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Qu’est-ce qui dissuade les gens de chercher de l’aide?
Pour certains, c’est le manque de ressources – généralement de temps ou d’argent. D’autres ignorent peut-être même que de l’aide est disponible.
Parfois, les gens tardent à chercher de l’aide pour une raison totalement différente, parce qu’ils craignent la façon dont ils seront traités par le système de soins de santé. Parce qu’ils craignent d’être stigmatisés.
« La stigmatisation est un phénomène auquel nous sommes confrontés tous les jours, déclare Dre Eileen de Villa, médecin hygiéniste torontoise. Toronto, comme beaucoup d’autres régions, est aux prises avec les défis interdépendants que posent l’itinérance, l’omniprésence de la maladie mentale et les dépendances non traitées. »
En mai, dans le cadre de la série annuelle de conférences Charles Hastings de Toronto, Dre de Villa a organisé un événement intitulé Diverse Dialogues: Stigma & Breaking Barriers.
Dre de Villa parle d’une « triple crise » sans précédent qui exige une solution des trois ordres de gouvernement, citant la stigmatisation comme l’un des principaux obstacles à la résolution de cette crise.
« Les gens disent “Si seulement je pouvais me reprendre en main” ou “Si seulement j’avais fait de meilleurs choix de vie”, explique Dre de Villa, mais la dépendance est une maladie complexe, pas une faute morale. »
Types de stigmatisation
« La stigmatisation jette un voile de honte, de peur du jugement et d’isolement, poursuit-elle. La peur de la criminalisation rend beaucoup moins probable la recherche d’aide et, quand la personne trouve enfin le courage de le faire, les attitudes discriminatoires auxquelles elle peut être confrontée au sein de notre système de soins de santé ne l’aident pas à se rétablir. »
Et, comme le souligne Dre de Villa, ce n’est là qu’une des répercussions de la stigmatisation sur notre population.
Mais qu’est-ce que la stigmatisation au juste? La stigmatisation est aussi compliquée qu’omniprésente. Au sens littéral, la plupart d’entre nous savent que la stigmatisation fait partie de la même famille de mots que « tache », « cicatrice » et « sceau de la honte », et signifie généralement quelque chose comme « une croyance injuste au sujet d’une personne ou d’un groupe de personnes ».
Les recherches actuellement menées par la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) définissent la stigmatisation comme la présence d’une caractéristique socialement indésirable démontrant l’« altérité ». Cette recherche se concentre sur quatre types de stigmatisation, explique Michel Rodrigue, président-directeur général de la CSMC, qui a participé à l’événement Diverse Dialogues du Bureau de santé publique de Toronto.
Il existe une stigmatisation individuelle, qui consiste principalement à intérioriser les messages négatifs. La deuxième est la stigmatisation interpersonnelle, qui peut survenir dans les relations avec les amis, la famille et les collègues.
La stigmatisation structurelle, quant à elle, englobe les règles organisationnelles, politiques, procédures, lois et normes culturelles qui perpétuent et renforcent la stigmatisation. Enfin, on parle de stigmatisation intersectionnelle lorsque la stigmatisation liée à la santé mentale ou à l’usage de substances chevauche d’autres formes d’inégalités.
Grâce au nombre croissant de recherches menant à l’établissement d’une taxonomie de la stigmatisation, il est plus facile de déterminer comment la stigmatisation – en particulier structurelle et intersectionnelle – a été utilisée pour marginaliser les populations.
Savoir expérientiel de la stigmatisation
« Il n’y a pas de stigmatisation sans marginalisation et sans discrimination », indique Dre Notisha Massaquoi, professeure adjointe au département de la santé et de la société de l’Université de Toronto à Scarborough, conférencière à l’événement et participante à la discussion de groupe. « La stigmatisation est un outil central et essentiel du racisme anti‑Noirs. »
Selon Dre Massaquoi, on ne peut dissocier la stigmatisation des autres outils d’oppression, notamment l’effacement et l’invisibilité, mais aussi la marginalisation et l’isolement. La stigmatisation sert à détourner notre attention des obstacles systémiques à la santé et entraîne d’importantes répercussions négatives sur la santé de la population.
« La stigmatisation nuit à tous les aspects de la cascade des soins de santé, enchaîne Dre Massaquoi. Elle nuit au diagnostic, au traitement, à l’accès équitable aux soins et aux résultats positifs. »
Avant de travailler à l’Université, Dre Massaquoi œuvrait dans le domaine de la santé publique, d’abord en tant que fournisseuse de services pour les personnes d’origine africaine continentale de Toronto ayant reçu un diagnostic de VIH. C’était à la fin des années 1980, avant l’apparition des traitements médicaux. Elle raconte que chaque jour, elle espérait que personne ne franchirait sa porte, car tous les patients qu’elle rencontrait décédaient dans l’année qui suivait.
« Quand nous avons enfin reçu le médicament, quand l’AZT (un type de médicament antirétroviral utilisé pour lutter contre le VIH) est arrivée pour la première fois au Canada, ce que je voyais, c’étaient les effets de la stigmatisation, se souvient-elle. Les Africains étaient accusés d’avoir apporté le VIH au Canada et stigmatisés pour leurs pratiques sexuelles considérées comme inhabituelles. Toutes sortes d’étiquettes stigmatisantes ont été attribuées à cette communauté. »
Plusieurs ont ainsi perdu leur emploi. « Et si l’on découvrait qu’ils étaient séropositifs, ajoute Dre Massaquoi, les fournisseurs de soins de santé les rayaient de leur liste. » La communauté noire de Toronto a été la dernière à avoir accès aux médicaments.
Parfois, la discrimination naît d’obstacles structurels difficiles à percevoir, comme l’absence de cliniques du VIH/sida dans les quartiers de la ville où vivent d’importantes communautés noires, même si l’incidence de l’infection par VIH est plus élevée au sein de ces populations. Cette disparité est enfin prise en compte aujourd’hui, mais elle a persisté pendant des années.
Mais il arrive aussi que la discrimination et la stigmatisation dans le système médical soient flagrantes et indéniables.

« Mon premier jour de résidence en tant que médecin à l’Hôpital général Victoria, une infirmière m’a empêché de pratiquer un accouchement en saisissant ma tresse et en me criant dessus », se souvient le Dr James Makokis, médecin de famille bispirituel de la nation Crie de Saddle Lake (Alberta), vainqueur de la septième saison de The Amazing Race Canada et conférencier lors de l’événement.
« Quand on pense à ce qui arrive aux patients autochtones qui ont beaucoup moins de pouvoir que moi en tant que médecin, relève Dr Makokis, il est logique qu’il y ait des personnes comme Joyce Echaquan, qui a littéralement filmé sa mort sur les médias sociaux alors qu’elle subissait précisément les stéréotypes souvent véhiculés sur les Autochtones. Comme celui qu’elle n’était bonne qu’à une chose, le sexe. »
Joyce Echaquan, une Atikamekw de 37 ans, est décédée d’un œdème pulmonaire à l’hôpital de Joliette, au Québec, en septembre 2020, après avoir été mise sous contention et s’être vu administrer de la morphine. Sa famille affirme qu’elle était allergique à la morphine et qu’elle avait exprimé des inquiétudes quant à une éventuelle réaction indésirable.
Alors qu’elle agonisait, elle a enregistré et diffusé en direct une vidéo de sept minutes montrant des infirmières qui l’insultaient, la traitaient de « complètement idiote » et mettaient son problème de santé sur le compte de ses « mauvais choix ».
Selon Dr Makokis, des actes comme celui-ci, qui montrent de manière flagrante le racisme structurel, sont rendus possibles par la déshumanisation. La déshumanisation, quant à elle, est portée par la stigmatisation. Tout cela s’inscrit dans la même logique de suprématie blanche qui a justifié et permis la colonisation et le génocide.
« Une partie de la déshumanisation consiste à insinuer qu’un groupe de personnes a moins d’intelligence ou de moralité, explique-t-il. On peut penser aux Autochtones qui, dans les pensionnats, n’ont souvent été scolarisés que jusqu’à la sixième année parce qu’on croyait qu’ils avaient les capacités mentales nécessaires pour atteindre seulement ce niveau. »
Il existe d’autres composantes de la déshumanisation : suggérer qu’une population est une « infestation » et qualifier ces gens de « sauvages » ou de « cafards ». Tout cela contribue à justifier la violence, l’injustice et l’iniquité systémique.
« Vous n’êtes pas comme moi, poursuit Dr Makokis. Je suis meilleur que vous. Vous êtes moins humain que moi. Et quand cela se produit, c’est une composante essentielle de la déshumanisation qui nous permet de faire n’importe quoi à un groupe de personnes, et qu’elles deviennent simplement un ensemble de stéréotypes. »
Que pouvons-nous faire?
