Si vous êtes en état de détresse, veuillez appeler ou texter le 988 n’importe quand. En cas d’urgence, appelez le 9-1-1 ou rendez-vous à votre service d’urgence local.

La série du Club de lecture présente des ouvrages de qualité qui bousculent les stéréotypes et la stigmatisation, dans le cadre de notre section Représentations sur la culture pop et la santé mentale.

Il n’est pas question seulement de préjugés sexistes, bien que ce terme générique soit utile pour désigner les nombreux maux de la société, les croyances héritées du passé, le manque de données, les clichés historiques et la stigmatisation qui ont un retentissement négatif sur les soins de santé mentale prodigués aux femmes.

Ça n’existe que dans sa tête
Veuillez noter que cet ouvrage est disponible en anglais seulement.

L’auteure, Misty Pratt, est chercheuse et vulgarisatrice scientifique installée à Ottawa. Elle s’est appuyée sur la recherche médicale, sur des entretiens avec des praticiens et sur son savoir expérientiel passé en matière de soins de santé mentale pour rédiger un livre (Greystone Books, mai 2024) qui déboulonne des concepts dépassés comme l’hystérie, qui porte un regard critique sur le complexe industriel de l’autogestion de la santé et qui examine les constructions culturelles de la maladie mentale.

Ce n’est pas vous, c’est le capitalisme

Au chapitre 7, Mme Pratt pose la question suivante : « Êtes-vous aux prises avec une maladie mentale ou plutôt une surcharge mentale? ». Elle y souligne le lien entre l’épuisement professionnel et la dépression, sur la base d’une étude menée auprès de travailleurs finlandais. Cette étude montre que les personnes en situation d’épuisement professionnel sont plus susceptibles de devenir dépressives, et que celles en situation de dépression sont plus sujettes à l’épuisement professionnel.

Dans cette boucle, Mme Pratt fait remarquer que lorsque les femmes vivent de l’épuisement – au sens général d’être excessivement fatiguées par la charge mentale et la vie quotidienne – elles reçoivent parfois un diagnostic d’anxiété ou de dépression. Toutefois, il peut s’agir d’un faux diagnostic qui occulte des problèmes économiques et sociaux plus profonds, tels que le patriarcat (chapitre 6), ce qui se traduit à terme par des traitements inefficaces.

Madame Pratt invite les lecteurs à réfléchir à leur situation de manière plus holistique. En d’autres termes, la raison pour laquelle vous n’arrivez plus à sortir du lit est-elle davantage liée au monde catastrophique dans lequel vous vivez, à votre situation économique ou à un manque de pouvoir, et non à vous en tant que personne?

Une révélation porteuse de sens

« Personnellement, cette prise de conscience a complètement changé mon rapport à moi-même et à ma maladie mentale, écrit Mme Pratt. Je crois qu’un diagnostic erroné d’épuisement professionnel nourrit l’illusion que ma maladie mentale est attribuable à un défaut de personnalité, à un état d’esprit négatif, aux gènes de ma famille ou à un déséquilibre dans mon cerveau, plutôt qu’à une interprétation se rapprochant davantage de la vérité : Je suis confrontée à un problème social qui a des conséquences émotionnelles réelles et concrètes ».

Elle a trouvé cette prise de conscience libératrice, mais souligne qu’il peut être bouleversant de constater que l’on n’a pas autant de contrôle sur son bien-être que l’on aurait pu le croire. Cependant, en adoptant un point de vue plus global, il est possible de « redécouvrir ses propres capacités, les limites auxquelles on est assujetties et les minuscules gestes de résistance que l’on peut poser ».

Mme Pratt prend soin de ne pas définir la forme que cette résistance pourrait ou devrait prendre pour les gens. Elle examine ses propres préjugés dans le livre, évitant activement ce qu’elle appelle le piège du « syndrome de bien-être de la femme blanche », qui porte un privilège et encourage souvent des solutions simples qui sont à la mode ou basées sur l’appropriation culturelle. Il n’y a pas de liens affiliés à des œufs de jade ni d’allégations ringardes dans ce livre. En fait, la culture du bien-être et les soins personnels sont réimaginés d’une manière qui tient compte de nos multiples facettes : spirituelle, sociale, relationnelle, cognitive, émotionnelle et financière.

Se réapproprier son histoire

Madame Pratt raconte son histoire – dépression nerveuse, anxiété, dépression – ainsi que ses stratégies, ses séances de thérapie et la façon dont elles se sont conjuguées avec les étapes de sa vie, notamment la naissance de ses enfants. Elle tisse des liens entre ses expériences passées et l’analyse tranchante de la recherche contemporaine dans une optique biopsychosociale (un modèle qui tient compte des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux qui influencent nos vies).

Un autre fil conducteur est l’histoire de la grand-mère de Mme Pratt, Dorothy Mavis Buckler, qui était aux prises avec un trouble bipolaire dans les années 1980, une époque où on en savait beaucoup moins, où la stigmatisation était douloureuse et systémique, et où les traitements étaient embryonnaires. Mme Pratt se souvient du regard qu’elle portait sur l’état de sa grand-mère, du haut de ses cinq ans.

« Lorsqu’on perd la tête, où va-t-elle?, écrit-elle. Lorsque notre esprit part à la dérive, est-ce que nous bondissons et tentons de le rattraper, comme un gamin se lancerait à la poursuite de son ballon perdu par jour de grand vent? ».

Les cliniciens agissaient comme si les symptômes de sa grand-mère étaient exagérés. Mme Pratt se penche sur le discours entourant l’hystérie et s’interroge sur ce qui aurait pu être différent aujourd’hui pour sa grand-mère. En contraste avec les expériences personnelles et les recherches de Mme Pratt, le lecteur y trouve une dose d’espoir : les choses se sont améliorées, même s’il reste encore énormément à faire.

Par exemple, lorsque Mme Pratt y va de son manifeste, vers la fin, ses appels à l’action sont tellement intelligents et évidents que l’on se demande pourquoi on ne les a pas encore appliqués.

« Mon souhait est que toutes les femmes aient accès à des options de traitement biopsychosociales efficaces, qu’elles ne donnent leur consentement qu’après avoir été correctement informées, qu’elles reçoivent un soutien en fonction de leurs préférences et de leurs valeurs, et qu’elles bénéficient de meilleurs soins lors de l’arrêt de leur médication, écrit-elle.

Cela peut se faire en collaboration avec des psychiatres, des psychologues, des travailleurs sociaux, des défenseurs des droits des patients et toute autre personne travaillant à l’amélioration des soins de santé mentale. Autrement dit, il est possible de trouver un terrain d’entente sur lequel tout le monde a sa place, un endroit où les portes s’ouvrent sur des choix accessibles à chaque individu qui le souhaite. »

Lecture complémentaire: Lifeline: An Elegy: le roman de Stephanie Kain brosse un portrait inédit de sa réalité auprès d’une personne proche vivant avec la maladie mentale.

Ressource : Où obtenir des soins? – Un guide pour s’orienter dans les services publics et privés de santé mentale au Canada.

Auteur: n’a pas encore rédigé son manifeste. Elle est gestionnaire du contenu à la Commission de la santé mentale du Canada et rédige fréquemment des articles pour le Club de lecture dans Le Vecteur.

Au Canada, il est facile de supposer que les travailleurs de la santé ont accès à l’aide et aux soins dont ils ont besoin pour résoudre les problèmes de santé et de sécurité psychologiques rencontrés dans leur milieu de travail.

Or, ce n’est pas toujours le cas.

C’est ce décalage qui a mené à l’élaboration de la Trousse de santé et sécurité psychologiques pour les programmes de formation et les équipes de soins primaires, la Trousse SSP.

Cette vaste nouvelle collection d’outils personnalisables a été créée en partenariat par le Réseau canadien des personnels de santé, la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) et l’Équipe de soins primaires (une initiative de la Fondation pour l’avancement de la médecine familiale, financée par Emploi et Développement social Canada).

Karina Urdaneta

Karina Urdaneta, gestionnaire de programme, Initiatives de prévention et de promotion à la CSMC.

« La trousse SSP est un site Web bilingue regroupant plus de 120 ressources destinées à aider les dirigeants du domaine de la santé, les représentants des RH, les travailleurs, les stagiaires et les formateurs à renforcer la santé et la sécurité psychologiques dans leurs environnements de travail et d’apprentissage, explique Karina Urdaneta, membre de l’équipe responsable de la Trousse et gestionnaire de programme, Initiatives de prévention et de promotion à la CSMC.

Les milieux de travail sains et sécuritaires sur le plan psychologique peuvent aider à améliorer le bien-être des professionnels de la santé, réduire l’absentéisme et le roulement de personnel, hausser la productivité, consolider la réputation de l’organisation, accroître la satisfaction des patients, réduire les erreurs médicales et abaisser les coûts liés aux soins de santé.

Renforcer la main-d’œuvre

Le Canada traverse une crise de la main-d’œuvre dans le secteur de la santé, en particulier dans les soins primaires. Avant même que la pandémie vienne intensifier la pression, les travailleurs de la santé étaient déjà aux prises avec le stress, la dépression, l’anxiété, l’épuisement et le risque de suicide.

La santé et la sécurité psychologiques, qui ciblent ces risques, sont définies dans la Trousse comme « le soutien systématique fourni au sein d’une organisation ou d’une équipe pour promouvoir la santé mentale et pour activement prévenir et minimiser les risques de préjudices psychologiques découlant de causes liées au travail. »

Les auteurs expliquent qu’en visant le fondement même des activités liées à santé, la Trousse « cible directement les interactions entre les gens ainsi que la structure des conditions de travail et de gestion au sein de l’organisation ou de l’équipe. »

La Trousse reconnaît que les soins de santé ne sont pas un système monolithique et que les obstacles et les facteurs de stress psychologique y varient d’un sous-secteur à l’autre. En effet, les difficultés vécues par les employés d’un établissement de soins de longue durée ne sont pas les mêmes que dans la salle d’urgence d’un hôpital, par exemple, et les considérations de santé et de sécurité psychologiques n’y sont pas les mêmes que dans un programme de recherche ou de formation.

Même au sein d’une même profession, les pressions ressenties peuvent varier de façon complexe. Par exemple, les équipes paramédicales sont témoins de blessures traumatiques et « voient des choses que les gens ne voient pas dans leur vie de tous les jours », soutient Peter, ambulancier à Halifax, qui a demandé à être identifié par son prénom seulement.

Il fait remarquer que ces travailleurs sont soumis à d’autres importantes sources de stress, comme l’abus chronique du système fait par des personnes qui appellent régulièrement l’ambulance sans pourtant avoir besoin de soins urgents, ou les inefficacités bureaucratiques qui causent des retards et des délais dans la prestation de soins.

« Ces situations sont pénibles, parce qu’il n’y a pas assez d’ambulances. Il n’y a pas suffisamment de ressources pour gérer ce problème, mais nous n’avons pas le choix de continuer, poursuit Peter. Ça devient épuisant. »

Des notions fondamentales pour soutenir le secteur

Ces problèmes dans le secteur de la santé sont quelques-uns des nombreux exemples qui illustrent pourquoi la Trousse SSP, disponible en ligne gratuitement, a été conçue pour être générale et adaptable.

