Si vous êtes en état de détresse, veuillez appeler ou texter le 988 n’importe quand. En cas d’urgence, appelez le 9-1-1 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.

Debra Slater est le genre de personne à qui on confierait le soin de ses proches. Née pour rendre soin des autres de son propre aveu, elle s’est occupée de sa grand-mère à Saint-Vincent-et-les Grenadines, avant d’entreprendre des études pour devenir préposée aux services de soutien personnel (PSSP) lorsqu’elle a immigré au Canada. Slater adore apprendre des aînés qui se trouvent sous sa garde, dans un centre de soins de longue durée en périphérie de Toronto. Elle les salue par leur nom, s’assurant d’établir un contact, que ce soit par le regard ou par un sourire, bavarde avec eux et s’efforce de tisser des liens avec eux, quel que soit leur état cognitif. Elle traite les clients comme des personnes, qu’elle aide à accomplir leurs activités de la vie quotidienne, par exemple prendre un bain, s’habiller et manger.

« Il faut prendre le temps de comprendre leurs émotions et leurs sentiments, affirme Slater, qui a œuvré par intermittence comme PSSP pendant plus de 20 ans. On devient un peu comme leur famille. Ils ne sont pas “mes patients”. Ce sont des individus, qui cherchent à vivre d’une manière aussi autonome que possible, et ils sont ici à la maison. Mon travail est de leur apporter confort, sérénité, amour et compagnie. Tout ça est relié dans l’atmosphère que nous essayons de créer. »

Debra Slater

Debra Slater, préposée aux services de soutien personnel, est aussi coordonnatrice du Empower PSW Network, qui revendique de meilleures conditions de travail.

Slater conserve cette attitude bienveillante, même si elle doit souvent jongler avec les besoins variés de huit résidents durant son quart de travail. Parfois, l’un d’eux a mal dormi, un autre souffre d’un problème médical… et si un des collègues de Slater s’absente, elle doit en plus prendre le relais pour une partie de ses clients. « Parfois, lorsque la journée est dure, il faut redoubler d’efforts pour demeurer pleinement présent, réfléchit-elle en faisant référence aux interventions de désescalade et de résolution de problème qu’elle doit effectuer. Il y a un prix à payer; ma santé mentale est en montagnes russes. »

De nombreux fournisseurs de soins exercent leur métier parce qu’ils ont la fibre nourricière, comme elle. Pourtant, 80 p. 100 d’entre eux ont songé à réorienter leur carrière, selon un rapport publié l’an dernier par le Centre canadien d’excellence pour les aidants (CCEA).

Partout au pays, des PSSP, des intervenants en soutien direct – qui travaillent auprès de personnes en situation de handicap – et d’autres travailleurs rémunérés dans le domaine des soins de santé se sentent stressés, surmenés et sous-payés. Cette main-d’œuvre est largement composée de femmes racisées, souvent nouvellement arrivées au Canada, qui sont confrontées à des taux élevés d’abus et de discrimination en milieu de travail.

La majorité de ces personnes, qui œuvrent dans des établissements de vie collective et assurent des soins à domicile pour divers employeurs publics et privés, sont en réalité des travailleurs à la tâche, sans avantages tels que des congés de maladie payés ou l’accès à des services de counseling.

Moins de la moitié des PSSP sondés dans le cadre d’une initiative conjointe de l’Université de Toronto et du laboratoire Upstream de l’hôpital St. Michael’s ont indiqué que leur santé était bonne ou excellente, une proportion inférieure à la moyenne nationale. Dans un article publié en 2022, les chercheurs ont constaté que plus de 20 p. 100 des répondants souffraient d’une forme de trouble dépressif, ce qui « dépasse considérablement la prévalence des épisodes dépressifs majeurs dans la population canadienne ».

Dans un pays où la population est vieillissante, le défi est de taille. Si nous ne prenons pas soin des PSSP et des autres fournisseurs de soins, comment pouvons-nous espérer qu’ils prennent en charge nos citoyens les plus vulnérables ?

Un métier à haut risque

Plus de 650 PSSP dans la région du Grand Toronto ont répondu au sondage du laboratoire Upstream, qui a révélé les statistiques suivantes :

  • 97 % d’entre eux sont nés à l’extérieur du Canada.
  • 86 % occupent un emploi précaire.
  • 89 % n’ont droit à aucun congé de maladie payé.
  • 90 % sont des femmes.
  • Bon nombre d’entre eux sont des travailleurs à la tâche touchant un salaire s’échelonnant de 17 $ de l’heure dans les soins à domicile et les soins communautaires à 25 $ dans les établissements publics de soins de longue durée.

Ce portrait éclair est représentatif de la situation des fournisseurs de soins partout au pays, selon l’article du laboratoire Upstream. Leurs conditions précaires sont « significativement associées à un risque accru de dépression. »

Au Canada, les emplois dans le domaine de la santé étaient généralement stables, mais au fil des trois dernières décennies, « les disparités dans le salaire et les conditions de travail des professionnels agréés (comme les médecins et le personnel infirmier) et d’autres travailleurs à temps partiel, temporaires, contractuels ou non syndiqués se sont creusées », rapportent les chercheurs. En raison de la volonté de décharger les patients des soins aigus et de privilégier le vieillissement à domicile, la demande de PSSP a considérablement augmenté, ces derniers représentant désormais quelque 10 p. 100 de l’ensemble des travailleurs de la santé. Cette main-d’œuvre croît relativement rapidement, affirme le Dr Andrew Pinto, directeur du laboratoire Upstream, sans que l’on s’attarde aux conséquences de ce changement.

Ces conditions de travail médiocres peuvent porter atteinte à la santé physique et mentale, souligne le Dr Pinto, qui est médecin de famille en plus de son poste de spécialiste de la santé publique. Dans un système qui récompense la « réduction des coûts » et la capacité de « faire plus avec moins », il explique que bien des PSSP craignent les représailles de leur employeur s’ils font mention de problèmes rencontrés au travail. Cela, le Dr Pinto l’a appris de ses recherches, et aussi des patients PSSP qu’il traite dans sa pratique. « Ils sont totalement dévoués à prendre soin des autres et tirent beaucoup de fierté de leur travail, dit-il, mais ne reçoivent pas le respect qu’ils méritent. »

Dr. Andrew Pinto

Le Dr Andrew Pinto : De meilleures conditions de travail donnent lieu à de meilleurs résultats de santé. Photo: Upstream Lab

Le Dr Pinto est convaincu qu’en dépit des pressions économiques et démographiques, le système peut être réformé. Parce que le système relève d’un financement public, une revendication collective de « respect des droits fondamentaux » – salaires décents, congés de maladie, accès à des ressources de santé, possibilité de signaler des problèmes systémiques – permettrait d’améliorer les conditions des fournisseurs de soins, et ce, qu’ils travaillent pour le gouvernement ou pour un employeur privé. « Personne ne veut confier ses proches à des travailleurs à la tâche, affirme le Dr Pinto. Des emplois de meilleure qualité amélioreront non seulement la santé des PSSP, mais aussi la qualité des soins qu’ils prodiguent et les résultats en matière de santé pour tous les Canadiens. »

Pour poursuivre la campagne pour une réforme des politiques, le projet de recherche du laboratoire Upstream a créé le réseau Empower PSW Network, une coalition de prestataires de soins ayant pour but de sensibiliser les gens à la cause et de revendiquer des changements. Slater, coordonnatrice du réseau, estime qu’avant tout, les PSSP ont besoin d’un plus grand soutien structuré. « Le problème ne réside pas dans le travail comme tel, mais dans la façon dont nous sommes traités. »

Des soins réduits au silence

Liv Mendelsohn, directrice générale du CCEA, connaît des PSSP qui n’ont d’autre toit que leur voiture, parce qu’ils sont incapables de se payer un logement. Des préposés lui ont raconté le stress de courir entre les centres de soins et les résidences privées pour joindre les deux bouts. « Nous dépendons de ces gens pour fournir des soins très intimes, dit-elle, mais nous n’en faisons pas assez pour préserver leur santé. » De surcroît, lorsqu’une personne dépend d’un employeur en particulier pour conserver sa permission de séjour au Canada, elle choisit souvent de garder le silence quand elle fait face à des situations de discrimination ou d’exploitation.

Le CCEA a appelé le gouvernement fédéral à imposer un salaire horaire minimal de 25 $ pour tous les PSSP. Mendelsohn signale qu’il est primordial d’offrir des avantages sociaux uniformes afin de prévenir l’épuisement et de réduire le nombre de PSSP qui migrent vers des emplois dans les soins aigus, à la recherche de plus de stabilité. Malgré l’ampleur de la tâche, elle garde espoir. « Notre système n’a pas le choix de s’améliorer, déclare-t-elle. La situation ne peut tout simplement pas continuer sans renforcer le soutien offert aux PSSP. »

« Ce qu’il faut, c’est plus que des bras, poursuit Mendelsohn, qui entrevoit une nouvelle ère où, par exemple, un aîné atteint de démence gagnerait en qualité de vie parce qu’il est pris en charge par la même personne tous les jours. Nous avons besoin de gens qualifiés et empathiques, et nous devons reconnaître qu’ils sont un maillon indispensable de notre système de santé. »

Dans une autre réalité, Kezia (nom de famille omis pour protéger ses perspectives d’emploi) aurait pu devenir une de ces travailleuses de soutien. Née en Inde, elle a passé son enfance aux Bahamas avant de déménager à l’Île-du-Prince-Édouard, où elle a fait ses études universitaires en travaillant comme PSSP et comme intervenante en soutien direct pour couvrir ses dépenses. Kezia a cuisiné, nettoyé, aidé ses clients dans les activités de la vie quotidienne, les a accompagnés à des programmes de jour et des rendez-vous médicaux. La courbe d’apprentissage était abrupte, mais grâce à des collègues bienveillants, elle a trouvé son rythme. « Nous essayions de cultiver une ambiance chaleureuse, comme à la maison, dit-elle. Avec le temps, c’est devenu une vocation. »

En revanche, Kezia, qui était au début de la vingtaine à l’époque, a aussi subi du racisme et des commentaires inappropriés à caractère sexuel. Lorsqu’elle en parlait à son gestionnaire, « c’était comme frapper un mur ». Elle sentait que ses employeurs ne la reconnaissaient pas à sa juste valeur, même après un quart de 16 heures. Si elle manquait une journée, elle n’était pas payée, ce qui grugeait son budget pour son loyer et son épicerie. Épuisée, elle négligeait sa propre santé. Après trois ans, elle a abandonné le métier.

« Si j’avais été mieux traitée, je serais peut-être restée, conclut-elle. Les PSSP sont la colonne vertébrale de notre système de santé. Mais je ne pourrai jamais y retourner. » À la place, Kezia est retournée sur les bancs d’école. Elle veut devenir infirmière.

