« C’est un peu comme avec le racisme, illustre-t-il. Il n’est pas nécessaire de lancer des épithètes injurieuses ou de pratiquer des discriminations criantes pour maintenir des normes sociétales implicitement racistes. On n’est pas une mauvaise personne parce qu’on n’a pas conscience d’un phénomène, mais on ne fait pas partie de la solution non plus. C’est la même chose pour la stigmatisation. Ce n’est pas parce que vous évitez les termes péjoratifs que vous n’allez pas inconsciemment écarter un patient qui “se comporte mal” ou qui est “moralement corrompu” parce qu’il se présente d’une façon inappropriée ou inconfortable. »
La beauté de l’ignorance est qu’on peut y remédier, mais un changement de paradigme complet est une mission générationnelle que M. Ungar n’a pas le temps d’entreprendre.
« Cela ne signifie pas que je n’essaie pas, poursuit-il en riant, mais il estime que des stratégies additionnelles sont requises. Je pose la qualité des soins comme principe fondamental pour lequel nous devons nous attaquer à la stigmatisation structurelle », déclare-t-il, soulignant que la mise en place de certains dispositifs de protection des patients dans les politiques des hôpitaux pourrait être le moyen le plus rapide pour accomplir le serment d’Hippocrate.
Une nouvelle voie à suivre
« Pour qu’un facteur soit pris en compte, il faut le mesurer, souligne M. Ungar, et pas seulement dans les cas extrêmes qui déclenchent une enquête du coroner. » Il se remémore une situation où un patient est mort d’une embolie pulmonaire parce que les interrogations entourant sa santé mentale avaient éclipsé le malaise physique qu’il ressentait.
M. Ungar veut changer les règles du jeu, point à la ligne. Il veut que les hôpitaux évaluent la stigmatisation structurelle à partir de critères qui permettent de l’éliminer efficacement. « Par exemple, s’il est obligatoire que tous les patients subissent un examen physique dans la première journée suivant leur admission, il ne revient plus au médecin de juger si un examen est nécessaire. C’est une exigence. »
Pour M. Ungar, ce type d’intervention est une astuce de modification du système de soins de santé : un raccourci rapide et imparfait qu’on emprunte pour améliorer les résultats en parallèle à un travail de longue haleine mené en arrière-plan pour faire évoluer les attitudes et les comportements.
Pour aider les directions des services de santé à comprendre, à évaluer et à mesurer la stigmatisation structurelle à partir d’un cadre qui élimine les obstacles pénalisant le traitement des maladies mentales, M. Ungar travaille à élaborer des outils et de nouvelles normes en collaboration avec une équipe de la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC).
Au sujet de ce projet, il mentionne : « Si nous arrivons à mesurer et à surveiller ces obstacles puis à les intégrer à un tableau de bord obligatoire ou à une fiche de rendement rapide, les éléments à corriger déclencheront un signal d’alarme. Je n’aurai pas à essayer de convaincre mes collègues un à la fois ou à défendre ma cause. J’en ai assez de ces négociations. »
Aux yeux de M. Ungar, c’est la voie décisive à suivre pour l’avenir. « Le travail que j’effectue avec la CSMC est le plus stimulant de ma carrière professionnelle. À ma connaissance, personne d’autre ailleurs ne travaille sur cet enjeu. C’est le genre de changement de politique progressif et réfléchi sur lequel on revient vingt ans plus tard en se demandant pourquoi on n’a pas fait le virage plus tôt. Nos pratiques actuelles nous paraîtront alors dépassées, comme les saignées le sont actuellement. »
Entre temps, M. Ungar prévoit continuer de faire usage de sa considérable influence pour dénoncer la stigmatisation partout où elle est présente.
« Je le ferai sans aucun doute, conclut-il avec un rire, même si pour cela je dois raconter d’absurdes anecdotes de poubelles. »
Webinaire
Inscrivez-vous ici au premier webinaire sur le travail effectué par la CSMC pour enrayer la stigmatisation structurelle associée à la maladie mentale et à la consommation de substances dans les établissements de soins de santé, qui aura lieu le mardi 9 février de midi à 13 h 30 (HE), avec les professeurs Thomas Ungar, Heather Stuart, Jamie Livingston, Javeed Sukhera et Stephanie Knaak. Les participants pourront approfondir leur compréhension de la stigmatisation structurelle, en apprendre davantage sur ses sources et ses conséquences et découvrir comment s’y prendre pour l’abolir.
Surveillez cet espace
Pour le Vecteur de mars, nous nous entretiendrons avec Samaria Nancy Cardinal, défenseure des intérêts des patients, pour discuter des effets néfastes de la stigmatisation structurelle vécue par les utilisateurs du système de soins de santé.