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Le VecteurConversations sur la santé mentale

Au Canada, les personnes âgées qui vieillissent sans aucun soutien sont de plus en plus nombreuses. Comment pouvons-nous endiguer ce phénomène? Un regard sur le vieillissement inclusif à l’occasion de la Semaine de sensibilisation à la solitude

« Pourquoi, se demandait-elle, était-il si difficile de croire que les vieux avaient été jeunes, avec la force et la beauté animale de la jeunesse, qu’ils avaient aimé, été aimés, ri et été pleins de l’optimisme non prémédité de la jeunesse? » – PD James

L’hiver dernier, mes voisins ont trouvé l’une de nos résidentes âgées en train d’errer dans le couloir de la buanderie de notre immeuble. Elle semblait perdue et désorientée.

Nous avons fini par appeler une ambulance, car, de toute évidence, elle n’allait pas bien. Elle vivait en face de chez moi, mais je ne la connaissais pas vraiment. Ce jour-là, après une brève évaluation par téléphone, le répartiteur nous a dit qu’il faudrait attendre quatre heures. Comme il n’y avait rien à manger dans son réfrigérateur, certains d’entre nous ont apporté des en-cas et lui ont préparé quelques tasses de thé en attendant l’ambulance autour de la table de cuisine. Quand elle nous a dit qu’elle avait 91 ans et qu’elle vivait seule, nous lui avons demandé qui nous pourrions appeler. Ce n’est qu’après quelques heures de conversation qu’elle nous a dit qu’elle n’avait ni enfant, ni frère ou sœur.  Elle avait un neveu, mais qui vivait à des centaines de kilomètres et qui a été surpris lorsque nous l’avons appelé, disant qu’il n’avait pas parlé à sa tante depuis des années.

Les événements de ce jour de janvier ont marqué un tournant dans la vie de ma voisine, mais aussi dans la mienne. Elle n’est pas rentrée chez elle depuis son admission à l’hôpital. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue et je ne le saurai jamais, car je ne fais pas partie de sa famille. Pourtant, plus tard dans la soirée, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander si l’avenir me réservait le même sort.

Deuils et vieillissement
Quand on vieillit, on risque de faire face à une série de deuils : on peut perdre des proches, des réseaux sociaux, le bien-être physique, la sécurité financière, la motivation, le sentiment d’appartenance à un monde plus vaste et même le sens de son identité personnelle. Ce sont des pertes importantes qui « remettent profondément en question notre appartenance au monde qui nous entoure », explique Sam Carr, Ph. D., chercheur principal du « Projet solitude » (The Loneliness Project), une étude qualitative qui explore en profondeur l’expérience de la solitude chez les personnes âgées. Nombre de répondants ont expliqué aux chercheurs que le vieillissement présente des difficultés uniques liées à la solitude et l’isolement. La recherche, dont les résultats sont publiés dans Ageing and Society, a produit plus de 130 heures de conversations. Le témoignage de l’une des participantes ayant perdu son conjoint montre l’ampleur de ces deuils : « Quand il est parti, j’étais perdue. Je ne savais plus qui j’étais, car je n’étais pas [bouleversée]. J’existais, c’est tout. J’allais faire des courses quand j’avais besoin de nourriture. Je ne voulais voir personne. Je n’allais nulle part. »

Dans le cadre d’une étude sur la perte de liens significatifs chez les personnes âgées, des chercheurs de l’Université de Malmö, en Suède, ont conclu que la solitude profonde vécue à un âge avancé peut être considérée comme « un processus où la personne se détache de la vie ». Le corps participe aussi à cette expérience dans la mesure où la personne âgée est de plus en plus limitée dans ses mouvements. Petit à petit, elle fait le deuil de ses relations à long terme, puis elle se replie de plus en plus sur elle-même et se détourne du monde extérieur.