Dr Makokis affirme que les Canadiens aiment croire (à tort) que nous vivons dans une nation post-raciale de gentils gardiens de la paix et que la discrimination est chose du passé. Dr Makokis, M. Rodrigue, Dre de Villa et Dre Massaquoi considèrent tous l’éducation comme la première étape du démantèlement du racisme systémique.
Dans les écoles publiques, on n’apprend rien ou presque sur le génocide, les pensionnats ou les contributions apportées à la société par les Canadiens noirs – et l’invisibilité et l’effacement sont les premiers pas vers la stigmatisation. En commençant par là, nous pouvons aider à mettre fin à la déshumanisation et à la stigmatisation avant qu’elles ne se manifestent. Après cela, Dre Massaquoi déclare que les données fondées sur la race sont essentielles pour pouvoir réclamer des services exempts de stigmatisation qui sont réellement accessibles aux communautés qui en ont le plus besoin.
Considérer la stigmatisation selon une perspective de santé publique est un excellent moyen de comprendre que la santé publique est un pilier essentiel du tissu social. Comme l’a montré la pandémie, nous sommes tous liés d’une manière que nous ne saisissons pas toujours jusqu’à ce que nous soyons en situation de crise.
« Nous avons toujours œuvré pour la justice, conclut Dr Makokis. Il est important de se rappeler les paroles du Dr Martin Luther King à ce sujet : “Une injustice, où qu’elle soit, est une menace pour la justice partout. Nous sommes tous inéluctablement pris dans un réseau de relations mutuelles, liés par un destin commun. Tout ce qui affecte directement quelqu’un nous affecte tous indirectement.” »
Ressource : Stigmatisation structurelle : Un guide de mise en œuvre pour susciter un véritable changement pour et avec les personnes vivant avec la maladie mentale et/ou des problèmes d’usage de substances.
Photos : avec l’aimable autorisation du Bureau de santé publique de Toronto.
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La Journée mondiale de la prévention du suicide a lieu tous les ans le 10 septembre. Cette année, la Journée se déroulera sous le thème « Changer le discours sur le suicide ». Ce thème vise à transformer notre perception d’un problème complexe. Nous devons délaisser la culture du silence et de la stigmatisation au profit d’une culture d’ouverture, de compréhension et de soutien.
Si vous avez perdu espoir et que vous avez du mal à vous en sortir, si vous avez des idées suicidaires ou si vous vous inquiétez pour quelqu’un qui en a, appelez ou envoyez un texto au 9-8-8 à n’importe quel moment du jour ou de la nuit.
Un soir, il y a quelques années, Aja Sax s’est retrouvée seule dans son appartement, complètement submergée par des idées suicidaires. Elle avait déjà connu de tels états, mais jamais avec autant d’intensité.
« Dans les jours qui ont précédé mon épisode le plus sombre, je voulais mettre fin à mes jours, car je ne voyais pas comment les choses pourraient s’améliorer, se souvient-elle. Je croyais ne plus jamais pouvoir être heureuse. »
Aja ajoute que, d’aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours vécu des épisodes de dépression. À l’âge de 12 ans, elle a demandé à ses parents de l’aider à obtenir une aide professionnelle, en vain. « Mon père m’a ri au nez. Et ma mère s’est exclamée : “Qu’est-ce qui pourrait bien te déprimer à ton âge?” ».
Jeune adulte, lorsqu’elle se confiait à des amis, elle avait l’impression que beaucoup d’entre eux « invalidaient » ce qu’elle ressentait et lui conseillaient tout bonnement de méditer ou de faire du yoga au lever du soleil. Heureusement, elle a aussi reçu du soutien – en ligne et en personne – de gens qui la prenaient au sérieux et qui semblaient deviner exactement comment et quand se préoccuper d’elle. L’une de ces personnes l’a même aidée à traverser sa pire nuit et à prendre des mesures pour demander de l’aide au matin.
« Ces relations virtuelles m’ont sauvé la vie », assure-t-elle.
Des statistiques qui font frémir
Selon l’Organisation mondiale de la Santé, plus de 700 000 personnes meurent par suicide chaque année dans le monde. Dans la plupart des pays, le taux de suicide est plus élevé chez les jeunes que dans les autres groupes démographiques, y compris au Canada, où le suicide est la deuxième cause de décès chez les jeunes adultes de 18 à 34 ans.
Pour lutter contre cette épidémie et réduire les taux de suicide, il faut absolument changer un certain discours susceptible de causer encore plus de tort et le remplacer par des paroles qui, comme en témoigne Aja, peuvent sauver des vies. Pour ce faire, la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC) a récemment lancé #ClavardagePrudent, une ressource conçue pour changer la façon dont nous parlons de l’automutilation et du suicide.
Mis au point par une équipe de prévention du suicide dirigée par la professeure Jo Robinson, d’Orygen, un institut de recherche australien axé sur la santé mentale des jeunes, #ClavardagePrudent constitue le premier ensemble de lignes directrices internationales fondées sur des données probantes et conçues pour aider les jeunes de 12 à 25 ans à parler d’automutilation et de suicide. Il existe également une ressource destinée aux soignants. Les deux outils comprennent des indications claires et exhaustives sur la manière d’éviter les termes et les images risqués ainsi que les déclencheurs émotionnels lors de conversations sur le suicide et l’automutilation.
« Il y a beaucoup d’idées fausses sur la façon dont nous intervenons auprès des gens, et cela découle en partie du langage lui-même, explique Nagi Abouzeid, membre du Conseil des jeunes de la CSMC, inscrit au programme de maîtrise en sciences de la réadaptation à l’Université de Montréal. Les lignes directrices #ClavardagePrudent contiennent une section contenant des expressions dangereuses, comme “commettre un suicide” par opposition à l’expression plus sûre “décéder par suicide”. Les gens utilisent cette terminologie désuète sans vraiment connaître son origine. »
Le choix des mots est important
Avant d’être décriminalisé en 1972 au Canada, le suicide était un acte criminel que l’on « commettait », et les personnes ayant fait une tentative de suicide pouvaient faire l’objet de poursuites. Bien que le suicide ne soit plus un crime depuis plus de 50 ans, les mots « commettre » ou « commis » ont toujours une connotation immorale, ce qui peut susciter un sentiment de honte chez les personnes concernées. Or, la honte peut empêcher une personne en détresse de chercher de l’aide.
L’écrivaine torontoise Doris Sommer-Rotenberg est l’une des premières à avoir sonné l’alerte en ce qui concerne le rôle que joue le langage dans notre perception du suicide. En effet, dans un numéro de 1998 du Canadian Medical Association Journal, elle dénonçait l’utilisation de l’expression « commettre un suicide ». Poussée par le désir de « garder vivante la vitalité » de son fils, un médecin d’une trentaine d’années décédé par suicide, ainsi que par la volonté d’aider à prévenir de pareilles tragédies, elle a contribué à lancer un mouvement visant à corriger le langage du suicide.
En outre, elle a fait campagne pour qu’une chaire de recherche sur le suicide – la première du genre en Amérique du Nord – soit créée au nom de son fils, Arthur Sommer-Rotenberg, à son alma mater, l’Université de Toronto. « Le fait qu’il n’existait encore aucune chaire consacrée au suicide témoigne du silence qui a toujours entouré cette question », fait-elle remarquer.
En 2016, Mme Sommer-Rotenberg a reçu la Médaille du service méritoire du gouverneur général du Canada, en récompense pour son travail de sensibilisation sur le silence et la stigmatisation qui entourent le suicide. Depuis qu’elle a publié son éditorial, il y a 25 ans, on parle davantage du suicide, en partie grâce aux médias sociaux. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire dans la manière dont nous en parlons.
« Si les médias sociaux permettent de tisser des liens entre les jeunes, ils peuvent aussi compromettre leur sécurité, explique Nitika Rewari, directrice des Programmes de prévention et de promotion à la CSMC. Nous avons donc la responsabilité d’aider les jeunes à acquérir les outils et les connaissances nécessaires pour communiquer virtuellement en toute sécurité au sujet du suicide et de l’automutilation. Les lignes directrices #ClavardagePrudent peuvent nous aider à y parvenir. »
Souvent, comme on l’a vu plus haut avec Aja Sax, des forums virtuels animés par un intervenant qualifié peuvent aider les participants à obtenir du soutien et des conseils avisés de la part d’autres personnes ayant une expérience vécue du suicide et de l’automutilation. Toutefois, le paysage numérique de la santé mentale abrite également des influenceurs, des sites de conseils sur le suicide et même des productions à gros budget qui peuvent s’aventurer en terrain dangereux.
