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Al Wiebe sur le podcast BeCause & Effect de la Fondation Winnipeg en mai 2024.
Voici Al Wiebe : Né et élevé à Winnipeg, Al Wiebe a perdu son emploi dans le domaine de la vente publicitaire en 2009 et a passé deux ans et demi sans domicile. Il vit aujourd’hui dans un appartement et, depuis plus d’une douzaine d’années, il défend sans relâche l’importance d’offrir un logement assorti d’un soutien aux plus démunis. Voici son histoire.
Mon père était un prêcheur de l’enfer du feu et du soufre. Très strict. Ma mère souffrait d’une maladie mentale. Ma vie d’enfant n’était pas du tout agréable. J’étais une brebis galeuse – je ne me sentais pas à ma place. Je devais faire beaucoup de choses tout seul. Peut-être que cette indépendance m’a aidé plus tard.
Mon père avait une entreprise d’aménagement extérieur de maisons, où il s’occupait du bardage et des gouttières. Je l’ai reprise lorsqu’il s’est engagé à plein temps dans le ministère. J’avais 18 ans. Je suis allée à la banque, j’ai acheté une maison et un camion, et tout le reste. Puis j’ai eu mon premier enfant un mois plus tard, et un autre 11 mois plus tard. C’est ce qu’on appelle de la pression.
Je n’étais pas un bon père ou un bon mari. Je me concentrais sur l’entreprise et je n’étais jamais là, si bien que je n’avais pas de bonnes relations avec mes enfants.
J’ai également lutté contre la dépression pendant des années. Tantôt je prenais des antidépresseurs, tantôt je les arrêtais. Mais je n’ai pris aucun médicament pendant les cinq années qui ont précédé la perte de mon emploi en publicité. J’étais trop occupée à gagner beaucoup d’argent. Mais lorsque le propriétaire de l’entreprise m’a remplacé par son ami, je n’ai pas pu supporter le traumatisme. Et je n’ai pas demandé d’aide. J’étais célibataire, j’avais la cinquantaine et j’habitais à un pâté de maisons de mon travail. Mon travail, c’était ma vie. Je n’avais pas une vie équilibrée, je n’avais pas d’amis et je n’étais pas vraiment en contact avec ma famille. Je vivais en quelque sorte dans ma tête.
Vivre dans une voiture
J’ai quitté la ville pendant un certain temps, mais j’ai fini par revenir à Winnipeg. Je voulais me complaire dans ma misère. J’avais vendu ma Mercedes, mais j’avais encore un bel appartement. J’ai ruminé et j’ai commencé à penser au suicide. Je suis diabétique et j’ai arrêté de prendre mes médicaments, ce qui n’était pas bon non plus.
Al Wiebe, à droite, avec Vivian Santos, conseillère municipale de Point Douglas Ward, Winnipeg, en mars 2025. M. Wiebe, formateur en engagement communautaire et directeur du logement, a reçu la Médaille du couronnement du roi pour son action en faveur de la lutte contre l’itinérance et de la promotion du leadership en matière d’expérience vécue.
Un jour, j’ai quitté l’hôtel avec mon sac. J’avais mangé plusieurs fois dans un restaurant vietnamien et, derrière, il y avait un concessionnaire automobile et une casse de voitures servant à récupérer des pièces détachées. Je me suis installé sur le siège arrière d’une Mercedes 1964. J’en conduisais une auparavant, alors je me suis dit pourquoi ne pas vivre dans une Mercedes aussi longtemps que je serais ici. Je pensais ne tenir qu’une nuit ou deux. Mais j’ai passé 14 mois et demi dans cette voiture.
Je partais à sept heures du matin, quand la casse ouvrait, et ne revenais qu’à l’heure de la fermeture, à 19 heures. Je n’ai pas eu recours aux banques alimentaires, aux refuges ou aux soupes populaires, rien de tout cela. Je récupérais les canettes de bière vides et la monnaie des gens au service au volant. C’est comme ça que j’ai survécu. Mais j’ai perdu 20 kilos et je suis tombée gravement malade. En raison de mon diabète, j’ai eu une pneumonie et une neuropathie. Certains jours, je pouvais à peine marcher. J’ai commencé à perdre espoir. Je ne pensais pas pouvoir m’en sortir.
Je suis allée trois fois à l’hôpital et trois fois on m’a refusé parce que j’étais un itinérant. Je cherchais des soins psychiatriques, mais on m’a traité avec mépris. On m’a dit que je devais « travailler pour que ça aille mieux ». Travailler pour que ça aille mieux? La seule chose sur laquelle on peut travailler quand on est itinérant, c’est sur sa survie.
Une lueur d’espoir
Quelques jours plus tard, je suis allé dans un autre hôpital, à l’unité de stabilisation de crise, puis j’ai passé 24 heures à faire le dos rond dans ma voiture. Quelques jours plus tard, je suis allée à l’hôpital Saint-Boniface. J’étais dans un état lamentable. Lorsque j’ai enfin vu un médecin, elle a changé le cours de ma vie.
Elle m’a dit : « Vous avez frappé à bien des portes, et les gens ne pouvaient pas vous aider, ou ne le voulaient pas, mais aujourd’hui, je vais vous aider. C’est comme si vous étiez tombé dans un gouffre, que vous ne saviez plus où vous êtes ni qui vous êtes, et que vous ne saviez pas quoi faire pour vous aider vous-même. À compter d’aujourd’hui, vous allez remonter la pente et prendre des forces. Vous allez commencer à devenir la personne que vous voulez être ».
Elle m’a donné espoir. Elle m’a dit que j’avais vécu beaucoup de traumatismes et que je devais commencer à croire en moi. Elle m’a dit qu’un jour, je pourrais aider d’autres personnes dans la même situation.
Après un mois à l’hôpital, j’ai passé 14 mois dans un refuge. J’ai détesté ça. Il y a eu deux meurtres pendant que j’étais là. J’ai été attaqué et j’ai eu les côtes cassées. Parfois, je voulais retourner vivre dans la rue.
À ma sortie du refuge, j’ai obtenu un appartement en face du centre Ma Mawi Wi Chi Itata et c’est devenu mon chez-moi. Le centre Ma Mawi est un organisme autochtone qui offre des services extraordinaires. Quand je suis arrivé, j’ai vu cette grande maison verte et des gens qui s’affairaient autour. Alors je suis entré et j’ai demandé s’ils avaient besoin de bénévoles, car j’avais besoin d’avoir un but dans la vie. J’avais besoin d’aide, mais j’avais aussi besoin de faire quelque chose. Ils ont dû voir quelque chose en moi. Ils m’ont permis de devenir bénévole et de suivre des cours pendant deux ans : prévention du suicide, manipulation des aliments, premiers secours et réanimation cardio-pulmonaire, intervention non violente en cas de crise. Cours après cours, atelier après atelier.
Ce qui fait de vous une personne à part entière
La plus grande conséquence de l’itinérance, c’est la perte de l’estime de soi, de la dignité et de la confiance en soi. Tout ce qui fait de vous une personne à part entière et vous permet d’avancer. J’ai perdu tout cela très rapidement, mais chaque fois que je suivais un nouveau cours, c’était comme si j’ouvrais un placard et que j’y mettais un pot de confiance, puis un autre, puis un autre. Peu à peu, j’ai pris de l’assurance. Je n’étais plus ce chef de publicité arrogant qui pouvait faire tout ce qu’il voulait. J’étais tellement arrogant à l’époque. J’ai commencé à me sentir mieux dans ma peau. Je savais que j’allais quelque part. J’ai commencé à penser que je pouvais faire plus.
Après deux ans et demi, j’ai commencé à travailler une fois par semaine dans un centre d’accueil, comme cuisinier. Je préparais des repas pour 70 personnes. Puis l’un des gestionnaires de cas, dont le travail consistait à maintenir les gens dans leur logement, a démissionné. On m’a proposé l’emploi. Je n’avais pas travaillé depuis cinq ans. Deux ans et demi d’itinérance, deux ans et demi de rétablissement. J’ai dit : « Bien sûr. »
Contrer les jugements et la stigmatisation
Aujourd’hui, je vis dans un appartement d’une chambre avec une amie dont je suis l’aide-soignant. Je participe à la gestion du programme Logement d’abord et j’organise un symposium annuel sur les droits de la personne. J’organise des conférences sur l’itinérance et des séances de formation avec des représentants des trois paliers de gouvernement, y compris des conseillers municipaux locaux ainsi que des policiers, des pompiers et des ambulanciers. Je parle de la pauvreté, de la stigmatisation et des préjugés inconscients aux étudiants en soins infirmiers et au personnel hospitalier. « Vos jugements vous empêchent-ils de donner le meilleur de vous-même aux personnes vulnérables? Les services d’urgence sont remplis de personnes en situation d’itinérance qui sont souvent traitées de manière inhumaine. Notre système de santé ne comprend pas vraiment les liens entre l’itinérance et la santé mentale. Nos gouvernements non plus.
Avoir un appartement, c’est bien, mais le travail me donne un but, et je n’aurais pas pu arriver là tout seul. On ne peut rien faire sans maison, c’est certain. C’est pourquoi j’accorde une grande importance au logement. Vous mettez quelqu’un dans un logement, puis vous vous occupez de ses besoins. On ne peut pas répondre aux besoins de quelqu’un dans la rue. Et on ne peut pas s’en sortir quand 80 % de nos revenus sont consacrés au logement.
Les gens pensent que quand on a passé du temps dans la rue, on a perdu quelque chose. Dans mon cas, j’ai acquis beaucoup de sagesse. J’ai eu beaucoup de succès parce que j’ai une expérience vécue. Cela contribue à établir des liens de confiance. Mon expérience m’a permis d’éprouver une profonde empathie.
L’itinérance exacerbe la maladie mentale. Elle est décuplée. Parce qu’il y a un traumatisme à chaque minute de chaque jour, ou presque. On ne se sent pas en sécurité. Mais il n’y a pas que le logement. Ce n’est pas parce que vous avez un endroit où dormir que vous êtes en bonne santé. Vous avez besoin d’un gestionnaire de cas. Vous avez besoin d’un conseiller. Vous avez besoin de soins médicaux tenant compte des traumatismes. Vous pourriez avoir besoin de travailler sur vos dépendances. Vous avez besoin d’un soutien global. Sinon, la vie risque de s’écrouler à nouveau sur vous. Avoir un logement ne règle pas tout. Mais c’est une grande partie de la solution.
La pauvreté peut être tout aussi traumatisante que l’itinérance. Les gens dépensent tellement d’énergie chaque jour et luttent tellement, surtout aujourd’hui en raison de la situation économique. Les gens passent de la classe moyenne à la pauvreté – des gens qui n’ont jamais connu la pauvreté auparavant – et les gens passent de la pauvreté à l’itinérance. Les gens ont vraiment besoin de pouvoir compter sur les bons services, parce que les choses sont vraiment difficiles en ce moment.