Vieillir sans le soutien de proches
Au Canada, le nombre de personnes qui vieillissent sans soutien va également en augmentant. Ces adultes d’âge mûr n’ont pas de proches parents, donc, pas de conjointe ou de conjoint et pas d’enfants (ou alors les enfants vivent loin). D’autres ont une famille, mais sont tout de même isolés. Même si la majorité de ces personnes veulent vieillir chez elles, elles sont parfois obligées d’intégrer des centres de soins de longue durée. Le Canada affiche déjà l’un des taux les plus élevés au monde de personnes sans famille. Comment s’y prendra-t-il pour soutenir ces personnes et s’occuper d’elles?

Au Royaume-Uni, la question est liée à un thème plus vaste : la solitude, une menace croissante pour la santé. En 2018, la première ministre Theresa May l’a qualifiée de « l’un des plus grands problèmes de santé publique de notre époque » lorsqu’elle a créé le « premier ministère au monde » chargé de lutter contre la solitude. Début 2021, le premier ministre du Japon, Yoshihide Suga, lui a emboîté le pas et a créé le poste de ministre de la Solitude au sein de son cabinet. Le premier titulaire de ce poste, Tetsushi Sakamoto, a été chargé de prévenir et de réduire la solitude généralisée, l’isolement social et le suicide, qui allaient en augmentant dans le contexte des restrictions liées à la COVID-19.

Ces mesures s’appuient sur des données probantes démontrant les risques que pose la solitude pour la santé et la santé mentale. Selon Keith Dobson, Ph. D., professeur de psychologie clinique à l’Université de Calgary, « la recherche a toujours montré qu’à tous les âges, un faible soutien social ou un isolement social accru est l’un des principaux facteurs de risque de dépression ». Aux États-Unis, le National Institute on Aging associe la solitude et l’isolement à un « mauvais état de santé avec le vieillissement », notamment à des taux plus élevés de mortalité, de dépression et de déclin cognitif.

L’isolement dont souffrent un grand nombre de personnes s’accompagne aussi d’un fardeau économique. Aux États-Unis, depuis des décennies, le nombre de personnes seules a atteint un point tel que dans la population active, « plus de deux adultes sur trois déclarent vivre dans la solitude » – ce qui est à l’origine de problèmes de santé, de baisses de productivité et d’une rotation du personnel qui coûtent quelque 154 milliards de dollars par année aux employeurs. En Angleterre, 45 % des adultes souffrent d’un certain degré de solitude, ce qui coûte aux employeurs britanniques environ 2,5 milliards de livres sterling (4,2 milliards de dollars canadiens) par année, selon un rapport de la New Economics Foundation publié en 2017. Ces données brossent un tableau désastreux, surtout si l’on considère qu’elles proviennent en grande partie de recherches menées avant la pandémie.

Tout le monde n’est pas logé à la même enseigne
Comme on peut s’y attendre, tout le monde ne vit pas les contrecoups de la solitude et de l’isolement de la même façon. Les organismes caritatifs qui soutiennent les personnes âgées sont les premiers à constater que certaines personnes sont plus touchées par une accumulation de difficultés existentielles. Selon Gregor Sneddon, directeur général de l’organisme basé à Ottawa Aide aux aînés Canada, nous savons que « lorsque les personnes vieillissent et vivent des déficiences physiques et cognitives, elles fréquentent moins le monde et les gens, et elles souffrent des séquelles de l’isolement. Ajoutez à cela une pandémie mondiale qui a forcé les gens à se cloîtrer chez eux, les a empêchés de participer à la vie communautaire et de cultiver un sentiment d’appartenance, les a coupés de leur famille et de leurs amis… et vous obtiendrez un résultat assez médiocre en matière de santé. » Mais la situation est sans aucun doute bien « pire pour ceux qui n’ont pas beaucoup d’argent […]    Ceux qui n’ont aucun choix sont les plus exposés à la solitude, qui, nous le savons, peut être fatale. »

