide aux enfants en difficulté
Même pour les enfants, la dépression peut s’avérer accablante. Je voulais saisir cette réalité (littéralement, un gouffre vertigineux fait partie intégrante du livre) et interpeller les lecteurs sans pour autant leur faire la morale. Autrement dit, l’histoire d’abord, le message ensuite. Je tenais aussi à croire en la capacité des enfants à assimiler de nouveaux concepts, en espérant offrir une leçon durable.

Évidemment, faute d’un accès presque automatique aux écoles et aux bibliothèques, dont bénéficient les maisons d’édition établies, il devient difficile de rejoindre les enfants. De manière générale, je m’inquiète de la marchandisation de la santé mentale, mais pour que mon livre parvienne à ceux qui en ont besoin, je devais le commercialiser.

Les professionnels de la santé mentale qui travaillent auprès des enfants constituent une clientèle toute désignée. Mais tout aussi importants sont les parents, les enseignants et le personnel soignant qui ont vécu de près la maladie mentale – notamment le rétablissement après une dépression – ou qui sont familiers avec les tatouages de points-virgules. Le fait est que la plupart des livres illustrés sont vendus à des adultes qui les lisent aux enfants, et les personnes ayant un savoir expérientiel passé et présent peuvent se révéler les porte-parole les plus passionnés.

Le plus grand obstacle à franchir sera de faire parvenir le livre aux enfants qui en ont besoin maintenant, et pas seulement à ceux qui risquent de souffrir de dépression à l’avenir. Il peut être pénible de constater qu’un jeune enfant de son entourage est déprimé. En outre, la dépression se présente rarement de la même manière chez les enfants que chez les adultes – un constat que les experts consultés pour écrire ce livre ont clairement établi. Il nous arrive tous d’avoir du mal à gérer nos émotions, mais les enfants sont encore en train de se forger une conscience de soi et un vocabulaire pour les communiquer. Il appartient donc aux adultes de repérer les signes.

Comme les jeunes 2SLGBTQ+ courent un risque plus élevé de dépression et de suicide que leurs pairs, j’ai également pris la décision délibérée de ne pas préciser le sexe de l’enfant qui raconte l’histoire. Le vocabulaire est neutre et les illustrations sont ambiguës pour laisser à chaque lecteur la possibilité de percevoir le personnage principal au gré de ses besoins.

Maintenant que The Semicolon est disponible, j’espère qu’il se taillera une place parmi le nombre croissant de livres illustrés consacrés à la santé mentale. La plupart d’entre eux se concentrent sur des aspects du bien-être tels que la conscience émotionnelle, l’autorégulation et l’estime de soi; je voudrais que le mien fasse la lumière sur la prévalence de la dépression infantile et approfondisse la compréhension que la société a de ce phénomène, sans pour autant le banaliser. Il y a une différence entre une tristesse passagère et une dépression, tout comme il y a une différence entre une inquiétude normale et une anxiété chronique.

J’espère que ce livre, conçu pour les enfants, pourra lancer des discussions et aider les lecteurs à acquérir des notions durables en matière d’émotions douloureuses, mais il convient néanmoins de replacer ces ouvrages dans leur contexte. Ils ne remplacent en aucun cas un éventuel diagnostic ou un traitement. Ce sont des outils destinés à aider les enfants à devenir la version la plus saine possible d’eux-mêmes – des ressources inestimables dont nos jeunes ont de plus en plus besoin.

Autres lectures

Parler du suicide aux enfants

Prévention proactive : un modèle pour mettre fin à l’intimidation.

Auteure: . Le livre, The Semicolon, est désormais disponible chez FriesenPress.

Illustration : Dorota Rewerenda

Crédit photo : Andrea Gray, Trio Photography

Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

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