Le VecteurConversations sur la santé mentale
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Conserver sa santé mentale à l’ère numérique
Alors que la Semaine de la santé numérique visait à souligner les avantages découlant des soins interconnectés — depuis les consultations virtuelles, les dossiers de cybersanté, jusqu’aux applications —, il s’agissait aussi d’une occasion de réfléchir à la façon dont nous maintenons notre bien-être mental dans un monde de plus en plus numérisé.
« Il ne fait aucun doute que la pandémie a accru notre dépendance à l’égard de la connectivité virtuelle et des médias sociaux », a affirmé le Dr Keith Dobson, professeur de psychologie clinique à l’Université de Calgary. « Et bien qu’il y ait des aspects positifs associés à notre capacité à rester en contact avec relations, nous ne pouvons pas nier les pièges bien réels qui s’y trouvent. » —
Ces pièges ont un effet particulièrement néfaste sur la santé mentale et le bien-être des jeunes – en particulier chez les jeunes filles.
« Notre cerveau a tendance à croire ce que nous voyons », indique le Dr Dobson. « Même si intellectuellement nous comprenons qu’une photo a été trafiquée, qu’un filtre lui a été ajouté ou qu’une image a été retouchée (une taille amincie, des yeux agrandis), notre cerveau ne fait pas clairement cette distinction. »
Voir, c’est croire
Le Dr Dobson soutient que la primauté de notre sens de la vue explique en grande partie pourquoi notre société est si friande de plateformes numériques comme Instagram, qui offrent de puissants stimulants visuels. Nous y sommes également attirés par la dopamine, l’hormone du bien-être qui est sécrétée lorsque nous utilisons un moyen qui nous offre des gains faciles. Les « J’aime », les « cœurs », les « partages » et les commentaires nous procurent de petites bouffées d’endorphine, sans exiger beaucoup d’efforts.
« Habituellement, nous éprouvons un sentiment de bien-être après avoir accompli quelque chose de remarquable », a-t-il ajouté. « Une réussite nous demande d’ailleurs d’investir du temps, de l’énergie et des efforts considérables. En revanche, les médias sociaux nous offrent un raccourci. Mais ce raccourci risque de coûter très cher. L’industrie qui se dresse devant nous est un ennemi redoutable, qui a investi des milliards de dollars pour acheter l’accès à nos pensées les plus secrètes et à nos sentiments d’insécurité les plus enfouis. »
De façon ironique, le Dr Dobson fait remarquer que nous ne devons pas nous sentir bien lorsque nous nous engageons activement sur les médias sociaux. Cette activité peut nous faire nous sentir moins bien, moins attrayants, ou incompétents. Toutefois, fait intéressant, lorsque nous éteignons nos téléphones, nous commençons à nous sentir bien à nouveau.
La boucle de « rétroaction négative »
« C’est ce qu’on appelle une boucle de rétroaction négative », a-t-il expliqué. « Voyez les choses ainsi : vous avez une pensée négative – j’ai laissé la cuisinière en marche, par exemple. Vous devez alors vérifier la cuisinière pour vous assurer qu’elle est bien éteinte. Après une vérification qui vous a soulagé, l’habitude s’installe et la boucle recommence. »
Holly Craib, une étudiante en art de 21 ans à Ottawa, est d’accord. « Je ne décide même pas consciemment de consulter mes médias sociaux. Dans un moment d’ennui, de calme ou de solitude, je prends machinalement mon téléphone et je commence à faire défiler l’écran. » Elle décrit la frustration qui monte en elle lorsqu’elle réalise qu’elle vient de perdre une heure ou deux à vérifier Twitter et à défiler sans fin vers un état d’abattement; elle doit alors se ressaisir parce que ce tourbillon la trouble, à force de comparer ses réalisations à celles qu’elle voit sur ses réseaux.
Le Dr Dobson abonde dans le même sens, expliquant qu’une multitude de choses nous attirent vers les médias sociaux. Il est possible que nous ayons une crainte de manquer quelque chose d’important. Et puis il y a la force exercée par les « monnaies sociales » : nous tenons à participer aux conversations populaires – sur un événement, une personnalité ou un mème – qui circulent sur les médias sociaux.