Il est gratifiant d’aider les gens à ne pas se retrouver à la rue. Deux ans après avoir échappé à l’itinérance, j’ai arrêté mes antidépresseurs parce que j’avais un objectif. Ce centre d’intérêt, c’est les autres. Mais pour moi, combler le fossé qui me séparait de ma famille, c’est le meilleur moyen de reprendre ma vie en main. Deux de mes enfants ont la quarantaine, l’autre a 50 ans, et nous nous entendons mieux que jamais. Ils se sont tous très bien débrouillés. Ma fille et moi avons des discussions très cérébrales. Avec mes garçons, nous parlons sport. L’un de mes fils est à Winnipeg aujourd’hui pour son travail et je vais le voir pour dîner ce soir.
Le saviez-vous?
- Environ 60 % des personnes en situation d’itinérance au Canada ont des problèmes de santé mentale, selon un rapport fédéral qui s’est penché sur un dénombrement ponctuel coordonné de l’itinérance à l’échelle pancanadienne en 2020-2022.
- Selon la ressource en ligne Homeless Hub, la maladie mentale peut vous rendre plus vulnérable au chômage, à la pauvreté, à l’isolement social et à d’autres problèmes, qui augmentent tous le risque d’itinérance.
- Que vous soyez à la rue, dans un refuge ou dans une autre situation liminale, le manque de stabilité et de sécurité peut amplifier les troubles psychologiques.
- Le meilleur moyen de mettre fin à ce cycle, c’est d’avoir accès à un logement sûr et abordable, et d’être entouré d’une série de mesures de soutien.
- Selon une étude du Canadian Medical Association Journal, l’approche du logement d’abord est moins coûteuse que les dépenses publiques consacrées aux soins de santé et au maintien de l’ordre et les autres coûts associés au fait de ne pas avoir de maison.
Ressources: Logement d’abord au Canada
Auteur: Tel que raconté à Dan Rubinstein, auteur et journaliste Ottawa qui écrit fréquemment sur les questions de santé.
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Quand je fais défiler mes médias sociaux le matin, encore à moitié endormi, une heure avant le moment où ma préposée aux services de soutien à la personne doit arriver pour me réveiller, je tombe presque inévitablement sur un billet ou un mème en lien avec l’invalidité. Ces publications se déclinent généralement en deux types. Le premier : les personnes handicapées peuvent atteindre tous leurs objectifs lorsqu’elles s’y mettent, ou alors la seule incapacité dans la vie est une mauvaise attitude, sous la photo d’une personne handicapée qui déjoue les pronostics et escalade une montagne, saute en parachute ou réalise un autre exploit du genre.
La deuxième catégorie de publications que je vois souvent contient des articles de magazine relatant le tragique accident qui a laissé une personne clouée à un fauteuil roulant, ajoutant que « cela de l’a pas empêchée de vivre sa vie à fond ». Ou une variation sur ce thème. Ces représentations ne sont que trop courantes dans les médias traitant de handicap, et nous confinent à des perspectives très limitées de l’incapacité. On peut soit surmonter le handicap et se transfigurer en héros, soit métamorphoser une tragédie en un récit édifiant où d’autres iront puiser de l’inspiration.
Loin des héros tragiques
Ces représentations ne se limitent pas aux médias, on les rencontre aussi dans la vraie vie. Les doigts d’une main ne suffisent pas pour compter le nombre de fois où quelqu’un m’a confié, les sourcils froncés de sollicitude, « Si j’étais à ta place, je crois que je mettrais fin à mes jours », ou la remarque condescendante « Toi, Andrew, tu ne te laisses pas arrêter par ton handicap ». On trouve rarement de l’espace pour une conversation nuancée sur ce que ça signifie de vivre dans un corps handicapé, mais je peux vous assurer qu’il y a beaucoup plus à dire que ces stéréotypes.
Un des aspects de la vie avec une incapacité qui est souvent occulté et largement sous-représenté est le deuil lié au handicap. En voici ma définition : Le deuil lié au handicap est le chagrin découlant du fait de vivre avec un corps handicapé qui doit composer avec plus de pertes et de changements abrupts que la plupart des gens.
En tant que personne lourdement handicapée, je vis souvent ce deuil. Parfois sous la forme d’une nostalgie de tout ce que je ne serai jamais en mesure de faire, comme de courir, sauter ou faire des culbutes, ou même des gestes qui peuvent sembler aussi banals que de prendre une douche seul. D’autres fois, le deuil lié au handicap vient d’une fonction que j’ai perdue. Je pleure le fait de ne plus pouvoir aller faire pipi aux toilettes par moi-même et de devoir porter un cathéter chaque jour.
En toute honnêteté, le deuil de perdre ces plaisirs simples est indescriptible. Je suis en deuil de constater qu’en vieillissant dans ce corps, la douleur devient plus apparente et qu’il devient de plus en plus difficile de faire beaucoup de choses que mon corps handicapé faisait auparavant. Tout cela a eu un effet considérable sur ma santé mentale; je me surprends à devenir plus irritable, à me fâcher plus rapidement et à sombrer plus vite dans la dépression.
Les professionnels de la santé mentale ont du rattrapage à faire
Kristen Williams
Pour mieux comprendre le deuil lié au handicap et ses répercussions sur la santé mentale des gens, j’ai discuté avec la psychothérapeute handicapée (candidate à l’exercice) Kristen Williams. Elle vit avec la paralysie cérébrale, l’anxiété et un trouble dépressif majeur. Elle m’explique que son expérience du deuil lié au handicap est intensifiée par la combinaison de plusieurs pertes.
« Les personnes ayant des incapacités font face au deuil de la réalité de leur vie et des choses qu’elles ne peuvent pas faire, de leur potentiel perdu – les choses qu’elles désirent mais n’obtiendront fort probablement jamais », poursuit-elle. Je lui ai demandé comment les praticiens de la santé mentale peuvent aider les gens à composer avec le deuil lié au handicap.
« Ce qui compte, c’est de ne pas fuir ce deuil. Dans les professions d’aide, bien des intervenants cherchent à “réparer” ou à “aider” les gens, et parfois elles offrent des solutions et des encouragements, alors que leurs clients ont plutôt besoin d’espace et de validation, explique-t-elle.
Elle constate notamment que les thérapeutes ne sont pas à l’abri du capacitisme, « un ensemble de croyances et de pratiques qui dévalorise et discrimine les personnes ayant des incapacités physiques, intellectuelles ou psychiatriques, et qui présuppose souvent que les personnes handicapées doivent être “réparées” d’une certaine façon », selon la définition du Center for Disability Rights, un organisme américain de défense des droits et de services communautaires à but non lucratif.
Williams affirme que « les cliniciens sont touchés autant que n’importe qui, donc nous devons l’examiner de près et nous efforcer d’être anti-capacitistes dans notre pratique ». J’étais curieux d’apprendre si elle avait constaté une évolution du deuil lié au handicap vers la joie liée au handicap dans sa pratique. Elle m’a répondu :
« En partie, la transition vers la joie liée au handicap nécessite d’intégrer les moments tristes, frustrants et difficiles qui forment le deuil lié au handicap. Pour instaurer la joie du handicap, il faut tout d’abord comprendre le deuil qui y est associé. »
Accéder à la joie
J’ai aussi discuté avec ma bonne amie Lorna Craig, qui vit avec plusieurs maladies chroniques, dont la maladie de Lyme, l’endométriose et le trouble bipolaire de type I. Je lui ai demandé comment elle vivait le deuil lié au handicap.
« Comme mon incapacité est acquise, le plus souvent, je compare ma situation présente avec ce que j’aurais pu être si je n’avais pas été handicapée, indique-t-elle. J’ai passé des années dans le deuil de cette personne, de qui elle était et de ce qu’elle aurait pu accomplir.
Ces jours-ci, je ne suis plus en contact avec elle. Comment affirmer qu’elle aurait incarné une meilleure version de moi-même? »
Un des principaux points que je retiens de ma conversation avec Lorna est que le deuil lié au handicap est infiniment plus vaste que ce que nous en connaissons, et beaucoup plus profond qu’un simple mot-clic tendance. Un des points qu’elle a soulevés résonne particulièrement en moi : « Certains jours, je voudrais que mes problèmes soient plus conventionnels, plutôt que d’avoir un corps rétif qui ne fait pas ce que je veux. » En tant que personne vivant avec des incapacités invisibles, Lorne a souligné que l’une des choses qui avive le plus son deuil lié au handicap est de ne pas être crue.
J’ai demandé à Lorna si tout cela avait affecté sa santé mentale, et sa réponse a mis en relief l’importance cruciale de parler du deuil lié au handicap et de la santé mentale.
« C’est variable. Parfois, c’est une petite pensée irritante qui me suit toute la journée, et parfois, je peux rester recroquevillée en boule à pleurer pendant des jours. »
J’ai voulu savoir si elle observait un cheminement du deuil à la joie liée au handicap.
« Selon mon expérience des maladies chroniques, il faut en effet passer à travers le deuil lié au handicap pour trouver la joie. En ce qui concerne la maladie mentale, on ne nous a pas vraiment donné l’occasion de faire notre deuil et d’accéder à la joie. Parfois, je me dis que les personnes aux prises avec la maladie mentale ne comprennent pas qu’elles ont une incapacité et qu’elles peuvent la revendiquer. »
Grâce à cette conversation de près d’une heure, Lorna m’a rappelé à quel point il est essentiel – et fondamentalement complexe – de comprendre le deuil lié au handicap et ses effets potentiels sur la santé mentale. En parlant avec Lorna et Kristen Williams, j’ai appris que le deuil lié au handicap est différent pour chacun et chacune d’entre nous qui vivons dans des corps handicapés, et qu’il est temps que les professionnels de la santé mentale s’attaquent à leur capacitisme afin de saisir pleinement le deuil lié au handicap.
J’ai tellement hâte au jour où j’ouvrirai mon fil Instagram le matin et que j’y verrai une photo d’une personne handicapée disant : « J’ai vu un(e) thérapeute, qui m’a aidée à éclaircir ma relation avec le deuil lié au handicap. »
Nous n’y sommes pas encore, mais ça pourrait être bientôt.
Lecture complémentaire : Comment rompre avec son thérapeute.
Ressources : Travailler efficacement avec les personnes ayant une expérience passée ou présente de la maladie mentale.
Auteur: Andrew Gurza (iel/il) est l’auteur du livre Notes From a Queer Cripple: How to Cultivate Queer Disabled Joy (and Be Hot While Doing It!), de douzaines d’articles et du mot-clic viral #DisabledPeopleAreHot [Les personnes handicapées sont sexy]. De plus, il est conseiller en sensibilisation aux handicaps et animateur de baladodiffusion.
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Il ne s’agit pas d’un simple ouvrage de développement personnel. The Mental Health Guide for Cis and Trans Queer Guys (Le guide de la santé mentale pour les hommes queers cis et trans), disponible seulement en anglais, propose une réflexion personnelle, un éclairage clinique et un hommage sincère aux hommes queers qui prennent soin de leur santé mentale dans un monde complexe et souvent contradictoire.
Rahim Thawer, travailleur social, musulman, homosexuel et candidat au doctorat à l’Université d’Alabama, s’inspire profondément de son vécu, de son travail de psychothérapeute et de ses nombreuses conversations avec des hommes homosexuels et transgenres.
Ceux-ci sont confrontés à une myriade de défis tout au long de leur vie, qu’il s’agisse de « sortir du placard » ou des différents enjeux liés au fait de prendre de l’âge, et de tout ce qui se trouve entre les deux.
