Si vous êtes en état de détresse, veuillez appeler ou texter le 988 n’importe quand. En cas d’urgence, appelez le 9-1-1 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.

Le VecteurConversations sur la santé mentale

Une ligne téléphonique nationale de prévention du suicide, dont le lancement est prévu en novembre 2023, permettra d’offrir du soutien à toutes et à tous 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. 

Vous êtes une mère monoparentale résidant au centre-ville d’Ottawa, qui a dû arrêter le travail en raison de la COVID-19 et vous vous sentez en détresse de ne pas pouvoir honorer votre loyer et les frais alimentaires de votre famille. Vous êtes un adolescent autochtone dans le nord de l’Alberta et vous essayez de vous échapper d’une relation violente. Vous êtes un homme d’âge moyen qui vit au Nouveau-Brunswick et vous n’avez parlé à personne de l’ampleur de la dépression que vous traversez, et vous sentez que vous ne pouvez plus vous battre contre les pulsions suicidaires qui vous assaillent. Vous êtes un réfugié dans une petite ville ontarienne, et vous ne parlez pas l’anglais et les images refoulées des scènes de guerre traumatisantes vous tourmentent. Vous êtes un membre du personnel infirmier à Vancouver, dont le moral est au plus bas à cause des cris des antivaccins à votre encontre alors que vous rendez au travail; et déjà, votre santé mentale et vous-même ne tenez plus qu’à un petit bout de fil en raison de la pénurie de main-d’œuvre.

Qui appelez-vous?

Si vous avez de la chance, vous aurez l’oreille compatissante d’un conseiller d’une ligne d’urgence bien formé au sein de votre communauté. La personne vous écoutera lui raconter votre histoire, cernera votre niveau de risque suicidaire, s’efforcera de réduire votre stress, et vous mettra en contact avec les ressources dont vous avez besoin pour passer au travers de cette période difficile de votre vie et emprunter la voie de solutions durables et de meilleurs moments.

Cependant, vu l’état d’esprit dans lequel vous êtes, il est possible que vous ne sachiez pas quelle direction prendre. Il se peut que vous ressentiez de la honte ou ayez du mal à reconnaître que vous avez besoin d’aide; ou pire, il se peut que vous ayez des pensées suicidaires. Il se pourrait que vous vous sentiez tellement mal que vous ne pouvez chercher un numéro de téléphone au format 1-800-… Peut-être que vous n’avez pas facilement accès à Internet et que vous ignorez quelles mesures de soutien sont disponibles immédiatement.

Mais qu’en serait-il si nous disposions d’un numéro de téléphone d’urgence national à trois chiffres pour la prévention du suicide que tout le monde connaîtrait aussi bien que le 911?

Cette idée fait l’objet d’une exploration et d’une planification sérieuses depuis plusieurs années au Canada, et reçoit un soutien spontané parmi les experts en prévention du suicide, les professionnels de la santé mentale, et les politiciens de tous les paliers de gouvernement. Des pays comme les Pays-Bas et les États-Unis ont mis en place un numéro à trois chiffres, et c’est au tour du Canada de mettre en service un numéro d’urgence de prévention du suicide, le 9-8-8, qui sera disponible partout au pays d’ici la fin de 2023.

Selon Statistique Canada, environ 11 personnes par jour, soit 4000 personnes par an, s’ôtent la vie dans ce pays. Certes, les causes et les circonstances varient, mais chaque décès par suicide est une tragédie qui, pour une multitude de raisons singulières et complexes, n’a pas été évitée.

À mesure que la pandémie faisait rage, les centres d’aide et d’écoute de partout au Canada rapportaient des nombres plus élevés de personnes qui appelaient pour demander de l’aide. Ces demandes d’aide portaient sur les dépendances, les pertes d’emploi, les effets de l’inflation sur le coût de la vie et l’insécurité alimentaire. Pour toutes les personnes qui travaillent dans le domaine de la prévention, maintenant plus que jamais, il sied d’avoir un numéro national d’urgence de prévention du suicide.

« Le concept est largement accepté, » affirme Sean Krausert, directeur général de l’Association canadienne pour la prévention du suicide (ACPS). Basé à Canmore, en Alberta, Sean était l’un des nombreux experts du domaine de la prévention du suicide au Canada (et à l’étranger) à être consulté par les auteurs de Considérations entourant la mise en œuvre d’une ligne de prévention du suicide à trois chiffres au Canada, un document d’orientation de la CSMC de 2021 qui a examiné la littérature et les renseignements pertinents sur le sujet.