Elle est structurée selon sept grands thèmes :

  • Culture organisationnelle et d’équipe
  • Gestion de la charge de travail et équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle
  • Leadership et attentes clairs
  • Protection psychologique
  • Protection de la sécurité physique
  • Protection contre la détresse psychologique
  • Promotion de l’autogestion de la santé psychologique

Les utilisateurs du site Web peuvent cliquer sur ces thèmes pour en obtenir la définition; par exemple, la « Protection contre la détresse psychologique » englobe l’accès à des consultations et à une formation en bioéthique et l’élaboration de politiques et de lignes directrices permettant de faire face aux événements qui causent de la détresse psychologique.

Un onglet consacré aux ressources mène à des menus déroulants dont les internautes peuvent se servir pour filtrer plus de 120 ressources en fonction des besoins précis de leur équipe et de leur organisation. Les utilisateurs peuvent ainsi trier les ressources par thème, format (sites Web, articles, ateliers), secteur, cadre, identité, public (RH, employés, gestionnaires), coût, pays et langue.

Les équipes dans les milieux de travail peuvent consulter les ressources directement à partir du site Web. Il peut par exemple s’agir d’un article sur la relation entre le mentor et la personne mentorée publié dans le Journal of the Pediatric Infectious Diseases Society ou d’un atelier de consolidation d’équipe contenant de la documentation et des outils pour créer, avec leur équipe, un plan d’action afin d’améliorer la santé et la sécurité psychologiques de tous. Les vidéos, articles, webinaires et autres ressources ont été compilés à partir de dizaines de sources afin d’assurer que la Trousse regorge d’outils de qualité fondés sur des données probantes.

Quelques exemples d’application

Des équipes dans des milieux de travail ont même incorporé des éléments de la Trousse dans leurs propres programmes de santé et de sécurité psychologiques.

« Nous avons mis au point un curriculum destiné au personnel infirmier praticien qui prodigue des soins primaires dans les établissements de soins de longue durée, et le volet de santé et de sécurité psychologiques a fait partie intégrante de notre dernier module, souligne Carrie Heer, infirmière praticienne en Ontario.

Ce sont des membres du groupe de santé et sécurité psychologiques qui ont préparé ce module pour nous. Ainsi, nous avons intégré cette composante à même la trame de notre formation. »

Le programme peut être utilisé par tous les infirmiers praticiens au Canada et à l’étranger et est également disponible pour les établissements d’enseignement.

De l’avis de Michelle Acorn, directrice générale de l’Association des infirmières et infirmiers praticiens de l’Ontario, en insistant sur la santé mentale dès le départ, on assure que les infirmières praticiennes possèdent non seulement les compétences pour venir en aide aux résidents, mais aussi les stratégies de soutien et d’autosoins dont elles ont besoin pour s’épanouir dans nos environnements rigoureux. En fin de compte, cela améliore à la fois notre rendement professionnel et notre satisfaction générale au travail.

« Ce faisant, nous améliorons l’état de santé des résidents des centres de soins de longue durée, poursuit Dre Acorn. Il s’agit d’une étape essentielle pour accroître la résilience et l’efficacité de la main-d’œuvre dans le domaine des soins de santé. »

Pour aider les formateurs à éviter de causer des préjudices en essayant de faire le bien, le laboratoire Equity in Health Systems de l’Institut de recherche Bruyère a créé un ensemble d’outils d’équité, diversité, inclusion et accessibilité qui sont bénéfiques dans ce travail.

Ces outils d’introduction concis soutiennent les formateurs, enseignants et animateurs dans la préparation et la réalisation d’activités éducatives. Les questions d’orientation qui sont fournies aident à atténuer les préjudices, indiquent les auteurs.

Elles portent sur les trois R – représentation, rôles et relations, responsabilités –, des principes fondamentaux en raison « du risque réel de perpétuer voire de causer des préjudices en propageant des stéréotypes, de la stigmatisation, des préjugés, des microagressions et plus encore. » Ceux-ci peuvent être transmis par inadvertance par l’entremise de cas, de récits, de vidéos et d’autres mises en situation dans les activités éducatives, si les ressources ne sont pas conçues dans une optique d’équité.

Ainsi, l’intégration de ces cadres aux activités d’apprentissage destinées aux professionnels de la santé constitue un grand pas vers la promotion de l’équité et la réduction des préjudices dans les environnements d’enseignement. Elle peut hausser la qualité du travail et de la vie des employés dans l’ensemble du secteur de la santé et améliorer le bilan de santé de leurs patients.

Ressources: Lecture complémentaire : Ce cours gratuit sur la lutte contre la stigmatisation structurelle dans les soins de santé a pour objectif de susciter des changements concrets pour les personnes confrontées à des problèmes de santé mentale et d’usage de substances.
Auteur: vit à Ottawa et écrit fréquemment sur les arts, la culture et la santé mentale pour des publications partout au Canada.

L’été dernier, lorsque Kristen Parks s’est plongée dans le cours en ligne sur la stigmatisation structurelle liée à la santé mentale en soins de santé, elle a rapidement eu une impression de déjà-vu.

Rapidement, elle s’est rendu compte qu’une partie du contenu lui était familier : elle avait déjà appris ces notions. Il y a plus de dix ans, dans le cadre de sa formation en soins infirmiers, elle a suivi un cours complet sur la santé mentale.

« J’ai eu l’impression de solliciter des muscles que je n’avais pas utilisés depuis longtemps, explique Mme Parks, infirmière diplômée œuvrant dans l’Unité de soins cardiaques d’un hôpital des provinces de l’Atlantique. « En choisissant de travailler en milieu hospitalier, vous vous concentrez sur un domaine de spécialisation. C’est ce dans quoi vous avez le plus d’expertise et c’est aussi ce sur quoi votre attention se porte le plus. »

Le cours – lancé il y a un an par le fournisseur canadien d’apprentissage en ligne sur la santé, SoinsSantéCAN, en partenariat avec la Commission de la santé mentale du Canada – est gratuit, dure une à deux heures et est mis à la disposition de tous. L’objectif est de sensibiliser les participants à la stigmatisation structurelle, dont les répercussions peuvent être particulièrement néfastes sur les personnes vivant des  problèmes de santé mentale ou d’usage de substances.

Un type de stigmatisation

Dans le domaine des soins de santé, on parle de stigmatisation structurelle lorsque les lois, les politiques et les pratiques donnent lieu à un traitement inéquitable des personnes dotées d’un savoir expérientiel. Cette injustice se traduit par un accès inégal et une moindre qualité des soins pour ces personnes, et ce, autant pour des préoccupations de santé physique que pour des problèmes liés à la santé mentale ou à l’usage de substances.

Au cours de la dernière décennie, des chercheurs – dont plusieurs Canadiens – ont constitué un imposant corpus d’études portant sur les répercussions de la stigmatisation dans les soins de santé, en se consacrant plus récemment au phénomène de la stigmatisation structurelle. Les initiatives pédagogiques, comme le cours auquel Mme Parks s’est inscrite, s’appuient sur ces recherches – ainsi que sur les points de vue de personnes ayant un savoir expérientiel passé et présent en matière de santé mentale et d’usage de substances – dans le but de renforcer la compréhension et la prise de conscience.

« En ce qui concerne le contenu que je connaissais déjà, je voulais surtout le replacer au premier plan dans mon esprit, explique Mme Parks, mais j’ai aussi acquis de nouvelles notions. J’ai suivi ce cours il y a une douzaine d’années et, depuis, les perspectives et les recommandations ont évolué, ce qui est très prometteur. Nous voulons que les choses changent. »

Qu’est-ce qui a changé?

Parmi les personnes qui ont suivi la formation durant la dernière année, plus de 40 pour cent ont indiqué être capables de dépeindre le problème ainsi que son incidence sur les patients, de repérer les endroits où la stigmatisation est présente au sein de leur organisation et de « décrire les facteurs qui ont contribué à alimenter la stigmatisation structurelle dans les soins de santé ».

Bien que la stigmatisation structurelle pose plus d’un problème, le principal enjeu est qu’elle constitue un obstacle de taille pour de nombreuses populations marginalisées. En effet, il a été établi que la stigmatisation dissuade non seulement la recherche de soins préventifs ou hâtifs, mais que lorsque les personnes ont finalement recours à un traitement, la stigmatisation peut mener à plans de traitement médiocres et à des diagnostics manqués, ce qui est trop souvent le résultat de « l’occultation du diagnostic ».

Gretchen Grappone

Gretchen Grappone, consultante en formation et clinicienne spécialisée dans le changement structurel. Elle travaille avec des professionnels de la santé sur la lutte contre la stigmatisation structurelle.

Par exemple, une personne souffrant d’un trouble lié à l’usage de substances pourrait consulter pour n’importe quel motif, d’un bras cassé à des calculs rénaux; cependant, lorsque le personnel médical apprend que le patient a déjà un diagnostic de troubles de dépendance à des substances, il arrive que ce dernier éclipse tous les autres problèmes médicaux. Cette occultation peut brouiller le jugement des soignants qui, soudainement, ne voient plus qu’un « toxicomane », alors que le patient ressent manifestement des douleurs et qu’il a besoin de médicaments.

« C’est extrêmement préjudiciable, déclare Gretchen Grappone, travailleuse sociale clinique indépendante et agréée, dont les activités sont désormais axées sur la formation des professionnels de la santé à la stigmatisation structurelle. À cause de l’occultation des diagnostics, plusieurs personnes ayant une maladie mentale ou un trouble de l’usage de substances ne reçoivent pas le traitement dont elles ont besoin. »

Madame Grappone se souvient d’un exemple où une personne s’est présentée aux urgences avec de violentes douleurs thoraciques mais, comme elle était déjà venue dans ce service d’urgence auparavant et qu’elle avait été traitée pour un trouble de la personnalité limite, elle n’a pas été prise au sérieux lors de sa visite concernant un tout autre problème. « Cette personne est décédée parce qu’elle n’a pas reçu les soins dont elle avait besoin ».

De graves conséquences

Ce genre d’incidents a motivé Mme Grappone à délaisser le counseling individuel au profit de la formation et de la sensibilisation à la stigmatisation en milieu médical. Un autre motif réside dans le fait qu’elle a vécu la dépression.

« Je n’ai reçu le diagnostic qu’après avoir subi diverses formes de discrimination pendant de très nombreuses années, explique-t-elle. Cette discrimination provenait non seulement de ma dépression, mais aussi du fait que je sois ouvertement homosexuelle, de sorte qu’il s’agit d’une stigmatisation intersectionnelle. »

Cette expérience personnelle, conjuguée à son travail de clinicienne, l’a placée aux premières loges pour observer différents types de discrimination au sein du système de santé. Elle est ainsi devenue une ressource précieuse dans le mouvement croissant visant à éradiquer la stigmatisation structurelle au sein du système, car la recherche a montré que les personnes marginalisées ayant vécu la stigmatisation possèdent une vision éclairée de ce phénomène.

Souvent, les personnes ayant un savoir expérientiel passé et présent sont les seules à pouvoir détecter les problèmes inhérents à des pratiques que beaucoup considèrent comme allant de soi et comme des protocoles standard. La dichotomie code bleu/code blanc en est un bon exemple : les médecins sont appelés à intervenir en cas de crise de santé physique (code bleu), tandis que les premiers intervenants en situation de code blanc (violence ou agression) sont souvent des membres du personnel de sécurité.