L’auteur explore en profondeur des sujets tels que la honte intériorisée, la culture hétéronormative, la gestion du rejet et la consommation d’alcool et de drogues. Il explore chaque sujet habilement, en s’appuyant sur des études universitaires et des cas réels et offre ainsi au lecteur des outils pratiques et des conseils pour réfléchir à son propre vécu.
Une ressource solide
Ce livre est une excellente ressource pédagogique pour les cliniciens qui ne mesure peut-être pas l’impact passé et présent des hommes gais, bisexuels, trans, queers et en questionnement et de leurs expériences. Bien que l’ouvrage de M. Thawer soit essentiellement destiné aux hommes queers, il a déjà attiré l’attention de thérapeutes et d’éducateurs qui désirent mieux soutenir les communautés queers, ce que M. Thawer connaît bien. Dans son cabinet privé, il supervise fréquemment des cliniciens qui cherchent des conseils culturels pour mieux soutenir les personnes qui viennent les consulter.
Par exemple, des cliniciens l’ont approché pour lui dire : « Je travaille avec un homosexuel qui lutte contre la honte » ou « Je soutiens un client musulman homosexuel qui n’a pas encore divulgué son identité sexuelle ». Ces professionnels sont à la recherche d’un cadre pour comprendre les problèmes sous-jacents, et c’est exactement ce que leur offre le livre de M. Thawer. Il analyse des questions complexes comme la stigmatisation intériorisée, le rejet anticipé et les relations familiales difficiles – et les transforme en idées et interventions réalisables.
Les contributions de M. Thawer à ce domaine ne sont pas passées inaperçues. Il a reçu le prix 2025 Mary Smith Arnold Anti-Oppression Award, décerné par Counselors for Social Justice aux États-Unis, ainsi que l’Honorary Award in Education de 2025, décerné par l’organisation à but non lucratif, South Asian Americans for Change. Ces distinctions confirment le rôle important qu’il a joué dans la promotion de pratiques adaptées sur le plan culturel au sein de diverses communautés.
J’ai récemment eu l’occasion de discuter avec Rahim, et voici quelques extraits de notre conversation.
Psychothérapeute et candidat au doctorat, Rahim Thawer travaille aux États-Unis et a étudié à Toronto. Son nouveau livre aborde des questions complexes de manière pratique.
Q: Qu’est-ce qui vous a inspiré ce livre? C’est un sujet vaste et difficile. Quelle a été votre motivation?
R : J’ai commencé ma carrière dans le secteur du VIH et la plupart des ateliers que nous avons organisés pour réduire le risque de transmission du VIH ou pour aider les gens à bien vivre avec le VIH étaient assez limités. Ils portaient tous sur le VIH et de nombreuses communautés que nous avons rencontrées n’avaient pas besoin d’entendre particulièrement parler de cela. Elles avaient besoin d’autre chose, par exemple, que l’on parle de lutte contre l’homophobie, de sexualité au sens large ou du paysage des relations. On peut dire que tout cela est lié au VIH, mais je voulais regarder les choses sous un autre angle que l’épidémie et réfléchir à tous les éléments de notre sous-culture qui contribuent à nos problèmes de santé mentale. Je pense en effet que les homosexuels et les transgenres vivent dans un monde différent. Nous avons des normes différentes, des attentes différentes, notre propre culture, notre propre histoire. Nous vivons dans des univers multiples et je pense que c’est ce qui détermine nos résultats en matière de santé mentale. J’ai donc voulu prendre en compte à la fois mon expérience vécue en tant qu’homosexuel et mon travail de thérapeute pour réfléchir à tous les éléments qui influent sur notre santé mentale. Le livre que j’ai écrit n’est pas un livre de recherche. Je n’ai pas fait d’études pour déterminer quels sont les éléments qui nous touchent. Je me suis dit : voici les choses que je vois, que je ressens et que je vis. Et si on les approfondissait et qu’on en parlait? C’est de là que m’est venue l’idée.
Q: Dans le monde qui nous entoure, nous entendons de plus en plus de discours anti-gai, anti-queer et surtout anti-trans, tant sur le plan culturel que politique. Comment pensez-vous que cela touche ou va toucher notre communauté?
R: Je pense que les répercussions vont se faire sentir à long terme car, pour l’instant, les gens craignent surtout de perdre leurs droits et protections, et cette crainte est légitime. Toutefois, les personnes nanties qui affichent leur identité sexuelle depuis longtemps et qui ont accès à de nombreuses ressources ont pu le faire grâce aux droits acquis, à la légalisation du mariage gai, à la dépénalisation de l’homosexualité et à des possibilités de mobilité. Dans certains cas, ces facteurs – combinés au privilège de masculinité – leur ont ouvert la voie, mais ces personnes qui ont réussi, dans ma pratique thérapeutique, je les vois encore lutter contre la honte et avoir des difficultés relationnelles. Elles ont intériorisé la stigmatisation et entretiennent des relations tendues avec leur famille d’origine. Ce que je veux dire, c’est que même lorsque les gens semblent aller bien dans la sphère politique, les messages qu’ils ont intériorisés à un jeune âge les hantent encore longtemps. En d’autres termes, avant que cette vague de rhétorique anti-trans n’apparaisse, nous luttions à bien des égards avec notre passé. Je pense que l’anxiété liée à la situation politique est tout à fait justifiée, mais je pense que les répercussions se feront sentir à long terme. Et c’est très regrettable, car beaucoup de gens se disent qu’il suffit d’attendre quatre ans et que quelqu’un d’autre sera à la tête du pays. Et je me dis que non, ce n’est pas du tout comme ça que ça fonctionne. Le message, c’est la peur; on l’absorbe. Elle reste dans le corps. Et c’est préjudiciable. Et ça se soigne.
The Mental Health Guide for Cis and Trans Queer Guys
(Le guide de la santé mentale pour les hommes queers cis et trans), disponible seulement en anglais.
Q: Pensez-vous qu’il sera possible d’agir sur le front de la prévention dans les années à venir?
R: Peut-être. Je pense qu’au sein de la communauté LGBTQ au sens large, beaucoup de gais cisgenres et de lesbiennes cisgenres qui ont la quarantaine, la cinquantaine, la soixantaine et qui ont pu accéder à un certain confort dans leur monde, dans leur vie, dans leur temps, pourraient se tourner vers la communauté et soutenir les personnes qui luttent encore. Nous allons avoir besoin d’une grande solidarité avec les communautés trans, et nous avons depuis longtemps besoin d’une plus grande solidarité interne avec les jeunes LGBTQ mal logés et sans domicile. C’est un gros problème à Toronto et dans d’autres métropoles. Sur le plan politique, je pense que nous assistons au dégraissage de tout ce qui concerne la diversité, l’équité et l’inclusion. Et si cela signifie des coupes dans les soins aux LGBTQ, alors nous devrons compter sur une économie différente, qui doit être plus communautaire et collective.
Depuis plus de 30 ans, Ed Mantler dirige des initiatives visant l’innovation et l’amélioration des soins de santé. Il a suivi une formation en soins infirmiers psychiatriques. Il est titulaire d’une maîtrise ès sciences en administration des services de santé, et membre du Collège canadien des leaders en santé.
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Amanda Friesen, professeure de science politique et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en psychologie politique à l’Université Western Ontario, raconte une conversation qu’elle a eue récemment avec un collègue vivant beaucoup de stress face à « tout ce qui se passe » dans la sphère politique. « En tant que psychologue politique, je me suis demandé : “Est-ce que l’anxiété politique existe?” J’ai conclu que oui, et j’en ai discuté avec mon collègue. » Depuis, Friesen a été invitée à s’exprimer à titre de commentatrice nationale sur le sujet et à formuler des conseils sur la manière de gérer le stress politique et d’éviter la surcharge d’information politique.
Dans le sillage de transformations politiques et économiques rapides, voire bouleversantes, au cours des derniers mois, de nombreux experts en psychologie et conseillers en santé mentale au Canada ont rapporté une hausse du nombre de clients affirmant vivre de l’anxiété lorsqu’ils réfléchissent aux répercussions que les changements politiques et sociaux auront sur eux.

La psychologue politique Amanda Friesen ici à Copenhague, lors d’un projet de recherche : on recherche un équilibre en demeurant informé, sans les effets néfastes.
La CBC a récemment fait état d’une montée des « recherches nerveuses » sur Google, avec des termes comme « tarifs douaniers » et « récession ». Bien des gens disent perdre du sommeil à s’inquiéter de ce qui pourrait arriver, et à se sentir démunis face à toute cette agitation. Certains évitent carrément les actualités pour se protéger des émotions difficiles. D’autres sont pris dans l’engrenage du défilement morbide de mauvaises nouvelles et s’exposent à une rhétorique chargée de haine sur les réseaux sociaux. D’autres encore subissent les contrecoups émotionnels d’être coupés de membres de leur famille et d’amis défendant des opinions et des croyances profondément divergentes. Des symptômes de dépression peuvent en découler.
Le nouveau désordre mondial
La tendance est tellement prononcée que certains spécialistes de la santé mentale se demandent si le « trouble d’anxiété politique » devrait faire l’objet d’un diagnostic à part entière, distinct des autres formes d’anxiété.
« Je constate beaucoup de colère et d’incrédulité, indique Stefanie Peachey, travailleuse sociale agréée, médiatrice familiale accréditée et fondatrice de Peachey Counselling and Family Support, à Burlington et Oakville, en Ontario. Les clients se demandent : “Qu’est-ce que tout cela signifie pour moi? Mes finances me causent déjà de l’anxiété, j’ai peur d’être incapable de me nourrir et de payer mon loyer. Je ne comprends pas vraiment les tarifs douaniers, mais je sais que les prix risquent d’augmenter. Comment vais-je m’en sortir?” ».
Les pertes d’emploi, les flambées de prix dans tous les domaines, des aliments aux matériaux de construction, et le manque de logements abordables… ces problématiques sont bien réelles, tout comme leur impact sur l’ensemble de la société. Il est naturel de s’inquiéter, mais si l’inquiétude fait place à une colère et à un désespoir qui nuisent à votre fonctionnement, il est primordial de trouver des moyens de composer avec la situation sans fuir la réalité.

La travailleuse sociale Stefanie Peachey: Avec tout ce qui arrive, il est compréhensible de s’inquiéter. Un thérapeute peut aider les gens à démêler des problèmes et des sentiments complexes.