Le Canada a-t-il besoin d’un ministre de la Solitude?
Bill VanGorder, responsable par intérim des politiques de l’Association canadienne des individus retraités (CARP), sait que « la solitude et l’isolement ne touchent pas seulement les personnes que l’on peut considérer comme âgées ». Mais il est tout à fait favorable à la création d’un poste de ministre de la Solitude au Canada « si c’est ce qu’il faut pour remédier aux effets de la solitude et de l’isolement sur les Canadiens. Un ministre veillerait à ce que des programmes soient mis en place pour atténuer ces problèmes, d’autres secteurs du gouvernement lui rendraient des comptes et peut-être, enfin, pourrions-nous changer la façon dont nous nous occupons des personnes âgées au Canada ». Dans des sociétés comme la nôtre, qui prônent l’indépendance et l’individualisme, nous avons tendance à laisser les gens régler et gérer leurs propres problèmes. Mais si vous êtes malade, isolé et sans soutien, c’est beaucoup plus difficile à faire.

Le gouvernement britannique aborde cette question de manière intégrée et reconnaît qu’il reste beaucoup à faire et que chacun doit jouer un rôle. Pour mettre en place un réseau de soutien, il faut pouvoir compter sur le gouvernement ainsi que sur les amis, la famille, les employeurs, les secteurs bénévole et communautaire, les autorités régionales et les organismes de santé publique. Mais ce n’est qu’un début. La stratégie britannique de lutte contre la solitude est guidée par un cadre visant à améliorer et à relier les services sociaux, à réinventer les espaces communautaires, le transport, le logement, la technologie, les approches holistiques de la santé et les campagnes de santé publique visant à sensibiliser et à réduire la stigmatisation liée à la solitude. La campagne lancée en 2019 par le gouvernement, Let’s Talk Loneliness (Parlons de la solitude), en est un exemple : elle souligne l’importance de parler de la solitude tout en dénonçant la stigmatisation qui l’entoure.

La prescription sociale fait même partie du programme; c’est-à-dire que des coordonnateurs communautaires, des conseillers en santé et bien-être et des navigateurs communautaires répondent aux besoins non cliniques (y compris ceux des personnes qui se sentent seules) en mettant les gens en contact avec des groupes et des services communautaires leur procurant un soutien pratique et émotionnel.

L’approche intégrée adoptée par le Royaume-Uni n’a pas encore fait l’objet d’une évaluation, mais elle repose sur des principes qui relèvent du bon sens et qui semblent bien plus solides que les soutiens fragmentés et décousus que l’on connaît au Canada. Bien qu’il existe chez nous aussi des ressources et des programmes, ils peuvent être difficiles à trouver, surtout si une personne est isolée et n’a pas accès à Internet. Et pourtant, le principe ne pourrait être plus simple : la société a tout à gagner quand elle veille au bien-être des personnes âgées et de leurs familles. Cela vaut également pour les personnes qui vivent avec une maladie chronique ou un handicap. Une société véritablement inclusive profite à tous.

Quelle forme prendra le vieillissement inclusif et sain dans notre pays ? Est-ce que notre société reconnaîtra la valeur des personnes âgées ainsi que l’utilité et la dignité de tous, et mettra-t-elle de côté les préjugés et la discrimination fondée sur la capacité? Je nourris l’espoir d’une nouvelle vision  du vieillissement solidaire et inclusif, qui nous amènera à « créer des lieux de vie et des collectivités qui intègrent ces mécanismes de soutien ».

Ressources disponibles au Canada :

Auteure: est directrice, Marketing et communications à la Commission de la santé mentale du Canada. La santé mentale est l’une de ses passions.

Nicole Chevrier

Passionnée de santé mentale, elle est aussi une écrivaine enthousiaste et une photographe de talent. Nicole a récemment publié son premier livre, qui s’adresse aux enfants vivant de l’intimidation. Quand elle n’est pas à son bureau, elle partage ses temps libres entre le yoga, la méditation, la danse de salon, la randonnée pédestre et la photographie des merveilles de la nature. Elle collectionne aussi les couchers de soleil.

Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

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