Par exemple, dans le cadre du questionnaire de suivi, une personne ayant participé au cours a déclaré qu’avant de suivre la formation, elle ne prenait pas en compte le point de vue du patient lorsqu’elle répondait à des codes blancs au sein de l’hôpital où elle travaille; avec le recul, bon nombre de ces situations auraient probablement pu faire l’objet d’une intervention non violente ou être résolues par une certaine immobilisation physique.

Un message à décoder

Un patient en crise psychologique, déjà stressé et désorienté, peut devenir agité en raison des expériences qu’il a vécues avant que le code blanc ne soit déclenché, a-t-elle fait remarquer. « Je comprends maintenant mieux pourquoi le fait que la sécurité soit la première à arriver sur les lieux d’un code blanc n’est pas forcément la meilleure solution pour le patient; cela risque de le troubler ou de l’agiter davantage, de le mettre sur la défensive et d’envenimer encore plus la situation. »

Les protocoles de ce genre, appelés « politiques et pratiques coercitives », représentent une atteinte aux droits des patients aux prises avec des problèmes de santé mentale et de consommation; ces derniers peuvent être admis contre leur volonté, soumis à des contentions physiques et se voir refuser le droit de participer à la prise de décision concernant leur santé.

Il n’est pas facile de s’affranchir de la stigmatisation du jour au lendemain (voire jamais), mais pour faire un premier pas dans la lutte contre cette discrimination, il faut envisager le fonctionnement du système du point de vue des personnes lésées. De nombreux participants à la formation en ligne ont affirmé que les exemples individuels de stigmatisation les avaient aidés à ouvrir les yeux sur ces enjeux.

Ils ont également appris à saisir les occasions de lutter contre la stigmatisation, ce qui prouve qu’il est possible de faire bouger les choses en mobilisant les connaissances. Près de la moitié des personnes interrogées ont déclaré que cela les avait poussées à changer ou à prendre des mesures pour combattre la stigmatisation structurelle. Un nombre à peu près équivalent de diplômés sont allés jusqu’à élaborer des stratégies de déploiement de leurs nouvelles connaissances. Parallèlement, nombreux sont ceux qui craignent que la remise en question du statu quo ne soit pas une mince affaire.

« Oui, l’intégration de la matière apprise dans mon milieu de travail peut signifier que je serai confronté à des difficultés : résistance institutionnelle, manque de ressources, culture organisationnelle, contraintes juridiques et réglementaires, réticence des parties prenantes, déclare un autre répondant au questionnaire. Il me faudra de la persévérance, des actions de sensibilisation et des solutions créatives pour surmonter ces obstacles ».

Kristen Parks affirme que des bilans réguliers et des mises à jour des certifications aideraient aussi les gens qui désirent transformer la culture des soins dans n’importe quelle institution, citant la formation annuelle à la réanimation cardiorespiratoire (RCR) comme une pratique de référence. À titre d’exemple, tout le personnel d’un hôpital, des cuisiniers aux administrateurs, doit être formé en RCR. Il est tout à fait possible qu’un membre du personnel se retrouve dans un ascenseur avec un patient, en situation d’urgence. Mme Parks estime que cette formation pourrait se révéler salutaire pour l’ensemble du secteur de la santé.

« Ce cours m’a rappelé qu’il faut toujours considérer la personne dans son ensemble, et pas seulement, par exemple, son usage de substances, explique Mme Parks. Il existe de nouvelles connaissances et, si vous avez terminé vos études depuis 15 ou 20 ans, il est possible que la situation présente ne corresponde plus du tout à ce que vous avez appris. »

Author: Christine Sismondo, PhD, est historienne et s’intéresse aux enjeux sociaux. Son travail est régulièrement publié dans le Globe and Mail et le Toronto Star. Elle a remporté un Prix du magazine canadien et elle a signé plusieurs livres.

Qu’est-ce qui dissuade les gens de chercher de l’aide?

Pour certains, c’est le manque de ressources – généralement de temps ou d’argent. D’autres ignorent peut-être même que de l’aide est disponible.

Parfois, les gens tardent à chercher de l’aide pour une raison totalement différente, parce qu’ils craignent la façon dont ils seront traités par le système de soins de santé. Parce qu’ils craignent d’être stigmatisés.

« La stigmatisation est un phénomène auquel nous sommes confrontés tous les jours, déclare Dre Eileen de Villa, médecin hygiéniste torontoise. Toronto, comme beaucoup d’autres régions, est aux prises avec les défis interdépendants que posent l’itinérance, l’omniprésence de la maladie mentale et les dépendances non traitées. »

En mai, dans le cadre de la série annuelle de conférences Charles Hastings de Toronto, Dre de Villa a organisé un événement intitulé Diverse Dialogues: Stigma & Breaking Barriers.

Dre de Villa parle d’une « triple crise » sans précédent qui exige une solution des trois ordres de gouvernement, citant la stigmatisation comme l’un des principaux obstacles à la résolution de cette crise.

« Les gens disent “Si seulement je pouvais me reprendre en main” ou “Si seulement j’avais fait de meilleurs choix de vie”, explique Dre de Villa, mais la dépendance est une maladie complexe, pas une faute morale. »

Types de stigmatisation

« La stigmatisation jette un voile de honte, de peur du jugement et d’isolement, poursuit-elle. La peur de la criminalisation rend beaucoup moins probable la recherche d’aide et, quand la personne trouve enfin le courage de le faire, les attitudes discriminatoires auxquelles elle peut être confrontée au sein de notre système de soins de santé ne l’aident pas à se rétablir. »

Et, comme le souligne Dre de Villa, ce n’est là qu’une des répercussions de la stigmatisation sur notre population.

Mais qu’est-ce que la stigmatisation au juste? La stigmatisation est aussi compliquée qu’omniprésente. Au sens littéral, la plupart d’entre nous savent que la stigmatisation fait partie de la même famille de mots que « tache », « cicatrice » et « sceau de la honte », et signifie généralement quelque chose comme « une croyance injuste au sujet d’une personne ou d’un groupe de personnes ».

Les recherches actuellement menées par la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) définissent la stigmatisation comme la présence d’une caractéristique socialement indésirable démontrant l’« altérité ». Cette recherche se concentre sur quatre types de stigmatisation, explique Michel Rodrigue, président-directeur général de la CSMC, qui a participé à l’événement Diverse Dialogues du Bureau de santé publique de Toronto.

Il existe une stigmatisation individuelle, qui consiste principalement à intérioriser les messages négatifs. La deuxième est la stigmatisation interpersonnelle, qui peut survenir dans les relations avec les amis, la famille et les collègues.

La stigmatisation structurelle, quant à elle, englobe les règles organisationnelles, politiques, procédures, lois et normes culturelles qui perpétuent et renforcent la stigmatisation. Enfin, on parle de stigmatisation intersectionnelle lorsque la stigmatisation liée à la santé mentale ou à l’usage de substances chevauche d’autres formes d’inégalités.

Grâce au nombre croissant de recherches menant à l’établissement d’une taxonomie de la stigmatisation, il est plus facile de déterminer comment la stigmatisation – en particulier structurelle et intersectionnelle – a été utilisée pour marginaliser les populations.

Savoir expérientiel de la stigmatisation

« Il n’y a pas de stigmatisation sans marginalisation et sans discrimination », indique Dre Notisha Massaquoi, professeure adjointe au département de la santé et de la société de l’Université de Toronto à Scarborough, conférencière à l’événement et participante à la discussion de groupe. « La stigmatisation est un outil central et essentiel du racisme anti‑Noirs. »

Selon Dre Massaquoi, on ne peut dissocier la stigmatisation des autres outils d’oppression, notamment l’effacement et l’invisibilité, mais aussi la marginalisation et l’isolement. La stigmatisation sert à détourner notre attention des obstacles systémiques à la santé et entraîne d’importantes répercussions négatives sur la santé de la population.

« La stigmatisation nuit à tous les aspects de la cascade des soins de santé, enchaîne Dre Massaquoi. Elle nuit au diagnostic, au traitement, à l’accès équitable aux soins et aux résultats positifs. »

Avant de travailler à l’Université, Dre Massaquoi œuvrait dans le domaine de la santé publique, d’abord en tant que fournisseuse de services pour les personnes d’origine africaine continentale de Toronto ayant reçu un diagnostic de VIH. C’était à la fin des années 1980, avant l’apparition des traitements médicaux. Elle raconte que chaque jour, elle espérait que personne ne franchirait sa porte, car tous les patients qu’elle rencontrait décédaient dans l’année qui suivait.

« Quand nous avons enfin reçu le médicament, quand l’AZT (un type de médicament antirétroviral utilisé pour lutter contre le VIH) est arrivée pour la première fois au Canada, ce que je voyais, c’étaient les effets de la stigmatisation, se souvient-elle. Les Africains étaient accusés d’avoir apporté le VIH au Canada et stigmatisés pour leurs pratiques sexuelles considérées comme inhabituelles. Toutes sortes d’étiquettes stigmatisantes ont été attribuées à cette communauté. »

Plusieurs ont ainsi perdu leur emploi. « Et si l’on découvrait qu’ils étaient séropositifs, ajoute Dre Massaquoi, les fournisseurs de soins de santé les rayaient de leur liste. » La communauté noire de Toronto a été la dernière à avoir accès aux médicaments.

Parfois, la discrimination naît d’obstacles structurels difficiles à percevoir, comme l’absence de cliniques du VIH/sida dans les quartiers de la ville où vivent d’importantes communautés noires, même si l’incidence de l’infection par VIH est plus élevée au sein de ces populations. Cette disparité est enfin prise en compte aujourd’hui, mais elle a persisté pendant des années.

Mais il arrive aussi que la discrimination et la stigmatisation dans le système médical soient flagrantes et indéniables.

Dre Eileen de Villa, Dr James Makokis, Dre Notisha Massaquoi et Michel Rodrigue à l’événement Diverse Dialogues.
Quelle ampleur la stigmatisation peut-elle prendre? Dre Notisha Massaquoi répond à Dre Eileen de Villa alors que Dr James Makokis (deuxième à partir de la gauche) et Michel Rodrigue (à droite) écoutent.

« Mon premier jour de résidence en tant que médecin à l’Hôpital général Victoria, une infirmière m’a empêché de pratiquer un accouchement en saisissant ma tresse et en me criant dessus », se souvient le Dr James Makokis, médecin de famille bispirituel de la nation Crie de Saddle Lake (Alberta), vainqueur de la septième saison de The Amazing Race Canada et conférencier lors de l’événement.

« Quand on pense à ce qui arrive aux patients autochtones qui ont beaucoup moins de pouvoir que moi en tant que médecin, relève Dr Makokis, il est logique qu’il y ait des personnes comme Joyce Echaquan, qui a littéralement filmé sa mort sur les médias sociaux alors qu’elle subissait précisément les stéréotypes souvent véhiculés sur les Autochtones. Comme celui qu’elle n’était bonne qu’à une chose, le sexe. »

Joyce Echaquan, une Atikamekw de 37 ans, est décédée d’un œdème pulmonaire à l’hôpital de Joliette, au Québec, en septembre 2020, après avoir été mise sous contention et s’être vu administrer de la morphine. Sa famille affirme qu’elle était allergique à la morphine et qu’elle avait exprimé des inquiétudes quant à une éventuelle réaction indésirable.

Alors qu’elle agonisait, elle a enregistré et diffusé en direct une vidéo de sept minutes montrant des infirmières qui l’insultaient, la traitaient de « complètement idiote » et mettaient son problème de santé sur le compte de ses « mauvais choix ».