« Nous avons besoin d’outils accessibles aux gens pour éviter qu’ils se détournent de la démocratie, souligne Friesen. Je crois qu’il revient aux journalistes, aux spécialistes des sciences sociales et aux politologues de trouver des moyens pour aider les gens à rester mobilisés et informés sans subir d’effets indésirables. »
Friesen suggère de se doter d’une stratégie intentionnelle et officielle pour la consommation de nouvelles. Elle-même l’a fait : « Je compartimente ma consommation des actualités. Je ne lis jamais d’articles avant de m’endormir. Je suis abonnée à quelques organes de presse, où les manchettes des nouvelles importantes et des faits divers me sont livrées sur une base quotidienne ou hebdomadaire. Je lis ces articles et j’évite d’enchaîner frénétiquement les liens. Je fais mes lectures, puis j’arrête et je mets les nouvelles de côté. »
On peut aussi gérer l’incertitude en se préparant en amont à différents scénarios possibles. « Imaginons que vous travaillez dans un secteur qui va être touché par l’une des mesures tarifaires. Contactez votre organisation professionnelle ou votre entreprise et posez des questions, par exemple : “Quelle sera notre réaction à cette situation? Existe-t-il un moyen de s’y préparer, de lever une partie de l’incertitude?”, suggère Friesen. On peut imaginer toutes sortes de scénarios, plausibles ou non. Ce qui compte, c’est d’obtenir des réponses concrètes. D’un côté, on a les événements susceptibles de se produire, et de l’autre, les réponses et les plans potentiels pour y faire face. Cette information procure généralement un certain réconfort. »
Pourquoi la solution n’est pas de s’isoler complètement
On peut grandement atténuer le sentiment de désespoir en s’engageant dans la vie de sa communauté ou en défendant une cause qui nous tient à cœur. Selon Friesen, il vaut mieux consacrer son temps et son énergie à faire avancer une cause plutôt que de se laisser paralyser par un sentiment de surcharge émotionnelle face à tous les problèmes qui sont rapportés dans les médias. « On peut opter pour un programme environnemental dans la collectivité, ou une initiative menée avec un ami pour réclamer davantage de pistes cyclables sur le territoire. Agissez. Trouvez les éléments sur lesquels vous avez du contrôle et concentrez-vous là-dessus », conseille Friesen.
Peachey abonde dans le même sens. « Comme thérapeutes, nous travaillons souvent sur les pensées inconfortables et les inquiétudes des clients. Toutes les questions commençant par “Et si…”. Par exemple, un client qui remet en question sa sexualité peut se demander : “Et si on me rejetait pour cette raison?” Nous déconstruisons leur peur, discutons du soutien qu’ils peuvent trouver autour d’eux et proposons différents moyens d’atténuer leur stress. Ça ne veut pas dire que la situation n’est pas stressante ou qu’il est mal de s’inquiéter, mais la pensée du client peut être recadrée. La même chose s’applique dans ce contexte. Comment peut-on minimiser le stress et se concentrer sur des facteurs qui nous rendent plus confortables? »
Dans un article intitulé How to cope with political and social uncertainty as a Canadian (Comment gérer l’incertitude politique et sociale au Canada), Peachey écrit : « Lorsque nous détournons consciemment notre attention des éléments qui échappent à notre contrôle pour nous concentrer sur des questions sur lesquelles nous pouvons exercer une réelle influence, nous économisons non seulement une énergie mentale précieuse, mais nous acquérons également un sentiment d’autonomie ».
Peachey et Friesen sont unanimes : plus que jamais, il est essentiel de prendre soin de soi, ne serait-ce que par des gestes simples comme de dormir et de bouger suffisamment, de manger sainement, de consulter les nouvelles avec modération, de pratiquer la pleine conscience – bref, s’adonner à des activités qui vous font plaisir, comme de prendre contact avec des proches qui vous soutiennent et vous nourrissent.
« Il ne sert à rien de se préoccuper de politique à chaque instant de votre journée. Vivez votre vie. Passez du temps avec vos proches, profitez de la nature, laissez-vous absorber par des projets ou des activités qui vous procurent de la joie. Le surmenage ne vous rendra pas apte à défendre des causes ultérieurement. Il se pourrait que ce soit une course de fond! », prévient Friesen.
Par-dessus tout, ajoute Peachey, rappelez-vous que vous n’êtes pas seul. Bien des gens au Canada ressentent la même chose et expriment leurs frustrations par des actions concrètes telles qu’acheter canadien ou modifier leurs plans de voyage, par exemple.
Si vous avez besoin d’aide, contactez un thérapeute qui pourra vous aider à mettre en perspective vos peurs et vos angoisses et à trouver des moyens constructifs d’y faire face. Pour reprendre les mots de Peachey, « plutôt que de vous attarder sur des circonstances et des comportements qui épuisent vos réserves émotionnelles, redirigez votre énergie vers des actions et des initiatives qui correspondent à vos valeurs profondes. De cette manière, vous regagnez non seulement un sentiment de sens et de satisfaction, mais vous cultivez aussi votre bien-être mental.
Lecture complémentaire : Les espaces bleus et leur pouvoir thérapeutique.
Ressources : Stratégies pour demeurer au courant de l’actualité, sans se sentir submergé.
Author: Moira Farr est journaliste pour des magazines nationaux et enseigne à Ottawa. Elle a réduit sa consommation de nouvelles et modifié ses habitudes sur les réseaux sociaux; elle fait du bénévolat dans le temps qu’elle économise.
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La Semaine de la santé mentale de l’Association canadienne pour la santé mentale aura lieu du 5 au 11 mai. Le thème de cette année est #SantéMentaleSansMasque, une invitation lancée à toute la population canadienne à ne pas s’arrêter à la surface et à regarder la personne dans son ensemble.
Vous connaissez peut-être la chanson au sujet d’Eleanor Rigby.
« Elle garde le visage qu’elle garde dans un pot près de la porte. C’est pour qui? »
Dans cette chanson classique qui traite de la solitude, les Beatles résument magnifiquement ce que représente le fait de vivre avec une maladie mentale. Quand je traverse un épisode de trouble bipolaire, je porte toujours mon masque avant de sortir. Souvent, dans un sens littéral. Je me maquille minutieusement pour offrir au monde le visage de l’adaptation et du professionnalisme (trait de crayon ailé pour des yeux brillants! Fard rose sur les joues pour avoir l’air en bonne santé!). Lorsque je sors de chez moi, j’adopte l’attitude et le ton des personnes que je côtoie, je fournis un effort mental énorme pour penser aux gestes qui me feront paraître « normale ».
Ce masque donne l’impression que « je vais bien » quand, à l’intérieur, rien ne va plus. Quand je rentre chez moi le soir, j’enlève la peinture qui recouvre mon visage et je la regarde s’écouler et disparaître dans le drain du lavabo comme si c’était la métaphore de mon épuisement. Ensuite, je m’écrase sur mon lit, sans force.
Selon moi, cette année, le thème de la Semaine de la santé mentale est un appel à l’action. Quand on démasque l’état psychologique réel, on crée les conditions nécessaires pour réduire la stigmatisation, promouvoir la compréhension et éliminer la discrimination à l’endroit des personnes vivant avec une maladie mentale.
Se masquer : qu’est-ce que ça signifie? Qui y a recours et pourquoi?
Selon Autisme Canada, se masquer, ou « se camoufler », consiste précisément à essayer de se comporter conformément aux attentes de la société, en supprimant des symptômes ou des traits de caractère. C’est un concept qui a été le plus étudié dans le contexte de l’autisme et du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Il est lié à l’idée de « dépression souriante », terme familier désignant les personnes qui affichent un sourire pour dissimuler leurs sentiments profonds.
Zachary Houle vit avec l’autisme et la schizophrénie. Il souligne que l’autisme est de plus en plus célébré dans les médias (on parle même d’« autisme chic »), mais que les représentations médiatiques peuvent masquer la réalité et la complexité des maladies.
« Dans le cas de la schizophrénie, les gens pensent immédiatement que je suis un meurtrier à la hache ou que je suis dangereux et violent, explique-t-il. Il est plus facile de faire semblant d’être normal que d’aller au bureau en sachant que je vais me faire harceler, ce qui s’est déjà produit. »
M.Houle note que beaucoup de choses ont changé depuis le moment où il a reçu son diagnostic, il y a une vingtaine d’années. Il travaille maintenant dans un milieu très progressiste et compréhensif, mais il continue de porter son masque chaque jour, c’est une seconde nature.
Et il n’est pas le seul dans cette situation. Selon un sondage réalisé en 2023 par Benefits Canada, 45 % des employés canadiens atteints d’autisme sentent que, au travail, ils doivent dissimuler les traits qui trahiraient leur autisme.
Tanya Lepine-Darwiche, une femme qui s’identifie comme vivant avec le trouble du spectre de l’autisme et qui éprouve de l’anxiété, partage cet avis. « Je porte un masque pour pouvoir entrer dans une pièce et exprimer mon opinion sans que l’on me juge parce que je suis neurodivergente, dit-elle. C’est comme faire un spectacle. » Elle note qu’il est plus difficile d’entretenir des relations sociales lorsqu’elle ne porte pas de masque. « C’est ce que je dois faire pour être socialement acceptable. »
Comme le notent M. Houle et Mme Lepine-Darwiche, il est très utile de se masquer pour promouvoir l’interaction sociale et se protéger, mais cela ne va pas sans en payer le prix : épuisement et isolation.
J’aimerais me montrer vulnérable avec les gens, leur montrer à quel point je leur fais confiance mais, au travail en tout cas, je ne pense pas pouvoir y arriver », déclare M. Houle. Mme Lepine-Darwiche explique que le fait de passer toute une journée avec un masque a eu des effets sur sa vie personnelle. En rentrant chez elle, elle avait besoin de faire une sieste de trois ou quatre heures pour refaire le plein d’énergie. « C’était vraiment difficile pour moi et pour mes relations avec ma femme et ma famille, jusqu’au jour où j’ai compris que toute mon énergie passait à faire tenir le masque », confie-t-elle.
Pourquoi le fait de se masquer nuit-il au traitement
Si vous « excellez » dans l’art de vous masquer et que vous continuez à bien fonctionner, cela peut vous amener à minimiser l’importance de vos symptômes. En fait, votre masque vous leurre vous-même, tout comme il leurre votre professionnel de la santé. Vous recevez donc un diagnostic et un soutien qui ne sont pas à la mesure de vos difficultés. C’est exactement ce que M. Houle et Mme Lepine-Darwiche ont vécu.
Quand on se masque, on ne reçoit pas tout le niveau de soutien social dont on aurait besoin. Par exemple, quand vous répondez « ça va bien », votre entourage ne peut pas deviner que vous auriez besoin d’un coup de pouce.
Dans une étude Ipsos réalisée en 2019 auprès de travailleurs canadiens, 76 % des répondants ont affirmé qu’ils seraient tout à fait à l’aise de côtoyer un collègue vivant avec une maladie mentale et qu’ils le soutiendraient, mais encore faudrait-il qu’ils le sachent.
Le critère « haut niveau de fonctionnement » ne fait partie d’aucun diagnostic, mais c’est un terme qui reflète la réalité de nombreuses personnes. Il est possible que l’on soit incapable de sortir du lit ou d’aller travailler quand on souffre d’une maladie mentale grave, mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. M. Houle, Mme Lepine-Darwiche et moi-même pouvons le confirmer : nous fonctionnons correctement même lorsque nos symptômes sont aigus. Même mon psychiatre a fini par comprendre que ce n’est pas parce que je suis maquillée et en tenue de travail que je vais bien.
Jessica Ward-King publie sous le nom de « The StigmaCrusher » [la pourfendeuse de préjugés] pour sensibiliser ses lecteurs aux questions de santé mentale. De son point de vue, le thème de la Semaine de la santé mentale nous donne l’occasion de parler du masque et des différentes formes qu’il prend dans une variété de contextes sociaux, et nous invite à nous démasquer. Et parfois, on se masque littéralement : on peint sur son visage un masque disant « je vais bien », puis on l’essuie à la fin de la journée.