Lecture complémentaire : La santé mentale au travail, ça compte. Comment engager la conversation.

En savoir plus : Ressources pour les aidants, du Centre canadien d’excellence pour les aidants (CCEA). 

En 2009, Zac Crouse et Corey Morris, deux kayakistes chevronnés, descendaient une rivière gonflée par la pluie en Nouvelle-Écosse lorsque Corey a été englouti par une chute d’eau, ce qui lui fut fatal. Les deux hommes planifiaient une expédition de kayak qui devait les mener de l’Ontario jusqu’à l’océan Atlantique. Traumatisé par la mort de son ami proche, Zac Crouse a entamé une thérapie et commencé à prendre des médicaments. Deux ans plus tard, sa guérison passait par une excursion de 1 500 kilomètres en solitaire.

« Au départ, il s’agissait d’un défi physique, mais aussi d’un défi cognitif de haut niveau, raconte Crouse, autrefois thérapeute en loisirs et maintenant enseignant en thérapie par le loisir à l’université. On entre dans une sorte de transe quand on passe tant d’heures à pagayer. Le cerveau finit par voir sur l’eau des motifs qui ne correspondent à aucune idée préconçue. Et il y a aussi les sons et la caresse du vent. On se sent apaisé », ajoute-t-il.

« Les mouvements répétitifs, l’effort, toutes les petites choses auxquelles il faut prêter attention pour avancer créent une sensation de fluidité, précise Crouse. Et les problèmes qu’il faut résoudre sont très pratiques et immédiats, l’avenir n’existe pas. »

Grâce à cette expédition, Crouse a pu laisser derrière lui ruminations et regrets. Elle l’a aidé à se rétablir. Chacun vit et réagit différemment aux traumatismes. Mais le voyage de Crouse illustre le pouvoir thérapeutique des « espaces bleus ».

Zac Crouse.

Zac Crouse enseigne la thérapie par le loisir. Après la mort de son ami proche, Corey Morris, il s’est lancé dans une longue expédition en kayak dans l’espoir de guérir.

Une seconde nature

Les bienfaits de la nature sont bien connus : baisse de la tension artérielle et du taux d’hormones de stress, diminution de l’anxiété, amélioration de l’estime de soi. À l’heure actuelle, de plus en plus d’études montrent que le fait de passer du temps au bord de l’eau, sur l’eau ou dans l’eau est peut-être plus salutaire que n’importe quelle autre activité de plein air. Par exemple, dans un article publié en 2022, deux chercheurs de l’Université de Californie à Davis montrent que les participants à une étude avaient ressenti les bienfaits de l’eau tout simplement en regardant un ruisseau ou une piscine. Ils s’étaient détendus, et leur tension artérielle et leur rythme cardiaque avaient diminué. Les auteurs expliquent ce constat entre autres par le fait que, à un moment de son évolution, l’être humain aurait éprouvé une diminution du stress lorsqu’il repérait une source d’eau potable dans un environnement aride.

Évidemment, tout milieu aquatique comporte aussi son lot de dangers. Selon les centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC), la noyade est la troisième cause de décès par blessure involontaire dans le monde. Les inondations sont parmi les conséquences les plus meurtrières du changement climatique, et elles ont tendance à déplacer ou à tuer ceux qui sont les moins susceptibles de s’échapper ou de s’adapter. Pourtant, notre espèce entretient un lien biopsychologique profond avec la structure moléculaire de l’eau, composée de deux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène.  Depuis une dizaine d’années, les chercheurs s’efforcent de décortiquer notre affinité avec l’eau et étudient en quoi l’intégration d’espaces bleus dans nos villes et nos vies pourrait s’avérer extrêmement bénéfique.

Selon Jenny Roe, psychologue de l’environnement et directrice du Center for Design and Health de l’Université de Virginie, les espaces bleus possèdent quatre propriétés qui stimulent notre système nerveux parasympathique – un réseau de nerfs qui aide notre corps à se détendre après une expérience stressante ou dangereuse.

Tout d’abord, l’eau procure une sensation d’éloignement. Tranquille ou agitée, l’eau nous incite à l’introspection ou à la connexion avec notre environnement, deux états qui rompent avec nos comportements habituels.

Deuxièmement, les espaces bleus – et tout particulièrement les vastes plans d’eau – nous procurent un sentiment « océanique », l’impression d’être plongé dans un espace sans limite où tout est possible. On peut éprouver cette sensation d’infini ailleurs, par exemple lors d’une randonnée en montagne, mais elle est encore plus prononcée dans un espace bleu, lorsque le regard balaie l’horizon ou scrute les profondeurs d’un lac.

Troisièmement, les sons et les mouvements de l’eau – qui s’écoule sur des rochers, par exemple, ou qui danse au soleil – peuvent susciter une « fascination dure », c’est-à-dire capter notre attention par la stimulation, ou une « fascination douce », qui nous plonge doucement dans une sorte d’état hypnotique laissant notre esprit libre de vagabonder sans effort. Ces deux types d’attention favorisent le mieux-être. Quatrièmement, l’eau confère un sentiment de compatibilité avec notre environnement, de confort et d’appartenance.

Dan Rubinstein

L’auteur, Dan Rubinstein, qui pratique la planche à pagaie, est parti d’Ottawa en juin 2023 pour parcourir 2 000 kilomètres sur l’eau et explorer le pouvoir thérapeutique des espaces bleus – une expédition qui lui a inspiré le livre qui va bientôt paraître, Water Borne.

État de grâce

Mat White, de l’Université de Vienne, est également psychologue de l’environnement et sans doute la plus grande autorité mondiale en matière d’espaces bleus. Il étudie ce qui se passe quand on fait une activité (planche à pagaie, nage, surf, marche, contemplation) au bord de l’eau ou sur l’eau, qu’il s’agisse de l’océan ou d’une fontaine en pleine ville. Après avoir dirigé plusieurs projets de recherche et réalisé de savants calculs, White a atteint la conclusion que les milieux aquatiques nous sont bénéfiques, car ils offrent des occasions de réduire le stress et de faire de l’activité physique.

Dans un article, Mat White résume les conclusions d’une étude ayant consisté à analyser un recensement réalisé au Royaume-Uni qui comptait environ 48 millions d’adultes. Il a constaté que plus les gens vivent près d’une côte, plus ils sont heureux et en bonne santé. « Cette étude nous montre essentiellement que ce sont les collectivités et les personnes les plus pauvres qui bénéficient de la proximité de l’eau, explique-t-il en parlant de la santé mentale et physique. Quand on est riche, peu importe le temps que l’on passe dans un espace bleu, on est en bonne santé et heureux de toute façon. Mais quand on est pauvre, l’effet est considérable. »

L’idée selon laquelle un lieu doté de certaines caractéristiques environnementales aurait le pouvoir de réduire les inégalités socioéconomiques sur le plan de la santé s’appelle l’équigénèse. C’est Rich Mitchell, chercheur en santé publique à l’Université de Glasgow, qui a inventé ce terme dans un article sur la question. Il y affirmait que, dans le domaine de la santé, les disparités liées au revenu s’estompaient dans les quartiers situés à proximité de la nature.

Selon White, la qualité des espaces bleus influe sur leurs propriétés thérapeutiques, tout comme la manière dont nous interagissons avec eux. Ces variables sont influencées par la géographie ainsi que par des différences cognitives et culturelles.  Par exemple, on a tendance à aimer retourner dans les endroits que l’on a visités quand on était enfant. Et il existe aussi des différences substantielles entre marcher et s’asseoir. De plus, les effets varient en fonction de la proximité d’un espace bleu et de la fréquence des visites.  Mais dans l’ensemble, lorsqu’on est près de l’eau, on perd la notion du temps et on a tendance à bouger. Or, chaque minute d’activité profite à notre santé.  Selon White, « ce n’est pas seulement la proximité de l’eau qui nous fait du bien », mais aussi le sentiment d’appartenance qu’elle procure et qui nous amène à passer des moments de qualité avec les autres, sur une plage par exemple.  « La présence de l’eau induit ce genre d’interactions. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous pensons que les espaces bleus atténuent les inégalités en matière de santé. Ce sont des espaces sociaux qui favorisent les contacts intergénérationnels. »

Une adaptation de Water Borne: A 1,200-Mile Paddleboarding Pilgrimage, par Dan Rubinstein, qui paraîtra en juin 2025 chez ECW Press.

Lecture complémentaire : Bien faire son deuil : Y a-t-il une bonne manière de vivre un deuil… et combien de temps cela doit-il durer?

Ressource : Où obtenir des soins? – Un guide pour s’orienter dans les services publics et privés de santé mentale au Canada.

La série du Club de lecture présente des ouvrages de qualité qui bousculent les stéréotypes et la stigmatisation.

On peut imaginer que Jonathan Stea possède un aimant affichant « J’adore la méthode scientifique » sur son frigo, car son livre évoque parfois le dévouement d’un professeur de sciences du secondaire essayant de susciter l’enthousiasme d’un public peu réceptif. Parfois, ça fonctionne.

La couverture du livre « Mind the Science » Veuillez noter que cet ouvrage est disponible en anglais seulement.

Stea y parvient haut la main. Il est professeur adjoint au Département de psychologie de l’Université de Calgary et psychologue clinicien à plein temps. Il intervient aussi souvent sur les réseaux sociaux pour réfuter des mythes et rectifier des faits. (Il arrive même que sa mère s’immisce dans la discussion virtuelle pour s’attaquer aux trolls.)

Stea s’adresse à un public de profanes, sans pointer du doigt et sans simplifier à l’excès, tout en nuance. L’auteur présente des histoires captivantes ainsi qu’un aperçu de la manière d’évaluer la recherche, tout en expliquant l’importance de l’évaluation, des tests, de la révision par les pairs et des différentes méthodes de recherche.

Toutefois, il doit lutter contre un flot incessant d’avis à l’emporte-pièce sur Internet, un vaste hyper-univers de promesses douteuses émanant d’innombrables « experts » autoproclamés en matière de santé physique et mentale, de célébrités qui endossent ces idées et d’autres encore, regroupés sous la bannière du vocable fourre-tout de « bien-être ». Il s’agit d’un espace immense qui est peu réglementé, et dans lequel de nombreux influenceurs peuvent s’installer et proposer librement des conseils allant du plus mignon au plus mortel.