Selon Dr Makokis, des actes comme celui-ci, qui montrent de manière flagrante le racisme structurel, sont rendus possibles par la déshumanisation. La déshumanisation, quant à elle, est portée par la stigmatisation. Tout cela s’inscrit dans la même logique de suprématie blanche qui a justifié et permis la colonisation et le génocide.

« Une partie de la déshumanisation consiste à insinuer qu’un groupe de personnes a moins d’intelligence ou de moralité, explique-t-il. On peut penser aux Autochtones qui, dans les pensionnats, n’ont souvent été scolarisés que jusqu’à la sixième année parce qu’on croyait qu’ils avaient les capacités mentales nécessaires pour atteindre seulement ce niveau. »

Il existe d’autres composantes de la déshumanisation : suggérer qu’une population est une « infestation » et qualifier ces gens de « sauvages » ou de « cafards ». Tout cela contribue à justifier la violence, l’injustice et l’iniquité systémique.

« Vous n’êtes pas comme moi, poursuit Dr Makokis. Je suis meilleur que vous. Vous êtes moins humain que moi. Et quand cela se produit, c’est une composante essentielle de la déshumanisation qui nous permet de faire n’importe quoi à un groupe de personnes, et qu’elles deviennent simplement un ensemble de stéréotypes. »

Que pouvons-nous faire?

Dr Makokis affirme que les Canadiens aiment croire (à tort) que nous vivons dans une nation post-raciale de gentils gardiens de la paix et que la discrimination est chose du passé. Dr Makokis, M. Rodrigue, Dre de Villa et Dre Massaquoi considèrent tous l’éducation comme la première étape du démantèlement du racisme systémique.

Dans les écoles publiques, on n’apprend rien ou presque sur le génocide, les pensionnats ou les contributions apportées à la société par les Canadiens noirs – et l’invisibilité et l’effacement sont les premiers pas vers la stigmatisation. En commençant par là, nous pouvons aider à mettre fin à la déshumanisation et à la stigmatisation avant qu’elles ne se manifestent. Après cela, Dre Massaquoi déclare que les données fondées sur la race sont essentielles pour pouvoir réclamer des services exempts de stigmatisation qui sont réellement accessibles aux communautés qui en ont le plus besoin.

Considérer la stigmatisation selon une perspective de santé publique est un excellent moyen de comprendre que la santé publique est un pilier essentiel du tissu social. Comme l’a montré la pandémie, nous sommes tous liés d’une manière que nous ne saisissons pas toujours jusqu’à ce que nous soyons en situation de crise.

« Nous avons toujours œuvré pour la justice, conclut Dr Makokis. Il est important de se rappeler les paroles du Dr Martin Luther King à ce sujet : “Une injustice, où qu’elle soit, est une menace pour la justice partout. Nous sommes tous inéluctablement pris dans un réseau de relations mutuelles, liés par un destin commun. Tout ce qui affecte directement quelqu’un nous affecte tous indirectement.” »

Ressource : Stigmatisation structurelle : Un guide de mise en œuvre pour susciter un véritable changement pour et avec les personnes vivant avec la maladie mentale et/ou des problèmes d’usage de substances.

Photos : avec l’aimable autorisation du Bureau de santé publique de Toronto.

Author: , Ph. D., est une historienne qui écrit sur les questions sociales. Son travail est régulièrement publié dans le Globe and Mail et le Toronto Star. Elle a déjà remporté un Prix du magazine canadien et est l’auteure de plusieurs ouvrages.

La Journée mondiale de la prévention du suicide a lieu tous les ans le 10 septembre. Cette année, la Journée se déroulera sous le thème « Changer le discours sur le suicide ». Ce thème vise à transformer notre perception d’un problème complexe. Nous devons délaisser la culture du silence et de la stigmatisation au profit d’une culture d’ouverture, de compréhension et de soutien.

Si vous avez perdu espoir et que vous avez du mal à vous en sortir, si vous avez des idées suicidaires ou si vous vous inquiétez pour quelqu’un qui en a, appelez ou envoyez un texto au 9-8-8 à n’importe quel moment du jour ou de la nuit.

Un soir, il y a quelques années, Aja Sax s’est retrouvée seule dans son appartement, complètement submergée par des idées suicidaires. Elle avait déjà connu de tels états, mais jamais avec autant d’intensité.

« Dans les jours qui ont précédé mon épisode le plus sombre, je voulais mettre fin à mes jours, car je ne voyais pas comment les choses pourraient s’améliorer, se souvient-elle. Je croyais ne plus jamais pouvoir être heureuse. »

Aja ajoute que, d’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours vécu des épisodes de dépression.  À l’âge de 12 ans, elle a demandé à ses parents de l’aider à obtenir une aide professionnelle, en vain. « Mon père m’a ri au nez. Et ma mère s’est exclamée : “Qu’est-ce qui pourrait bien te déprimer à ton âge?” ».

Jeune adulte, lorsqu’elle se confiait à des amis, elle avait l’impression que beaucoup d’entre eux « invalidaient » ce qu’elle ressentait et lui conseillaient tout bonnement de méditer ou de faire du yoga au lever du soleil. Heureusement, elle a aussi reçu du soutien – en ligne et en personne – de gens qui la prenaient au sérieux et qui semblaient deviner exactement comment et quand se préoccuper d’elle. L’une de ces personnes l’a même aidée à traverser sa pire nuit et à prendre des mesures pour demander de l’aide au matin.

« Ces relations virtuelles m’ont sauvé la vie », assure-t-elle.

Des statistiques qui font frémir

Selon l’Organisation mondiale de la Santé, plus de 700 000 personnes meurent par suicide chaque année dans le monde. Dans la plupart des pays, le taux de suicide est plus élevé chez les jeunes que dans les autres groupes démographiques, y compris au Canada, où le suicide est la deuxième cause de décès chez les jeunes adultes de 18 à 34 ans.

Pour lutter contre cette épidémie et réduire les taux de suicide, il faut absolument changer un certain discours susceptible de causer encore plus de tort et le remplacer par des paroles qui, comme en témoigne Aja, peuvent sauver des vies. Pour ce faire, la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) a récemment lancé #ClavardagePrudent, une ressource conçue pour changer la façon dont nous parlons de l’automutilation et du suicide.

Mis au point par une équipe de prévention du suicide dirigée par la professeure Jo Robinson, d’Orygen, un institut de recherche australien axé sur la santé mentale des jeunes, #ClavardagePrudent constitue le premier ensemble de lignes directrices internationales fondées sur des données probantes et conçues pour aider les jeunes de 12 à 25 ans à parler d’automutilation et de suicide. Il existe également une ressource destinée aux soignants. Les deux outils comprennent des indications claires et exhaustives sur la manière d’éviter les termes et les images risqués ainsi que les déclencheurs émotionnels lors de conversations sur le suicide et l’automutilation.

« Il y a beaucoup d’idées fausses sur la façon dont nous intervenons auprès des gens, et cela découle en partie du langage lui-même, explique Nagi Abouzeid, membre du Conseil des jeunes de la CSMC, inscrit au programme de maîtrise en sciences de la réadaptation à l’Université de Montréal. Les lignes directrices #ClavardagePrudent contiennent une section contenant des expressions dangereuses, comme “commettre un suicide” par opposition à l’expression plus sûre “décéder par suicide”. Les gens utilisent cette terminologie désuète sans vraiment connaître son origine. »

Le choix des mots est important

Avant d’être décriminalisé en 1972 au Canada, le suicide était un acte criminel que l’on « commettait », et les personnes ayant fait une tentative de suicide pouvaient faire l’objet de poursuites. Bien que le suicide ne soit plus un crime depuis plus de 50 ans, les mots « commettre » ou « commis » ont toujours une connotation immorale, ce qui peut susciter un sentiment de honte chez les personnes concernées. Or, la honte peut empêcher une personne en détresse de chercher de l’aide.

L’écrivaine torontoise Doris Sommer-Rotenberg est l’une des premières à avoir sonné l’alerte en ce qui concerne le rôle que joue le langage dans notre perception du suicide. En effet, dans un numéro de 1998 du Canadian Medical Association Journal, elle dénonçait l’utilisation de l’expression « commettre un suicide ». Poussée par le désir de « garder vivante la vitalité » de son fils, un médecin d’une trentaine d’années décédé par suicide, ainsi que par la volonté d’aider à prévenir de pareilles tragédies, elle a contribué à lancer un mouvement visant à corriger le langage du suicide.

En outre, elle a fait campagne pour qu’une chaire de recherche sur le suicide – la première du genre en Amérique du Nord – soit créée au nom de son fils, Arthur Sommer-Rotenberg, à son alma mater, l’Université de Toronto. « Le fait qu’il n’existait encore aucune chaire consacrée au suicide témoigne du silence qui a toujours entouré cette question », fait-elle remarquer.

En 2016, Mme Sommer-Rotenberg a reçu la Médaille du service méritoire du gouverneur général du Canada, en récompense pour son travail de sensibilisation sur le silence et la stigmatisation qui entourent le suicide. Depuis qu’elle a publié son éditorial, il y a 25 ans, on parle davantage du suicide, en partie grâce aux médias sociaux. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire dans la manière dont nous en parlons.

« Si les médias sociaux permettent de tisser des liens entre les jeunes, ils peuvent aussi compromettre leur sécurité, explique Nitika Rewari, directrice des Programmes de prévention et de promotion à la CSMC. Nous avons donc la responsabilité d’aider les jeunes à acquérir les outils et les connaissances nécessaires pour communiquer virtuellement en toute sécurité au sujet du suicide et de l’automutilation. Les lignes directrices #ClavardagePrudent peuvent nous aider à y parvenir. »

Souvent, comme on l’a vu plus haut avec Aja Sax, des forums virtuels animés par un intervenant qualifié peuvent aider les participants à obtenir du soutien et des conseils avisés de la part d’autres personnes ayant une expérience vécue du suicide et de l’automutilation. Toutefois, le paysage numérique de la santé mentale abrite également des influenceurs, des sites de conseils sur le suicide et même des productions à gros budget qui peuvent s’aventurer en terrain dangereux.

« La série Netflix Treize raisons met en scène certains des éléments qui, selon nous, ne doivent pas être diffusés. Par exemple, on y traite des moyens par lesquels les gens tentent de s’enlever la vie », explique Mme Rewari, en faisant remarquer que la série aborde des sujets de santé mentale parmi les plus complexes de la société, comme le suicide chez les adolescents, l’intimidation et la toxicomanie. Selon elle, de tels sujets, notamment ceux qui touchent au suicide et à la maladie mentale, mériteraient d’être traités de manière plus sûre, plus délicate et plus responsable, ce qui éviterait de stigmatiser le suicide et encouragerait les téléspectateurs à offrir de l’aide ou à en demander lorsqu’ils en ont besoin.

Des ressources utiles

Si certains débattent encore du lien de causalité entre cette série et l’augmentation du taux de suicide pendant le mois où elle a été diffusée, les auteurs d’une étude menée aux États-Unis affirment pour leur part qu’elle est effectivement associée à une hausse importante du nombre de suicides chez les jeunes. Les chercheurs ont conclu qu’il est justifié de faire preuve de « prudence avant d’exposer un enfant ou un adolescent à cette série ».