Stigmatisation, divulgation et masque
La stigmatisation – sous toutes ses formes – pèse beaucoup dans la balance quand on décide de porter un masque. Selon le sociologue Erving Goffman (1922-1982), les personnes neurodivergentes ou vivant avec une maladie mentale font un effort concerté pour dissimuler leurs symptômes, ou pour être « discréditées » par les autres. Même maintenant, à l’heure où nous parlons de plus en plus couramment de santé mentale, de nombreuses personnes hésitent à parler de leur vécu. Toujours dans la même étude Ipsos réalisée en 2019, 75 % des personnes interrogées ont dit qu’elles hésiteraient à parler de maladie mentale à leur employeur ou à un collègue, ou refuseraient de le faire, par peur de la stigmatisation et de la discrimination.
Goffman et d’autres auteurs ont noté que la plupart des gens portent un masque dans leur vie quotidienne. Ils essayent de se présenter d’une certaine manière dans certaines circonstances, comme dans les médias sociaux ou au travail. Cependant, se présenter sous son meilleur jour n’est pas la même chose que porter un masque car, dans ce dernier cas, l’objectif est de supprimer une partie essentielle de son identité.
Par exemple, je vis ce dilemme dans un autre contexte – en tant que lesbienne, je dois constamment choisir de divulguer (« coming out » ou « sortie du placard ») ou pas mon identité, selon les situations. Ainsi, dans une conversation, je peux utiliser un langage neutre pour éviter de parler du fait que je partage ma vie avec une femme, mais alors je ne me montre pas sous mon vrai jour.
C’est pareil quand je choisis de parler (ou pas) de ma maladie mentale. Est-ce que je montre ma vulnérabilité aux autres, ou pas? C’est une décision que je dois constamment prendre, et qui dépend de la situation, des personnes en présence, du fait que je me sens ou pas en sécurité, et de mon instinct quant aux conséquences plus ou moins négatives que pourrait avoir une « sortie du placard ».
L’œuf ou la poule
Si la stigmatisation n’existait pas, il serait inutile de porter un masque, mais pour réduire la stigmatisation, les personnes qui ont une expérience vécue de la maladie mentale doivent se lier à d’autres êtres humains – alors qu’est-ce qui vient en premier?
Si l’éducation, les campagnes de sensibilisation, les journées de commémoration et les articles comme celui-ci ont une certaine efficacité, le contact interpersonnel est essentiel selon une étude publiée en 2021 dans Society and Mental Health.
Pour ce faire, il faut toutefois que les personnes ayant une expérience vécue se démasquent, une personne et une situation à la fois. Autrement dit, il faut réduire la stigmatisation pour permettre aux gens de se sentir en sécurité et de se démasquer, mais il faut aussi que les gens révèlent leur maladie mentale et se démasquent pour réduire la stigmatisation. L’œuf ou la poule.
Pour briser ce cercle vicieux, on peut compter sur les alliés. Ils peuvent créer les conditions dans lesquelles on se sent suffisamment en sécurité pour parler de nos difficultés et se confier au sujet de la neurodivergence et de la maladie mentale.
Selon moi, cette année, le thème choisi à l’occasion de la Semaine de la santé mentale est un appel à l’action, une invitation à me montrer tel que je suis, tantôt très fonctionnelle et performante, et tantôt pas.
Il s’agit aussi de ne pas dépenser toute mon énergie à garder un masque parfaitement peint, à ne pas me contenter de dire « je vais bien » pour m’assurer que tout le monde est à l’aise, mais à me sentir libre de dire que j’ai des difficultés si je me sens suffisamment en sécurité pour le faire.
Lorsque je rentre du travail et que je me démaquille, je veux qu’il me reste assez d’énergie pour ma famille, mes loisirs et mon bien-être.
À l’extérieur de la maison, je veux être dans un monde où je peux retirer mon masque. Je ne pourrai pas braver le monde à chaque fois, dans chaque situation et avec chaque personne, et c’est correct. Le masque peut me protéger lorsque la situation le justifie, mais si je le retire peu à peu, je peux créer des liens authentiques qui permettront aux mentalités d’évoluer.
Lecture complémentaire : Les raisons pourquoi ma maladie mentale me classe dans la catégorie des personnes en situation de handicap au sens de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.
Lecture complémentaire : À quoi ressemble la vie des personnes atteintes de schizophrénie?
Ressources : Idées reçues et mythes courants sur la santé mentale
Auteure: Jessica Ward-King, ou « la pourfendeuse de préjugés » (The StigmaCrusher), détruit les stigmates liés à la maladie mentale en se montrant complètement ouverte sur son expérience vécue du trouble bipolaire.
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Un an après la fondation de la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) en 2007, l’OBNL a créé son Conseil des jeunes, un programme conçu pour faire participer les jeunes adultes (âgés de 18 à 30 ans) à la mission de la CSMC, à savoir d’améliorer le système de santé mentale du Canada. À l’époque, le Conseil des jeunes était une initiative révolutionnaire parce qu’il marquait un mouvement vers la consultation de personnes provenant de différents horizons et ayant un savoir expérientiel en vue de transformer les attitudes entourant le bien-être mental et d’éliminer les obstacles aux soins de santé mentale.
Fondamentalement, le Conseil des jeunes de la CSMC est un groupe de défense d’intérêts voué à amplifier les voix des jeunes. Il est composé de personnes déterminées à générer des changements positifs et dirigé par Em Alexander et Colbi Mike, les actuelles coprésidentes du Conseil.
Colbi Mike, jeune mère autochtone, documentariste et étudiante en droit issue du territoire visé par le traité no 6, au centre de la Saskatchewan, souhaite s’attaquer, entre autres dossiers, aux obstacles à la santé mentale rencontrés par les mères et aux effets de l’oppression sur les peuples autochtones.
Em Alexander, mère queer de deux enfants et membre des Premières Nations ayant aussi des ancêtres européens qui ont vécu à Terre-Neuve-et-Labrador, se passionne pour la promotion de la santé mentale et pour le soutien des personnes ayant vécu un traumatisme et celles faisant face à des obstacles systémiques dans l’accès à des soins de qualité.
Nous avons demandé aux coprésidentes du Conseil des jeunes de nous livrer leurs impressions concernant les difficultés auxquelles les jeunes font face aujourd’hui et sur ce que les systèmes de santé mentale peuvent faire pour mieux répondre aux besoins en constante évolution d’une population soumise aux facteurs de stress sans cesse changeants qui caractérisent notre époque.
Reconnaître que les difficultés vécues par les jeunes générations d’adultes sont uniques
Em Alexander et Colbi Mike
Em Alexander : Les gens de mon âge ont grandi dans des environnements sensiblement différents de ceux de nos parents et de nos grands-parents, qui n’ont pas connu l’influence écrasante de technologies comme les médias numériques. Nous avons grandi avec une exposition constante aux actualités internationales, et cela peut avoir des effets puissants sur la santé mentale et le bien-être des jeunes. Ce facteur fait en sorte qu’il est particulièrement important que les programmes de santé mentale tiennent compte des points de vue et des idées des jeunes afin d’être efficaces, engageants et pertinents pour les personnes qu’ils servent.
Colbi Mike : De nos jours, les jeunes sont confrontés à des obstacles additionnels, allant de l’économie aux problèmes de santé mentale et d’usage de substances en passant par le racisme systémique. Les jeunes Autochtones, en particulier, portent le fardeau des traumatismes intergénérationnels et de la discrimination persistante, et bien des mères autochtones – sinon toutes si vous voulez mon avis – subissent du racisme systémique. J’imagine que c’est dû à un manque de connaissances de qui sont les Premières Nations et de notre cheminement de guérison sociétale.
Inclure davantage de jeunes dans les discussions concernant la santé mentale
Colbi Mike : Les jeunes amènent un regard neuf, des expériences vécues et des idées novatrices, et comme ils sont directement touchés par les politiques et les programmes, leur participation assure que ces initiatives sont pertinentes, efficaces et valorisantes. Parce qu’on a fait la sourde oreille au point de vue des jeunes par le passé, leurs besoins sont aujourd’hui mal compris. En les impliquant, non seulement on bâtit de meilleurs programmes, mais on favorise aussi le sentiment d’appartenance, le leadership et la responsabilité chez les jeunes. Je trouve qu’il est essentiel d’écouter les personnes qui ont vécu à notre époque et de faire résonner leur voix, et ce, dès maintenant.
Em Alexander : La prise en compte des voix des jeunes est un facteur déterminant dans l’élaboration des programmes, particulièrement ceux qui desservent les jeunes. Le Conseil des jeunes a été fondé en 2008, et à mes yeux, la CSMC est un chef de file lorsqu’il est question de véritablement inclure les jeunes et les personnes ayant un savoir expérientiel dans ses programmes et ses politiques. Il est essentiel que les jeunes participent aux décisions qui les concernent.
Confier aux personnes ayant un vécu expérientiel de la maladie mentale un rôle plus important dans la prise de décision
Em Alexander : On en revient toujours à ce principe essentiel : « rien sur nous sans nous ». Quand on crée ou actualise une politique qui touche les personnes ayant des antécédents de maladie mentale, celles-ci devraient faire partie du processus dès le départ. Que diriez-vous si quelqu’un élaborait des programmes d’aide pour vous sans tenir compte de votre vécu ou de vos besoins, ni des initiatives qui ont fonctionné et échoué par le passé? Vous n’en voudriez pas, évidemment. Il faudrait que les savoirs expérientiels soient pris en compte. Il s’agit d’un élément incontournable dans l’élaboration des politiques, puisque celles-ci peuvent avoir des effets à long terme sur les services, l’accès, la qualité des soins et d’autres aspects.
Colbi Mike : Il est primordial d’écouter davantage les personnes ayant une expérience vécue. Les politiques influent directement sur les réalités vécues, et les personnes concernées devraient avoir leur mot à dire. Les personnes ayant un savoir expérientiel ont des perspectives que les professionnels et les décideurs omettent parfois, c’est pourquoi leur participation assure que les politiques sont non seulement pratiques mais aussi inclusives. De plus, la participation favorise la confiance, la reddition de comptes et le succès à long terme.
Comme mère autochtone, j’ai une connaissance directe des défis liés aux obstacles, au décalage culturel et aux systèmes de soutien insuffisants. Mon vécu m’a permis de mieux comprendre les questions de l’empathie et de la sensibilité culturelle, et de veiller à ce que les programmes et politiques reflètent les difficultés et les réussites de la vie réelle.
Em Alexander : En tant que coprésidente, mon expérience vécue tant à titre personnel que comme aidante influence ma démarche. Mes objectifs sont d’incarner un leadership tenant compte des traumatismes et axé sur le rétablissement en plus de reconnaître et de célébrer les identités et expériences intersectionnelles de nos membres. Ce poste, que j’occupe depuis quelques années, me tient particulièrement à cœur, et nous fonctionnons très bien en tant que conseil, dans le respect, la confiance et le soutien mutuel.