« Ce sont plus les questions logistiques de la mise en place qui vont mettre du temps, » a-t-il affirmé. « Il faut un haut degré de sensibilisation du public et un financement solide pour mettre en place un service à l’échelle nationale. »

Compte tenu de l’immensité du territoire canadien et de la grande diversité de la population du pays, mettre en place et faire fonctionner une ligne téléphonique à trois chiffres pour la prévention du suicide représente une tâche complexe. Non seulement un tel service doit être mis en place sur la base de principes d’équité et d’inclusion culturelle, mais il doit aussi disposer d’une infrastructure technologique conséquente.

Par exemple, pour que le 9-8-8 soit opérationnel d’un océan à l’autre, il faut qu’un numéro à 10 chiffres soit en place dans les endroits où la norme est encore un numéro à 7 chiffres, comme à Terre-Neuve-et-Labrador, au nord de l’Ontario et à Yellowknife. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) affirme qu’un délai allant jusqu’en novembre 2023 pourra être nécessaire pour passer à un numéro à 10 chiffres dans ces localités. Lorsque le système du 9-8-8 sera prêt et fonctionnel, tous les appels et les textes placés au 9-8-8 seront dirigés vers un service d’urgence de santé mentale et de prévention du suicide, et ce, sans frais.

Par ailleurs, l’accès à des conseillers bien formés doit aussi être assuré 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 dans chaque région du pays afin de répondre aux besoins variés et de s’assurer que les gens reçoivent l’aide dont ils ont besoin, qu’ils résident dans un centre urbain ou dans une région éloignée, qu’ils soient jeunes ou vieux, qu’ils parlent anglais, français ou une autre langue, ou soient confrontés à des dépendances, à de la violence ou à une maladie mentale. Cela signifie qu’il y a un seul numéro que toute personne en situation de crise suicidaire peut appeler, peu importe le milieu dont il est issu, ou ses circonstances.

« Comme beaucoup de gens, j’ai toujours pensé que peu importe ce à quoi j’étais confronté dans ma vie, je devrais y faire face seul, » a laissé entendre Érick Légaré, dans une vidéo de 2019 réalisée par I’Association québécoise de prévention du suicide. Érick, qui a maintenant 50 ans, a tenté de mettre fin à ses jours à l’âge de 45 ans et est reconnaissant pour l’aide qu’il a reçue lorsqu’il traversait cette période difficile. Aujourd’hui, il a un message urgent pour toutes les personnes qui ont des pensées suicidaires : « Si vous avez besoin d’aide, sachez qu’elle est disponible. Il vous faut juste laisser passer les choses et les accepter. Parlez à quelqu’un. »

De toute évidence, une ligne téléphonique nationale de prévention du suicide représente un apport considérable aux mesures de soutien déjà en place à l’échelle locale et régionale au Canada. « Quel que soit le service qu’elle va offrir, il est essentiel d’offrir des mesures de soutien de santé mentale immédiates 24 heures sur 24 aux personnes en détresse qui appellent à cette ligne, a affirmé Andrea Poncia du Réseau communautaire de prévention du suicide d’Ottawa, qui a également souligné que, pour qu’une ligne téléphonique nationale soit efficace, “le financement doit être élargi et maintenu à long terme.”

Leslie Scott, gestionnaire de médias et communications auprès des Centres d’aide et d’écoute d’Ottawa et de ses régions environnantes, soutient qu’une ligne téléphonique nationale d’urgence à trois chiffres est une bonne idée, qui pourrait permettre de relâcher la pression sur les centres locaux d’aide et d’écoute à but non lucratif.

« La COVID-19 a été intense, » a affirmé Leslie, avec plus d’appels placés auprès des services d’aide et d’écoute que jamais auparavant. Pour réussir, un service national aura besoin d’une « vaste campagne de marketing » pour s’assurer que les gens connaissent son existence et comprennent ce qu’il offre. Comme Andrea, Leslie pense que le financement est capital pour former les personnes qui répondront au téléphone, afin qu’elles soient compétentes à utiliser les pratiques exemplaires pour aider une personne qui traverse une crise suicidaire. Les conseillers téléphoniques dans les centres d’aide et d’écoute au Canada reçoivent maintenant la Formation appliquée en techniques d’intervention face au suicide (FATIFS), qui leur permet d’offrir « les premiers soins de prévention du suicide » à toute personne qui en a besoin. Les conseillers auprès des lignes d’écoute nationale auront également besoin de cette formation, en plus d’avoir une solide connaissance des services qui sont disponibles pour toutes les personnes qui appellent, peu importe où elles se trouvent. Cela leur permettra de faire un tri et d’orienter les gens vers le soutien approprié, aussi bien dans le court que le long terme. Un adolescent autochtone en Alberta aura besoin de quelque chose de différent qu’un homme d’âge moyen qui vit au Nouveau-Brunswick, qu’un ainé agriculteur dans une zone rurale de l’Ontario, ou qu’un nouveau réfugié de guerre aux prises avec un TSPT dont la première langue n’est pas l’anglais.

