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Le VecteurConversations sur la santé mentale

Bien qu’elle préférerait l’effacer de sa mémoire, la Dre Manon Charbonneau se souvient de tous les détails de cette journée.

« Alors ça y est, j’ai le cancer », avait-elle lâché, incrédule, les yeux rivés sur sa mammographie. Sa radiologue a confirmé le diagnostic, et en un clin d’œil, son monde s’est effondré.

Psychiatre clinique, la Dre Charbonneau a consacré une grande partie de sa vie à aider les autres. « Dès l’âge de cinq ans, j’ai voulu être médecin », raconte-t-elle.

Pourtant, la longue route qui s’ouvrait devant elle était barrée par un obstacle de taille. « Je répétais souvent que j’allais guérir le cancer quand je serais grande, mais c’est plutôt le cancer qui m’a attrapée. »

Au moment de son diagnostic, la Dre Charbonneau était en poste dans un hôpital rural du Québec. Et bien que son bagage médical l’avait préparée aux ravages que le cancer allait causer à son corps, elle ignorait que son esprit allait en souffrir tout autant. 

 La lutte contre la stigmatisation en héritage
Bien des années avant son diagnostic, la Dre Charbonneau avait été confrontée à une autre maladie débilitante : la dépression.

Manon Charbonneau

Manon Charbonneau

« J’étais tombée tellement bas que j’ai failli abandonner mon internat. Puis, un de mes professeurs m’a dit que quoi que je fasse, je ne devais jamais mentionner ma dépression parce que cela nuirait à ma carrière, relate-t-elle. J’ai suivi ce conseil. J’ai baissé la tête et je me suis tue. »

Sans en toucher un mot à qui que ce soit dans sa sphère professionnelle, la Dre Charbonneau a heureusement surmonté sa dépression. Puis sa carrière a pris son envol et elle est plus tard devenue présidente de l’Association des psychiatres du Canada (APC). À la fin de son mandat à la présidence de l’APC, en 2008, près de 20 ans après son premier combat contre la dépression, elle a décidé qu’il était temps de briser le silence.

Dans son ultime discours comme présidente de l’APC, la Dre Charbonneau a raconté son expérience de la dépression, à la stupéfaction de plusieurs membres de l’auditoire.

« À l’époque, personne ne parlait de ses propres problèmes de santé mentale, surtout pas les professionnels de la santé, souligne-t-elle. J’y ai vu l’occasion de changer les choses. »

Sa franchise a mené à la création du groupe de travail de l’APC sur la stigmatisation et la discrimination, qu’elle a présidé durant les dix années suivantes. « Le fait de raconter mon histoire a été pour moi un moyen de clore ma présidence à l’APC et de tourner la page sur ma dépression. »

Elle ignorait toutefois qu’elle recevrait au cours de la même année un diagnostic de cancer qui allait rouvrir la porte à la dépression.

Souffrir en silence
« Après mon diagnostic, tout s’est enclenché très rapidement », se rappelle la Dre Charbonneau. Très rapidement, elle a reçu un plan de traitement composé de chirurgie, de chimiothérapie et de radiothérapie.

Or, à mesure que les traitements intensifs dévastaient son corps, elle a remarqué des signes que la dépression réapparaissait. « C’était insidieux, dit-elle. Graduellement, mes pensées et mon humeur ont changé, jusqu’à ce que je sois engloutie par la dépression. »

Luttant contre le cancer du sein et un épisode de dépression majeure en même temps, la Dre Charbonneau a été frappée par le contraste saisissant entre les deux maladies.

« Le traitement contre le cancer est un peu comme une montgolfière rose. On se sent soulevée par toute l’aide, le financement, les beaux programmes, l’équipe qui s’occupe de nous au quotidien. Tout le monde unit ses efforts pour prendre soin de nous, affirme-t-elle. Pour la maladie mentale, il n’y a pas de montgolfière. »

Même dans le plan de traitement vigoureux que la Dre Charbonneau avait reçu pour soigner son cancer, les services psychologiques n’étaient pas au programme. « Lorsqu’il est question de santé mentale, les patients cancéreux sont largement laissés à eux-mêmes. »

La Dre Charbonneau n’est pas la seule à avoir fait face à une maladie mentale pendant sa lutte contre le cancer. Comme indiqué dans la récente fiche d’information préparée par la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) en collaboration avec le Partenariat canadien contre le cancer, on estime que la prévalence de la dépression et de l’anxiété chez les personnes traitées pour un cancer est au moins deux fois plus élevée que dans la population générale.

Au sujet d’une vaste étude menée auprès de survivants du cancer au Canada, la fiche d’information rapporte que près de 80 % des répondants ont vécu au moins un problème d’ordre émotionnel dans les trois ans qui ont suivi leur traitement et que, dans bien des cas, leurs besoins n’avaient pas été comblés.