Les prochaines étapes consistent à sensibiliser la population, à diffuser de l’information et à obtenir du financement
Colbi Mike : La réconciliation passe par l’information. Les professionnels de la santé doivent comprendre les répercussions persistantes des pensionnats, des politiques coloniales et de l’oppression systémique pour fournir des soins sécuritaires sur le plan culturel. Bien qu’on ait vu des efforts pour incorporer ces notions à certains programmes d’études, le processus est lent et inégal. L’appel à l’action 24 (parmi les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada) insiste sur le caractère prioritaire de cette question, mais une plus grande responsabilisation est nécessaire pour faire en sorte que tous les travailleurs de la santé sont en mesure de soutenir les patients autochtones avec respect et compréhension.
Em Alexander : Mon expérience professionnelle au croisement du secteur sans but lucratif et celui de la santé mentale m’a appris qu’un plus grand soutien doit être donné aux travailleurs de la santé. On constate une prise de conscience croissante de ce problème, mais l’un des plus grands défis que j’observe encore est que des personnes bien intentionnées souhaitent pouvoir faire plus pour aider, mais, au niveau systémique, n’ont pas les ressources ou la capacité de le faire. Cela se répercute parfois sur le coût des services, l’accès, les temps d’attente ou l’admissibilité, mais les personnes désireuses de soutenir les autres ne manquent pas. J’espère sincèrement que le financement pour les soins de santé mentale et les programmes et initiatives connexes sera maintenu au fil des transitions de gouvernance politique.
Nous avons tous un rôle à jouer pour soutenir les personnes dans le besoin
Em Alexander : Lorsque les gens demandent de l’aide, ne faites pas de suppositions quant à leurs identités, leurs besoins et leur vécu; à la place, demandez-leur et soyez à l’écoute. Nous vivons dans une époque difficile, particulièrement pour les personnes 2SLGBTQI+. Notre communauté est exposée à des menaces très réelles pour sa sécurité, nées de la haine et de l’ignorance à l’extérieur de nos frontières… et aussi ici, au Canada. Prenez des nouvelles des personnes faisant partie de ces groupes dans votre entourage, car elles sont particulièrement ciblées en ce moment – les communautés BIPOC, 2SLGBTQI+, les immigrants, les réfugiés et d’autres – et elles ont besoin de tout le soutien possible.
Colbi Mike : La santé mentale est intimement liée au bien-être des familles et des communautés, et pourtant les mères sont souvent confrontées à la stigmatisation, à l’isolement et au manque d’accès à des services de santé mentale sécuritaires. De ce fait, il est important de soutenir les mères en investissant dans des soins de santé mentale accessibles et appropriés ainsi que dans les services de garde et de transport.
Nous devons également mettre en place des programmes qui intègrent les savoirs culturels et le soutien communautaire, car pour les peuples autochtones, la guérison passe souvent par la reconnexion avec notre culture, notre langue et nos communautés. L’investissement dans ces secteurs peut renforcer la résilience et l’identité pour les générations à venir.
Auteure: Christine Sismondo, Ph. D., est historienne et s’intéresse aux questions sociales. Son travail est régulièrement publié dans le Globe and Mail et le Toronto Star. Elle a remporté un Prix du magazine canadien et elle a signé plusieurs livres.
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Cet article fait partie de la série intitulée Le choix des mots est important dans Le Vecteur.
Comme le fait de ne pas avoir de chez-soi, la question des mots que l’on emploie pour nommer cette réalité est complexe et comprend plusieurs aspects. Les chercheurs, les experts et les personnes ayant un savoir expérientiel se demandent s’il existe une manière de nommer et de penser le logement qui permettrait de faire avancer la conversation plutôt que de l’enliser dans la stigmatisation, les préjugés et la discrimination. Comme pour les personnes en situation d’insécurité en matière de logement – une situation que l’on peut observer sous différents angles, qu’il s’agisse de l’accès au logement ou du maintien d’un logement – il n’existe pas de bonne réponse unique.
Selon l’observatoire canadien sur l’itinérance (The Canadian Observatory on Homelessness), l’itinérance se définit comme la situation d’une personne, d’une famille ou d’une communauté qui ne peut pas compter sur un logement stable, sûr, permanent et approprié, ou qui n’a pas la possibilité ou les moyens immédiats de s’en procurer un.
Il peut s’agir de personnes qui vivent dans des refuges d’urgence, qui passent d’un sofa à l’autre, qui vivent dans des campements ou dans des environnements qui ne sont pas faits pour l’habitation humaine (comme des voitures, des garages ou des abris de fortune), et de personnes qui risquent de se retrouver dans ces conditions de vie. La définition englobe non seulement le revenu et le logement, mais aussi l’accès à l’emploi, aux soins de santé, à l’eau potable et à l’assainissement, aux écoles et à la garde d’enfants.
Le choix des mots
Les mots que nous prononçons ne changent pas en eux-mêmes l’expérience ou l’impact de l’itinérance, mais ils influent la conversation. Par exemple, des termes comme « sans maison » ou « sans logement » sont de plus en plus courants. Ils mettent l’accent non plus sur la personne, mais sur le problème plus vaste – le manque de logements abordables, un problème qui préoccupe beaucoup 45 % des personnes au Canada, d’après les résultats de l’Enquête sociale canadienne de fin 2024.
Al Wiebe connaît ce problème. Défenseur du logement à Winnipeg, il a connu l’itinérance et se décrit lui-même comme n’ayant pas d’adresse fixe. Il utilise le terme « sans-abri » pour décrire son expérience, car « une maison n’est qu’un abri, un toit au-dessus de votre tête », dit-il, notant que certaines personnes vivant dans des campements, par exemple, peuvent avoir l’impression d’avoir un « foyer », et ce, même si elles n’ont pas de « maison » dans le sens traditionnel du terme.
En outre, M. Wiebe signale que plus de 31 % des personnes sans abri sont issus de communautés autochtones, et que de nombreuses personnes appartenant à ces communautés estiment que les termes « sans logement » ou « sans maison » sont plus appropriés pour désigner les personnes qui considèrent la Terre comme leur foyer.
Le langage centré sur la personne
Ce terme correspond au langage centré sur la personne – c’est-à-dire qui met l’accent sur la personne. Par exemple, dans le cas des troubles de santé mentale, vous pourriez décrire une personne comme « vivant avec la schizophrénie » plutôt que comme « étant schizophrène ». Personne n’a ou n’est une maladie, un handicap ou un état. Dans le cas du logement, c’est le manque d’options abordables qui est le problème, et non la personne.
Pearl Eliadis parle de cette nuance dans « Turning Off the Tap : Preventing Homelessness for Victims of Violence », un chapitre de l’ouvrage intitulé Ending Homelessness in Canada : The Case for Homelessness Prevention (2024), de James Hughes.
Madame Eliadis est professeure associée à l’Université McGill et avocate. Elle compte plus de dix ans d’expérience, notamment aux Nations Unies et à la Commission canadienne des droits de la personne. En 2021, elle a mené un projet de recherche avec Melpa Kamateros dans le cadre du Collectif québécois pour la prévention de l’itinérance. Dès le départ, elles ont eu une conversation sur les mots.
Melpa Kamateros, cofondatrice et directrice générale de l’association montréalaise Shield of Athena Family Services, qui offre un refuge d’urgence aux personnes victimes de violence conjugale, estime qu’il faut faire preuve de prudence dans l’utilisation de ce terme.
« Les femmes que nous accueillons ne sont pas sans-abri, du moins pas tant et aussi longtemps qu’elles sont dans notre refuge! » Melpa Kamateros explique à Pearl Eliadis, qui tient la plume : « Il y a un argument féministe en jeu ici : le fait de qualifier l’expérience d’une femme qui a fui la violence de « sans-abrisme » place le problème politique sur elle; cela touche son identité même, alors qu’en réalité, sa situation est le produit de la violence de quelqu’un d’autre à son égard. Cette femme est provisoirement sans logement, mais cela ne fait pas d’elle une « sans-abri ».
Évolution des idées
Certains, comme Regeneration Outreach, à Brampton, en Ontario, disent « sans-abri » pour désigner quelqu’un sans domicile fixe, et « sans maison » pour désigner quelqu’un qui n’a pas de maison dans le sens traditionnel du terme, mais qui habite à un endroit, par exemple, dans un véhicule récréatif ou une structure non permanente. Blanchet House, à Portland, en Oregon, utilise indifféremment « sans logement » et « sans maison », plutôt que le terme plus stigmatisé de « sans-abri ».
Cependant, comme le font remarquer les défenseurs de cet enjeu, remplacer un terme par un autre risque d’éclipser le plus important.
« Même l’avantage de passer d’un mot chargé de connotations péjoratives à un autre qui signifie la même chose, mais sans ces connotations, n’a qu’un avantage négligeable qui dure quelques années, jusqu’à ce que le nouveau terme soit à nouveau porteur de stigmatisation », a écrit Frances Koziar, une jeune retraitée handicapée et une activiste de la justice sociale vivant à Kingston, en Ontario, dans un article d’opinion publié dans l’Ottawa Citizen.
Si le langage continue d’évoluer, ce n’est qu’une partie d’un problème beaucoup plus vaste. Le débat sur la terminologie ne devrait pas servir de vertu de façade. Il doit être doublé d’efforts réels visant à trouver des solutions aux problèmes plus graves que sont l’accessibilité au logement, la santé mentale et l’usage de substances.
Lecture complémentaire : Un toit à soi : Le manque d’options en matière de logement crée pour ainsi dire une sorte de dépaysement.
Ressource : La santé mentale : Notre façon d’en parler importe!
Jessica Ward-King mène des recherches et signe ses textes sous le nom de The StigmaCrusher [la pourfendeuse de préjugés]. C’est lorsqu’elle s’informe et défend les questions de santé mentale qu’elle se sent le plus à l’aise.
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Si vous évoluez au sein de certaines « bulles de filtre », la santé mentale peut sembler omniprésente. « Tant de personnes consomment de l’information sur ce sujet, sans toutefois y porter un regard critique », indique Jessica Ward-King, surnommée « StigmaCrusher » (« pourfendeuse de la stigmatisation »), titulaire d’un doctorat en psychologie expérimentale qui se décrit comme une ardente promotrice de la santé mentale (et aussi « bourrée de diplômes et de médicaments »). Elle suit une thérapie par la parole en ligne et se renseigne sur TikTok et YouTube. « À mes yeux, c’est aussi de la cybersanté mentale », affirme-t-elle. Les contenus de Ward-King s’appuient sur des recherches réalisées dans le cadre de ses études doctorales, sur son savoir expérientiel du trouble bipolaire et sur d’autres sources de données probantes, mais ces méthodes ne sont pas nécessairement la norme lorsqu’il est question de santé mentale sur Internet.
Il ne fait aucun doute que la technologie transforme la façon de recevoir des soins de santé au Canada, avec la pléthore d’applications, d’influenceurs et d’outils numériques qui font leur apparition, mais comment séparer le bon grain de l’ivraie?
