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La vraie empathie ne commence jamais par « au moins »
Cet hiver, nous serons nombreux à tenter de venir en aide à des amis et à des membres de notre famille à distance.
Or, selon Cleo Edgington, bénévole chez Jeunesse, J’écoute et coordonnatrice des Programmes de prévention et de promotion de la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC), « il faut de la pratique pour le faire correctement. »
Même si nous ressentons naturellement de l’empathie, encore faut-il être en mesure de l’exprimer de façon efficace, surtout au téléphone ou par message texte.
« Pour dire les choses simplement, explique Julia Armstrong, bénévole chez Jeunesse, J’écoute (et ancienne conseillère psychologique) et gestionnaire intérimaire, Santé mentale et consommation de substances à la CSMC, l’empathie ne commence jamais par “au moins”. »
Mme Armstrong fait référence à cette habitude inconsciente que nous avons d’essayer de trouver une consolation. « Nous ne nous en rendons pas compte, mais il n’est d’aucune aide de dire “au moins tu as la santé” ou “au moins tu as un foyer” à un proche qui traverse une période difficile. Non seulement ces paroles n’apaisent pas les sentiments de la personne, mais en plus, elles lui font se sentir coupable. »
L’écoute active : qu’est-ce que c’est?
Lors d’une séance de discussion vidéo avec trois employés de la CSMC œuvrant pour des services de soutien par téléphone ou par messagerie texte, il est apparu clairement que l’écoute active est une compétence que nous devons tous améliorer. Et même si nous croyons déjà la pratiquer, il n’y a pas de honte à rafraîchir ses notions de base.
« L’écoute active va à l’encontre de notre intuition, explique Mme Edgington. Nous voulons aider la personne, alors nous nous demandons comment arranger la situation. Mais ce n’est pas notre rôle. Notre rôle est plutôt de prêter une oreille attentive pour aller à sa rencontre, de valider ses sentiments et d’être présents. C’est à elle de nous dire ce qu’elle est prête à faire. »
Mme Armstrong abonde dans le même sens. « Nous ne pouvons pas porter la responsabilité pour les problèmes des autres. Cela les priverait de la confiance qu’ils gagneraient à trouver eux-mêmes des solutions. En plus, ces solutions sont propres à chacun. Il faut de l’humilité pour comprendre qu’on peut cheminer aux côtés d’une personne sans la diriger. »
La bonne façon de partager
Il y a bien des façons de soutenir les gens qui nous entourent. L’une des plus importantes, que les trois travailleurs des services d’aide téléphonique ont soulignée tout au long de la discussion, est de se retirer de l’équation.
« Il peut être tentant de dire “j’ai vécu cela moi aussi” ou “je sais comment tu te sens” ou même de faire référence à une histoire personnelle, comme “quand j’ai perdu mon animal de compagnie…”, illustre Mme Armstrong. L’intention de créer un lien avec l’autre et de réaffirmer l’expérience humaine commune est bonne. Mais en braquant les projecteurs sur nous-même, nous diminuons la douleur qui nous est dévoilée à ce moment. Au lieu de cela, si nous modifions notre démarche tout en conservant la même intention, l’effet produit sera complètement différent. »
Mme Edgington offre quelques exemples à l’appui : « Dites simplement “ça doit être tellement difficile” ou “je peux comprendre combien cette situation est épouvantable”. »
Et soyez précis, ajoute Mme Armstrong. « Nommez les émotions, afin que la personne puisse vous corriger si vous avez tort. Si vous lui dites “c’est tout à fait naturel de se sentir déprimé”, la personne pourrait vous répondre “je ne suis pas triste, je suis fâchée!”, ce qui vous indiquerait que vous devez réorienter la conversation. »
Se retirer de l’équation
Que vous discutiez au téléphone avec votre grand-mère ou par messagerie texte avec votre neveu, le but de l’écoute active est de présenter un miroir à votre interlocuteur afin qu’il puisse voir sa situation plus clairement.