Faut-il tout rejeter en bloc? Non. Par exemple, vous pourriez choisir de dépenser de jolies sommes pour un programme de repas vaguement spirituel qui suit les tendances du moment. Ce sera sans doute délicieux, même réconfortant. Mais il y a aussi des cas plus sombres, comme celui de Kirby Brown, qui a participé à une retraite de « guerriers spirituels » en Arizona. En 2009, Kirby Brown et deux autres participants sont décédés lors de la dernière activité de la retraite, à savoir une piètre imitation d’une « hutte de sudation » autochtone. Une vingtaine de participants ont aussi été transportés dans des hôpitaux à proximité.

Sécurité des consommateurs

La famille Brown a canalisé son chagrin dans une organisation dénommée SEEK Safely, vouée à sensibiliser le public aux préjudices potentiels de l’industrie du bien-être, fournir des renseignements aux consommateurs et promouvoir la sécurité et la responsabilité. Stea raconte cette histoire dans un livre titré « Saving Your Mental Health from the Wellness Industry » (ou comment protéger sa santé mentale face à l’industrie du bien-être).

De quoi devons-nous être protégés? Et bien, cela dépend. Stea raconte l’humanité avec humilité, reconnaissant nos contradictions, nos défauts et les circonstances changeantes dans lesquelles nous évoluons. Il fait part de son expérience personnelle de proche aidant, confronté à la frustration de traitements inefficaces. Jeune, il se sentait désemparé face aux limites de la science. Comment se fait-il qu’une science ayant la capacité d’envoyer un homme sur la Lune puisse du même coup plonger ses proches dans un « brouillard d’incertitude médicale »?, s’interroge-t-il.

En tant que simple mortel qui finira par tomber malade, l’auteur se demande comment il pourrait réagir à un tel événement. « Est-ce que je me tournerai vers les cristaux de guérison? Peut-être. Le désespoir nous pousse parfois à des extrémités. »

Une telle vulnérabilité dans les moments de crise peut exposer les gens à être exploités alors qu’ils sont probablement en quête de croissance, d’un sens plus profond, d’une connexion et d’un point d’ancrage paisible dans un monde où règnent le chaos et la confusion. De surcroît, les traitements inefficaces produisent des effets néfastes, vident vos poches et sapent la confiance envers les fondements scientifiques. En revanche, souligne Stea, certains traitements de mieux-être arrivent à offrir un sentiment de réconfort et de chaleur face à un système de santé fragmenté qui n’a pas toujours le temps de fournir des soins chaleureux ou des services rassurants au chevet des patients. Il faut seulement savoir faire la différence.

A cat with orange fur
Plus qu’un toutou: Votre thérapeute est-il réel ou félin? Le cas de George le chat illustre l’importance de connaître la réglementation à laquelle les professionnels du bien-être sont assujettis dans votre région.

Stea semble rempli d’espoir et de confiance envers la capacité des gens à trier un tas d’informations. J’essaie de partager ce point de vue, mais je m’interroge souvent sur notre aptitude à évaluer en permanence les données reçues pour prendre des décisions réfléchies.

La plupart des gens, qui traversent la vie à des vitesses vertigineuses, s’arrêtent-ils pour réfléchir à leurs erreurs de raisonnement et de logique « préférées »? J’aime bien la notion de conscience de soi, mais ce n’est pas tout le monde qui en fait preuve tout le temps, et encore moins dans les situations tendues, comme celles perpétuées par les interactions en ligne et les algorithmes.

La clé est de la faire évoluer. « Cette conscience est notre amie lorsqu’il s’agit de comprendre la légitimité de certaines évaluations, diagnostics et traitements liés à la santé mentale », écrit Stea. Au-delà des méthodes scientifiques quantitatives et qualitatives, l’auteur évoque les modes de connaissance autochtones, qui ne doivent pas être instrumentalisés, ainsi que la valeur du savoir expérientiel passé et présent, qui permet aux gens de partager des points de vue subjectifs sur leur vie, les événements qu’ils vivent et leurs idées.

À surveiller

Stea donne des conseils utiles pour acquérir des connaissances scientifiques et vulgarise les concepts d’essais contrôlés randomisés et d’autres processus fondés sur des données probantes. Il met en garde contre le jargon pseudo-clinique qui prétend être scientifique, mais ne se conforme pas aux méthodes de recherche. Voici un indice de taille : le refus de se soumettre à des examens par les pairs.

« La science est une machine autocritique », explique-t-il. « La révision par les pairs consiste essentiellement à demander à des experts d’un domaine scientifique d’évaluer les travaux des autres et de déterminer s’ils sont acceptables ou non, explique-t-il. Les promoteurs des pseudosciences sont experts dans l’art d’esquiver le processus d’évaluation par les pairs. Ils l’évitent complètement ou s’autopublient sur des blogues, des sites Web, des bulletins d’information ou des réseaux sociaux. Ils prétendent que leurs théories préférées ne peuvent pas être vérifiées de manière adéquate avec les méthodes scientifiques actuelles, ou ils imputent à l’élite scientifique un préjugé défavorable à leur égard », écrit-il.

Stea démystifie le concept de science dans son ensemble, en soulignant qu’il s’agit d’un outil et d’un processus, et non d’une doctrine en laquelle il faut croire. « La science n’est pas un Dieu. Ni une licorne. »

Scepticisme sain

Pour endiguer ce phénomène, Stea propose une pratique facile à mettre en œuvre : dompter son moteur de recherche. En gros, explique-t-il, c’est comme aller faire ses courses à l’épicerie et éviter les achats impulsifs. La clé : se préparer une liste. « Quelles sont les raisons de votre recherche en ligne? Le fait de savoir ce dont vous cherchez – par exemple, trouver un thérapeute ou des moyens d’améliorer votre santé – peut vous éviter de tomber dans des pièges », explique-t-il.

Un esprit critique à l’égard des informations en ligne est un atout précieux pour se frayer un chemin dans un espace virtuel surchargé. Si vous avez besoin d’un rappel, vous pourrez toujours choisir George le chat comme fond d’écran. Un chat domestique orange et blanc a été enregistré en tant qu’hypnothérapeute auprès de trois organismes professionnels britanniques par un journaliste de la BBC, révélant ainsi les failles de la certification et des titres de compétences. Cet exemple, bien qu’amusant, peut servir de rappel. « Nous tombons tous, à des degrés divers, dans le panneau des fausses nouvelles scientifiques, et il est plus facile, avec le recul, de comprendre notre méprise », écrit Stea.

Apprendre de ces erreurs et se doter de connaissances médiatiques et scientifiques peut offrir une structure et un certain contrôle face aux fausses nouvelles scientifiques qui se multiplient.

Lecture complémentaire : Club de lecture – Ça n’existe que dans sa tête : comment les préjugés sexistes nuisent à la santé mentale des femmes

Ressource : La désinformation en ligne : Si du contenu en ligne vous fait sourciller, vous devez vous questionner.

Le Mois de l’histoire des Noirs 2025 est axé sur l’héritage et le leadership des personnes noires, un sujet que nous avons exploré dans Le Vecteur sur les manifestations et sur la quête de soins adaptés sur le plan culturel. Dans le présent article, nous nous penchons sur le thème de cette année, la résistance, et explorons ses liens avec la résilience. Nous nous interrogeons sur la manière de rendre possible un avenir plus équitable en concevant des projets adaptés aux communautés africaines, caribéennes et noires, ainsi qu’à d’autres personnes non représentées par la « moyenne ».

Pendant que je faisais mon épicerie, une employée s’est approchée de moi et a commencé à passer les articles de mon panier à la caisse libre-service. Le tout s’est déroulé en silence. Je n’avais pas demandé d’aide et la préposée ne m’a pas demandé si j’en avais besoin. Elle est simplement venue se placer à côté de moi et a commencé à balayer mes produits.

Certains pourraient qualifier ce geste comme étant un bon service, mais je ne l’ai pas ressenti comme tel. J’ai plutôt eu l’impression qu’elle me pensait trop stupide ou trop lente pour payer pour mes articles. Elle n’a pas approché les autres clients qui étaient là, dont un jeune homme à une caisse voisine ainsi qu’une mère avec son enfant en bas âge à une autre. En me rappelant certaines expériences antérieures, je me suis demandé si elle croyait que j’essaierais de voler les produits.

Je suis Noire, et il m’est arrivé plus d’une fois d’être suivie dans les magasins. Pourtant, mes articles n’étaient ni discrets ni coûteux : des essuie-tout, un sac de riz et quelques autres choses – pas vraiment une sélection qui aurait permis de camoufler quoi que ce soit dans mes poches. En l’absence d’une affluence assez importante pour passer inaperçue, pourquoi méritais-je une telle attention?

D’autres hypothèses me sont passées par la tête alors que je quittais les lieux, et c’est là que j’ai remarqué que l’employée s’est approchée pour « aider » une autre cliente qui ne lui avait rien demandé. Ce que nous avions en commun, c’était nos cheveux gris.

Les préjugés, c’est l’équivalent de faire deux pas en avant, un pas en arrière

J’avais envie de soupirer et passer à autre chose, mais plus j’y réfléchissais, plus j’étais exaspérée. À quel moment le nombre de préjugés à votre encontre devient-il excessif? 

Je suis bien dans ma peau, je fais ce que j’aime et je le fais très bien, alors pourquoi cette employée arrivait-elle perturber mes pensées à ce point? Parce que ses actions me dénigraient; je me suis sentie inférieure. Cela m’a contrariée, et je ne suis pas la seule.

Selon une étude de l’American Association of Retired Persons, près de deux femmes sur trois âgées de 50 ans et plus aux États-Unis déclarent être régulièrement victimes de discrimination, et que ces expériences ont des répercussions sur leur santé mentale.

Les femmes – en particulier les femmes de couleur – portent le fardeau des préjugés intersectionnels liés notamment à l’âge, à l’appartenance ethnique, au sexe et au statut socio-économique.

Si vous vous dites « oui, mais ces chiffres concernent les États-Unis », sachez qu’au Canada aussi, nous vivons une situation semblable. Un sondage réalisé par Women of Influence en 2024 a révélé que 80 p. 100 des femmes affirment avoir été la cible d’âgisme dans leur milieu de travail. Un nombre équivalent de femmes ont été témoins de discrimination fondée sur l’âge dans le cadre de leur travail.

Comment le constatent-elles? La discrimination se manifeste quand les conseils formulés par les femmes sont ignorés, et que ces mêmes conseils sont salués lorsqu’ils sont émis par un membre de l’équipe plus jeune ou de sexe masculin. Ce sont les commentaires désobligeants, le fait d’être refusées pour une promotion et toutes sortes de comportements qui leur donnent l’impression de ne pas être entendues, de ne pas être vues ou d’être incompétentes.

Une moyenne éloignée de la réalité

Vraisemblablement, la plupart des gens ne croient pas que l’âgisme, le sexisme ou le racisme sont des principes vers lesquels il faut tendre, mais au-delà des considérations morales, des coûts de santé et des implications sociétales, ces préjugés entraînent des coûts réels pour les entreprises.