« Les services de cybersanté mentale canadiens présentent des avantages indéniables : ils offrent l’anonymat, réduisent la stigmatisation et permettent aux gens d’obtenir un soutien selon des modalités qui leur conviennent, mentionne Maureen Abbott, directrice de l’Innovation à la Commission de la santé mentale du Canada. Que ce soit par la souplesse qu’elle offre quant au moment et au format de la consultation, ou la possibilité de trouver de l’aide d’urgence lorsque les services en personne ne sont pas disponibles, la cybersanté mentale transforme les soins de santé mentale. Une personne nous a raconté qu’une rencontre avec un groupe de soutien par les pairs au milieu de la nuit lui avait littéralement sauvé la vie », raconte Maureen Abbott.
Maureen Abbott, directrice de l’Innovation à la Commission de la santé mentale du Canada, lors du Congrès annuel du Collectif international eMHIC, qui a eu lieu à Ottawa, en septembre, et où la Stratégie a été dévoilée. Face aux innombrables solutions de cybersanté mentale disponibles, des lignes directrices claires sont essentielles pour assurer la qualité clinique des outils, la sécurité des utilisateurs et la protection des données. Photo : Collectif international eMHIC.
Une stratégie pour l’avenir
La Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) a lancé la première Stratégie en matière de cybersanté mentale pour le Canada en 2024. Ce document contient des lignes directrices guidant le développement de services de cybersanté mentale. Il met l’accent sur la sécurité clinique, sur la création de cadres pour la collecte et la conservation des données et sur les soins culturellement adaptés.
« Si les services de cybersanté mentale comportent de nombreux avantages, nous devons aussi nous attaquer à des problèmes comme la confidentialité et la qualité des services. C’est pourquoi la CSMC, avec le soutien de Recherche en santé mentale Canada, a préparé une stratégie nationale fondée sur l’apport d’un conseil consultatif diversifié formé à majorité de personnes ayant vécu des problèmes de santé mentale, poursuit Maureen Abbott. Ce document phare établit les priorités pour l’avenir de la cybersanté mentale en assurant un engagement et une collaboration véritables à l’échelle du secteur. »
En fournissant ce soutien aux créateurs de politiques et d’outils de cybersanté mentale, la CSMC peut inspirer et améliorer ce domaine au niveau systémique. Ainsi, les pratiques exemplaires se rendent jusqu’aux développeurs d’applications, aux responsables des orientations politiques et aux dirigeants du secteur de la santé, en plus de leur donner les moyens de fixer et d’adopter des standards qui contribueront à la bonne santé des utilisateurs.
En ce sens, c’est une stratégie qui rejoint les gens là où ils se trouvent – parce que la cybersanté mentale poursuit sa croissance. Selon l’American Psychological Association, plus de 20 000 applications de santé mentale étaient disponibles sur le marché en 2021.
Cette prolifération va certainement se poursuivre, puisque les outils de cybersanté mentale peuvent représenter un éventail de choix plus vaste, plus pratique, à coût moindre et, dans certains cas, de meilleure qualité que les services traditionnels, selon un éditorial intitulé The “Uberisation” of Mental Health Care: A Welcome Global Phenomenon? (La santé mentale à l’ère Uber : un phénomène mondial bienvenu?), de Ian Hickie, professeur de psychiatrie au Brain and Mind Centre de l’Université de Sydney, en Australie.
« Si les personnes ayant vécu la maladie mentale et disposant d’une capacité de recherche dans ce domaine ne réagissent pas adéquatement, d’autres instances peuvent intervenir pour répondre aux priorités des consommateurs, à savoir l’accès, le choix, le prix concurrentiel et l’expérience utilisateur. Dans le monde entier, la demande de services de santé mentale personnalisés dépasse largement l’offre », écrit Hickie.
Ici au Canada, la Stratégie de cybersanté mentale se veut un plan directeur comportant six priorités et douze recommandations pour orienter le développement de la cybersanté mentale au Canada et stimuler l’innovation – avec considération.
Par exemple, l’une des priorités est d’améliorer la qualité des outils et services de cybersanté mentale, notamment en ce qui concerne la confidentialité et la protection des données. Pour guider les dirigeants du système de santé, les provinces et territoires, les autorités sanitaires, les organismes communautaires et les chercheurs en ce qui concerne le consentement, la collecte et la souveraineté des données, la Stratégie s’inspire de principes empruntés aux Premières Nations, à savoir les principes de propriété, de contrôle, d’accès et de possession.
« La confiance est au cœur de la cybersanté mentale, affirme Michel Rodrigue, président et directeur général de la Commission de la santé mentale du Canada. L’efficacité et la sécurité des applications et des services de cybersanté mentale doivent primer. La population canadienne doit avoir la garantie que ces solutions correspondent aux standards de sécurité et de qualité les plus élevés, qu’elles prônent une gouvernance des données axée sur l’équité, qu’elles préservent la confidentialité et qu’elles tiennent compte des perspectives des personnes ayant un savoir expérientiel des problèmes de santé mentale. »
Notre pourfendeuse de la stigmatisation, Jessica Ward-King, fait remarquer qu’une personne traversant une crise ou un problème lié à sa santé mentale ne se soucie pas nécessairement de la gestion de ses données personnelles.
« La confidentialité est une préoccupation majeure à laquelle bien des gens ne réfléchissent même pas. Et la sécurité aussi est primordiale. Quand un agent conversationnel répond à une personne aux prises avec des pensées suicidaires, quels sont les dispositifs de protection en place? Quand vous recevez des conseils d’une personne qui ne connaît pas vos médicaments, quel est le risque? La présence d’une stratégie permet d’anticiper les problèmes en s’assurant que ces questions sont posées à temps. »
Certaines recommandations de la Stratégie portent sur des questions liées à la main-d’œuvre et à l’état de préparation des usagers. Les gens veulent de l’aide pour déterminer la qualité et la sécurité des ressources face à une multitude de choix sans aucune norme commune. À mesure que les outils de cybersanté mentale continueront de s’améliorer en qualité et en efficacité, il faudra établir un moyen de transmettre de l’information au sujet des solutions fondées sur des données probantes aux praticiens et de démontrer qu’elles sont à la fois sécuritaires et efficaces.
Les changements étant si rapides, la communauté de la cybersanté mentale réclame des lignes directrices qui portent précisément sur l’utilisation de l’IA dans les soins de santé mentale, plus pointues que les orientations et les normes provinciales et nationales existantes sur l’usage éthique de l’IA au Canada.
Les experts internationaux et les collaborateurs consulté en vue de la préparation de la Stratégie ont ors des consultations qui ont précédé l’élaboration de la Stratégie, les experts internationaux comme les collaborateurs canadiens ont souvent abordé la question de la création d’une bibliothèque d’applications de santé mentale et du processus d’évaluation. Pour éliminer quelques-uns des problèmes que l’on connaît au Canada en matière de cybersanté mentale, il faudrait créer une base de données contenant les applications évaluées et mettre au point un processus d’évaluation national. De plus, il faudrait procéder à un examen et une mise à jour continus des lignes directrices en matière de pratiques exemplaires, puisque la technologie, la législation et les données issues de la recherche sont en perpétuel changement, particulièrement en ce qui concerne la sécurité des données et les normes de confidentialité.
Atténuer les risques et s’y préparer
La cybersanté mentale permet d’offrir des soins à des personnes vivant en région rurale qui sont incapables de se déplacer pour voir un professionnel de la santé. Elle permet à des gens de trouver des soins culturellement adaptés à leur situation et de protéger leurs renseignements personnels, et ce, à un coût inférieur à celui des soins obtenus en personne – tant pour le fournisseur que pour le bénéficiaire. Durant la phase aiguë de la pandémie, les solutions de cybersanté mentale ont permis aux gens d’accéder aux soins pendant qu’ils pratiquaient la distanciation physique, s’isolaient ou se rétablissaient de la COVID-19.
Les consultations virtuelles pour les problèmes de santé, de santé mentale et d’usage de substances ont bondi au printemps et à l’été 2022 : près de trois personnes sur cinq au Canada ont obtenu des soins de cette manière, selon Statistique Canada.
Dans une enquête réalisée en 2021 par Inforoute Santé du Canada, 63 p. 100 des répondants ont affirmé qu’ils n’auraient pas demandé de soins de santé mentale si des solutions virtuelles n’avaient pas été disponibles.
Shaleen Jones l’a constaté personnellement. Elle est la fondatrice et directrice générale de Eating Disorders Nova Scotia, un organisme caritatif communautaire voué aux troubles de l’alimentation qui offre tous ses services sans référence ni diagnostic.
Comme bien des organismes, Eating Disorders Nova Scotia a pris un virage entièrement numérique en 2020. Tous ses services et modules de formation se donnent désormais en ligne, ce qui lui a permis d’accroître sa portée, explique Jones.
« La technologie est certainement un outil qui nous permet d’entrer en contact avec les autres, mais à mon avis, c’est la connexion personnelle qui produit l’effet le plus considérable, estime-t-elle. Comme pour tout nouvel outil, il est crucial de réfléchir à son utilisation. La Stratégie de cybersanté mentale de la CSMC permet d’anticiper les problèmes et de mettre au point des méthodes pour établir la trajectoire que prendront les services de cybersanté mentale au Canada. »
La première Stratégie de cybersanté mentale du Canada : Les six priorités
- Améliorer la perception de la cybersanté mentale, l’utilisation de celle-ci et la sensibilisation qui l’entourent.
- Mettre en place des ressources permettant d’évaluer l’efficacité des solutions et des programmes de cybersanté mentale.
- Examiner la qualité des solutions et des services de cybersanté mentale, notamment en ce qui concerne la protection de la vie privée et des données.
- Éliminer les obstacles à l’adoption de solutions de cybersanté mentale et résoudre les difficultés systémiques qui s’y rattachent.
- Intégrer les principes IDEA (inclusion, diversité, équité et accessibilité) dans l’ensemble des activités de conception, des outils et des services de cybersanté mentale.
- Encourager les professionnels de la santé mentale à intégrer la cybersanté mentale dans leur pratique.
La première Stratégie de cybersanté mentale du Canada : Les douze recommandations
- Faire avancer la conception et la promotion d’un outil d’évaluation du degré de préparation à l’intention des fournisseurs de services.
- Concevoir et mettre en place une formation complète sur la cybersanté mentale à l’intention des professionnels de la santé mentale.
- Porter à terme et promouvoir un guide des pratiques exemplaires entourant l’utilisation des outils de cybersanté mentale.
- Rehausser le niveau de sécurité grâce aux outils d’intelligence artificielle utilisés en santé mentale.
- Constituer une bibliothèque nationale d’applications dédiées aux soins de santé mentale.
- Mettre en place un réseau de personnalités influentes qui défendront les questions de santé mentale.
- Créer un site Web et une campagne de sensibilisation du public en vue d’offrir des solutions de qualité dans le domaine de la cybersanté mentale.
- Tirer parti de la cybersanté mentale pour pérenniser la présence d’équipes de soins de santé interdisciplinaires, comprenant des professionnels de la santé mentale.
- Porter une attention particulière au rôle que joue la cybersanté mentale dans le cadre des initiatives du Canada en matière de bande passante à haut débit.
- Investir dans la création de solutions de cybersanté mentale couvrant toute une gamme de services d’intensité variable.