« La série Netflix Treize raisons met en scène certains des éléments qui, selon nous, ne doivent pas être diffusés. Par exemple, on y traite des moyens par lesquels les gens tentent de s’enlever la vie », explique Mme Rewari, en faisant remarquer que la série aborde des sujets de santé mentale parmi les plus complexes de la société, comme le suicide chez les adolescents, l’intimidation et la toxicomanie. Selon elle, de tels sujets, notamment ceux qui touchent au suicide et à la maladie mentale, mériteraient d’être traités de manière plus sûre, plus délicate et plus responsable, ce qui éviterait de stigmatiser le suicide et encouragerait les téléspectateurs à offrir de l’aide ou à en demander lorsqu’ils en ont besoin.
Des ressources utiles
Si certains débattent encore du lien de causalité entre cette série et l’augmentation du taux de suicide pendant le mois où elle a été diffusée, les auteurs d’une étude menée aux États-Unis affirment pour leur part qu’elle est effectivement associée à une hausse importante du nombre de suicides chez les jeunes. Les chercheurs ont conclu qu’il est justifié de faire preuve de « prudence avant d’exposer un enfant ou un adolescent à cette série ».
Grâce aux lignes directrices #ClavardagePrudent – extraordinairement claires et directes – les gens qui prennent part aux discussions et les créateurs de contenu peuvent apprendre facilement à se servir des avertissements de sensibilité et à éviter les images, thèmes ou termes risqués.
« En tant que jeune adulte, j’apprécie vraiment le caractère pratique des suggestions, affirme Alisha Haseeb, inscrite à un programme de premier cycle en Sciences de la santé à l’Université McMaster, et membre du Conseil des jeunes de la CSMC.
Dans ces lignes directrices, on ne se contente pas de proposer des pratiques exemplaires. On offre des solutions de rechange concrètes et réalisables. On explique pourquoi certaines méthodes de conversation et de communication sont plus efficaces que d’autres, ce qui démontre que ces lignes directrices sont ancrées dans une pratique fondée sur des faits. Elles nous incitent à prendre des décisions qui reflètent nos intentions. »
Elle ajoute : « Je pense que la lecture de ces lignes directrices est un excellent moyen de réfléchir aux termes que nous utilisons, aux effets qu’ils ont et au type de message que nous envoyons. »
C’est grâce à la méthode utilisée par la professeure Jo Robinson pour mettre au point #ClavardagePrudent que ces lignes directrices sont si accessibles. En effet, l’équipe de prévention du suicide d’Orygen a consulté un large éventail de personnes représentant différentes cultures du monde entier, ce qui va bien au-delà du processus habituel d’évaluation par les pairs, généralement limité à d’autres universitaires et chercheurs.
« Ce qui me donne confiance en cette ressource, c’est qu’elle a été conçue en collaboration avec des jeunes qui ont vécu l’expérience de l’automutilation ou du suicide, ou qui ont aidé quelqu’un qui s’automutilait ou qui était suicidaire, explique Mme Haseeb. Je pense qu’il y a trop souvent un décalage entre, d’une part, la génération qui conçoit les services et les lignes directrices destinés aux jeunes et, d’autre part, la façon dont les jeunes utilisent réellement ces services. »
Une telle approche a facilité l’adaptation de #ClavardagePrudent dans 14 pays outre l’Australie, dont la Corée du Sud, le Nigeria, la Finlande, le Brésil et, bien sûr, le Canada.
« Je suis ravie d’avoir collaboré avec la CSMC pour publier les lignes directrices #ClavardagePrudent partout au Canada, déclare Jo Robinson, d’Orygen. Plus que jamais, il est crucial de donner aux jeunes autant qu’aux parents et aux prestataires de soins de la communauté, des outils pour discuter d’automutilation et de suicide en toute sécurité sur les plateformes numériques. Ensemble, nous espérons créer un espace virtuel plus sûr pour les jeunes et faire en sorte que les personnes à risque demandent plus facilement de l’aide. »
Ressource: #ClavardagePrudent – Un guide pour communiquer en ligne en toute sécurité au sujet de l’automutilation et du suicide.
Lecture complémentaire: Survivre au suicide d’un être cher : Surmonter la stigmatisation, le chagrin et la perte et emprunter le chemin de la guérison, de l’espoir et du soutien auprès d’une communauté après le décès par suicide d’un être cher. Une histoire personnelle.
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Êtes-vous en train de lire ces quelques mots dans la salle de bains? Vous ne seriez pas la première personne à le faire.
La culture numérique a envahi des pans intimes de nos vies, dont nos chambres à coucher et tables à manger. Il en va de même pour ces instants autrefois épargnés — comme la file d’attente à l’épicerie ou, plus grave encore, au volant de notre véhicule, un coup d’œil furtif jeté à l’écran.
Ces notes, ces textos, ces fils de nouvelles et ces publications s’accumulent jusqu’à en faire une habitude quotidienne, et cela devient l’essence même de notre vie. Notre espace mental est envahi.
J’entends de plus en plus souvent des gens, proches ou inconnus, affirmer qu’ils veulent reprendre le contrôle de leur cerveau. Ils cherchent des moyens efficaces d’y parvenir, qu’il s’agisse de s’adonner à un nouveau passe‑temps concret comme le piano ou bien d’installer des applications favorisant la concentration.
Réfléchir à la manière des publications Facebook
J’ai lu le livre de Johann Hari, intitulé Stolen Focus: Why You Can’t Pay Attention lors de sa sortie en 2022 et un passage m’a particulièrement marquée.
Dans son livre, l’auteure fait remarquer que les solutions simplistes comme « ne pas toucher à son téléphone » ne sont pas adaptées à la réalité de la conception de ces appareils.
Ils sont en effet pensés pour produire de la dopamine et nous pousser à passer beaucoup plus de temps que prévu, explique Sophie H. Janicke-Bowles, psychologue des médias et professeure associée à l’université Chapman, en Californie, dans Psychology Today. Madame Janicke-Bowles affirme que nous devons nous éduquer aux notions d’utilisation « saine » des technologies.
La technologie diffère selon la vie de chacun
C’est la raison pour laquelle nous avons intitulé cet article « Créer son propre régime numérique ». Ce titre renvoie aux natures distinctes et aux besoins variés qui caractérisent notre consommation technologique. Oui, nous le savons, nous sommes tous en ligne en train de vous conseiller de vous éloigner de l’écran. Mais n’est-ce pas là le défi de notre époque? Un régime numérique n’a pas la même signification d’une personne à l’autre. Par exemple, une collègue se réveille le matin en se répétant la phrase « un moment au soleil avant les heures d’écran » pour donner le ton à sa journée. Pour elle, cela fonctionne à merveille.
Organiser des plans, commander de la nourriture, demander un taxi, fixer un rendez-vous amoureux, trouver une nouvelle chemise ou postuler un emploi sont autant de gestes qui requièrent une interaction avec un écran. Cela pèse lourd sur notre intellect, notre temps, notre concentration, notre estime de soi et nos relations.
Bien sûr, il faut y voir des aspects positifs. À la Commission de la santé mentale du Canada, nous élaborons, promouvons et encourageons l’utilisation d’outils électroniques de santé mentale de qualité, à la fois sécuritaires et adaptés à la culture, afin de pallier les lacunes du système de soins de santé. Des soins de santé mentale sur demande, au creux de votre poche. C’est un plus.
Tout cela pour dire que nous ne pouvons pas arrêter le progrès technologique, mais que nous devons prôner un meilleur contrôle de la manière dont cette technologie est utilisée afin de ne pas hypothéquer nos capacités de concentration.
Regardez vos amis dans les yeux!
Le bar de mon quartier a installé sur le mur et a inscrit sur son menu le message suivant : « Regardez vos amis dans les yeux! » Il s’agit à la fois d’une réprimande et d’une invitation à se déconnecter, puis à s’abandonner à un art perdu, celui du contact visuel et de la conversation entre humains. L’endroit est décontracté, peu éclairé et le service est excellent. Cela devrait suffire à nous éloigner du tourbillon de nos téléphones, mais ce n’est pas le cas. Ce petit rappel, c’est un peu comme si on nous tendait un miroir – hum… quand cette histoire de téléphone est devenue si normale? Si nous avons besoin qu’on nous le rappelle, alors on ne peut pas s’étonner de l’épidémie de solitude qui sévit sur la planète. J’essaie de fréquenter cet endroit. Ailleurs, on a l’impression que tout le monde fixe le regard vers le bas, plus absorbé par un écran que par l’expression des autres personnes.