Sharon Nyangweso, fondatrice et PDG de QuakeLab, une agence multifonctionnelle de communication et d’inclusion, résume parfaitement la situation lorsqu’elle affirme que nous devons considérer l’équité comme une compétence technique.

 « Il est loin le temps où les chefs d’entreprise efficaces considéraient l’équité comme un “petit plus” intéressant au sein d’une équipe ou encore “une mesure à saveur sociale prise pour une poignée d’individus”, dit-elle. L’équité consiste plutôt à créer de meilleurs produits, services et processus. Elle vise à éviter de blesser ou de détruire des personnes parce que nous ne parvenons pas à voir plus loin que les besoins de “l’homme moyen” ».

Prenons l’exemple des oxymètres de pouls. Ces petits capteurs sont fixés à un doigt ou à un orteil et mesurent, à l’aide d’une lumière, la saturation en oxygène du sang. On les trouve partout. Selon Fortune Business Insights, ce marché était évalué à 2,24 milliards de dollars en 2023, et il devrait atteindre 3,56 milliards d’ici 2032.

On sait depuis des décennies que de multiples facteurs, de la pigmentation de la peau à la mélanine en passant par le vernis à ongles, affectent la capacité de l’oxymètre de pouls à mesurer avec précision la saturation en oxygène. Ainsi, pour les patients asiatiques, noirs et hispaniques, cela peut entraîner des lectures erronées. En outre, ces inexactitudes pourraient être associées à des disparités dans la prestation des soins, d’après le Journal of the American Medical Association.

 « Qualifieriez-vous ce dispositif d’efficace?, demande Mme Nyangweso. Peut-on affirmer qu’une personne qui a conçu un produit ne convenant pas au public auquel il était destiné est un bon ingénieur? Lorsque l’équité est intégrée en tant qu’ensemble de compétences, le processus de conception prend alors en compte toutes les personnes, ce qui donne lieu à des produits, des processus et des services de meilleure qualité et véritablement universels. » 

Du mal à vous faire comprendre?

Nos boutiques sont remplies de produits qui, sans le vouloir, ne répondent pas aux besoins du public auquel ils sont destinés. S’il vous est déjà arrivé d’utiliser un appareil audio assisté par l’IA incapable de vous comprendre en raison de votre accent, vous connaissez les limites d’une technologie conçue pour l’utilisateur « moyen ».

Que se passe-t-il lorsqu’on utilise l’IA pour prendre des décisions qui ont une incidence sur la population? Pour le moment, nous savons qu’elle peut envoyer à tort plus de Noirs en prison, prédire de manière inexacte les besoins en soins de santé des patients noirs, produire des images sexualisées de femmes asiatiques, programmer l’âgisme dans les processus de demande d’emploi, et ainsi de suite. L’IA n’est pas fautive, elle est simplement construite à partir de nos préjugés sociétaux.

Le problème ne se limite pas à l’IA. Nous possédons des téléphones intelligents, des voitures, des dispositifs de suivi de la forme physique et des prothèses de genou qui sont tous fabriqués de manière à convenir aux hommes – bien que les femmes et les autres genres en soient également des utilisateurs. Étant donné que les femmes jouent un rôle prépondérant dans les décisions d’achat, qu’elles sont à l’origine de 70 à 80 % de toutes les dépenses de consommation et qu’elles forment environ la moitié de la population, comment peut-on parler de conception efficace?

C’est ce qui se produit lorsque l’on conçoit en fonction de la « moyenne », autrement dit en fonction de l’homme blanc. Cette approche se traduit par des produits, des processus et des services inadaptés qui témoignent d’un manque de considération à l’égard du marché ciblé.

Plus étonnant encore, les produits conçus pour l’homme blanc moyen ne répondent pas non plus à la plupart des besoins de celui-ci. Pour en savoir plus, reportez-vous à l’ouvrage The End of Average de Todd Rose.

L’équité : une compétence incontournable

Lorsque vous évoluez dans un environnement qui ne vous convient pas, qui ne vous soutient pas et qui semble en fait conçu pour vous nuire, vous en payez le gros prix. C’est en partie la raison pour laquelle les discussions sur l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) s’accompagnent souvent d’une dimension émotionnelle.

Mme Nyangweso décrit ainsi cette convergence : « Les gens confondent notre travail dans ce domaine avec la moralité ou la moralisation, ce qui brouille les pistes et nous empêche de parler du problème que nous tentons de résoudre. Au lieu d’aborder la question comme on le ferait pour n’importe quel enjeu professionnel, les gens attendent de moi – une personne qui travaille dans ce domaine – que je sois leur évaluatrice ou la police de la moralité, explique-t-elle.

Nous devons faire en sorte que la question de l’équité soit recentrée sur les obligations et la responsabilité professionnelles. Je veux entrer dans la pièce en tant que professionnelle. Je ne suis pas là pour discuter des sentiments de chacun. Je ne suis pas là pour remettre en cause des décennies de socialisation ».

Il s’agirait non seulement d’une tâche impossible, mais surtout d’une distraction du véritable rôle de l’EDI, car elle impose une charge émotionnelle aux personnes qui tentent de résoudre de réels problèmes, sources de dangers bien concrets pour les patients, les consommateurs et les clients.

« Pour comprendre l’équité en tant que compétence technique et prendre les mesures qui s’imposent sur le terrain, il faut comprendre les trois volets ou aspects du travail d’EDI », indique Mme Nyangweso, qui les énumère comme suit :

  1. L’équité en tant qu’activité intellectuelle ou processus pédagogique.
  2. L’activisme.
  3. L’équité professionnalisée.

L’équité en tant qu’activité intellectuelle ou processus pédagogique est synonyme de recherche et de données. Par exemple, on ne peut pas affirmer que l’âgisme est un problème tant que personne ne mesure les perceptions et les répercussions.

L’activisme, comme le décrit Mme Nyangweso, est « le processus pratique par lequel nous tentons d’atteindre la libération dans le monde ».

Ce travail remet en question le statu quo, nous oblige à débattre de choses que nous tenions pour acquises et finit par pousser les gens à s’interroger sur la manière dont ils font les choses et sur les raisons qui les motivent. C’est la force émotionnelle qui déclenche le changement. Combien de débats ont été provoqués par Black Lives Matter ou Every Child Matters?

L’équité professionnalisée s’inscrit dans les tactiques de gestion du changement et constitue souvent la manière dont les organisations mettent en œuvre les processus de changement nécessaires pour devenir des producteurs, des fournisseurs et des employeurs plus équitables.

Mme Nyangweso fait remarquer qu’il existe de nombreux recoupements entre ces trois types d’actions. « Le travail des activistes soutient le secteur de l’EDI et rend possible un travail d’équité professionnalisé, et on fait appel à la recherche pour éclairer les pratiques et les approches. »

Les trois volets sont valables et répondent à des objectifs distincts. Lorsqu’on privilégie l’un d’entre eux sans tenir compte des autres, le changement réel risque non seulement d’être compromis, mais aussi de devenir impossible.

L’équité, ça fonctionne

Tous les milieux de travail se portent mieux lorsque la sécurité psychologique – le fruit de la création d’espaces équitables – est présente. La sécurité psychologique consiste à se sentir libre d’être soi-même au travail. Cela signifie que l’on peut prendre part aux activités sans craindre d’être puni ou de subir d’autres conséquences négatives. Pour les employeurs, la sécurité psychologique ne se limite pas à améliorer le climat de travail, elle est également synonyme de rentabilité financière grâce à l’augmentation de la productivité et à la diminution de l’absentéisme et du roulement de personnel.

Nous sommes tous confrontés au défi de devoir composer avec un monde inéquitable. Nous avons le choix entre perpétuer ces inégalités en prétendant qu’elles n’existent pas et qu’elles n’ont pas de conséquences pour nous ou pour ceux qui nous entourent, ou alors prendre l’initiative d’apporter des solutions concrètes en vue de changer les choses. Il faut se demander pourquoi nous ignorons les conseils des employés plus âgés; il faut dénoncer les commentaires inappropriés sur l’âge, le genre, la race, l’orientation sexuelle ou tout autre élément contraire à une interaction respectueuse.

L’absence de réflexion sur l’équité dans l’évolution du monde professionnel a des conséquences tangibles dans le monde réel. Pour effectuer nos tâches de manière efficace, que nous soyons commis d’épicerie ou concepteur de produits, nous devons apprendre, comprendre et vivre l’équité, la diversité et l’inclusion.

Illustration Holly Craib

Si nous devions attacher un sous-thème pour 2024 au magazine Le Vecteur, ce serait « Écouter et apprendre ». Nos récits ont couvert des expériences vécues de maladie mentale et de nouvelles approches thérapeutiques, en plus de proposer de nouvelles idées et des réflexions profondément éclairantes sur le bien-être et la recherche en santé mentale. Si vous avez raté ces articles en 2024, nous vous invitons à découvrir ces quelques faits saillants publiés dans le magazine au cours de l’année qui s’est achevée. Bonne année 2025!

Lectures et recommandations

Les livres sur la santé mentale couvrent une large gamme de sujets, de la recherche aux témoignages personnels, ou même la combinaison des deux. La série du Club de lecture présente des ouvrages canadiens qui explorent différents sous-thèmes. Par exemple, dans son ouvrage Lifeline: An Elegy, l’autrice Stephanie Kain relate sa relation compliquée avec une femme ayant reçu un diagnostic de dépression avec tendances suicidaires. Elle parle des conditions abjectes de son pavillon sécurisé, de la puissante médication, de la difficulté de soutenir une personne souffrant des séquelles d’une thérapie électroconvulsive, et de son propre bien-être. L’article sur cet ouvrage a été mis en nomination pour les Canadian Online Publishing Awards. Les gagnants seront annoncés en février 2025.

Lisez l’article : https://commissionsantementale.ca/vecteur/club-de-lecture-lifeline-an-elegy

Avez-vous votre copie de All In Her Head: How Gender Bias Harms Women’s Mental Health? Misty Pratt y raconte son histoire – dépression nerveuse, anxiété, dépression – ainsi que ses stratégies, ses séances de thérapie et la façon dont elles se sont conjuguées avec les étapes de sa vie, notamment la naissance de ses enfants. L’autrice et chercheuse scientifique ottavienne établit des liens entre ses expériences passées et l’analyse tranchante de la recherche contemporaine dans une optique biopsychosociale (un modèle qui tient compte des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux qui influencent nos vies). Son analyse et ses intrigues sont captivantes.

Lisez l’article : https://commissionsantementale.ca/vecteur/club-de-lecture-ca-nexiste-que-dans-sa-tete/

Le saviez-vous?