Mais les choses peuvent prendre une tournure dangereuse lorsque nos craintes sont exploitées telles des données de grande valeur par des organisations qui cherchent à tirer profit de notre détresse. Les troubles de l’alimentation ont augmenté pendant la pandémie, et les chercheurs établissent un lien entre le fait d’être enfermé et d’avoir un accès constant à des contenus attirants qui renforcent les pensées négatives et les comportements nuisibles.
Une relation amour-haine
« C’est un cercle vicieux », dit Holly. « Je crois que comme plusieurs personnes de mon âge, j’entretiens une relation amour-haine avec mon téléphone. Je vois souvent des amis qui publient un avertissement de les joindre sur leur téléphone fixe parce qu’ils prennent une pause de leur cellulaire et du chaos sur les médias sociaux. »
Une fois que vous démontrez un intérêt pour un type de contenu particulier, les algorithmes conçus pour capter votre attention répondent à toute vitesse avec des renseignements clés qui abondent dans le même sens. Soudain, une simple recherche ayant pour sujet « Comment perdre cinq kilos » devient un déferlement de contenu sur les régimes. Si vous n’étiez pas convaincu de la nécessité de maigrir avant cette banale recherche, vous vous retrouvez tout à coup inondé de messages voulant vous persuader que vous devez absolument suivre un régime!
« Et c’est là que réside le danger de devenir un consommateur passif » affirme le Dr Dobson. « Je réalise que les outils dont nous disposons sont relativement inefficaces face au géant d’un milliard de dollars qui vit dans nos poches et qui semble lire dans nos pensées, mais c’est précisément la raison pourquoi nous devons faire preuve de discernement et de précaution. »
Faire face à la réalité virtuelle
Si vous avez grandi avec le magazine Seventeen, par exemple, que vous pouviez lire puis mettre de côté, il peut s’avérer difficile de concevoir à quel point l’influence des médias sociaux est devenue omniprésente. Il ne s’agit plus seulement d’un moyen d’avoir accès aux dernières tendances, à des blagues ou de rester en contact avec sa grand-mère. C’est le monde entier que vous tenez au creux de votre main – et pour plusieurs jeunes, il s’agit de leur validation, leur connexion ainsi que leur plus grand détracteur.
Holly mentionne que se couper de son téléphone serait l’équivalent de se priver d’un lien vital, surtout en contexte de pandémie de COVID-19. « La connexion virtuelle fait partie de ma vie depuis que je me suis branchée à la messagerie MSN quand j’étais à l’école primaire. J’ai créé mon compte Facebook à l’âge de 13 ans. Je ne sais pas comment me connecter avec les gens autrement que de cette façon. Mais je comprends aussi que cela joue sur mes sentiments vulnérabilités, et c’est un équilibre délicat qu’il faut maintenir. »
Le Dr Dobson préconise l’éducation comme outil le plus puissant à notre disposition – en particulier pour les parents de jeunes. Il exhorte les parents à se renseigner sur les médias sociaux et à discuter ouvertement des contenus que leurs enfants recherchent, en leur apprenant dès le plus jeune âge à être des consommateurs dotés d’un esprit critique. « Il faut qu’ils se posent la question : “Quel est le but de cette image?“ Et ensuite, “Comment est-ce que je me sens?”. Cela leur offre l’occasion de prendre conscience de leurs pensées et de détecter si elles sont déformées par des normes irréalistes et malsaines de beauté ou d’accomplissements. »
Il recommande également de mettre en place des limites claires qui, il l’admet volontiers, ne seront pas forcément faciles à faire respecter.
« Certaines limites sont évidentes pour moi : aucun téléphone dans la chambre à coucher, durée d’accès limitée aux téléphones et aux ordinateurs, et participation à d’autres activités qui donnent une poussée d’endorphines sans condition. »
Apprendre un instrument, pratiquer du sport, se balader ou avoir une conversation intéressante avec un ami proche constituent de bonnes solutions de rechange aux médias sociaux; celles-ci nous revigorent, sans l’inévitable effet déprimant associé aux écrans.