Un mot du chirurgien
Lorsque le chirurgien général des États-Unis se prononce, on peut affirmer sans trop se tromper que la question est grave. En juin 2024, le Dr Vivek H. Murthy a demandé que des avertissements soient affichés dans les médias sociaux pour sensibiliser les jeunes aux problèmes de santé mentale. Ce genre d’avertissement est prévu pour les problèmes de santé publique importants qui nécessitent une prise de conscience et une action immédiate à l’échelle nationale. Bien que, je dirais, cela ne se limite pas à l’Amérique, car les réseaux sociaux ne connaissent pas de frontières.
Cet avertissement rappelle que l’adolescence étant une période vulnérable pour le développement du cerveau, l’exposition aux médias sociaux au cours de ces années mérite une vigilance accrue. Les contenus extrêmes, inappropriés et préjudiciables continuent d’être largement accessibles aux enfants et aux adolescents, mais en n’oubliant pas que les médias sociaux offrent aussi des interactions positives et un soutien social, en particulier pour les jeunes marginalisés, notamment les minorités raciales, ethniques, sexuelles et de genre.
On y relève que les chercheurs estiment que l’exposition aux médias sociaux peut surstimuler le centre de récompense du cerveau et, lorsque la stimulation devient excessive, il est possible que cela actionne des circuits comparables à ceux de l’usage de substances ou des jeux d’argent.
Les fonctions qui nous rendent « accros » infiltrent notre cerveau : les notifications, la lecture en continu, le défilement infini, les mentions « j’aime » et les symboles de « cœur », sans oublier les algorithmes qui nous présentent perpétuellement tout ce qui nous intéresse. Ding! Ping!
Ressentir les choses
Cette invasion technologique peut se manifester par des réactions fortes : des périodes au cours desquelles on se débranche complètement ou bien on s’engage dans des activités plus tactiles — comme le travail manuel du bois ou la création d’une nouvelle collection de disques de vinyle. Pour plusieurs, il importe également de renouer avec des moments de rencontres en personne, comme au théâtre ou lors de concerts.
J’aime les spectacles où les téléphones sont interdits. Au début de l’année 2024, un spectacle de comédien Trevor Noah m’a donné l’impression d’être vraiment présente. J’ai observé les détails de la configuration de l’ancien théâtre, les réactions des gens, le montage de la scène et les enjeux décortiqués à coups de morceaux d’humour tranchants. Il a fallu le boycottage de nos appareils imposé par les services de sécurité pour que j’arrive à me sentir aussi bien.
Le soulagement de profiter de l’expérience sans être gêné par une mer de petits écrans et de ressentir ce sentiment de collectivité. J’admets que le désir d’immortaliser ces instants sur mon fil d’actualité ou pour mes souvenirs personnels a traversé mon esprit. Mais, je me souviens de l’époque où l’on achetait simplement le chandail du groupe pour montrer que l’on était là.
Je me trouve sur un pont générationnel. Enclavée dans un cadre de référence de la génération X, je me situe à la croisée des mondes virtuels et hors ligne. Je sais ce que c’est que de passer un appel sur un téléphone à cadran (parfois dans une cabine téléphonique) en utilisant un numéro que j’ai mémorisé. J’écris en lettres cursives, j’envoie des lettres par la poste, je règle mes achats en argent, je lis les journaux sur papier. Avant, je trouvais un emplacement grâce à une carte en papier ou un numéro de téléphone dans l’annuaire, je consultais des microfiches, j’enregistrais des cassettes mixtes pour flirter ou pour avoir une monnaie d’échange, je prenais des photos sur pellicule et je devais attendre leur retour dans quelques jours de la boutique spécialisée – ou patienter une heure dans les cas urgents – pour voir le résultat. Je m’interroge souvent sur les différentes expériences des personnes nées avec le numérique.
La tradition de la narration – qu’il s’agisse d’histoires orales ou de mots écrits – pour transmettre un savoir ou partager des récits personnels représente une autre forme de nostalgie d’une époque passée. L’essai The Crisis of Narration de Byung-Chul Han retrace l’évolution de la narration. Autrefois, il s’agissait d’un lien créé autour d’un feu de camp qui nous reliait à notre passé et nous proposait une vision de l’avenir, alors que ces lieux ont aujourd’hui été remplacés par des écrans. L’auteur désigne ce changement comme une transition vers la vente d’histoires, une distinction qui supprime l’aspect artistique et place nos vies personnelles dans un cadre commercial, ce qui est, en substance, ce que nous faisons. Comme le dit l’adage, dans les médias sociaux, vous êtes le produit.
En fin de compte, notre relation avec la technologie est une affaire personnelle. Nous devons concevoir notre régime numérique en fonction de nos réalités, de nos valeurs et de nos besoins, et tenir compte de la manière dont il peut enrichir notre vie. Des choix réfléchis et des pauses intentionnelles permettront d’atténuer certains des effets néfastes de la technologie et de favoriser notre bien-être mental.
Branchez-vous, présentez vos idées sur un usage optimal du numérique, puis débranchez-vous pour vous consacrer à une autre activité. Des livres, les amis, des sorties ou une pause de la technologie. Nous sollicitons toutes les propositions possibles et imaginables pour trouver l’équilibre idéal. Vous, comment faites-nous? Faites‑nous-en part sur les médias sociaux ou par courriel : mhcc@mentalhealthcommission.ca. (Nous n’acceptons pas les cartes postales, mais nous devrions probablement le faire.)
Lecture complémentaire — Soutien technologique : Les services de cybersanté mentale font tomber les obstacles. Nous nous penchons sur le potentiel de l’intelligence artificielle ainsi que sur les stratégies permettant d’éviter certains pièges.
Fateema Sayani
Une habituée des organismes à vocation sociale, ainsi que des salles de presse, où elle a passé plus de 20 ans aux commandes de nombreuses activités, de la stratégie à la collecte de fonds. Ses écrits, qui couvrent une foule de sujets allant des politiques à la culture populaire, sont parus dans des publications de premier plan à la grandeur du Canada et lui ont valu des prix pour ses reportages sur la justice sociale. Forte de ses diplômes, de ses certificats et de ses activités bénévoles, elle s’est donné pour mission de changer l’image des communautés sous-représentées. Malgré son horaire chargé, elle trouve encore le temps de se plonger dans la scène musicale canadienne.
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C’est une histoire à raconter n’importe quel jour de l’année, mais nous souhaitons attirer l’attention sur le thème de la Journée internationale de sensibilisation aux surdoses 2024, qui a lieu chaque année le 31 août, et qui est « Ensemble, nous pouvons ». Le thème souligne le pouvoir des collectivités qui s’unissent pour mettre fin aux surdoses.
J’ai une trousse qui permet de contrer une surdose d’opioïdes, et je n’en ai pas honte.
Il n’y a pas que ceux vivant avec des problèmes d’usage de substances qui pourraient avoir la vie sauve grâce à la naloxone; il y a aussi ceux qui vivent avec des douleurs chroniques et qui prennent des analgésiques sur ordonnance – comme ma femme. Ou des personnes comme mon fils, qui pourraient prendre ces analgésiques par accident. Chacun de nous, dans la vie de tous les jours, peut tomber sur quelqu’un qui, pour une raison ou une autre, a fait une surdose d’opioïdes.
Cela peut arriver n’importe où, même au travail.
Selon Santé Ontario, en 2021, 2129 cas d’intoxication liée aux opioïdes ont été recensés chez 1,7 million de travailleurs de l’Ontario. Les ouvriers, les professionnels du secteur des services, les professionnels de la santé et les employés de bureau – tous les travailleurs –, ainsi que les clients et les entrepreneurs qui entrent dans les entreprises peuvent être touchés. Avec une telle portée, il apparaît logique d’inclure une trousse de naloxone dans la trousse de secours sur le lieu de travail.
« Pour moi, c’est une évidence », déclare Stephanie Fizzard, ancienne intervenante en réduction des méfaits. « Quand vous attrapez votre trousse de secours, vous attrapez votre défibrillateur, vous voulez avoir tout ce dont vous avez besoin pour faire face à cette situation. »
L’intégration de la naloxone dans les trousses de secours en milieu de travail devrait être la norme – de même que la formation sur son administration.
À propos des opioïdes
Les opioïdes comme le fentanyl, l’oxycodone, l’héroïne et la morphine sont des médicaments aux propriétés analgésiques pouvant provoquer une euphorie et présentant un risque élevé d’accoutumance. Ils peuvent être délivrés sur ordonnance, mais peuvent aussi être obtenus ou produits illégalement. Selon le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, la crise des opioïdes est alimentée par les opioïdes synthétiques. Le fentanyl et les substances apparentées d’origine non pharmaceutique et fabriquées illégalement sont les opioïdes les plus largement disponibles sur le marché illicite non réglementé au Canada. Ces substances accroissent considérablement le risque de décès par intoxication, car elles sont très puissantes et potentiellement mortelles, même en petites quantités. Souvent, des catégories non apparentées de drogues fabriquées illégalement contiennent du fentanyl dans le but d’augmenter le risque d’accoutumance, ce qui entraîne des surdoses d’opioïdes même chez des personnes qui n’en ont pas fait usage de façon intentionnelle.