Jessica Ward-King, pourfendeuse de préjugés reconnue, écrit régulièrement dans le Vecteur, notamment des articles de service où elle offre ses conseils et perspectives. Elle nous enseigne à être de bons alliés pour les communautés transgenres et non binaires, dans un climat politique et social qui est parfois carrément hostile, voire dangereux.

Lisez l’article : « Se mobiliser pour devenir un allié » : https://commissionsantementale.ca/vecteur/se-mobiliser-pour-devenir-un-allie/

Les trousses de naloxone peuvent renverser une surdose d’opioïdes et devraient être facilement accessibles. Il n’y a pas que les personnes vivant avec des problèmes d’usage de substances qui pourraient avoir la vie sauve grâce à la naloxone; il y a aussi celles qui vivent avec des douleurs chroniques et qui prennent des analgésiques sur ordonnance, et celles qui ont commencé à prendre ces antidouleurs par accident. Chacun de nous, dans la vie de tous les jours, peut tomber sur quelqu’un qui, pour une raison ou une autre, a fait une surdose d’opioïdes.

Lisez l’article : « Une trousse sous la main » : https://commissionsantementale.ca/vecteur/une-trousse-sous-la-main/

La thérapie hip-hop marie le hip-hop, la bibliothérapie et la musicothérapie. Au centre de thérapie Growth and Wellness de Toronto, Freda Bizimana, M.S.S., T.S.A., travaille avec de jeunes Noirs et des jeunes racialisés qui ont des démêlés avec le système judiciaire. Elle signale combien il est difficile d’entrer en contact avec un jeune Noir, surtout celui qui se retrouve en thérapie parce qu’il a des problèmes avec la justice. « Il n’a pas envie de parler à une pure étrangère, raconte-t-elle. Le hip-hop crée un pont entre nous, on arrive à communiquer à travers quelque chose qu’il aime. » Cet article a été mis en nomination pour les Canadian Online Publishing Awards. Les gagnants seront annoncés en février 2025.

Lisez l’article « Remixez votre thérapie » : https://commissionsantementale.ca/vecteur/remixez-votre-therapie/

Un récit personnel

Un témoignage apporte un éclairage unique sur une histoire de vie. La section Expérience vécue présente ce type de récits. En 2024, nous avons fait la connaissance de Gillian Corsiatto, originaire de Red Deer, en Alberta. Dans son premier roman publié, Duck Light, elle pose une question lourde de sens : « Comment peut-on s’affranchir des attentes de la société? » Elle travaille également à l’écriture d’autres livres et de pièces de théâtre. Corsiatto fait partie de la troupe d’improvisation Bullskit Comedy, en plus de cumuler trois emplois à temps partiel : elle est éducatrice communautaire et animatrice de groupes de jeunes pour la filiale de Red Deer de la Schizophrenia Society of Alberta et a été conférencière invitée pour le programme jeunesse LA TÊTE HAUTE de la Commission de la santé mentale du Canada. De plus, elle s’occupe des médias sociaux et du recrutement pour la fanfare des Red Deer Royals (dans laquelle elle a déjà joué du tuba). Et plus récemment, elle a décroché un emploi consistant à emballer et à mettre en boîte des caramels pour une petite entreprise à domicile. Si vous n’aviez jamais rencontré une personne atteinte de schizophrénie, ça vient de changer.

Lisez l’article : « À quoi ressemble la vie des personnes atteintes de schizophrénie? » https://commissionsantementale.ca/vecteur/a-quoi-ressemble-la-vie-des-personnes-atteintes-de-schizophrenie/

Pendant ce temps, Jessica Ward-King, surnommée « The Stigma Crusher » en anglais, partage régulièrement des récits personnels dans cette section, en plus de ses articles informatifs. Dans « Oui, moi », la défenseure de la santé mentale, détentrice d’un doctorat en psychologie et de connaissances de première main du trouble bipolaire, explique pourquoi sa maladie mentale lui a valu la classification de personne en situation de handicap au sens de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

Lisez l’article : « Oui, moi » : https://commissionsantementale.ca/vecteur/oui-moi/

Restez à l’affût pour découvrir de nouveaux articles passionnants en 2025. Vous pouvez les recevoir tous les mois directement dans votre boîte de réception en vous abonnant ici : Abonnement au Vecteur – Commission de la santé mentale du Canada

Ce récit fait partie de la série consacrée à la santé mentale pendant les Fêtes. Notre recueil littéraire annuel traite de divers sujets liés à cette période de l’année. Nous nous intéressons aux bonnes nouvelles, aux séparations difficiles et aux nouvelles traditions, autant de choses qui naissent de l’éloignement, du changement et des grands bouleversements. Si les festivités de fin d’année riment généralement avec joie, elles peuvent aussi être source de stress et de deuil. Nous vous invitons à lire l’ensemble du recueil pour découvrir comment d’autres ont réussi à surmonter ces difficultés. Vous trouverez ici des articles publiés antérieurement sur la mélancolie, l’adaptation et l’espoir. Meilleurs vœux en cette saison des Fêtes.

Pour Rheostatics, la route a été longue. Nous nous sommes produits pour la première fois au club The Edge à Toronto en octobre 1980. Je me souviens aussi bien des larmes que des cris de joie. L’un ne va pas sans l’autre : les conflits, la détresse, quatre enfants qui vivent à fleur de peau, qui sont devenus quatre jeunes adultes, puis quatre adultes un peu moins jeunes. Les cicatrices guérissent et les blessures se referment, et les spectacles, les albums et les tournées couronnés de succès s’estompent et sombrent dans le passé, mais survivre, c’est essentiellement ce qui m’anime depuis plus de 40 ans. D’une manière ou d’une autre, nous y sommes parvenus.

Pour de nombreux musiciens et artistes d’autres disciplines, l’art sert de soupape émotionnelle. Le cœur s’ouvre, l’esprit dérive sur un océan d’idées et de rêves, et personne ne sait vraiment ce qui va en découler : extase, colère, éclats de rire ou cris de détresse. Faire partie d’un groupe de musique, c’est comme jouer sur un terrain qui s’étend à perte de vue : des mines, et des rivières invisibles de souffrance, s’y cachent parfois. Les moments difficiles peuvent sembler malsains, et pourtant, ils ne le sont pas. Les bons moments peuvent donner l’impression qu’ils dureront toujours, mais quiconque en a vécu pendant assez longtemps sait très bien qu’il n’en est rien.

Maître de son âme

Jouer de la musique avec d’autres personnes, c’est plonger dans les profondeurs de l’âme d’autrui, s’en inspirer et parfois s’en servir comme monnaie d’échange. Si l’art est de qualité, il doit faire un peu mal à l’arrivée, et cette vulnérabilité peut être éprouvante, même lorsqu’elle permet à une personne proche de nous de créer de belles mélodies. Au sein de Rheostatics, la tension nerveuse était toujours à son comble lorsque l’un d’entre nous présentait une nouvelle chanson. Quelques minutes plus tard, nous honorions et célébrions son existence en travaillant dur pour l’amener à pleine maturité, sans jamais perdre de vue ce qu’il avait fallu, de douce lutte, à son auteur pour la mettre au monde.

Image fixe d’une vidéo de Mark Sloggett.
« Les acclamations de la foule me faisaient penser à une magnifique nuée d’oiseaux chantant et pleurant. C’est un moment que je n’oublierai jamais. »

Essentiellement, nous vivons dans un monde qui nous enseigne à nous conformer et à réprimer tout élan artistique : les grandes forces de la société commerciale voudraient que nous nous comportions « normalement » plutôt que de crier à tue-tête dans un micro en compagnie d’une armée d’amis qui s’agitent derrière nous, mais la musique et l’art nous invitent à nous faire entendre. Cet exercice mental déclenche en nous des sentiments de bonheur et de liberté, mais sur le plan social, c’est assez déstabilisant. Récemment, j’ai regardé une vidéo de Yoko Ono dans laquelle elle hurle dans un micro alors que Chuck Berry interprète une chanson à l’émission de Mike Douglas. Son intrépidité m’a sidéré. Cette expression, cette voix et cette personnalité à l’état pur n’en avaient que faire de la réaction de l’animateur, de la foule ou du groupe. Ce geste musical exceptionnel était dépourvu de doute ou de volonté de bienséance, un moment où seule comptait l’effusion de la chanteuse.

Jouer dans un groupe a ses bons côtés. Mais c’est aussi beaucoup de travail. Il faut apprendre à bien s’entendre, mais aussi à honorer les sentiments des autres. Bien sûr, il y a un aspect technique et fonctionnel à la construction d’une chanson pour qu’elle ait plus ou moins de sens, mais les beaux moments sont ceux où nous surfons sur cette vague, sans savoir si la réussite nous attend. Le pire, c’est lorsque vos acolytes ne trouvent pas la vague, laissant l’auteur vaincu et éploré. Mais il est tout aussi important d’accueillir l’échec que le succès. Les chansons ne provoquent pas toutes une euphorie collective au sein du groupe, mais lorsque c’est le cas, ouf! Notre vulnérabilité s’empare des autres et, avec un peu de chance, elle attire des dizaines, des centaines, voire des milliers de personnes.

Une fois, lors d’une représentation au Massey Hall, c’est ce qui s’est produit, un moment de grâce, baigné de lumière et de joie, et après, une fois la chanson terminée, je me suis simplement arrêté et j’ai écouté. Les acclamations de la foule me faisaient penser à une magnifique nuée d’oiseaux chantant et pleurant. C’est un moment que je n’oublierai jamais.

L’obscurité, cette vieille amie

Les artistes portent toujours en eux une part d’obscurité dans la lumière. Dans les années 1990, je me souviens que cette obscurité était rarement reconnue, explorée et abordée de front. Si la prestation d’un artiste semblait inquiétante, ou son comportement préoccupant, la mythologie nous signalait un tempérament bouillant, un artiste torturé, portant son âme à travers le processus difficile de création d’œuvres de qualité. Mais récemment, des artistes comme Menno Versteeg du groupe Hollerado, Kendrick Lamar ou Big Boi du groupe OutKast ont fait preuve d’audace en reconnaissant l’environnement malsain dans lequel évoluent tant de musiciens : des heures de tournée interminables, de l’alcool tous les soirs dans les loges, des emplois du temps chaotiques, la pression pour livrer une œuvre meilleure que la précédente, une cicatrice qui a hanté Eddie Van Halen jusqu’à son dernier souffle.