Cependant, pour Holly, le travail qu’elle réalise en tant qu’artiste la maintient attachée à la plateforme qu’elle juge la plus problématique. « Instagram est l’endroit tout indiqué pour mettre en valeur mon art, que j’adore concevoir. Mais il n’est pas rare de s’y sentir invisible, noyée, ou moins productive que d’autres. Je suppose qu’en ce sens, c’est un peu comme être entre « ennamis ». D’un côté, vous avez la chance de vous jeter à l’eau et d’exposer vos réalisations. Et, de l’autre, le monde ne se gêne pas pour répondre. »
Apprivoiser la bête
Pour April Yorke, il existe des moyens de dompter la bête. Depuis qu’elle occupe le poste de responsable du marketing numérique à la Commission de la santé mentale du Canada, elle est parvenue à faire en sorte que les médias sociaux travaillent pour elle, et non l’inverse. Elle n’hésite pas à souligner que l’utilisation de ces plateformes peut également avoir des effets positifs sur la santé mentale.
« L’un des principaux avantages des médias sociaux est qu’ils vous permettent de cibler vos champs d’intérêt. Si vous aimez les chiots, la pêche à la mouche et le tricot, vous pouvez parier que vous allez voir des chiots, de la pêche à la mouche et du tricot, et ce, du matin jusqu’au soir. »
Mais si vous considérez que l’algorithme s’est retourné contre vous (notamment quand vous êtes submergé de contenu lié à #CommentPerdreCinqKilos, April recommande de faire en sorte que l’algorithme se mette plutôt à travailler dans votre intérêt. « Commencez par faire des recherches sur des sujets qui vous rendent heureux. Lorsque vous les trouvez, assurez-vous de cliquer « J’aime » ou de commenter, de vous abonner au compte ou de le suivre – en fait, n’importe lequel de ces gestes pour interagir avec le compte. Il ne faudra pas bien longtemps pour que l’algorithme repère vos nouveaux centres d’intérêt et commence à vous orienter dans cette nouvelle direction. »
Si vous voyez toujours des choses qui ne vous plaisent pas? Signalez-le. Bloquez le profil. Les médias sociaux vous offrent ces options parce qu’ils ne veulent pas vous montrer des choses que vous ne souhaitez pas voir et risquer de vous perdre en tant que client. Complétez la boucle rétroactive en indiquant clairement ce que vous ne voulez pas voir. »
Holly est également une adepte de cette approche. « Dans mes paramètres Twitter, j’ai inscrit une longue liste de mots, de phrases et de sujets dont je ne veux pas entendre parler. Le procédé n’est pas parfait, mais il s’agit tout de même d’un pas dans la bonne direction.
Prendre du recul
Si ces deux options ne fonctionnent pas, April propose une autre idée. « Agissez comme une célébrité en pleine controverse et remettez les compteurs à zéro. Désabonnez-vous de toutes les personnes que vous suivez actuellement. Supprimez les publications et les photos que vous ne souhaitez plus voir. »
April a un ami qui a fait une pause de plusieurs années des médias sociaux. Lorsqu’il a renoué avec les réseaux, il n’a choisi qu’une seule plateforme et a soigneusement sélectionné les personnes qu’il allait suivre.
« Maintenant », a déclaré April, « l’utilisation de ses médias sociaux lui permet de se sentir inspiré d’une manière tout à fait différente et positive. »
Il n’est pas coutume de lire des articles recommandant d’éviter stratégiquement des applications ou de les supprimer complètement. Si cela peut s’avérer une bonne décision pour certaines personnes, il ne s’agit pas forcément d’une solution judicieuse pour les gestionnaires de médias sociaux ou les personnes comme Holly, qui doivent tirer parti de la connectivité des médias sociaux pour présenter leur travail ou gérer une entreprise.
Mais comme April l’a mentionné, « une fois que vous avez réduit la liste de personnes que vous suivez, il ne vous faut plus autant de temps pour “être à jour” (quoi que cela veuille dire), et vous passez donc moins de temps sur l’application. Maintenant quand je fais défiler mon écran, je vois surtout mes amis proches et des publicités pour des sacs de voyage avec plusieurs poches – un rappel important qu’il existe un monde extérieur débordant de possibilités. »
Suzanne Westover
Une écrivaine d’Ottawa, ancienne rédactrice de discours et gestionnaire des communications à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC). Casanière, toujours le nez dans un livre, elle prépare un excellent pain au citron (certains diraient qu’elle fait des merveilles en un seul mets) et aime regarder des films avec son époux et sa fille de 11 ans. Le temps que Suzanne a passé à la CSMC a renforcé son intérêt envers la santé mentale, et elle continue d’apprendre toute sa vie sur le sujet.
illustratrice : Holly Craib https://www.hollcee.com/
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