À quoi peut ressembler une surdose
Les opioïdes peuvent provoquer une surdose, dont les symptômes peuvent se manifester par des difficultés à marcher, à parler ou à rester éveillé. Les symptômes peuvent aussi apparaître sous les formes suivantes :
- Lèvres ou ongles bleus ou gris
- Pupilles très petites
- Peau froide et moite
- Étourdissements et confusion
- Somnolence extrême
- Bruits de suffocation, gargouillements ou ronflements
- Respiration lente, faible ou inexistante
- Incapacité à se réveiller, même si la personne est secouée ou qu’on lui crie après
Fonctionnement de la naloxone
La naloxone est un antagoniste des opioïdes, c’est-à-dire qu’elle bloque les effets des opioïdes. Quand les opioïdes pénètrent dans l’organisme, ils se lient rapidement aux récepteurs opioïdes. La naloxone bloque les effets des opioïdes en les délogeant de ces récepteurs et en prenant leur place.
La naloxone n’est pas un traitement pour les troubles liés à l’usage d’opioïdes. On l’utilise pour neutraliser temporairement les effets d’une surdose d’opioïdes. Elle peut rétablir la respiration en deux à cinq minutes et est active dans le corps pendant 20 à 90 minutes, alors que les effets de la plupart des opioïdes durent plus longtemps. Autrement dit, les effets de la naloxone risquent de s’estomper avant que les opioïdes n’aient disparu de l’organisme, provoquant ainsi un nouvel arrêt respiratoire. La naloxone peut être administrée plusieurs fois si nécessaire en attendant l’arrivée des secours. Son administration à une personne victime d’une surdose causée par des drogues non opiacées est sans danger. La naloxone est donc un traitement à faible risque et à rendement élevé.
Les effets de la stigmatisation
Je me souviens de la première fois où l’on m’a donné une trousse de naloxone. En 2018, j’ai subi une intervention chirurgicale et j’ai eu recours à des analgésiques narcotiques. J’ai pratiquement jeté la trousse sur le comptoir. « Je ne suis pas une toxicomane », ai-je craché au pharmacien. Je m’inquiétais de l’image que cela renverrait, et j’étais réticente à l’idée qu’une personne comme moi puisse avoir besoin de naloxone. J’en sais beaucoup plus aujourd’hui : les opioïdes peuvent toucher n’importe qui, dans n’importe quel milieu. La stigmatisation entourant l’usage de substances peut s’étendre à l’utilisation de la naloxone.
« Beaucoup ont l’impression d’encourager l’usage de substances s’ils inversent une surdose », explique Mme Fizzard, qui a aussi un savoir expérientiel en matière d’usage de substances. « Je leur réponds qu’ils aident seulement la personne à respirer et à rester en vie; pas à se droguer. »
Madame Fizzard souligne que les services publics n’ont pas progressé au même rythme que les problèmes d’usage et de surdose d’opioïdes, et ne suffisent pas aux besoins. Elle expose la nécessité que tout le monde soit informé de l’existence d’une trousse de naloxone et puisse y avoir accès, faisant remarquer que le principal obstacle à l’utilisation de la naloxone n’est pas l’administration du médicament, mais la stigmatisation qui entoure son utilisation, notamment sur le lieu de travail.
Administration de la naloxone
La naloxone est offerte sous deux formes : injectable et en vaporisateur nasal. La forme injectable peut être intimidante si vous n’êtes pas habitué aux aiguilles. Madame Fizzard estime que le vaporisateur nasal est rapide et facile.
« Le vaporisateur nasal est beaucoup plus convivial, indique-t-elle. En cas de besoin, il suffit de le déballer, de l’insérer dans la narine de la personne et d’appuyer sur le bouton. Simple. Impossible de se tromper. »
La naloxone au travail
Au Canada, la naloxone n’est pas obligatoire sur le lieu de travail. L’Ontario s’est dotée de lois, enchâssées dans la Loi sur la santé et la sécurité au travail, exigeant que les entreprises qui emploient des personnes à risque de surdose gardent de la naloxone à portée de main et forment leur personnel à son utilisation. Toutefois, il ne s’agit que d’une obligation partielle, car les entreprises qui déterminent qu’elles « n’emploient pas de personnes à risque » ne sont pas tenues de fournir de la naloxone sur le lieu de travail.
En Colombie-Britannique, la naloxone n’est pas obligatoire sur le lieu de travail, mais il existe des outils permettant d’identifier les endroits où elle devrait être accessible. En Alberta, les employeurs peuvent autoriser ou non l’utilisation de la naloxone sur le lieu de travail. S’ils l’autorisent, l’employeur et le travailleur doivent se conformer à une série d’exigences établies par le gouvernement.
Pour les lieux de travail canadiens, les mandats en matière de santé et sécurité relèvent de la compétence des provinces et des territoires, ce qui signifie qu’un mandat à l’échelle du Canada est peu probable. Les provinces et les territoires devront donc décider de surmonter la stigmatisation et les difficultés et légiférer individuellement sur l’inclusion de la naloxone sur le lieu de travail.
Existe-t-il des obstacles au fait de conserver la naloxone dans une trousse au travail? La trousse a une durée de vie d’environ deux ans (ou jusqu’à son utilisation), après quoi elle doit être remplacée et rachetée pour une centaine de dollars, ce qui pourrait poser problème à certaines entreprises. (Pour une durée limitée, l’Ontario fournit gratuitement des trousses aux entreprises afin d’alléger ce fardeau.) Les éventuels coûts de formation et la stigmatisation sont d’autres obstacles susceptibles d’empêcher les milieux de travail de se procurer des trousses de naloxone.
Votre trousse
Pour les particuliers, la naloxone est gratuite dans plusieurs provinces et territoires et est offerte en pharmacie, en vente libre ou en ligne. Des tutoriels en ligne montrent comment utiliser les trousses.
Les travailleurs peuvent demander s’il y a une trousse de naloxone sur leur lieu de travail et, si ce n’est pas le cas, demander s’il serait possible d’en mettre une à la disposition du personnel et d’offrir une formation. Les trousses de naloxone sont petites et faciles à ranger dans n’importe quel lieu de travail, et leur utilisation nécessite peu de formation. En Ontario, il suffit de s’identifier comme une personne à risque de surdose pour déclencher l’obligation de fournir une trousse.
En somme, c’est simple : la naloxone peut sauver des vies, mais seulement si elle est disponible et si les gens sont formés à son utilisation.
Infographie : La drogue contient-elle ce qu’on croit qu’elle contient? (Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances).
Lecture complémentaire : Comment des soins de santé empreints de compassion peuvent modifier le parcours des personnes qui font usage de substances.
Photo : L’auteure à son bureau au travail avec sa trousse de naloxone.
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Il est minuit là où vous vous trouvez et vous avez besoin d’un soutien immédiat en santé mentale, mais aucun service n’est ouvert. Vous tombez sur une application qui propose des services adaptés sur le plan culturel et encadrés par des pairs formés en santé mentale, vous permettant ainsi d’obtenir le soutien dont vous avez besoin.
Vous êtes parent d’un jeune enfant, disposez de peu de temps et souhaitez obtenir des services psychologiques et du soutien en matière de santé mentale. Une fois votre enfant endormi, vous pouvez vous connecter à une séance de cybersanté mentale et bénéficier de l’aide nécessaire.
Vous venez d’arriver au Canada en provenance d’un pays où le soutien en matière de santé mentale est mal perçu, et la stigmatisation que vous ressentez vous empêche de faire appel à un soutien en personne. Vous constatez qu’il existe des services de cybersanté mentale qui vous permettent de préserver votre anonymat et d’obtenir le soutien qui vous est nécessaire.
Combler les lacunes

Maureen Abbott, à droite, en compagnie de sa collègue Sapna Wadhawan, gestionnaire de programme à la CSMC, lors d’une récente présentation du Cadre d’évaluation des applications de santé mentale de la CSMC.