Maintenant, les blessures sont plus évidentes que jamais : les musiciens sont davantage conscients de leurs démons et les admirateurs sont plus indulgents et n’exigent plus d’excès de la part de leur groupe préféré. Des artistes comme Miranda Mulholland ont plaidé pour que les salles de concert proposent davantage de produits sans alcool et, dans les locaux du journal West End Phoenix, où nous nous produisons, nous organisons des concerts « sobres », sans vente d’alcool. Il aura fallu des générations avant de comprendre les dangers et l’absurdité d’un métier où un plateau de Bud Ice vous attend dès que vous rentrez au travail. Nous avons eu, et continuons d’avoir, une grande carrière, mais je me demande si nous aurions pu traverser les moments difficiles sans ingérer tout cet alcool. Mais cette cicatrice s’est aussi refermée.

Nous avons survécu et pouvons maintenant contempler cette vie et cette carrière avec du recul, dans toute leur plénitude, ce qui ne signifie pas pour autant que les nouveaux musiciens doivent faire de même. Peut-être que les masques sont tombés et que le bandage a été arraché. Peut-être qu’il n’est plus nécessaire aujourd’hui de souffrir pour qu’une œuvre soit fluide et belle. Peut-être qu’il est possible d’aller jusqu’au bout sans avoir l’impression d’avoir payé trop cher. 

Ce récit fait partie de la série consacrée à la santé mentale pendant les Fêtes. Notre collection littéraire annuelle explore divers sous-sujets liés à cette saison. Pour 2024, nous nous intéressons aux bonnes nouvelles, aux difficiles séparations et aux nouvelles traditions – autant de conséquences de l’éloignement entre les gens. Si les festivités de fin d’année peuvent être synonymes de joie, elles sont parfois aussi une source de stress et d’un sentiment de perte. Lisez tous les articles pour découvrir comment d’autres personnes ont réussi à surmonter ces difficultés. Lisez ici la série 2022 sur la mélancolie, l’adaptation et l’espoir. Meilleurs vœux pour le temps des Fêtes.

En mai 2021, ma sœur a annoncé qu’elle ne demanderait pas le vaccin contre la COVID-19, même si la plupart des gens de notre âge – plus de 60 ans – étaient soulagés, sinon heureux de pouvoir le faire. J’étais stupéfaite. J’avais du mal à croire que ma seule adelphe, une septuagénaire dynamique et éduquée qui a beaucoup voyagé, prenait une décision aussi irresponsable et, à mes yeux, stupide.

Du même coup, j’ai été frappée de plein fouet par un autre constat plus large : la connexion émotionnelle que nous avions eue pendant toute ma vie ne serait plus jamais la même.

Mes larmes arrosaient les semis de légumes dans les bacs que mon conjoint avait bâtis durant le confinement, pendant que tout le monde s’affairait à embellir sa cour et à faire du pain. Je pensais à tout ce que ma sœur avait représenté pour moi tout au long de ma vie et à l’admiration et l’amour que j’avais eus pour elle. Bien que nous ne vivions pas dans le même pays, nous sommes toujours demeurées en contact étroit et nous nous rendions régulièrement visite. J’étais profondément attristée de constater que les machines de propagande étaient parvenues à corrompre ses pensées et à la précipiter sur une route infernale qu’elle ne voyait pas – et qui me semblait hérissée de dangers. Je m’inquiétais pour elle. Il ne me paraissait pas insensé de croire qu’elle trouve une mort misérable et évitable, sans vaccin contre un virus qui tuait des millions de personnes partout sur la planète, particulièrement dans son groupe d’âge.

La machine à indignation

Pourtant, je n’aurais pas dû m’étonner de la décision de ma sœur de refuser la vaccination. Au fil des ans, j’avais constaté avec horreur que ses vues politiques de gauche, axées sur la justice sociale et la défense des défavorisés, avaient dévié, d’abord graduellement puis brusquement, vers un maelstrom de théories conspirationnistes d’extrême droite qui remettaient en doute tout ce qui émanait des médias grand public, préférant les diatribes fondées sur la mésinformation et la désinformation. Je me suis souvent sentie ébranlée par les messages de plus en plus colériques et irrationnels qu’elle m’envoyait par courriel, par texto, sur Facebook, Twitter et WhatsApp. J’étais affligée de voir qu’une personne passait sa retraite à visionner des vidéos alarmistes sur YouTube et à les partager avec d’autres (qui n’allaient sans doute pas les regarder) dans une incessante tentative de propager l’indignation.

Ma sœur, qui se voyait comme une ardente activiste pacifiste, semait le conflit partout dans ses relations personnelles. À ses yeux, ce sont les gens qui n’adhéraient pas à ses croyances qui étaient le problème. Elle se donnait pour mission de travailler sans relâche pour les convertir à sa façon de penser. Bombardée par ces messages incessants, j’ai commencé à me sentir comme un dommage collatéral, victime de ce qu’on appelle désormais la guerre des cultures.

Je suis loin d’être la seule dans cette situation. Dans plusieurs familles, des liens ont été brisés ces dernières années à cause de la polarisation politique, largement engendrée par les médias sociaux. Ces réseaux sont mis à profit par des personnes qui cherchent à rejoindre de plus vastes publics pour réaliser des gains politiques ou financiers et qui ont découvert que l’extrémisme est payant. Aujourd’hui, les récits de personnes qui ont perdu un membre de leur famille ou un ami aux théories conspirationnistes abondent sur internet. Des groupes de soutien se sont formés pour aider les gens à accepter ce qui arrive à leur proche. Les thérapeutes reçoivent de plus en plus de personnes qui soutiennent des théories de conspiration ou qui ont vu un proche y succomber. Certains psychologues sont d’avis que l’adhésion à théories conspirationnistes, bien qu’elle n’ait rien de nouveau, devrait désormais être traitée comme un problème de santé publique.

J’en suis venue à comprendre que l’arrivée de la COVID-19, avec ses mesures de santé publique, ses confinements et autres restrictions, était plutôt la goutte qui a fait déborder le vase pour des gens comme ma sœur, et non une raison nouvellement découverte de détester les gouvernements et les vilaines cabales derrière eux. C’est moi qui avais fermé les yeux sur le virage monumental qui s’opérait depuis un bon moment. Très longtemps, j’ai fait ce que je croyais être la bonne chose à faire. Je lui ai soumis des preuves que l’information sur laquelle ses opinions se fondaient était largement erronée ainsi que des sources réputées qui déboulonnaient rigoureusement la science de pacotille et les mensonges éhontés qu’elle défendait. Je lui ai démontré que les algorithmes des médias sociaux avaient pernicieusement infecté l’internet, semé des faussetés et manipulé les opinions des utilisateurs en exploitant leur biais de confirmation et en les cantonnant dans des bulles de filtrage qui ne font que renforcer les croyances les plus extrêmes, généralement complètement à côté de la plaque. Je lui ai même envoyé des articles scientifiques rédigés par des chercheurs qui ont étudié la nature de la propagande contemporaine issue des sources de « nouvelles » que ma sœur vénérait.

Inutile d’insister

Je suis persuadée qu’elle ne les a pas lus, et j’ai fini par comprendre que mon approche « rationnelle » n’allait jamais fonctionner. Ses opinions étaient basées sur des croyances et des émotions, et non sur des faits et des données probantes. Il était facile pour elle de rejeter toutes mes sources – et moi du même coup. Elle avait fait ses « recherches », en sélectionnant des renseignements qui soutenaient ses théories préexistantes et en écartant tout ce qui ne concordait pas avec son point de vue. D’autres personnes, à commencer par ses amis de longue date, étaient aussi alarmés que moi et ont tenté de lui faire entendre raison, sans succès. J’étais attristée de la voir repousser des gens qu’elle connaissait et qu’elle aimait depuis des décennies.

La rafale de faussetés et de rage s’intensifiait à mesure que la pandémie progressait. Avec un petit nombre de courageux « dissidents » illuminés, elle détenait une « vérité » à laquelle les autres étaient aveugles pour une raison ou une autre, et elle n’hésitait pas à nous le rappeler encore et encore, avec une régularité monotone et obsessive. Rien n’allait lui faire changer d’idée. Il était inutile d’argumenter. Quand je lui demandais d’arrêter de m’envoyer des articles contre la vaccination, elle se froissait et le voyait comme la preuve de ma fermeture d’esprit et de mon mépris déraisonnable d’opinions non dominantes mais parfaitement valables. Même si une recherche de 30 secondes sur Google rapportait assez de preuves pour déboulonner les personnes et les croyances qu’elle défendait, il ne servait à rien de le lui signaler.

En toute honnêteté, mes réponses n’étaient pas toujours rationnelles. À plusieurs reprises, j’ai qualifié ses idées de balivernes, j’ai balayé du revers de la main ce que je savais être de la propagande insidieuse et j’étais consternée de voir que ma sœur ne se rendait pas à l’évidence. Je regrette certains de mes coups de gueule. Mais un jour, j’ai changé de tactique. Je lui ai simplement dit que je l’aimais et que je m’inquiétais pour sa santé, tout en la priant de revoir ses sources d’information. Elle a répondu qu’elle s’inquiétait pour ma santé (elle affirmait que les vaccins pouvaient endommager l’ADN) et a résolument défendu ses sources. Obstinément, elle en remettait, ne répondait plus à mes messages amicaux, non politiques, m’emplissant de frustration et de ressentiment. Dans son zèle, tout ce qui lui importait était la politique – tout autre sujet était superficiel et futile. En conséquence, nos échanges se sont raréfiés, mais sans nouvelles, je continuais de m’inquiéter.

Ma santé mentale en a souffert. Je faisais de l’insomnie, à me demander comment cela avait pu arriver et ce que je pouvais et devais faire pour ma sœur. J’ai débité d’interminables monologues à mon conjoint et à mes amis chaque fois que je recevais un de ses messages truffés de contrevérités flagrantes. Je n’arrivais pas à accepter la réalité et je me sentais incapable de modifier la trajectoire que ma sœur semblait avoir empruntée. Je ne savais pas vers quoi elle se dirigeait, mais j’étais convaincue que c’était mauvais. De plus, j’avais parfois l’impression que des limites étaient outrepassées, puisqu’une seule personne pouvait s’exprimer librement, pendant que les autres devaient se taire s’ils ne voulaient pas déclencher une dispute. J’ai enduré d’intenses maux de tête à force de garder mes points de vue pour moi.

Je me suis parfois demandé si ma sœur et les gens comme elle souffraient d’une maladie mentale. Mais j’ai appris qu’il est possible de croire à des notions ridicules, voire dommageables, tout en continuant de fonctionner en société. J’ai aussi appris, avec le temps et la thérapie, qu’il m’était possible de préserver la relation avec ma sœur malgré nos différends, et ce, même si nos rapports sont tendus, même si elle ne répond pas toujours comme je l’espère. Certes, notre communication est parfois maladroite durant le temps des Fêtes, quand nous contournons les sujets délicats, mais je devrai composer avec cette nouvelle normalité si je souhaite conserver ma relation avec elle.