Grâce aux lignes directrices #ClavardagePrudent – extraordinairement claires et directes – les gens qui prennent part aux discussions et les créateurs de contenu peuvent apprendre facilement à se servir des avertissements de sensibilité et à éviter les images, thèmes ou termes risqués.

« En tant que jeune adulte, j’apprécie vraiment le caractère pratique des suggestions, affirme Alisha Haseeb, inscrite à un programme de premier cycle en Sciences de la santé à l’Université McMaster, et membre du Conseil des jeunes de la CSMC.

Dans ces lignes directrices, on ne se contente pas de proposer des pratiques exemplaires. On offre des solutions de rechange concrètes et réalisables. On explique pourquoi certaines méthodes de conversation et de communication sont plus efficaces que d’autres, ce qui démontre que ces lignes directrices sont ancrées dans une pratique fondée sur des faits. Elles nous incitent à prendre des décisions qui reflètent nos intentions. »

Elle ajoute : « Je pense que la lecture de ces lignes directrices est un excellent moyen de réfléchir aux termes que nous utilisons, aux effets qu’ils ont et au type de message que nous envoyons. »

C’est grâce à la méthode utilisée par la professeure Jo Robinson pour mettre au point #ClavardagePrudent que ces lignes directrices sont si accessibles. En effet, l’équipe de prévention du suicide d’Orygen a consulté un large éventail de personnes représentant différentes cultures du monde entier, ce qui va bien au-delà du processus habituel d’évaluation par les pairs, généralement limité à d’autres universitaires et chercheurs.

« Ce qui me donne confiance en cette ressource, c’est qu’elle a été conçue en collaboration avec des jeunes qui ont vécu l’expérience de l’automutilation ou du suicide, ou qui ont aidé quelqu’un qui s’automutilait ou qui était suicidaire, explique Mme Haseeb. Je pense qu’il y a trop souvent un décalage entre, d’une part, la génération qui conçoit les services et les lignes directrices destinés aux jeunes et, d’autre part, la façon dont les jeunes utilisent réellement ces services. »

Une telle approche a facilité l’adaptation de #ClavardagePrudent dans 14 pays outre l’Australie, dont la Corée du Sud, le Nigeria, la Finlande, le Brésil et, bien sûr, le Canada.

« Je suis ravie d’avoir collaboré avec la CSMC pour publier les lignes directrices #ClavardagePrudent partout au Canada, déclare Jo Robinson, d’Orygen. Plus que jamais, il est crucial de donner aux jeunes autant qu’aux parents et aux prestataires de soins de la communauté, des outils pour discuter d’automutilation et de suicide en toute sécurité sur les plateformes numériques. Ensemble, nous espérons créer un espace virtuel plus sûr pour les jeunes et faire en sorte que les personnes à risque demandent plus facilement de l’aide. »

Ressource: #ClavardagePrudent – Un guide pour communiquer en ligne en toute sécurité au sujet de l’automutilation et du suicide.

Lecture complémentaire: Survivre au suicide d’un être cher : Surmonter la stigmatisation, le chagrin et la perte et emprunter le chemin de la guérison, de l’espoir et du soutien auprès d’une communauté après le décès par suicide d’un être cher. Une histoire personnelle.

Author: , Ph. D., est historienne et s’intéresse aux enjeux sociaux. Son travail est régulièrement publié dans le Globe and Mail et le Toronto Star. Elle a remporté un Prix du magazine canadien et elle a signé plusieurs livres.

Êtes-vous en train de lire ces quelques mots dans la salle de bains? Vous ne seriez pas la première personne à le faire.

La culture numérique a envahi des pans intimes de nos vies, dont nos chambres à coucher et tables à manger. Il en va de même pour ces instants autrefois épargnés — comme la file d’attente à l’épicerie ou, plus grave encore, au volant de notre véhicule, un coup d’œil furtif jeté à l’écran.

Ces notes, ces textos, ces fils de nouvelles et ces publications s’accumulent jusqu’à en faire une habitude quotidienne, et cela devient l’essence même de notre vie. Notre espace mental est envahi.

J’entends de plus en plus souvent des gens, proches ou inconnus, affirmer qu’ils veulent reprendre le contrôle de leur cerveau. Ils cherchent des moyens efficaces d’y parvenir, qu’il s’agisse de s’adonner à un nouveau passe‑temps concret comme le piano ou bien d’installer des applications favorisant la concentration.

Réfléchir à la manière des publications Facebook

J’ai lu le livre de Johann Hari, intitulé Stolen Focus: Why You Can’t Pay Attention lors de sa sortie en 2022 et un passage m’a particulièrement marquée.

Dans son livre, l’auteure fait remarquer que les solutions simplistes comme « ne pas toucher à son téléphone » ne sont pas adaptées à la réalité de la conception de ces appareils.

Ils sont en effet pensés pour produire de la dopamine et nous pousser à passer beaucoup plus de temps que prévu, explique Sophie H. Janicke-Bowles, psychologue des médias et professeure associée à l’université Chapman, en Californie, dans Psychology Today. Madame Janicke-Bowles affirme que nous devons nous éduquer aux notions d’utilisation « saine » des technologies.

La technologie diffère selon la vie de chacun

C’est la raison pour laquelle nous avons intitulé cet article « Créer son propre régime numérique ». Ce titre renvoie aux natures distinctes et aux besoins variés qui caractérisent notre consommation technologique. Oui, nous le savons, nous sommes tous en ligne en train de vous conseiller de vous éloigner de l’écran. Mais n’est-ce pas là le défi de notre époque? Un régime numérique n’a pas la même signification d’une personne à l’autre. Par exemple, une collègue se réveille le matin en se répétant la phrase « un moment au soleil avant les heures d’écran » pour donner le ton à sa journée. Pour elle, cela fonctionne à merveille.

Organiser des plans, commander de la nourriture, demander un taxi, fixer un rendez-vous amoureux, trouver une nouvelle chemise ou postuler un emploi sont autant de gestes qui requièrent une interaction avec un écran. Cela pèse lourd sur notre intellect, notre temps, notre concentration, notre estime de soi et nos relations.

Bien sûr, il faut y voir des aspects positifs. À la Commission de la santé mentale du Canada, nous élaborons, promouvons et encourageons l’utilisation d’outils électroniques de santé mentale de qualité, à la fois sécuritaires et adaptés à la culture, afin de pallier les lacunes du système de soins de santé. Des soins de santé mentale sur demande, au creux de votre poche. C’est un plus.

Tout cela pour dire que nous ne pouvons pas arrêter le progrès technologique, mais que nous devons prôner un meilleur contrôle de la manière dont cette technologie est utilisée afin de ne pas hypothéquer nos capacités de concentration.

Regardez vos amis dans les yeux!

Le bar de mon quartier a installé sur le mur et a inscrit sur son menu le message suivant : « Regardez vos amis dans les yeux! » Il s’agit à la fois d’une réprimande et d’une invitation à se déconnecter, puis à s’abandonner à un art perdu, celui du contact visuel et de la conversation entre humains. L’endroit est décontracté, peu éclairé et le service est excellent. Cela devrait suffire à nous éloigner du tourbillon de nos téléphones, mais ce n’est pas le cas. Ce petit rappel, c’est un peu comme si on nous tendait un miroir – hum… quand cette histoire de téléphone est devenue si normale? Si nous avons besoin qu’on nous le rappelle, alors on ne peut pas s’étonner de l’épidémie de solitude qui sévit sur la planète. J’essaie de fréquenter cet endroit. Ailleurs, on a l’impression que tout le monde fixe le regard vers le bas, plus absorbé par un écran que par l’expression des autres personnes.

Un mot du chirurgien

Lorsque le chirurgien général des États-Unis se prononce, on peut affirmer sans trop se tromper que la question est grave. En juin 2024, le Dr Vivek H. Murthy a demandé que des avertissements soient affichés dans les médias sociaux pour sensibiliser les jeunes aux problèmes de santé mentale. Ce genre d’avertissement est prévu pour les problèmes de santé publique importants qui nécessitent une prise de conscience et une action immédiate à l’échelle nationale. Bien que, je dirais, cela ne se limite pas à l’Amérique, car les réseaux sociaux ne connaissent pas de frontières.

Cet avertissement rappelle que l’adolescence étant une période vulnérable pour le développement du cerveau, l’exposition aux médias sociaux au cours de ces années mérite une vigilance accrue. Les contenus extrêmes, inappropriés et préjudiciables continuent d’être largement accessibles aux enfants et aux adolescents, mais en n’oubliant pas que les médias sociaux offrent aussi des interactions positives et un soutien social, en particulier pour les jeunes marginalisés, notamment les minorités raciales, ethniques, sexuelles et de genre.

On y relève que les chercheurs estiment que l’exposition aux médias sociaux peut surstimuler le centre de récompense du cerveau et, lorsque la stimulation devient excessive, il est possible que cela actionne des circuits comparables à ceux de l’usage de substances ou des jeux d’argent.

Les fonctions qui nous rendent « accros » infiltrent notre cerveau : les notifications, la lecture en continu, le défilement infini, les mentions « j’aime » et les symboles de « cœur », sans oublier les algorithmes qui nous présentent perpétuellement tout ce qui nous intéresse. Ding! Ping!

Ressentir les choses

Cette invasion technologique peut se manifester par des réactions fortes : des périodes au cours desquelles on se débranche complètement ou bien on s’engage dans des activités plus tactiles — comme le travail manuel du bois ou la création d’une nouvelle collection de disques de vinyle. Pour plusieurs, il importe également de renouer avec des moments de rencontres en personne, comme au théâtre ou lors de concerts.

J’aime les spectacles où les téléphones sont interdits. Au début de l’année 2024, un spectacle de comédien Trevor Noah m’a donné l’impression d’être vraiment présente. J’ai observé les détails de la configuration de l’ancien théâtre, les réactions des gens, le montage de la scène et les enjeux décortiqués à coups de morceaux d’humour tranchants. Il a fallu le boycottage de nos appareils imposé par les services de sécurité pour que j’arrive à me sentir aussi bien.

Le soulagement de profiter de l’expérience sans être gêné par une mer de petits écrans et de ressentir ce sentiment de collectivité. J’admets que le désir d’immortaliser ces instants sur mon fil d’actualité ou pour mes souvenirs personnels a traversé mon esprit. Mais, je me souviens de l’époque où l’on achetait simplement le chandail du groupe pour montrer que l’on était là.

Je me trouve sur un pont générationnel. Enclavée dans un cadre de référence de la génération X, je me situe à la croisée des mondes virtuels et hors ligne. Je sais ce que c’est que de passer un appel sur un téléphone à cadran (parfois dans une cabine téléphonique) en utilisant un numéro que j’ai mémorisé. J’écris en lettres cursives, j’envoie des lettres par la poste, je règle mes achats en argent, je lis les journaux sur papier. Avant, je trouvais un emplacement grâce à une carte en papier ou un numéro de téléphone dans l’annuaire, je consultais des microfiches, j’enregistrais des cassettes mixtes pour flirter ou pour avoir une monnaie d’échange, je prenais des photos sur pellicule et je devais attendre leur retour dans quelques jours de la boutique spécialisée – ou patienter une heure dans les cas urgents – pour voir le résultat. Je m’interroge souvent sur les différentes expériences des personnes nées avec le numérique.