Ce ne sont là que quelques-uns des témoignages que j’entends en tant que responsable de la cybersanté mentale à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC). Je dirige une équipe qui travaille en étroite collaboration avec des experts canadiens et internationaux, notamment des personnes ayant vécu ou vivant un problème de santé mentale. Ensemble, nous collaborons à l’élaboration de ressources, de cadres et de mécanismes de soutien fondés sur des pratiques exemplaires à l’intention des intervenants qui offrent des solutions de cybersanté mentale au Canada. Nous nous efforçons de démystifier la technologie et de mettre l’accent sur la façon dont des services de cybersanté mentale de qualité peuvent améliorer l’accès aux services de santé mentale pour l’ensemble de la population canadienne. L’amélioration de la qualité des services de cybersanté mentale peut également contribuer à accroître la confiance à leur égard. En d’autres termes, la population canadienne peut choisir des soins sûrs et efficaces au moment, à l’endroit et dans les conditions souhaitées.
Nous avons été témoins de nombreux cas où la technologie a permis de combler certaines des lacunes observées dans l’accès aux soins de santé.
Prenons l’exemple d’une personne qui cherche du soutien pour un trouble de l’alimentation, qui ne sait pas vers qui se tourner pour obtenir de l’aide, ou qui ne dispose peut-être pas de services en la matière dans sa région. Un service comme Anorexie et boulimie Québec (ANEB), une source en ligne gratuite destinée aux personnes cherchant de l’aide pour des troubles de l’alimentation, propose des ressources et du soutien.
Les robots débarquent
Les termes « intelligence artificielle » peuvent mettre certaines personnes mal à l’aise ou évoquer des images peu rassurantes de robots. L’hésitation et le scepticisme sont des positions valables. L’évolution rapide des technologies soulève d’importantes questions, mais entraîne aussi de grands changements susceptibles d’améliorer l’accès à des soins de qualité.
Nous utilisons l’intelligence artificielle de multiples façons pour bonifier les soins de santé mentale, notamment en améliorant l’expérience des utilisateurs qui consultent des services en ligne ou encore en faisant gagner du temps aux praticiens qui peuvent ainsi dégager des thèmes à partir de leurs notes et les relier à des dossiers de santé électroniques.
La CSMC a collaboré avec l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé en vue de produire des rapports sur les utilisations et les tendances en matière d’intelligence artificielle dans le domaine de la santé mentale. Dans le cadre du projet de loi C‑27 en instance, qui vise à renforcer la protection de la vie privée des consommateurs, à réglementer l’intelligence artificielle et à mettre à jour les lois sur la protection des données, toute personne qui s’intéresse à la sécurité de l’intelligence artificielle au regard de la santé mentale devrait tenir compte des préjugés potentiels dans les programmes. En ce sens, pensez au sous-diagnostic ou au surdiagnostic de certaines populations en fonction de la race ou du genre et à la façon dont le recours aux données existantes peut reproduire ces préjudices, ou encore à des outils inadaptés sur le plan culturel qui n’ont pas été élaborés de concert avec les utilisateurs finaux.
Il est essentiel d’inviter des cliniciens et des personnes ayant vécu ou vivant la maladie mentale à participer au processus de conception et d’essai, et d’adopter une approche centrée sur l’humain quant à la conception et aux essais par les utilisateurs, ce qui signifie qu’il faut veiller à ce que l’énoncé de confidentialité soit clair, informer l’utilisateur final qu’il interagit avec un robot plutôt qu’avec une personne réelle, préciser de quelle façon ses renseignements personnels sont utilisés et s’ils seront stockés et partagés, et, dans l’affirmative, lui fournir les modalités d’utilisation de ces données. La mise en œuvre de pratiques exemplaires en matière de données et de protection de la vie privée ainsi que leur promotion auprès du grand public contribueront à instaurer la confiance des utilisateurs et à susciter une adhésion accrue.
Ce souci de sécurité et les pratiques exemplaires encadrant l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les soins de santé mentale figurent parmi les recommandations mises de l’avant dans la Stratégie sur la cybersanté mentale pour le Canada, laquelle sera lancée lors du Congrès international sur la cybersanté mentale du Collectif international eMHIC les 19 et 20 septembre 2024 à Ottawa. Élaborée en collaboration avec des personnes ayant vécu la maladie mentale, des décideurs politiques, des praticiens et des dirigeants du secteur de la santé, la stratégie mettra en relief 6 grandes priorités et 12 recommandations pour la cybersanté mentale au Canada.
L’importance des normes
Lorsqu’elle est intégrée judicieusement dans la prestation des soins de santé mentale, la cybersanté mentale est tout aussi efficace que les services en personne, et la technologie s’améliore de jour en jour. Cette approche permet non seulement à un plus grand nombre de personnes d’obtenir de l’aide dans de meilleurs délais, mais elle pourrait aussi permettre de réduire les coûts personnels inhérents à l’accès aux services tout comme les coûts que doivent assumer les organisations pour mettre en place ces services de santé mentale.
Certaines personnes se sentiront plus à l’aise de recevoir des services en personne, alors que d’autres opteront pour une application ou toute autre solution de cybersanté mentale (comme la thérapie en ligne) pour obtenir des services de santé mentale. L’important, c’est de donner à la population canadienne la liberté de choisir les types de services qui lui conviennent et de garantir que ces services de santé mentale sont de première qualité : sûrs, accessibles, efficaces et adaptés sur le plan culturel.
L’équipe responsable de la cybersanté mentale à la CSMC se consacre à la mise en place des pratiques exemplaires lors du déploiement des services de cybersanté mentale.
Comment? Le Cadre d’évaluation des applications de santé mentale de la CSMC en est un exemple. Ces normes nationales visent à améliorer la qualité des applications proposées à la population canadienne. Avant leur adoption, l’accès à des applications de santé mentale sûres, sécuritaires et efficaces n’était pas vraiment encadré au Canada. Le cadre a été élaboré en collaboration avec 200 parties prenantes au Canada et à l’étranger, notamment des personnes ayant vécu ou vivant la maladie mentale, des décideurs politiques, des responsables gouvernementaux, des concepteurs et des développeurs d’applications, des chercheurs universitaires et des fournisseurs de services de santé mentale.
La norme en matière de sécurité culturelle, de responsabilité sociale et d’équité figurant dans le cadre prévoit du contenu sur la confidentialité et la sécurité des données relatives aux autochtones, l’équité de genre et la représentation des communautés racialisées. À l’heure actuelle, ce cadre permet d’évaluer une série d’applications (nouvelles ou déjà répandues) de santé mentale dans différentes provinces canadiennes.
Al Raimundo, qui a fait partie de l’équipe principale d’élaboration du cadre, a vécu la maladie mentale et travaille à la conception d’applications. Al estime que le cadre fournit des pistes pour toute une gamme de produits, même ceux qui ne sont pas forcément attrayants d’emblée pour les cliniciens.
« Même si les professionnels n’aiment pas certaines fonctionnalités d’une application, si les gens l’aiment, nous devrions comprendre pourquoi, explique AI. Si plusieurs personnes l’utilisent, c’est qu’il y a quelque chose qui les attire. »
Pour mieux comprendre et étoffer les services de cybersanté mentale, la CSMC a élaboré les modules d’apprentissage pour la mise en œuvre de la cybersanté mentale en collaboration avec le Centre de toxicomanie et de santé mentale. Ces modules en ligne sont gratuits, autodirigés et conçus pour donner aux fournisseurs de soins de santé mentale, aux gestionnaires, aux dirigeants et aux étudiants les connaissances et les compétences dont ils ont besoin pour intégrer la cybersanté mentale à leur pratique quotidienne et favoriser une prestation de services de cybersanté mentale qui est efficace et centrée sur la personne.
Les options en matière de santé mentale se multiplient rapidement en ligne, parallèlement à l’élaboration de normes et de cadres pertinents conçus pour pallier les écarts entre la qualité, la demande et l’accès aux services.
L’évolution rapide des technologies de cybersanté mentale représente un formidable potentiel d’amélioration de l’accès aux soins. En priorisant la sécurité, la qualité et la sensibilité culturelle, nous serons en mesure de bâtir un système de soutien à la santé mentale à la fois fiable et rigoureux qui saura répondre aux besoins de la population canadienne.
Ressources : Découvrez toute une série de ressources en consultant la section sur la cybersanté mentale sur le site Web de la CSMC.
Guide : Un guide pour s’orienter dans les services publics et privés de santé mentale au Canada
Maureen Abbott
Gestionnaire titulaire d’une maîtrise et cadre certifiée en santé (Collège canadien des leaders en santé), travaille au sein de l’équipe de l’innovation de la CSMC. Son travail porte sur la cybersanté mentale, notamment la normalisation des applications de cybersanté mentale au Canada, le déploiement de la cybersanté mentale, l’intelligence artificielle et la santé mentale, la stratégie de cybersanté mentale pour le Canada, les partenariats stratégiques et l’engagement des partenaires, ainsi que l’échange de connaissances. Maureen est présidente du collectif sur la cybersanté mentale de la CSMC et directrice générale à Digital Health Canada.