Il est impossible de traduire toute la complexité des liens familiaux dans un court article. Je suis la cadette, probablement condamnée à rester une pauvre adolescente aux yeux de ma grande sœur. Pourquoi prendrait-elle au sérieux mes critiques ou mes préoccupations à l’égard de ses choix et de ses croyances? Il n’y avait rien de nouveau dans son acharnement, sa volonté de se lever pour ce qu’elle juge bon et son confort à tenir des opinions marginales. (Il faut nous rappeler que même si elles sont amplifiées par les médias sociaux, les voix de désinformation demeurent minoritaires. Dans le cas de la vaccination contre la COVID-19 au Canada, 83,2 p. 100 des gens ont reçu les vaccins; chez les personnes âgées et dans certaines régions, plus de 95 p. 100 l’ont fait).

Aujourd’hui, je ne peux pas affirmer que je suis en paix, mais je m’approche de l’acceptation. Comme me l’a fait remarquer un ami commun avec sagesse, ma sœur est une adulte qui a fait ses propres choix et qui doit vivre avec. Il m’a conseillé de continuer à lui faire parvenir des nouvelles familiales, d’éviter de mordre à l’hameçon lorsqu’elle me lance des messages qui me paraissent comme une insulte à mon intelligence – pour éviter d’enflammer nos échanges – et de simplement continuer ma vie. C’est parfois difficile, et je continue de m’inquiéter, mais je reconnais la nécessité de cette stratégie.

J’aime et je vais toujours aimer ma sœur.

Eleanor Sage est rédactrice indépendante Canadienne.

Autres lectures : Cinq conseils pour entamer une discussion sur la santé mentale avec un proche

Ressource : Mieux soutenir la santé mentale des personnes âgées au Canada

Auteure: Eleanor Sage est rédactrice indépendante Canadienne.

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Astuces et idées à lire ou à relire.
Par Jessica Ward-King, B.Sc., Ph.D.

Le 3 décembre marque chaque année la Journée internationale des personnes en situation de handicap, décrétée par les Nations Unies pour promouvoir les droits et le bien-être de ces personnes.

Je vis avec un trouble bipolaire, une maladie psychiatrique chronique caractérisée par des variations extrêmes de mon humeur, de mon énergie, de mon niveau d’activité et de mes facultés cognitives. Malgré ces fluctuations radicales d’humeur et d’énergie, je fonctionne assez bien dans la vie comme au travail, où j’occupe un poste de niveau supérieur dans l’économie du savoir. Il faut dire que j’ai mis au point divers mécanismes d’adaptation, comme le masquage, pour compenser ces sautes d’humeur et me donner l’impression d’être « normale ». Mais la plupart du temps, la bataille est rude et j’ai l’impression de devoir faire deux fois plus d’efforts que n’importe qui d’autre pour être efficace. J’ai même dû changer d’orientation professionnelle et modifier mes objectifs à cause de ma difficulté à gérer ce trouble de l’humeur.

Tout au long de ma vie, j’ai lutté, pensant que je vivais un « problème personnel », et que je devais changer ma façon d’interagir avec le système pour réussir. Je me suis épuisée à essayer de trouver ma place dans un système conçu pour l’égalité – un objectif louable mais qui, tout compte fait, me désavantageait en raison de ma maladie mentale.

Une belle révélation

C’est alors que j’ai découvert la Loi sur l’équité en matière d’emploi (LEE). L’objectif général de la Loi est de réaliser l’égalité en milieu de travail afin que les travailleurs ne se voient pas refuser des perspectives d’emploi ou des avantages en raison de leur identité ou de leur niveau de capacité. En outre, la Loi vise à « corriger les désavantages subis, dans le domaine de l’emploi, par les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les personnes qui font partie des minorités visibles ». (J’accentue les termes en italiques.)

Pour moi, un handicap, ça a toujours été quelque chose de physique. Comme le fameux symbole. Des rampes pour les fauteuils roulants permettant d’accéder aux bâtiments, ou même des lecteurs d’écran pour les personnes malvoyantes ou non voyantes, d’accord, mais une maladie mentale? En fouillant de façon plus approfondie dans cette Loi, j’ai trouvé ce passage :

« Une personne en situation de handicap est une personne qui a une déficience durable ou récurrente soit de sa capacité physique, mentale ou sensorielle, soit d’ordre psychiatrique ou en matière d’apprentissage et qui :

  • considère qu’elle est désavantagée en matière d’emploi en raison de cette déficience;
  • pense qu’elle risque d’être considérée comme étant désavantagée par son employeur ou d’éventuels employeurs en raison de cette déficience.

La présente définition vise également les personnes dont les limitations fonctionnelles liées à leur déficience font l’objet de mesures d’adaptation pour leur emploi ou dans leur milieu de travail. »

Voilà qui est logique. En fait, cela décrit mon expérience professionnelle à la lettre. Ma maladie mentale me donne donc le statut de personne en situation de handicap?  Qu’est-ce que cela signifie concrètement?

Il y a quelques aspects à éclaircir à ce propos.

La stigmatisation et les étiquettes

Tout d’abord, il y a la stigmatisation associée aux étiquettes comme celle de personne « handicapée ». Cette stigmatisation est enracinée dans le capacitisme, une attitude par laquelle les personnes non handicapées sont considérées et traitées comme des personnes « normales » et les personnes handicapées comme étant d’une certaine manière inférieures ou « autres ». Cette stigmatisation, que j’ai résumée plus haut comme un « problème personnel » (autostigmatisation), a remis en question mon image de moi-même en tant que personne capable et employée compétente. Elle m’a également fait craindre que, si je m’identifiais comme une personne en situation de handicap, les gestionnaires hésiteraient à m’embaucher en raison de cette stigmatisation à mon égard et de la peur de devoir travailler avec quelqu’un de différent.

Les désavantages

Pourquoi faire l’effort de surmonter la stigmatisation que je m’impose à moi-même, risquer la stigmatisation des autres et choisir de m’identifier comme personne en situation de handicap et de le déclarer publiquement? En raison des désavantages que ma santé mentale me cause sur le plan de l’emploi. Le fait de vivre avec un trouble bipolaire peut me donner du fil à retordre pour accomplir mon travail à l’intérieur d’un système de travail uniformisé. Le fonctionnement de mon cerveau et de mon corps lorsque je traverse un épisode de troubles de l’humeur peut limiter ma capacité à réussir. J’ai la conviction que ces limitations fonctionnelles causées par ma maladie mentale m’empêchent d’atteindre mes objectifs professionnels et de progresser dans ma carrière.

Ce n’est pas un problème personnel

La LEE ne se borne pas à reconnaître l’existence d’une barrière ou d’un désavantage, mais va plus loin : les aménagements, qui stipulent que « l’équité en matière d’emploi requiert, outre un traitement identique des personnes, des mesures spéciales et des aménagements adaptés aux différences ».

Grâce à diverses mesures d’adaptation au travail, j’ai découvert que je pouvais réaliser mon potentiel et exceller dans mon emploi. Ces aménagements sont des ajustements physiques, temporels et sociaux apportés à mon environnement et aux processus de travail qui m’aident à répondre aux attentes. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’au lieu que mes limitations désavantageuses soient un « problème personnel », elles deviennent un problème systémique pour lequel le système doit faire de la place et offrir des solutions.

À quoi peuvent ressembler les aménagements?

Le secret consiste à reconnaître ses limitations fonctionnelles et à déterminer les modifications qui permettraient de surmonter ces contraintes. Ainsi, si un nouveau médicament me rend très somnolente le matin, il pourrait être avantageux de modifier mes horaires de travail pour commencer plus tard. Si le fait de travailler au bureau me demande trop d’énergie pendant un épisode dépressif, peut-être serait-il préférable que je travaille à la maison. Si ma motivation ou ma capacité à prendre des décisions sont réduites, des directives plus fréquentes et plus structurées de la part de mon patron ainsi que des échéanciers légèrement plus souples pourraient être nécessaires. Si j’ai du mal à me concentrer lors de la lecture de documents complexes, un lecteur d’écran pourrait m’aider.

Quelle que soit la limitation fonctionnelle, il existe souvent un aménagement qui m’aidera à surmonter et à compenser le désavantage causé par mon handicap.  De plus, mon employeur est en fait assujetti à une obligation d’adaptation, ce qui signifie qu’il ne peut pas refuser un aménagement raisonnable jusqu’à un point de contrainte excessive. L’objectif est d’aplanir les disparités pour tout le monde – et non de conférer un avantage – dans un contexte où on vise l’équité, qui diffère de l’égalité.

La représentation et le changement de perspective

La LEE comporte un ultime élément, qui est très important. Il vise à corriger la sous-représentation des membres de groupes désignés dans le milieu de travail. Cela signifie que la Loi encourage et aide les employeurs à embaucher et à maintenir en poste des membres des groupes désignés, notamment les personnes en situation de handicap, afin de compenser les obstacles systémiques qui ont empêché ces personnes de participer pleinement à la vie active.

La stigmatisation et les attitudes capacitistes perdurent dans la société et dans le monde du travail, mais la LEE me procure le cadre législatif – et le courage – de défendre mes intérêts. Cette Loi m’a permis de m’affirmer et d’expliquer sans détour quels sont les outils et les conditions dont j’ai besoin pour réussir au travail en tant que personne vivant avec une maladie mentale. En fin de compte, cela fait de moi une meilleure employée, en faisant en sorte que je sois toujours en mesure d’exploiter pleinement mon potentiel et de contribuer au succès de mon organisation.

Lecture complémentaire : La santé mentale au travail, ça compte. Comment engager la conversation.

Ressource : Une vision pour des soins de santé mentale de qualité pour tous.

Author: Jessica Ward-King, (B. Sc., Ph. D.), alias « StigmaCrusher » (ou pourfendeuse de préjugés), est une militante de la santé mentale et une conférencière qui possède un rare bagage alliant expertise scientifique et expérience vécue.

Satya Hinduja, d’Alchemic Sonic Environment, dirige une expérience sonore immersive. Photo: Alex Barankevych

La spiritualité est-elle de retour? Les micromessages envoyés sur WhatsApp peuvent-ils améliorer le bien-être de façon mesurable? Ces questions, et d’autres encore, ont été abordées lors du 9e Congrès annuel du Collectif international eMHIC (cybersanté mentale), organisé en septembre dernier à Ottawa par la Commission de la santé mentale du Canada. Des centaines de délégués provenant de dizaines de pays se sont réunis pour approfondir leur réflexion sur le thème « Renforcement des capacités numériques : Soutien universel à la santé mentale 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ». L’équipe de la revue LeVecteur a choisi des idées et des concepts pour s’en inspirer.