« Lorsque vous écoutez un proche, poursuit Mme Edgington, il y a une deuxième raison pour laquelle il faut éviter de rapporter son histoire à votre propre expérience : cela sous-entendrait que vous avez tous deux accès aux mêmes ressources, aux mêmes outils, que vous suivez la même trajectoire. Or, ce n’est pas nécessairement le cas. »
Mmes Armstrong et Edgington nous mettent aussi en garde contre les préjudices causés par la positivité toxique. « Dire à une personne que tout ira bien n’est pas une panacée. En fait, cela peut causer plus de mal que de bien. Parfois, nous avons traversé une épreuve et nous souhaitons faire comprendre à la personne qu’elle aussi saura surmonter ses obstacles, mais vos encouragements ne lui rendent pas nécessairement service. Ils pourraient même les faire se sentir plus mal encore », explique Mme Edgington.
Le cadeau de l’écoute
Pour Ryan Murphy, gestionnaire des Programmes de prévention et de promotion de la CSMC et bénévole aux Services aux victimes d’Ottawa et chez Jeunesse, J’écoute, la satisfaction que lui procure l’aide apportée aux autres jaillit d’une source plus profonde que la simple écoute des autres.
« Oui, on valide les sentiments de la personne. Oui, on crée un espace sécuritaire exempt de jugement. Mais surtout, on rappelle aux gens leurs propres compétences en résolution de problèmes. On réaffirme leur ingéniosité et on leur fait prendre conscience de leur propre valeur, ce qui est peut-être le plus important. Ça n’a rien d’une activité passive. »
M. Murphy a pu mettre ces notions en pratique lorsqu’il s’est retrouvé à texter avec une fillette le jour de son 10e anniversaire.
Gagné par l’émotion, il se rappelle le message qu’il a reçu d’elle comme si c’était hier. « Elle a écrit pour dire que sa fête était passée complètement inaperçue. Elle avait l’impression de n’avoir aucun ami et sa famille n’avait souligné l’événement d’aucune façon. »
Alors ils ont « célébré » ensemble, raconte-t-il. Ce qui a été vraiment une célébration, c’est que M. Murphy a pu réaffirmer à cette enfant perdue et seule qu’elle était méritante. « Je lui ai fait savoir que je l’entendais, que j’étais avec elle et qu’elle est un être humain digne de reconnaissance. »
Mme Armstrong, émue par ce récit, s’est adressée à M. Murphy : « Réfléchissez à cela un instant. C’est un cadeau merveilleux que vous lui avez fait. Elle a eu la chance inouïe que son message se soit retrouvé entre vos mains. En dépit de tout ce qui allait mal, elle repensera à cette journée en sachant que quelqu’un – une personne tout à fait spéciale et empathique – se souciait d’elle. »
Entrée en scène de la COVID
Si tous les trois affirment que leur engagement bénévole les nourrit profondément, ils admettent également que la pandémie érode la capacité de chacun à donner, incluant les personnes vers qui nous nous tournons lorsque nous avons besoin de soutien.
« Je me sens complètement revigoré après ces échanges, souligne M. Murphy, mais je n’ai pas l’endurance nécessaire pour faire autant de séances qu’avant la COVID-19. »
Mme Armstrong comprend ce sentiment. « Même si nous retirons une immense satisfaction de notre travail, nous devons connaître nos limites et nous donner la permission de respecter celles-ci. »
Ce conseil s’applique aussi à la vie privée.
« Lorsqu’on vient en aide aux autres, on doit éviter de négliger sa propre santé et son bien-être. Il est important d’écouter les autres, mais aussi de s’écouter soi-même », conclut M. Murphy.
Pour découvrir comment donner de son temps pour des personnes ayant besoin d’aide, visitez le site de Jeunesse, J’écoute.
Suzanne Westover
Une écrivaine d’Ottawa, ancienne rédactrice de discours et gestionnaire des communications à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC). Casanière, toujours le nez dans un livre, elle prépare un excellent pain au citron (certains diraient qu’elle fait des merveilles en un seul mets) et aime regarder des films avec son époux et sa fille de 11 ans. Le temps que Suzanne a passé à la CSMC a renforcé son intérêt envers la santé mentale, et elle continue d’apprendre toute sa vie sur le sujet.
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