- Prévoir des solutions de cybersanté mentale dans tous les modèles de financement des systèmes de santé provinciaux et territoriaux.
- Améliorer l’interopérabilité des données de santé mentale, afin de permettre aux fournisseurs d’y avoir accès tout en préservant la propriété des données personnelles.
Lecture complémentaire : Lisez la Stratégie en entier.
Ressources : Cybersanté mentale : Quel est l’enjeu?
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Debra Slater est le genre de personne à qui on confierait le soin de ses proches. Née pour rendre soin des autres de son propre aveu, elle s’est occupée de sa grand-mère à Saint-Vincent-et-les Grenadines, avant d’entreprendre des études pour devenir préposée aux services de soutien personnel (PSSP) lorsqu’elle a immigré au Canada. Slater adore apprendre des aînés qui se trouvent sous sa garde, dans un centre de soins de longue durée en périphérie de Toronto. Elle les salue par leur nom, s’assurant d’établir un contact, que ce soit par le regard ou par un sourire, bavarde avec eux et s’efforce de tisser des liens avec eux, quel que soit leur état cognitif. Elle traite les clients comme des personnes, qu’elle aide à accomplir leurs activités de la vie quotidienne, par exemple prendre un bain, s’habiller et manger.
« Il faut prendre le temps de comprendre leurs émotions et leurs sentiments, affirme Slater, qui a œuvré par intermittence comme PSSP pendant plus de 20 ans. On devient un peu comme leur famille. Ils ne sont pas “mes patients”. Ce sont des individus, qui cherchent à vivre d’une manière aussi autonome que possible, et ils sont ici à la maison. Mon travail est de leur apporter confort, sérénité, amour et compagnie. Tout ça est relié dans l’atmosphère que nous essayons de créer. »
Debra Slater, préposée aux services de soutien personnel, est aussi coordonnatrice du Empower PSW Network, qui revendique de meilleures conditions de travail.
Slater conserve cette attitude bienveillante, même si elle doit souvent jongler avec les besoins variés de huit résidents durant son quart de travail. Parfois, l’un d’eux a mal dormi, un autre souffre d’un problème médical… et si un des collègues de Slater s’absente, elle doit en plus prendre le relais pour une partie de ses clients. « Parfois, lorsque la journée est dure, il faut redoubler d’efforts pour demeurer pleinement présent, réfléchit-elle en faisant référence aux interventions de désescalade et de résolution de problème qu’elle doit effectuer. Il y a un prix à payer; ma santé mentale est en montagnes russes. »
De nombreux fournisseurs de soins exercent leur métier parce qu’ils ont la fibre nourricière, comme elle. Pourtant, 80 p. 100 d’entre eux ont songé à réorienter leur carrière, selon un rapport publié l’an dernier par le Centre canadien d’excellence pour les aidants (CCEA).
Partout au pays, des PSSP, des intervenants en soutien direct – qui travaillent auprès de personnes en situation de handicap – et d’autres travailleurs rémunérés dans le domaine des soins de santé se sentent stressés, surmenés et sous-payés. Cette main-d’œuvre est largement composée de femmes racisées, souvent nouvellement arrivées au Canada, qui sont confrontées à des taux élevés d’abus et de discrimination en milieu de travail.
La majorité de ces personnes, qui œuvrent dans des établissements de vie collective et assurent des soins à domicile pour divers employeurs publics et privés, sont en réalité des travailleurs à la tâche, sans avantages tels que des congés de maladie payés ou l’accès à des services de counseling.
Moins de la moitié des PSSP sondés dans le cadre d’une initiative conjointe de l’Université de Toronto et du laboratoire Upstream de l’hôpital St. Michael’s ont indiqué que leur santé était bonne ou excellente, une proportion inférieure à la moyenne nationale. Dans un article publié en 2022, les chercheurs ont constaté que plus de 20 p. 100 des répondants souffraient d’une forme de trouble dépressif, ce qui « dépasse considérablement la prévalence des épisodes dépressifs majeurs dans la population canadienne ».
Dans un pays où la population est vieillissante, le défi est de taille. Si nous ne prenons pas soin des PSSP et des autres fournisseurs de soins, comment pouvons-nous espérer qu’ils prennent en charge nos citoyens les plus vulnérables ?
Un métier à haut risque
Plus de 650 PSSP dans la région du Grand Toronto ont répondu au sondage du laboratoire Upstream, qui a révélé les statistiques suivantes :
- 97 % d’entre eux sont nés à l’extérieur du Canada.
- 86 % occupent un emploi précaire.
- 89 % n’ont droit à aucun congé de maladie payé.
- 90 % sont des femmes.
- Bon nombre d’entre eux sont des travailleurs à la tâche touchant un salaire s’échelonnant de 17 $ de l’heure dans les soins à domicile et les soins communautaires à 25 $ dans les établissements publics de soins de longue durée.
Ce portrait éclair est représentatif de la situation des fournisseurs de soins partout au pays, selon l’article du laboratoire Upstream. Leurs conditions précaires sont « significativement associées à un risque accru de dépression. »
Au Canada, les emplois dans le domaine de la santé étaient généralement stables, mais au fil des trois dernières décennies, « les disparités dans le salaire et les conditions de travail des professionnels agréés (comme les médecins et le personnel infirmier) et d’autres travailleurs à temps partiel, temporaires, contractuels ou non syndiqués se sont creusées », rapportent les chercheurs. En raison de la volonté de décharger les patients des soins aigus et de privilégier le vieillissement à domicile, la demande de PSSP a considérablement augmenté, ces derniers représentant désormais quelque 10 p. 100 de l’ensemble des travailleurs de la santé. Cette main-d’œuvre croît relativement rapidement, affirme le Dr Andrew Pinto, directeur du laboratoire Upstream, sans que l’on s’attarde aux conséquences de ce changement.
Ces conditions de travail médiocres peuvent porter atteinte à la santé physique et mentale, souligne le Dr Pinto, qui est médecin de famille en plus de son poste de spécialiste de la santé publique. Dans un système qui récompense la « réduction des coûts » et la capacité de « faire plus avec moins », il explique que bien des PSSP craignent les représailles de leur employeur s’ils font mention de problèmes rencontrés au travail. Cela, le Dr Pinto l’a appris de ses recherches, et aussi des patients PSSP qu’il traite dans sa pratique. « Ils sont totalement dévoués à prendre soin des autres et tirent beaucoup de fierté de leur travail, dit-il, mais ne reçoivent pas le respect qu’ils méritent. »
Le Dr Andrew Pinto : De meilleures conditions de travail donnent lieu à de meilleurs résultats de santé. Photo: Upstream Lab
Le Dr Pinto est convaincu qu’en dépit des pressions économiques et démographiques, le système peut être réformé. Parce que le système relève d’un financement public, une revendication collective de « respect des droits fondamentaux » – salaires décents, congés de maladie, accès à des ressources de santé, possibilité de signaler des problèmes systémiques – permettrait d’améliorer les conditions des fournisseurs de soins, et ce, qu’ils travaillent pour le gouvernement ou pour un employeur privé. « Personne ne veut confier ses proches à des travailleurs à la tâche, affirme le Dr Pinto. Des emplois de meilleure qualité amélioreront non seulement la santé des PSSP, mais aussi la qualité des soins qu’ils prodiguent et les résultats en matière de santé pour tous les Canadiens. »
Pour poursuivre la campagne pour une réforme des politiques, le projet de recherche du laboratoire Upstream a créé le réseau Empower PSW Network, une coalition de prestataires de soins ayant pour but de sensibiliser les gens à la cause et de revendiquer des changements. Slater, coordonnatrice du réseau, estime qu’avant tout, les PSSP ont besoin d’un plus grand soutien structuré. « Le problème ne réside pas dans le travail comme tel, mais dans la façon dont nous sommes traités. »
Des soins réduits au silence
Liv Mendelsohn, directrice générale du CCEA, connaît des PSSP qui n’ont d’autre toit que leur voiture, parce qu’ils sont incapables de se payer un logement. Des préposés lui ont raconté le stress de courir entre les centres de soins et les résidences privées pour joindre les deux bouts. « Nous dépendons de ces gens pour fournir des soins très intimes, dit-elle, mais nous n’en faisons pas assez pour préserver leur santé. » De surcroît, lorsqu’une personne dépend d’un employeur en particulier pour conserver sa permission de séjour au Canada, elle choisit souvent de garder le silence quand elle fait face à des situations de discrimination ou d’exploitation.
Le CCEA a appelé le gouvernement fédéral à imposer un salaire horaire minimal de 25 $ pour tous les PSSP. Mendelsohn signale qu’il est primordial d’offrir des avantages sociaux uniformes afin de prévenir l’épuisement et de réduire le nombre de PSSP qui migrent vers des emplois dans les soins aigus, à la recherche de plus de stabilité. Malgré l’ampleur de la tâche, elle garde espoir. « Notre système n’a pas le choix de s’améliorer, déclare-t-elle. La situation ne peut tout simplement pas continuer sans renforcer le soutien offert aux PSSP. »
« Ce qu’il faut, c’est plus que des bras, poursuit Mendelsohn, qui entrevoit une nouvelle ère où, par exemple, un aîné atteint de démence gagnerait en qualité de vie parce qu’il est pris en charge par la même personne tous les jours. Nous avons besoin de gens qualifiés et empathiques, et nous devons reconnaître qu’ils sont un maillon indispensable de notre système de santé. »
Dans une autre réalité, Kezia (nom de famille omis pour protéger ses perspectives d’emploi) aurait pu devenir une de ces travailleuses de soutien. Née en Inde, elle a passé son enfance aux Bahamas avant de déménager à l’Île-du-Prince-Édouard, où elle a fait ses études universitaires en travaillant comme PSSP et comme intervenante en soutien direct pour couvrir ses dépenses. Kezia a cuisiné, nettoyé, aidé ses clients dans les activités de la vie quotidienne, les a accompagnés à des programmes de jour et des rendez-vous médicaux. La courbe d’apprentissage était abrupte, mais grâce à des collègues bienveillants, elle a trouvé son rythme. « Nous essayions de cultiver une ambiance chaleureuse, comme à la maison, dit-elle. Avec le temps, c’est devenu une vocation. »
En revanche, Kezia, qui était au début de la vingtaine à l’époque, a aussi subi du racisme et des commentaires inappropriés à caractère sexuel. Lorsqu’elle en parlait à son gestionnaire, « c’était comme frapper un mur ». Elle sentait que ses employeurs ne la reconnaissaient pas à sa juste valeur, même après un quart de 16 heures. Si elle manquait une journée, elle n’était pas payée, ce qui grugeait son budget pour son loyer et son épicerie. Épuisée, elle négligeait sa propre santé. Après trois ans, elle a abandonné le métier.
« Si j’avais été mieux traitée, je serais peut-être restée, conclut-elle. Les PSSP sont la colonne vertébrale de notre système de santé. Mais je ne pourrai jamais y retourner. » À la place, Kezia est retournée sur les bancs d’école. Elle veut devenir infirmière.
Lecture complémentaire : La santé mentale au travail, ça compte. Comment engager la conversation.
En savoir plus : Ressources pour les aidants, du Centre canadien d’excellence pour les aidants (CCEA).