1. Trois grands enjeux

Les jeunes ne seront probablement pas surpris d’apprendre que les trois grands enjeux qui les préoccupent sont l’emploi, la santé mentale et le climat. Ce constat de l’UNICEF a guidé la mise au point d’une plateforme de soutien psychologique à la demande pour les jeunes appelée USupportMe. Mise à l’essai dans plusieurs pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale, cette plateforme flexible peut être adaptée à une région donnée. Conforme au Règlement général sur la protection des données et assortie d’un soutien en matière de sécurité, cette ressource offre des services de santé mentale évolutifs en marque blanche.

2. Mettre fin à la « boucle de désespoir » qu’est Google

SANE, un organisme australien offrant des services aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale complexes, a ainsi défini les dédales que traversent souvent les patients : d’abord orientés vers un site Web, puis une ligne d’assistance, ensuite un médecin de première ligne et enfin un psychologue, dont la liste d’attente est de six mois, ils se rabattent alors sur « Dr Google ». Pour rompre ce cycle, SANE a créé un nouveau modèle de soutien psychosocial axé sur le choix, la continuité, le libre accès et la rapidité d’intervention. Son approche comprend l’auto-aiguillage, la télésanté, les programmes numériques et les séances de groupe, et offre un espace d’apprentissage en ligne géré par les Autochtones au sein de leur communauté de rétablissement. Les soins continus offerts permettent d’éliminer le modèle traditionnel de congé. « L’avenir appartient aux modèles de soins mixtes, déclare Rachel Green, présidente et directrice générale. C’est la technologie au service des gens. »

3. Les décisions de l’âme

« Où est passée l’âme dans la psychologie clinique? », s’interroge Allan Donsky, professeur au département de psychiatrie de l’Université de Calgary et consultant au Canadian Institute of Natural and Integrative Medicine. Au-delà des interventions fondées sur le diagnostic, il préconise l’adoption de pratiques thérapeutiques plus contemplatives visant à favoriser la conscience de soi. En développant son discours intérieur, une personne peut passer d’un état apathique à l’épanouissement en abordant de grandes questions, comme l’acceptation de soi, le sens de sa vie, la liberté et les relations. Allan Donsky souligne que la thérapie existentielle a été largement délaissée dans les années 1970, mais qu’il existe un regain d’intérêt pour l’exploration des dimensions intérieures, ce que nous pourrions appeler le cœur, l’esprit ou l’âme. « Que signifie être humain? demande-t-il. C’est une question universelle. Chaque culture a sa façon propre d’envisager les dimensions les plus profondes de la vie. »

4. La famille d’abord

Nicole Waldron, militante en matière de santé mentale, a qualifié les aidants familiaux de premiers intervenants. Ils sont les premiers sur les lieux pour aider les membres de leur famille, et sont souvent le maillon invisible dans les soins de santé mentale. Elle a prononcé un discours percutant appelant à une meilleure collecte de données et à un soutien de l’écosystème des aidants familiaux afin de favoriser leur bien-être, de les sensibiliser et de les informer. « Que signifie le terme OTC? Que signifie le terme MD? Comment naviguer dans un système où un être cher a été criminalisé? »

(Le terme OTMC désigne une ordonnance de traitement en milieu communautaire et le terme MS désigne un mandataire spécial.)

Nicole Waldron, militante en matière de santé mentale, considère les aidants familiaux comme les premiers intervenants.
Photo : Collectif international eMHIC

5. Un guichet unique

Par où commencer? Lorsque les possibilités sont nombreuses et que vous avez besoin de soutien, quelle est la première étape? Lors du Congrès annuel, Jeunesse, J’écoute a lancé l’application Ressources autour de moi. Il s’agit d’un répertoire de ressources fiables partout au Canada. En 2020, l’organisme a enregistré 20 millions d’interactions, et ce répertoire l’aide à fournir encore plus de soutien dans un plus grand nombre de régions et de bien plus de façons, que ce soit en ligne, par texto ou encore en personne.

6. Exprimer ses émotions en langue des signes

Le Bangladesh compte quelque 500 praticiens (300 psychiatres et 200 psychologues) pour une population de 180 millions d’habitants, un fossé énorme à combler. C’est pourquoi M Tasdik Hasan, chercheur doctorant à l’Université Monash de Melbourne, en Australie, dirige un projet pilote conçu en collaboration avec des personnes sourdes, des soignants, des fournisseurs de soins de santé et des interprètes en langue des signes. Il note que les communautés de personnes sourdes, au Bangladesh et dans le monde entier, sont historiquement ignorées lorsqu’il s’agit de mettre en place des solutions accessibles et inclusives en matière de santé mentale. Ensemble, ils ont conçu des outils adaptés à la culture et à la langue pour faire connaître la terminologie de base de la santé mentale, comme le trouble de stress post-traumatique, le stress et la dépression, en langue des signes.

7. Renforcer les capacités des communautés petites et isolées

Aux Philippines, le projet ATIPAN offre des services de télésanté aux communautés autochtones de la région des Visayas occidentales, où l’accès aux soins de santé est souvent limité par la distance, la topographie (notamment les îles, les montagnes et les zones agricoles ou côtières), les conflits armés, les barrières linguistiques et les contraintes financières. Pour remédier à ces enjeux, l’équipe du projet a mis en place, sur une période de deux ans, des infrastructures et des intervenants-pivots communautaires pour les patients. Baptisé d’après le mot hiligaynon « atipan » (qui signifie « prendre soin »), le projet offre des consultations gratuites, une formation pour les coordinateurs communautaires et des médicaments de base.

8. Des outils numériques

Le projet Pode Falar offre un soutien en santé mentale aux Brésiliens âgés de 13 à 24 ans par le biais d’un site Web, d’Instagram et de WhatsApp. Un robot conversationnel nommé Ariel s’occupe du triage automatisé et offre une assistance en fonction de la complexité des préoccupations des utilisateurs. Ces derniers peuvent accéder à des conseils d’autosoins (« Je veux prendre soin de moi »), lire ou partager des récits anonymes sur des difficultés surmontées (« Je veux être inspiré »), et obtenir du soutien supplémentaire auprès d’un agent humain (« Je veux parler »). Cette initiative de grande envergure, qui porte sur la santé mentale dans une région pauvre en ressources, a été mise en lumière lors d’une table ronde explorant la question suivante : « Les régions à faibles et moyens revenus sont-elles prêtes à bénéficier d’outils numériques en santé mentale? » Le programme prend en charge les services de messagerie textuelle, électronique et WhatsApp.

Saisir des idées au vol

Les séances régulières du Congrès de style « partager et emprunter » permettent de prendre des projets qui ont bien fonctionné ailleurs et de les appliquer à votre propre travail. Dans cet esprit, nous souhaitons présenter quelques concepts intéressants.

Dialogues sur la santé mentale

Les personnes qui assistent à une conférence sur la santé mentale sont généralement des spécialistes. Pourquoi ne pas en faire profiter le reste du monde? Le programme Time to Change du Royaume-Uni, qui a duré 15 ans et pris fin en 2021, avait pour but de réduire la stigmatisation au moyen de contacts sociaux. Des personnes ayant vécu des problèmes de santé mentale ont dialogué avec des inconnus afin de démystifier la maladie mentale. Ils se sont rendu à des concerts ainsi que dans des bibliothèques et des marchés agricoles, a expliqué Sue Baker, membre de l’Ordre de l’Empire britannique et fondatrice de Time to Change.

Un esprit sain

Compositrice, artiste sonore, productrice et disc-jockey, Satya Hinduja, fondatrice d’Alchemic Sound Environment, s’intéresse au lien entre le son, la musique, la technologie et la santé. Elle a orchestré une expérience d’écoute profonde, conçue pour susciter des états de réflexion, de réceptivité et d’échange. Les participants ont pu envisager le son comme une expérience thérapeutique, leur permettant ainsi de réfléchir aux bruits qui les entourent, aux fréquences, aux vibrations et à leur propre intériorité.

Un phare dans le brouillard

Il existe d’innombrables applications pour favoriser la santé mentale sur le marché. Comment savoir laquelle choisir? Lors du Congrès, la Commission de la santé mentale du Canada a publié la première Stratégie de cybersanté mentale du Canada. Ce document phare renferme 6 priorités et 12 recommandations visant à définir l’avenir de la cybersanté mentale au Canada. Utilisez-le pour promouvoir, guider et développer votre travail.

Soigner par la narration

Au Liban, une application Web appelée « Étape par étape » offre de l’aide en santé mentale au moyen de récits dans lesquels des personnages fictifs souffrant de dépression se rendent chez un professionnel de la santé. À partir d’une histoire illustrée de 15 minutes, les utilisateurs découvrent des techniques d’adaptation en observant la façon dont le personnage s’approprie ces techniques pour les appliquer dans sa vie. Le deuxième segment de 15 minutes est interactif : le personnage de professionnel de la santé approfondit les techniques thérapeutiques et propose aux utilisateurs des activités pour renforcer ce qu’ils ont appris.

Entendu lors du Congrès de l’eMHIC

  • Faire avancer les choses : Les mots « action collaborative», ou « collaboraction », signifient travailler ensemble pour faire progresser l’accès aux services de santé mentale.
  • Au-delà de tout ce qui brille : Il ne s’agit pas de technologie en soi, mais plutôt de personnes et de confiance. Les outils permettent de faire ce travail et le numérique ne connaît pas de frontières géopolitiques.
  • Faire de la place pour notre travail : Ian Hickie, professeur de psychiatrie au Brain and Mind Centre de l’Université de Sydney, en Australie, a parlé de « l’ubérisation de la santé mentale». Si les personnes ayant vécu la maladie mentale et disposant d’une capacité de recherche dans ce domaine ne réagissent pas adéquatement, d’autres instances peuvent intervenir pour répondre aux priorités des consommateurs que sont l’accès, le choix, les prix concurrentiels et l’expérience utilisateur. Dans le monde entier, la demande de services en santé mentale personnalisés dépasse largement l’offre.
  • Donner un sens : « Nous sommes tous encouragés lorsque quelqu’un croit en nous », a déclaré Anil Thapliyal, directeur général du Collectif, dans son discours de clôture.

À venir : Le 10e Congrès annuel se tiendra à Toronto en novembre 2025. Manifestez votre intérêt et apprenez-en davantage en consultant le site (uniquement en anglais) : https://events.emhicglobal.com/register-your-interest-for-emhic-2025/.

Lecture complémentaire : Soutien technologique : Les services de cybersanté mentale font tomber les obstacles

Auteur: Fateema Sayani est gestionnaire de contenu à la Commission de la santé mentale du Canada. Dans un esprit de collaboration, elle écrit régulièrement sur la technologie, la société, la culture populaire et ses liens avec la santé mentale.

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