Dans le cas de la Dre Charbonneau, l’écart entre les services anticancéreux et ceux ciblant la dépression s’étendait au-delà de son équipe de soins qui a fait de son mieux dans les limites du système de santé, souligne-t-elle.

Elle est d’avis que sur le plan social, nous envisageons la maladie mentale et la maladie physique d’un angle complètement différent. Ce constat l’a brutalement frappée un certain après-midi pendant son rétablissement.

« Un jour, je me suis réveillée d’une sieste et j’ai trouvé 19 bouquets de fleurs, 37 appels manqués et des dizaines de messages de soutien de la part d’amis, de collègues et même de patients, dit-elle, ajoutant qu’elle s’était demandé si elle était déjà morte. Mais aucun de ces messages n’évoquait ma santé mentale. »

Cet incident lui a rappelé avec éloquence que la stigmatisation entourant la maladie mentale était toujours bien présente.

« Les gens ne savent tout simplement pas quoi dire ou quoi faire lorsqu’un proche est aux prises avec la maladie mentale, alors ils ne disent rien, laisse-t-elle tomber. Sans soutien, on se sent bien seule sur la route du rétablissement. »

La force de l’espoir
Au cœur d’un deuxième épisode de dépression et d’éprouvants traitements contre le cancer, la Dre Charbonneau s’est retrouvée vidée de toute motivation. « Certains jours, j’étais incapable de même prendre une douche, et encore moins d’aller chercher de l’aide pour traiter ma dépression. »

Mais à la lumière de certaines conversations difficiles avec son mari et leurs deux enfants, elle a compris qu’elle ne pouvait plus balayer sa dépression sous le tapis. Pour se rétablir complètement, elle devait prendre soin de sa santé mentale.

Accompagnée par des professionnels pour surmonter la dépression pour une deuxième fois, la Dre Charbonneau a commencé à entrevoir une lueur d’espoir pour l’avenir, une lueur qu’elle juge cruciale pour le rétablissement. « À titre de professionnels de la santé mentale, une large part de notre travail est de faire naître l’espoir que le rétablissement est possible et qu’une meilleure qualité de vie vous attend. »

Elle a également puisé de l’espoir pour son rétablissement physique à une source inattendue, lorsqu’on l’a invitée à participer à une activité de bienfaisance qui aurait lieu presque un an plus tard. « Tout à coup, j’ai pensé que je n’allais peut-être pas mourir après tout. Je me suis dit que je resterais en vie pour assister à cet événement. Ça a été un moment décisif pour moi. »

Pour les personnes qui s’efforcent de surmonter une maladie grave, qu’elle soit mentale ou physique ou les deux, la Dre Charbonneau insiste sur l’importance de la vulnérabilité. « Prenez contact avec un proche en qui vous avez confiance et ouvrez-vous. C’est seulement en abordant vos sentiments avec honnêteté que vous pourrez aller mieux. Il y a de l’aide pour vous, pourvu que vous osiez la demander. »

Une agente de changement
Même pour la Dre Charbonneau, il n’a pas été aussi facile qu’elle aurait cru de se montrer vulnérable. Elle a hésité quand les représentants de Bell Cause pour la cause l’ont invitée à devenir ambassadrice de l’initiative et à faire le récit de sa dépression et de son cancer.

« Après avoir passé tant de temps sans raconter mon histoire, je devais vaincre mon autostigmatisation une fois de plus, dit-elle. Quand on travaille dans le domaine de la santé, il est difficile d’admettre que notre santé n’est pas optimale. Mais tous mes proches m’encourageaient à accepter, et ils avaient raison. C’est la vulnérabilité qui conduit au changement. »

Ce changement dans la perception de la maladie mentale est devenu le pilier du travail de sensibilisation de la Dre Charbonneau. En plus de son engagement auprès de Bell Cause pour la cause, elle a propagé son message comme membre du conseil d’administration de la CSMC (2013 à 2019), où elle est également formatrice pour le cours de Premiers soins en santé mentale.

Dans ses efforts pour réclamer des changements à tous les niveaux, des attitudes individuelles aux systèmes de santé en passant par les politiques publiques de façon générale, elle prend souvent appui sur sa propre expérience. « Je pense à cette belle grande montgolfière rose qui m’a portée tout au long de mon traitement contre le cancer, puis je me demande à quel moment les personnes aux prises avec la maladie mentale auront droit à la leur. Elle est où, leur montgolfière? »

Pour la Dre Charbonneau, la seule chose qui est plus forte que la volonté de trouver cette fameuse montgolfière est sa conviction que chacun de nous peut faire sa part. La puissance des gestes individuels est une immense source de motivation pour elle. Sa devise : Vous devez être le changement que vous voulez voir dans le monde. « Nous sommes tous des agents de changement, affirme-t-elle. En modifiant notre façon de penser à la maladie mentale, d’en parler et de nous en soucier, nous pouvons susciter le changement que nous souhaitons voir. »

Auteur:

Amber St. Louis

Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

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