La tradition de la narration – qu’il s’agisse d’histoires orales ou de mots écrits – pour transmettre un savoir ou partager des récits personnels représente une autre forme de nostalgie d’une époque passée. L’essai The Crisis of Narration de Byung-Chul Han retrace l’évolution de la narration. Autrefois, il s’agissait d’un lien créé autour d’un feu de camp qui nous reliait à notre passé et nous proposait une vision de l’avenir, alors que ces lieux ont aujourd’hui été remplacés par des écrans. L’auteur désigne ce changement comme une transition vers la vente d’histoires, une distinction qui supprime l’aspect artistique et place nos vies personnelles dans un cadre commercial, ce qui est, en substance, ce que nous faisons. Comme le dit l’adage, dans les médias sociaux, vous êtes le produit.

En fin de compte, notre relation avec la technologie est une affaire personnelle. Nous devons concevoir notre régime numérique en fonction de nos réalités, de nos valeurs et de nos besoins, et tenir compte de la manière dont il peut enrichir notre vie. Des choix réfléchis et des pauses intentionnelles permettront d’atténuer certains des effets néfastes de la technologie et de favoriser notre bien-être mental.

Branchez-vous, présentez vos idées sur un usage optimal du numérique, puis débranchez-vous pour vous consacrer à une autre activité. Des livres, les amis, des sorties ou une pause de la technologie. Nous sollicitons toutes les propositions possibles et imaginables pour trouver l’équilibre idéal. Vous, comment faites-nous? Faites‑nous-en part sur les médias sociaux ou par courriel : mhcc@mentalhealthcommission.ca. (Nous n’acceptons pas les cartes postales, mais nous devrions probablement le faire.)

Lecture complémentaire — Soutien technologique : Les services de cybersanté mentale font tomber les obstacles. Nous nous penchons sur le potentiel de l’intelligence artificielle ainsi que sur les stratégies permettant d’éviter certains pièges.

Author:

Fateema Sayani revoit régulièrement sa relation avec la technologie. Elle est gestionnaire du contenu à la Commission de la santé mentale du Canada.

Explorer l’incidence, les ressources et les stratégies de prévention du suicide

Septembre est le Mois de la sensibilisation au suicide. Il s’agit d’un rappel poignant de l’importance de la santé mentale et c’est l’occasion d’informer le public, de comprendre et de défendre les personnes touchées par le suicide.

L’ampleur du problème

Au Canada, le suicide reste un problème de santé publique important, qui touche aussi bien les personnes de tous âges, de tous genres et de tous milieux. Selon Statistique Canada, environ 4 500 personnes meurent par suicide chaque année au pays, soit environ 12 personnes par jour. Pour chaque personne qui décède par suicide, de nombreuses autres sont en proie à des pensées suicidaires ou font des tentatives de suicide. La COVID-19 a également eu des effets négatifs sur la santé mentale, notamment une hausse significative des cas d’idées suicidaires. Chez les jeunes gens (de 15 à 24 ans), le suicide est souvent considéré comme l’une des trois principales causes de décès, et son taux d’incidence est amplifié par ses effets sur les familles, les personnes et les communautés aux quatre coins du pays (et dans le monde entier).

Les raisons du suicide sont complexes : elles sont d’ordre biologique, psychologique, social, culturel, spirituel, économique et autres. Selon un éminent chercheur dans le domaine, les personnes qui songent au suicide et qui font une tentative de suicide désirent mettre fin à une douleur psychologique profonde et intense. Pourtant, malgré la complexité de la question, il y a lieu d’être optimiste.

Il est possible de réduire le taux de suicide et son incidence au Canada au moyen d’interventions empruntées aux domaines de la santé mentale et de la santé publique. Dans ce contexte, le Mois de la sensibilisation au suicide joue un rôle essentiel en sensibilisant le public à cette question et en favorisant le dialogue.

Comment parler du suicide

Plusieurs ressources que la CSMC soutient ou qu’elle a contribué à créer insistent sur l’importance d’une communication ouverte et sans jugement. Il peut être difficile d’entamer une conversation sur le suicide, mais il s’agit d’une étape nécessaire pour aider les personnes qui ont besoin de soutien à aller en chercher.

Parler d’un suicide à des enfants est un outil de conversation destiné à aider les soignants, les parents et les tuteurs à comprendre comment parler aux enfants lorsqu’un suicide se produit dans la communauté ou si une personne qu’ils connaissent est décédée par suicide. La recherche a montré que le fait de parler du suicide n’augmente pas le risque de suicide chez l’enfant. En fait, cela peut être une expérience utile.

Le suicide : Confronter ensemble ce sujet sensible est un module en ligne conçu pour aider les professionnels de la santé à se préparer à de telles conversations. Les fournisseurs de soins de santé jouent un rôle essentiel en matière de prévention du suicide au Canada. Ils sont souvent les mieux placés pour identifier les personnes qui risquent de se suicider et pour leur fournir les soins dont elles ont besoin ou les aiguiller vers ces soins.

À l’heure actuelle, une grande partie de nos interactions se font en ligne. Pour composer avec cette réalité, l’organisme australien, Orygen, a élaboré des lignes directrices pour que les jeunes puissent clavarder en toute sécurité (#ChatSafe), mais cet outil peut servir à tout le monde, peu importe l’âge.

Le guide des médias, En-tête : Reportage et santé mentale s’adresse aux journalistes, mais il est utile à toute personne qui écrit sur le suicide ou sur d’autres sujets sensibles. Les recommandations suivantes sont essentielles pour favoriser la rédaction de reportages sûrs et responsables :

  • respecter la vie privée et le deuil des proches;
  • inclure les numéros de lignes d’écoute locales vers lesquelles les lecteurs peuvent se tourner pour obtenir du soutien;
  • présenter le suicide comme quelque chose qui est évitable.

En outre, les journalistes sont invités à ne pas donner une vision romantique du suicide et à ne pas le présenter comme une solution à des problèmes de la personne, de ne pas détailler la méthode utilisée et de ne pas publier de notes de suicide.

Depuis longtemps, les stratégies nationales de prévention du suicide insistent sur le fait que la couverture médiatique doit être sûre et responsable. Cette recommandation figure en bonne place dans les lignes directrices sur la prévention du suicide des Nations Unies; dans le plan directeur de l’Association canadienne pour la prévention du suicide et dans le rapport sur la prévention du suicide de l’OMS. Pourtant, les films et les émissions de télévision présentent souvent le suicide sous un angle problématique. On peut saisir ces occasions pour engager la conversation et recadrer la question.

Lutter contre la stigmatisation et les idées fausses

L’un des principaux aspects du Mois de la sensibilisation au suicide consiste à lutter contre la stigmatisation et les idées fausses qui entourent la santé mentale et le suicide. Depuis de nombreuses années, la CSMC insiste sur le fait que la stigmatisation nuit aux personnes éprouvant des difficultés sur le plan de la santé mentale. La stigmatisation peut les dissuader de chercher de l’aide, ce qui peut exacerber leurs difficultés et potentiellement avoir des issues tragiques.

En encourageant la compréhension et l’empathie, nous pouvons créer un environnement dans lequel les personnes se sentent en sécurité et à l’aise de parler de leurs problèmes de santé mentale. Dans cet esprit, il faut reconnaître que le fait de demander de l’aide est un signe de force – et non de faiblesse – et que la santé mentale est tout aussi importante que la santé physique.

Moira Farr a écrit After Daniel : A Suicide Survivor’s Tale (Le récit d’une survivante du suicide), qui traite du décès de son partenaire. Journaliste et formatrice, elle effectue des recherches et écrit sur divers sujets pour des publications nationales et internationales, dont Le Vecteur. Elle a remarqué un changement de discours depuis la publication de son livre, en 1999.

« Je dirais que depuis 20 ans, les gens parlent plus ouvertement des problèmes de santé mentale, y compris du suicide, explique-t-elle. Les campagnes de sensibilisation sur les moyens et les endroits où obtenir de l’aide et à amener les gens à parler plus honnêtement de leurs propres problèmes de santé mentale me semblent avoir été une force positive », ajoute-t-elle.

« J’imagine qu’il est difficile de déterminer si cela a permis de réduire le taux global de suicide au Canada. Il peut encore être difficile de trouver les ressources en santé mentale dont on a besoin. Étant donné une plus grande prise de conscience à cet égard, la demande de soins de santé mentale a augmenté, et il n’y en a pas nécessairement assez pour tout le monde. »

Temps d’attente

Il est important de disposer de soutiens en santé mentale pour intervenir en cas de suicide. Cependant, selon l’Institut canadien d’information sur la santé, il faut compter en moyenne 22 jours à l’échelle nationale avant de pouvoir pour obtenir des services de psychothérapie au sein de la communauté.

Pourtant, les stratégies provinciales visant à réduire les temps d’attente sont prometteuses. L’Île-du-Prince-Édouard insiste sur la nécessité d’augmenter les points d’accès aux soins, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des hôpitaux. Face aux longs délais d’attente pour se prévaloir de services de santé mentale dans la province, l’Île-du-Prince-Édouard a commencé à s’inspirer de sa voisine, Terre-Neuve-et-Labrador, qui a récemment réduit de 67 % les délais d’attente dans ce domaine. L’Île-du-Prince-Édouard suit maintenant le mouvement en mettant également en œuvre le modèle de soins par paliers 2.0, qui permet de fournir des services plus rapides et plus holistiques grâce à une série de méthodes comme la télésanté, les services en ligne et les cliniques sans rendez-vous.

Le modèle de soins par paliers 2.0 s’articule autour de neuf étapes, dont le soutien informationnel, les soins autogérés, les soins actifs, la navigation dans les systèmes, la gestion de cas et la défense des droits. Pour mettre en œuvre le modèle, les organismes de services choisissent des stratégies en fonction des besoins et des préférences de chaque client (p. ex., les interventions de cybersanté mentale, l’autoassistance, le soutien par les pairs, la thérapie en personne) qui s’harmonisent avec cette structure et le nombre d’étapes qui convient pour chaque collectivité.

Ligne d’écoute à trois chiffres

Un autre soutien important — le numéro d’appel d’urgence 988 pour la prévention du suicide et la résolution de crises en santé mentale — sera mis en place en novembre. Les personnes ayant besoin d’un soutien psychologique immédiat pourront composer le 988 ou envoyer un texto à ce numéro pour être dirigées vers un service d’aide gratuit de prévention du suicide ou de crise en santé mentale.

Cette idée fait l’objet d’une étude sérieuse depuis plusieurs années au Canada, et reçoit un soutien enthousiaste d’experts en prévention du suicide, de professionnels de la santé mentale et des représentants politiques de tous les ordres de gouvernement. Au cours des dernières années, d’autres pays comme les Pays-Bas et les États-Unis ont également mis en place un numéro à trois chiffres pour la prévention du suicide.

Les voies vers l’avenir

Par ailleurs, en juin, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a publié un rapport intitulé Se laisser guider par les résultats : repenser le Cadre fédéral de prévention du suicide, dans lequel il formule une série de recommandations, dont les suivantes :

  • reconnaître l’impact de la consommation de substances sur la prévention du suicide au Canada et financer la recherche sur les interventions;
  • créer une base de données nationale permettant de mieux recueillir les données nationales sur le suicide, les tentatives de suicide et les mesures de prévention efficaces;
  • remplacer les axes d’« espoir » et de « résilience » mentionnés dans le Cadre fédéral de prévention du suicide par ceux de « sens » et de « connectivité ».