« Il faut des gens qui savent faire preuve d’une écoute active, » a affirmé Leslie. « Vous devez être en mesure d’évaluer l’état d’esprit des gens, d’aller dans les détails avec eux. Vous devez réussir à pénétrer jusqu’au cœur de leur histoire. »

La mise en place d’une ligne d’écoute d’urgence nationale pour la prévention du suicide pourrait aussi servir un autre objectif majeur : celui de réduire le sentiment de stigmatisation que peuvent ressentir les gens concernant le fait de demander de l’aide ou d’admettre qu’ils sont confrontés à un problème de santé mentale. Leslie fait remarquer qu’il est possible que les personnes qui font le premier pas en vue d’obtenir de l’aide intériorisent le langage et les points de vue stigmatisants.

« Malheureusement, certaines personnes pensent encore que si elles appellent pour obtenir de l’aide, elles seront prises et internées dans un asile psychiatrique. Mais évidemment, ce ne sera pas le cas, » a laissé entendre Leslie. Savoir qu’il existe un numéro de téléphone que n’importe qui peut utiliser, à tout moment, devrait contribuer à la sensibilisation selon laquelle tout être humain traverse des moments de combat, une aide est disponible et vous n’êtes pas seul.

Karen Letofsky, une éminente experte de la prévention du suicide au Canada, récipiendaire de l’Ordre du Canada en 2007 en reconnaissance de ses années de service dans le domaine, a affirmé que l’idée d’une ligne téléphonique nationale de prévention du suicide est quelque chose pour laquelle les leaders du secteur des centres d’aide et d’écoute ont plaidé depuis plusieurs années, à commencer par la formation des partenariats en vue de pousser l’idée à devenir une réalité en 2015. « Nous savions qu’il nous fallait un plan raisonnable, et de l’argent pour un projet pilote. Une fois que nous avions cela, nous pouvions commencer à nous organiser. Renforcer les capacités était un objectif ambitieux. Si vous élargissez l’accès à un service comme celui-ci, cela signifie qu’il vous faut des ressources suffisantes et du personnel adéquat pour garantir la réussite. »

C’était « un travail colossal d’offrir l’accès universel à un numéro national de prévention du suicide, » a-t-elle ajouté, « mais c’est absolument un but qui en vaut la peine et qui permettra de normaliser la demande d’aide. » Bien que les nombreux détails entourant le financement, l’infrastructure technologique, la connexion des services, et la formation partout dans le pays sont toujours en discussion, Karen est optimiste que les organisations partenaires trouveront le meilleur modèle pour le Canada.

Ci-dessous les organisations travaillant avec la CSMC et L’ACPS : l’Association canadienne pour la santé mentale, le Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), l’Agence de la santé publique du Canada, Anciens Combattants Canada, et Jeunesse, J’écoute. Ensemble, elles ont aussi consulté des organisations comme 113 Prévention du suicide aux Pays-Bas et la Substance Abuse and Mental Health Services Administration aux États-Unis, qui dispose d’un modèle hybride permettant aux gens de choisir soit de texter ou de téléphoner au numéro à trois chiffres.

Plus que tout, a affirmé Karen, la clé pour offrir un service de qualité consistera à s’assurer que les personnes qui répondent aux appels téléphoniques soient des « répondants bien formés à écouter. »

C’est précisément ce lien de personne à personne établi entre un être humain compatissant et un autre être humain en détresse qui est capital. « Ne nous égarons pas dans les nombres, les statistiques et les algorithmes. Chaque personne est unique. Nous ne voulons pas perdre l’histoire personnelle. »

La CSMC offre des webinaires, des trousses d’outils, des modules de formation, et un éventail d’autres ressources sur sa page Prévention du suicide.

est l’auteure de After Daniel : A Suicide Survivor’s Tale. Elle enseigne dans les programmes de journalisme à l’Université Carleton et au Collège algonquin à Ottawa.
Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

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