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Pour Rachel Kingston, la chose la plus difficile à faire en tant que parent est d’essayer de limiter le temps que sa fille de 13 ans passe sur les médias sociaux.
« L’année dernière, ma fille a reçu un diagnostic de trouble d’anxiété généralisée, explique Mme Kingston, qui utilise un pseudonyme pour protéger la vie privée de sa famille. Je pense que son anxiété chronique est en partie liée aux médias sociaux. Contrairement à certains jeunes, elle n’a pas eu de problèmes d’image corporelle ou d’intimidation, mais je m’inquiète quand même parce qu’elle n’a que peu de temps d’arrêt et ne se repose pas vraiment. »
Mme Kingston, mère de deux enfants de Calgary, explique que le rapport de sa fille aux médias sociaux est devenu problématique pendant le confinement, alors qu’ils représentaient la seule forme de vie sociale possible. La situation ne s’est pas arrangée depuis, et Mme Kingston s’inquiète des effets que les médias sociaux pourraient avoir sur le système nerveux de sa fille. S’il n’en tenait qu’à sa fille, il y aurait toujours une vidéo YouTube ou TikTok qui roule en arrière‑plan, qu’elle soit en train de cuisiner, de dessiner ou même de manger.
« Si nous nous retrouvons tous ensemble pour regarder une émission en famille, elle est quand même sur Snapchat, poursuit-elle. Les enfants sont plutôt sourds à mes préoccupations. »
Nous savons bien que Mme Kingston n’est pas la seule dans cette situation. Outre les plaisanteries habituelles entre parents sur la nécessité d’éloigner les enfants des écrans, cinq conseils scolaires au Canada ont intenté des poursuites contre les géants des médias sociaux que sont Snapchat, TikTok, Facebook et Instagram.
Neinstein LLP, le cabinet d’avocats de Toronto qui représente les conseils scolaires, a affirmé (dans une déclaration écrite) que les produits de médias sociaux sont « intentionnellement conçus pour une utilisation compulsive » et que « les propriétés de ces produits qui entraînent une accoutumance ont compromis la capacité d’apprentissage des jeunes, perturbé les salles de classe et créé une population étudiante qui souffre de plus en plus de problèmes de santé mentale ».
Amorce de conversation
Les actions en justice, de même que la proposition encore plus récente de restreindre l’utilisation problématique des téléphones intelligents dans les écoles de l’Ontario, ont suscité tout un débat. Certains, surtout les jeunes concernés, estiment que ces mesures ne sont pas justifiées, et qu’il s’agit même d’une atteinte à leur liberté.
Un reportage de la CBC à Toronto a révélé que plusieurs étudiants de l’East York Collegiate Institute n’étaient pas en faveur de ces poursuites judiciaires. Une étudiante a dit ne pas comprendre en quoi le téléphone pouvait lui nuire puisqu’elle réussissait toujours bien à l’école. Un autre a déclaré que personne n’avait à lui dire s’il pouvait ou non utiliser les médias sociaux et que c’était à lui de choisir. Il a ajouté que les enseignants n’avaient qu’à confisquer les téléphones des étudiants plutôt que d’aller devant les tribunaux. Un peu plus d’un mois plus tard, c’est exactement ce qu’a fait le gouvernement provincial en limitant l’usage des téléphones intelligents dans les écoles. D’ailleurs, cette politique est relativement conforme aux recommandations de l’UNESCO qui, l’an dernier, préconisait une interdiction dans les écoles, soutenant qu’ils étaient une source de distraction et nuisaient à la santé mentale et au bien‑être des jeunes.
Des preuves de plus en plus nombreuses viennent étayer cette affirmation. Jonathan Haidt, auteur de l’ouvrage récemment publié The Anxious Generation : How the Great Rewiring of Childhood is Causing an Epidemic of Mental Illness, s’est mis à écrire sur la question après avoir constaté une hausse des diagnostics de maladie mentale chez les étudiants de premier cycle aux États-Unis. Entre 2012 et 2019, période durant laquelle le téléphone intelligent est devenu omniprésent, les taux d’anxiété et de dépression ont plus que doublé (de 134 % et de 106 %, respectivement).
Bien entendu, ces données reposent sur des corrélations et non sur des liens de causalité irréfutables. Cela dit, les neuroscientifiques tentent de comprendre les mécanismes qui rendent les enfants plus susceptibles de développer une dépendance aux médias sociaux et des problèmes de santé mentale.
Votre cerveau face aux médias sociaux
« Le cortex préfrontal, la partie du cerveau qui vous dit qu’il serait temps de mettre votre appareil de côté, se développe beaucoup plus tard et les enfants n’ont donc pas cette capacité », explique Emma Duerden, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en neurosciences et troubles de l’apprentissage et professeure adjointe à la Faculté d’éducation de l’Université Western.
La difficulté à contrôler ses pulsions et à savoir à quel moment ranger son appareil n’est qu’une partie du problème. Aussi, les enfants sont particulièrement sensibles à l’apprentissage axé sur la récompense, les rendant particulièrement susceptibles à l’usage compulsif des écrans.
« Vous pouvez observer un changement de comportement très rapide chez un enfant à qui vous offrez un bonbon ou un biscuit pour qu’il fasse quelque chose qu’il n’a pas envie de faire, explique Mme Duerden. Le cerveau d’un enfant répond aux récompenses. Or, les médias sociaux agissent véritablement sur ce système parce que les mentions “j’aime”, les commentaires et les notifications sont conçus pour être très gratifiants. »
Mme Duerden signale aussi que les jeunes exposés très tôt à des images stressantes sont plus à risque d’avoir de graves problèmes de santé mentale vers la fin de l’enfance.
« Le contenu n’est absolument pas réglementé dans les médias sociaux, explique Mme Duerden. Les organismes de réglementation devraient examiner de près le contenu offert à la télévision, dans les films et même dans les jeux vidéo. »
Bien que ses travaux portent actuellement sur les enfants, Jonathan Haidt a commencé à s’intéresser aux problèmes de santé mentale des adolescents alors qu’il travaillait sur le rôle des téléphones intelligents dans l’amplification des « failles de la démocratie », un problème connu depuis longtemps. Les dysfonctionnements politiques sont certes plus difficiles à mesurer que les diagnostics de maladie mentale, mais comme le savent tous ceux qui disent vivre à l’époque « la plus stupide », ils sont manifestement en hausse.
« Je dirais que les médias sociaux et, plus généralement, les appareils, ont accéléré l’érosion du discours civil sur les campus », note le professeur Randy Boyagoda, premier conseiller de l’Université de Toronto en matière de discours civil.
À son avis, à force d’utiliser nos appareils, il est devenu difficile d’apprécier l’importance des interactions en personne.
« Je dirais que la médiation quasi permanente de nos vies par nos appareils nous empêche de comprendre, surtout en tant qu’étudiant, mais aussi comme professeur, bien que différemment, l’importance irréductible des rencontres en face-à-face, explique-t-il. Nous préférons nous tourner vers nos appareils, comme supports ou même comme boucliers, pour dire les choses franchement, afin d’éviter ce type de rencontre. »
D’après son expérience, le discours était moins constructif, plus ciblé et plus critique lorsque les cours et les réunions des professeurs se déroulaient en ligne pendant la pandémie.
« Les commentaires demeurent ciblés ou critiques, mais ils sont perçus différemment en raison, encore une fois, du discours désincarné, précise-t-il. Je peux voir le langage corporel de l’autre personne et elle peut voir le mien. Elle peut entendre le ton de ma voix et je peux entendre le sien. Si quelqu’un dans une pièce n’est pas tout à fait d’accord avec moi sur un point, je peux le sentir et je veux comprendre pourquoi. Et ce n’est possible qu’en personne. »
Là pour rester
L’érosion de la santé mentale et du discours civil n’a pas qu’une seule cause. D’ailleurs, les jeunes ne réagissent pas tous de la même manière aux médias sociaux. Amori Mikami, professeure de psychologie à l’Université de la Colombie-Britannique, conseille d’appréhender les médias sociaux comme une forme de communication parmi d’autres et de trouver une façon de les utiliser qui nous est utile, et non l’inverse.
« J’ai l’impression que les gens parlent beaucoup des aspects négatifs des médias sociaux et de leur effet néfaste sur la santé mentale, déclare Mme Mikami. Et je crois vraiment que c’est le cas. Mais je ne pense pas que ce soit une fatalité. Ils peuvent aussi être bénéfiques pour la santé mentale lorsqu’ils sont utilisés à bon escient ».