Ce changement de termes fait écho à d’autres perspectives. Par exemple, dans de nombreuses communautés autochtones, des termes comme « promotion de la vie » ou « mieux-être » sont souvent utilisés pour aborder le sujet de la prévention du suicide. Le Cadre du continuum du mieux-être mental des Premières Nations — mis au point par la fondation Thunderbird Partnership, avec des partenaires autochtones et non autochtones (y compris Santé Canada) — souligne que l’espoir, le sens, le sentiment d’appartenance et le fait d’avoir un but sont le socle de nombreux modes de connaissance autochtones. Comme l’explique le Cadre, si ces quatre aspects sont en harmonie dans la vie quotidienne d’une personne, elle éprouve un sentiment de plénitude qui la protège et agit comme un amortisseur contre les risques pour la santé mentale et les comportements suicidaires potentiels.

L’importance de la communauté et du soutien

Pendant le Mois de la sensibilisation au suicide, les communautés de tout le Canada se rassemblent pour offrir un soutien et des ressources aux personnes touchées par le suicide. Ces efforts comprennent des campagnes de sensibilisation, des événements éducatifs et des initiatives visant à réduire la stigmatisation et à favoriser les réseaux de soutien en matière de santé mentale.

Les ressources de la CSMC soulignent l’importance de bâtir une communauté forte et solidaire pour contribuer à la prévention du suicide. En travaillant ensemble et en favorisant les liens, nous pouvons créer un environnement dans lequel les personnes en crise se sentent valorisées et comprises. Le Mois de la sensibilisation au suicide au Canada nous rappelle que nous pouvons tous jouer un rôle en matière de prévention du suicide.


Espace Mieux-être Canada – soutien en cas de crise : Si vous vivez de la détresse, à n’importe quel moment, vous pouvez texter MIEUX au 741741. S’il s’agit d’une urgence, composez le 911 ou rendez-vous à votre service des urgences local.

Aide : Les personnes en détresse mentale au Canada peuvent obtenir de l’aide par l’intermédiaire de Parlons Suicide Canada en composant le numéro sans frais 1-833-456-4566.

Cours : Premiers soins en santé mentale porte sur la manière d’aider une personne aux prises avec un problème de santé mentale, qui traverse une crise de santé mentale ou dont l’état de santé mentale s’aggrave.

Ressource : Prévention du suicide (Commission de la santé mentale du Canada).

Lectures suggérées : Un numéro de téléphone à trois chiffres facile que nous mémoriserons toutes et tous bientôt.

Auteur:

Fateema Sayani revoit régulièrement sa relation avec la technologie. Elle est gestionnaire du contenu à la Commission de la santé mentale du Canada.

C’est une histoire à raconter n’importe quel jour de l’année, mais nous souhaitons attirer l’attention sur le thème de la Journée internationale de sensibilisation aux surdoses 2024, qui a lieu chaque année le 31 août, et qui est « Ensemble, nous pouvons ». Le thème souligne le pouvoir des collectivités qui s’unissent pour mettre fin aux surdoses.

J’ai une trousse qui permet de contrer une surdose d’opioïdes, et je n’en ai pas honte.

Il n’y a pas que ceux vivant avec des problèmes d’usage de substances qui pourraient avoir la vie sauve grâce à la naloxone; il y a aussi ceux qui vivent avec des douleurs chroniques et qui prennent des analgésiques sur ordonnance – comme ma femme. Ou des personnes comme mon fils, qui pourraient prendre ces analgésiques par accident. Chacun de nous, dans la vie de tous les jours, peut tomber sur quelqu’un qui, pour une raison ou une autre, a fait une surdose d’opioïdes.

Cela peut arriver n’importe où, même au travail.

Selon Santé Ontario, en 2021, 2129 cas d’intoxication liée aux opioïdes ont été recensés chez 1,7 million de travailleurs de l’Ontario. Les ouvriers, les professionnels du secteur des services, les professionnels de la santé et les employés de bureau – tous les travailleurs –, ainsi que les clients et les entrepreneurs qui entrent dans les entreprises peuvent être touchés. Avec une telle portée, il apparaît logique d’inclure une trousse de naloxone dans la trousse de secours sur le lieu de travail.

« Pour moi, c’est une évidence », déclare Stephanie Fizzard, ancienne intervenante en réduction des méfaits. « Quand vous attrapez votre trousse de secours, vous attrapez votre défibrillateur, vous voulez avoir tout ce dont vous avez besoin pour faire face à cette situation. »

L’intégration de la naloxone dans les trousses de secours en milieu de travail devrait être la norme – de même que la formation sur son administration.

À propos des opioïdes

Les opioïdes comme le fentanyl, l’oxycodone, l’héroïne et la morphine sont des médicaments aux propriétés analgésiques pouvant provoquer une euphorie et présentant un risque élevé d’accoutumance. Ils peuvent être délivrés sur ordonnance, mais peuvent aussi être obtenus ou produits illégalement. Selon le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, la crise des opioïdes est alimentée par les opioïdes synthétiques. Le fentanyl et les substances apparentées d’origine non pharmaceutique et fabriquées illégalement sont les opioïdes les plus largement disponibles sur le marché illicite non réglementé au Canada. Ces substances accroissent considérablement le risque de décès par intoxication, car elles sont très puissantes et potentiellement mortelles, même en petites quantités. Souvent, des catégories non apparentées de drogues fabriquées illégalement contiennent du fentanyl dans le but d’augmenter le risque d’accoutumance, ce qui entraîne des surdoses d’opioïdes même chez des personnes qui n’en ont pas fait usage de façon intentionnelle.

À quoi peut ressembler une surdose

Les opioïdes peuvent provoquer une surdose, dont les symptômes peuvent se manifester par des difficultés à marcher, à parler ou à rester éveillé. Les symptômes peuvent aussi apparaître sous les formes suivantes :

  • Lèvres ou ongles bleus ou gris
  • Pupilles très petites
  • Peau froide et moite
  • Étourdissements et confusion
  • Somnolence extrême
  • Bruits de suffocation, gargouillements ou ronflements
  • Respiration lente, faible ou inexistante
  • Incapacité à se réveiller, même si la personne est secouée ou qu’on lui crie après

 Fonctionnement de la naloxone

La naloxone est un antagoniste des opioïdes, c’est-à-dire qu’elle bloque les effets des opioïdes. Quand les opioïdes pénètrent dans l’organisme, ils se lient rapidement aux récepteurs opioïdes. La naloxone bloque les effets des opioïdes en les délogeant de ces récepteurs et en prenant leur place.

La naloxone n’est pas un traitement pour les troubles liés à l’usage d’opioïdes. On l’utilise pour neutraliser temporairement les effets d’une surdose d’opioïdes. Elle peut rétablir la respiration en deux à cinq minutes et est active dans le corps pendant 20 à 90 minutes, alors que les effets de la plupart des opioïdes durent plus longtemps. Autrement dit, les effets de la naloxone risquent de s’estomper avant que les opioïdes n’aient disparu de l’organisme, provoquant ainsi un nouvel arrêt respiratoire. La naloxone peut être administrée plusieurs fois si nécessaire en attendant l’arrivée des secours. Son administration à une personne victime d’une surdose causée par des drogues non opiacées est sans danger. La naloxone est donc un traitement à faible risque et à rendement élevé.

 Les effets de la stigmatisation

Je me souviens de la première fois où l’on m’a donné une trousse de naloxone. En 2018, j’ai subi une intervention chirurgicale et j’ai eu recours à des analgésiques narcotiques. J’ai pratiquement jeté la trousse sur le comptoir. « Je ne suis pas une toxicomane », ai-je craché au pharmacien. Je m’inquiétais de l’image que cela renverrait, et j’étais réticente à l’idée qu’une personne comme moi puisse avoir besoin de naloxone. J’en sais beaucoup plus aujourd’hui : les opioïdes peuvent toucher n’importe qui, dans n’importe quel milieu. La stigmatisation entourant l’usage de substances peut s’étendre à l’utilisation de la naloxone.

« Beaucoup ont l’impression d’encourager l’usage de substances s’ils inversent une surdose », explique Mme Fizzard, qui a aussi un savoir expérientiel en matière d’usage de substances. « Je leur réponds qu’ils aident seulement la personne à respirer et à rester en vie; pas à se droguer. »

Madame Fizzard souligne que les services publics n’ont pas progressé au même rythme que les problèmes d’usage et de surdose d’opioïdes, et ne suffisent pas aux besoins. Elle expose la nécessité que tout le monde soit informé de l’existence d’une trousse de naloxone et puisse y avoir accès, faisant remarquer que le principal obstacle à l’utilisation de la naloxone n’est pas l’administration du médicament, mais la stigmatisation qui entoure son utilisation, notamment sur le lieu de travail.

Administration de la naloxone

La naloxone est offerte sous deux formes : injectable et en vaporisateur nasal. La forme injectable peut être intimidante si vous n’êtes pas habitué aux aiguilles. Madame Fizzard estime que le vaporisateur nasal est rapide et facile.

« Le vaporisateur nasal est beaucoup plus convivial, indique-t-elle. En cas de besoin, il suffit de le déballer, de l’insérer dans la narine de la personne et d’appuyer sur le bouton. Simple. Impossible de se tromper. »

La naloxone au travail

Au Canada, la naloxone n’est pas obligatoire sur le lieu de travail. L’Ontario s’est dotée de lois, enchâssées dans la Loi sur la santé et la sécurité au travail, exigeant que les entreprises qui emploient des personnes à risque de surdose gardent de la naloxone à portée de main et forment leur personnel à son utilisation. Toutefois, il ne s’agit que d’une obligation partielle, car les entreprises qui déterminent qu’elles « n’emploient pas de personnes à risque » ne sont pas tenues de fournir de la naloxone sur le lieu de travail.

En Colombie-Britannique, la naloxone n’est pas obligatoire sur le lieu de travail, mais il existe des outils permettant d’identifier les endroits où elle devrait être accessible. En Alberta, les employeurs peuvent autoriser ou non l’utilisation de la naloxone sur le lieu de travail. S’ils l’autorisent, l’employeur et le travailleur doivent se conformer à une série d’exigences établies par le gouvernement.

Pour les lieux de travail canadiens, les mandats en matière de santé et sécurité relèvent de la compétence des provinces et des territoires, ce qui signifie qu’un mandat à l’échelle du Canada est peu probable. Les provinces et les territoires devront donc décider de surmonter la stigmatisation et les difficultés et légiférer individuellement sur l’inclusion de la naloxone sur le lieu de travail. 

Existe-t-il des obstacles au fait de conserver la naloxone dans une trousse au travail? La trousse a une durée de vie d’environ deux ans (ou jusqu’à son utilisation), après quoi elle doit être remplacée et rachetée pour une centaine de dollars, ce qui pourrait poser problème à certaines entreprises. (Pour une durée limitée, l’Ontario fournit gratuitement des trousses aux entreprises afin d’alléger ce fardeau.) Les éventuels coûts de formation et la stigmatisation sont d’autres obstacles susceptibles d’empêcher les milieux de travail de se procurer des trousses de naloxone.

Votre trousse

 Pour les particuliers, la naloxone est gratuite dans plusieurs provinces et territoires et est offerte en pharmacie, en vente libre ou en ligne. Des tutoriels en ligne montrent comment utiliser les trousses.

Les travailleurs peuvent demander s’il y a une trousse de naloxone sur leur lieu de travail et, si ce n’est pas le cas, demander s’il serait possible d’en mettre une à la disposition du personnel et d’offrir une formation. Les trousses de naloxone sont petites et faciles à ranger dans n’importe quel lieu de travail, et leur utilisation nécessite peu de formation. En Ontario, il suffit de s’identifier comme une personne à risque de surdose pour déclencher l’obligation de fournir une trousse. 

En somme, c’est simple : la naloxone peut sauver des vies, mais seulement si elle est disponible et si les gens sont formés à son utilisation.

Infographie : La drogue contient-elle ce qu’on croit qu’elle contient? (Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances).

Lecture complémentaire : Comment des soins de santé empreints de compassion peuvent modifier le parcours des personnes qui font usage de substances.

Photo : L’auteure à son bureau au travail avec sa trousse de naloxone.

Jessica Ward-King (elle) est une pourfendeuse de préjugés (StigmaCrusher), une militante en matière de santé mentale, une conférencière et une auteure qui aime crier les bienfaits de la naloxone sur tous les toits!

Il est minuit là où vous vous trouvez et vous avez besoin d’un soutien immédiat en santé mentale, mais aucun service n’est ouvert. Vous tombez sur une application qui propose des services adaptés sur le plan culturel et encadrés par des pairs formés en santé mentale, vous permettant ainsi d’obtenir le soutien dont vous avez besoin.

Vous êtes parent d’un jeune enfant, disposez de peu de temps et souhaitez obtenir des services psychologiques et du soutien en matière de santé mentale. Une fois votre enfant endormi, vous pouvez vous connecter à une séance de cybersanté mentale et bénéficier de l’aide nécessaire.

Vous venez d’arriver au Canada en provenance d’un pays où le soutien en matière de santé mentale est mal perçu, et la stigmatisation que vous ressentez vous empêche de faire appel à un soutien en personne. Vous constatez qu’il existe des services de cybersanté mentale qui vous permettent de préserver votre anonymat et d’obtenir le soutien qui vous est nécessaire.

Combler les lacunes

Maureen Abbott, à droite, en compagnie de sa collègue Sapna Wadhawan, gestionnaire de programme à la CSMC, lors d’une récente présentation du Cadre d’évaluation des applications de santé mentale de la CSMC.

Maureen Abbott, à droite, en compagnie de sa collègue Sapna Wadhawan, gestionnaire de programme à la CSMC, lors d’une récente présentation du Cadre d’évaluation des applications de santé mentale de la CSMC.

Ce ne sont là que quelques-uns des témoignages que j’entends en tant que responsable de la cybersanté mentale à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC). Je dirige une équipe qui travaille en étroite collaboration avec des experts canadiens et internationaux, notamment des personnes ayant vécu ou vivant un problème de santé mentale. Ensemble, nous collaborons à l’élaboration de ressources, de cadres et de mécanismes de soutien fondés sur des pratiques exemplaires à l’intention des intervenants qui offrent des solutions de cybersanté mentale au Canada. Nous nous efforçons de démystifier la technologie et de mettre l’accent sur la façon dont des services de cybersanté mentale de qualité peuvent améliorer l’accès aux services de santé mentale pour l’ensemble de la population canadienne. L’amélioration de la qualité des services de cybersanté mentale peut également contribuer à accroître la confiance à leur égard. En d’autres termes, la population canadienne peut choisir des soins sûrs et efficaces au moment, à l’endroit et dans les conditions souhaitées.

Nous avons été témoins de nombreux cas où la technologie a permis de combler certaines des lacunes observées dans l’accès aux soins de santé.

Prenons l’exemple d’une personne qui cherche du soutien pour un trouble de l’alimentation, qui ne sait pas vers qui se tourner pour obtenir de l’aide, ou qui ne dispose peut-être pas de services en la matière dans sa région. Un service comme Anorexie et boulimie Québec (ANEB), une source en ligne gratuite destinée aux personnes cherchant de l’aide pour des troubles de l’alimentation, propose des ressources et du soutien.

Les robots débarquent

Les termes « intelligence artificielle » peuvent mettre certaines personnes mal à l’aise ou évoquer des images peu rassurantes de robots. L’hésitation et le scepticisme sont des positions valables. L’évolution rapide des technologies soulève d’importantes questions, mais entraîne aussi de grands changements susceptibles d’améliorer l’accès à des soins de qualité.

Nous utilisons l’intelligence artificielle de multiples façons pour bonifier les soins de santé mentale, notamment en améliorant l’expérience des utilisateurs qui consultent des services en ligne ou encore en faisant gagner du temps aux praticiens qui peuvent ainsi dégager des thèmes à partir de leurs notes et les relier à des dossiers de santé électroniques.

La CSMC a collaboré avec l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé en vue de produire des rapports sur les utilisations et les tendances en matière d’intelligence artificielle dans le domaine de la santé mentale. Dans le cadre du projet de loi C‑27 en instance, qui vise à renforcer la protection de la vie privée des consommateurs, à réglementer l’intelligence artificielle et à mettre à jour les lois sur la protection des données, toute personne qui s’intéresse à la sécurité de l’intelligence artificielle au regard de la santé mentale devrait tenir compte des préjugés potentiels dans les programmes. En ce sens, pensez au sous-diagnostic ou au surdiagnostic de certaines populations en fonction de la race ou du genre et à la façon dont le recours aux données existantes peut reproduire ces préjudices, ou encore à des outils inadaptés sur le plan culturel qui n’ont pas été élaborés de concert avec les utilisateurs finaux.

Il est essentiel d’inviter des cliniciens et des personnes ayant vécu ou vivant la maladie mentale à participer au processus de conception et d’essai, et d’adopter une approche centrée sur l’humain quant à la conception et aux essais par les utilisateurs, ce qui signifie qu’il faut veiller à ce que l’énoncé de confidentialité soit clair, informer l’utilisateur final qu’il interagit avec un robot plutôt qu’avec une personne réelle, préciser de quelle façon ses renseignements personnels sont utilisés et s’ils seront stockés et partagés, et, dans l’affirmative, lui fournir les modalités d’utilisation de ces données. La mise en œuvre de pratiques exemplaires en matière de données et de protection de la vie privée ainsi que leur promotion auprès du grand public contribueront à instaurer la confiance des utilisateurs et à susciter une adhésion accrue.

Ce souci de sécurité et les pratiques exemplaires encadrant l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les soins de santé mentale figurent parmi les recommandations mises de l’avant dans la Stratégie sur la cybersanté mentale pour le Canada, laquelle sera lancée lors du Congrès international sur la cybersanté mentale du Collectif international eMHIC les 19 et 20 septembre 2024 à Ottawa. Élaborée en collaboration avec des personnes ayant vécu la maladie mentale, des décideurs politiques, des praticiens et des dirigeants du secteur de la santé, la stratégie mettra en relief 6 grandes priorités et 12 recommandations pour la cybersanté mentale au Canada.

L’importance des normes

Lorsqu’elle est intégrée judicieusement dans la prestation des soins de santé mentale, la cybersanté mentale est tout aussi efficace que les services en personne, et la technologie s’améliore de jour en jour. Cette approche permet non seulement à un plus grand nombre de personnes d’obtenir de l’aide dans de meilleurs délais, mais elle pourrait aussi permettre de réduire les coûts personnels inhérents à l’accès aux services tout comme les coûts que doivent assumer les organisations pour mettre en place ces services de santé mentale.

Certaines personnes se sentiront plus à l’aise de recevoir des services en personne, alors que d’autres opteront pour une application ou toute autre solution de cybersanté mentale (comme la thérapie en ligne) pour obtenir des services de santé mentale. L’important, c’est de donner à la population canadienne la liberté de choisir les types de services qui lui conviennent et de garantir que ces services de santé mentale sont de première qualité : sûrs, accessibles, efficaces et adaptés sur le plan culturel.

L’équipe responsable de la cybersanté mentale à la CSMC se consacre à la mise en place des pratiques exemplaires lors du déploiement des services de cybersanté mentale.

Comment? Le Cadre d’évaluation des applications de santé mentale de la CSMC en est un exemple. Ces normes nationales visent à améliorer la qualité des applications proposées à la population canadienne. Avant leur adoption, l’accès à des applications de santé mentale sûres, sécuritaires et efficaces n’était pas vraiment encadré au Canada. Le cadre a été élaboré en collaboration avec 200 parties prenantes au Canada et à l’étranger, notamment des personnes ayant vécu ou vivant la maladie mentale, des décideurs politiques, des responsables gouvernementaux, des concepteurs et des développeurs d’applications, des chercheurs universitaires et des fournisseurs de services de santé mentale.

La norme en matière de sécurité culturelle, de responsabilité sociale et d’équité figurant dans le cadre prévoit du contenu sur la confidentialité et la sécurité des données relatives aux autochtones, l’équité de genre et la représentation des communautés racialisées. À l’heure actuelle, ce cadre permet d’évaluer une série d’applications (nouvelles ou déjà répandues) de santé mentale dans différentes provinces canadiennes.

Al Raimundo, qui a fait partie de l’équipe principale d’élaboration du cadre, a vécu la maladie mentale et travaille à la conception d’applications. Al estime que le cadre fournit des pistes pour toute une gamme de produits, même ceux qui ne sont pas forcément attrayants d’emblée pour les cliniciens.

« Même si les professionnels n’aiment pas certaines fonctionnalités d’une application, si les gens l’aiment, nous devrions comprendre pourquoi, explique AI. Si plusieurs personnes l’utilisent, c’est qu’il y a quelque chose qui les attire. »

Pour mieux comprendre et étoffer les services de cybersanté mentale, la CSMC a élaboré les modules d’apprentissage pour la mise en œuvre de la cybersanté mentale en collaboration avec le Centre de toxicomanie et de santé mentale. Ces modules en ligne sont gratuits, autodirigés et conçus pour donner aux fournisseurs de soins de santé mentale, aux gestionnaires, aux dirigeants et aux étudiants les connaissances et les compétences dont ils ont besoin pour intégrer la cybersanté mentale à leur pratique quotidienne et favoriser une prestation de services de cybersanté mentale qui est efficace et centrée sur la personne.

Les options en matière de santé mentale se multiplient rapidement en ligne, parallèlement à l’élaboration de normes et de cadres pertinents conçus pour pallier les écarts entre la qualité, la demande et l’accès aux services.

L’évolution rapide des technologies de cybersanté mentale représente un formidable potentiel d’amélioration de l’accès aux soins. En priorisant la sécurité, la qualité et la sensibilité culturelle, nous serons en mesure de bâtir un système de soutien à la santé mentale à la fois fiable et rigoureux qui saura répondre aux besoins de la population canadienne.

Ressources : Découvrez toute une série de ressources en consultant la section sur la cybersanté mentale sur le site Web de la CSMC.

Guide : Un guide pour s’orienter dans les services publics et privés de santé mentale au Canada

Author:

Maureen Abbott, gestionnaire titulaire d’une maîtrise et cadre certifiée en santé (Collège canadien des leaders en santé), travaille au sein de l’équipe de l’innovation de la CSMC. Son travail porte sur la cybersanté mentale, notamment la normalisation des applications de cybersanté mentale au Canada, le déploiement de la cybersanté mentale, l’intelligence artificielle et la santé mentale, la stratégie de cybersanté mentale pour le Canada, les partenariats stratégiques et l’engagement des partenaires, ainsi que l’échange de connaissances. Maureen est présidente du collectif sur la cybersanté mentale de la CSMC et directrice générale à Digital Health Canada.