Mme Mikami estime que bien des problèmes proviennent de la consommation passive que font certaines personnes des médias sociaux, elles qui ne font que « surfer sur la vague des médias sociaux » pour voir où elle mène. Pour choisir en connaissance de cause les médias sociaux auxquels nous allons consacrer du temps, il faudrait plutôt nous demander ce que nous retirons de cette interaction, quels en sont les avantages et comment nous nous sentons ensuite.
Tous s’entendent pour dire que les médias sociaux sont bien enracinés dans nos vies. Mais nous devons trouver des moyens de les utiliser intelligemment, et ne pas simplement nous contenter de désactiver les notifications ou de remplacer l’affichage en couleur par un autre en nuances de gris (bien que ces deux méthodes soient très efficaces).
Dans The Anxious Generation, Jonathan Haidt préconise d’agir collectivement sur un certain nombre de fronts, notamment en encourageant les enfants à jouer et à s’immerger véritablement dans des communautés du monde réel. Pour le bien du discours civil, la fin du secondaire ne peut pas en sonner le glas.
« Nous devons montrer aux enseignants comme aux étudiants qu’il y a quelque chose d’irréductiblement bon dans le fait de penser à voix haute en compagnie d’une autre personne, précise M. Boyagoda. Et le meilleur moyen d’y parvenir, c’est d’avoir les mains libres, c’est-à-dire de n’utiliser aucun appareil. »
« Nous devons reconnaître les désaccords et les différences, en tenir compte et considérer leurs bons côtés dans la mesure où ils peuvent nous permettre de mieux nous comprendre et de mieux nous entendre sur des questions communes, et ultimement de contribuer au bien commun, et à la quête de vérité. »
Lecture complémentaire : Le soutien en matière de cybersanté mentale est-il approprié pour vous?
Ressource : #ClavardagePrudent : un guide pour les jeunes pour communiquer en ligne en toute sécurité au sujet de l’automutilation et du suicide
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À 26 ans, Gillian Corsiatto, de Red Deer en Alberta, est une autrice reconnue. Son premier roman, Duck Light, soulève une question importante : « Comment peut-on échapper aux attentes de la société? » Elle travaille également à l’écriture d’autres livres et de pièces de théâtre. Madame Corsiatto fait également partie de la troupe d’improvisation de Bullskit Comedy.

Gillian Corsiatto
Par ailleurs, elle cumule trois emplois à temps partiel : elle est éducatrice communautaire et animatrice de groupes de jeunes pour la filiale de Red Deer de la Schizophrenia Society of Alberta et a été conférencière dans le cadre du programme jeunesse LA TÊTE HAUTE de la Commission de la santé mentale du Canada. De plus, elle gère les médias sociaux et le recrutement pour la fanfare des Red Deer Royals (dans laquelle elle jouait du tuba), et plus récemment, elle a décroché un emploi consistant à emballer et à mettre en boîte des caramels pour une petite entreprise à domicile.
Sa vie semble bien remplie, cependant, madame Corsiatto est consciente de l’importance de la bonne gestion du stress. « Ce n’est pas du 9 à 5. Je m’assure d’avoir suffisamment de temps pour me reposer et pour m’occuper de moi à la maison », dit-elle.
Si vous ne connaissez pas de personne atteinte de schizophrénie, vous venez d’en rencontrer une.
Gillian Corsiatto fait partie des plus de 147 500 Canadiens atteints de schizophrénie, une maladie mentale grave.
Nouvelles normes
Dans le but de veiller à ce que les personnes qui vivent avec la maladie obtiennent de meilleurs résultats et nourrissent le même espoir envers l’avenir que madame Corsiatto, la Commission de la santé mentale du Canada, en partenariat avec le Centre des sciences de la santé mentale Ontario Shores, a facilité la mise en oeuvre du projet de démonstration national des Normes de qualité sur la schizophrénie, une synthèse des meilleures données probantes médicales, auxquelles participent quatre sites de démonstration au Canada : Adult Forensic Mental Health Services au Manitoba; Hôtel-Dieu Grace Healthcare et Association canadienne pour la santé mentale à Windsor en Ontario; Newfoundland and Labrador Health Services à Terre-Neuve-et-Labrador ainsi que Seven Oaks Tertiary Mental Health Facility en Colombie-Britannique. Les professionnels de la santé recevront une formation sur les pratiques exemplaires en matière de thérapie et de médication, ainsi que sur les moyens d’aider les patients et leurs familles à faire face à la maladie sur le long terme.
Cette initiative constituera un grand soulagement pour de nombreuses personnes. Les symptômes de la schizophrénie ont tendance à apparaître à l’adolescence ou au début de l’âge adulte, comme ce fut le cas pour Gillian Corsiatto, qui raconte qu’elle avait environ 13 ans lorsqu’elle a commencé à avoir des délires.
Symptômes précoces
« Je croyais voir des morts, raconte-t-elle. J’avais beaucoup de mal à être attentive à l’école et, socialement, je ne m’intégrais pas vraiment aux groupes d’autres élèves en raison de mon comportement étrange et des sujets que j’abordais. C’est alors que j’ai commencé à avoir des hallucinations. À ce moment-là, j’étais vraiment plongée dans mon petit monde. » Madame Corsiatto explique qu’elle s’est aussi mutilée pour apaiser sa détresse psychologique.
Il n’a pas été facile de surmonter sa psychose et ses autres symptômes. À 14 ans, elle a passé du temps dans un service psychiatrique, où elle a reçu une médication et où l’on a suivi l’évolution de ses symptômes. Cela a fini par l’aider, confirme-t-elle, mais les médicaments avaient des effets secondaires. « J’étais tout le temps fatiguée. Et j’étais affamée. J’ai fini par prendre énormément de poids. » Elle se souvient aussi de l’attitude de certains soignants qui estimaient que les patients devaient être disciplinés et punis.
« On nous traitait comme si nous étions une bande de jeunes voyous, et non pas des enfants malades, comme s’il s’agissait de problèmes de comportement, causant des ennuis. Je suis adulte maintenant et je peux me défendre, mais je regrette de ne pas avoir dit quelque chose à l’époque ou de ne pas me faire entendre, car je sentais réellement le manque de considération dont je faisais l’objet. »
Les symptômes de madame Corsiatto se sont toutefois considérablement améliorés grâce à la thérapie et aux médicaments. Pendant la majeure partie de son secondaire, elle n’a pas eu d’hallucinations et a pu gérer ses études et ses activités parascolaires. Elle a même cessé de prendre ses médicaments pendant un certain temps, mais cela n’a pas duré. Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires, elle est entrée au Red Deer College (aujourd’hui Polytechnic), où elle s’est spécialisée en musique. « Mes études ont été stressantes. Je n’ai pas terminé le programme », dit-elle. En plus de la médication qu’elle prenait pour l’anxiété, elle a recommencé à prendre des médicaments contre les psychoses. « Ce fut une période difficile, explique Gillian Corsiatto. Mais je me suis adaptée à tout cela. »
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Peu à peu, cependant, les médicaments et la thérapie ont porté leurs fruits et, depuis quatre ans, madame Corsiatto réussit à se construire une vie qu’elle apprécie, avec le désir d’aider les jeunes atteints d’une maladie mentale grave et un grand espoir pour l’avenir. « Je veux vraiment faire carrière dans l’écriture », dit-elle, alors qu’elle travaille sur la suite de Duck Light.
« Je sais qu’il y a de l’espoir pour l’avenir, et je sais que je ferai toujours face à cette maladie, mais je suis maintenant convaincue que je peux la gérer, que je suis bien plus que ma schizophrénie, et que si les choses tournent mal, je dispose des moyens d’y remédier. »
Par exemple, elle indique que les hallucinations et les idées délirantes continuent d’être présentes chez elle, « mais dans une bien moindre mesure qu’auparavant. Plusieurs facteurs influencent le fait que je les reconnaisse ou non avec certitude. Les médicaments y sont pour beaucoup, mais l’expérience de vie joue également un rôle. J’ai appris à jauger les réactions des autres ou, si je suis avec quelqu’un en qui j’ai confiance, à lui demander ce qu’il ressent à ce moment-là. Si je suis en public et que je me retrouve face à une hallucination, mais que personne autour de moi ne semble la remarquer ou y réagir, cela me laisse présumer qu’il s’agit bel et bien d’une hallucination. Par contre, le stress, le manque de sommeil et la solitude sont des facteurs qui rendent plus difficile le fait de savoir s’il s’agit d’une réalité ou non. »
Elle voit comment le système de santé mentale peut améliorer le traitement des jeunes atteints de schizophrénie, et fait remarquer qu’un nombre considérable de personnes touchées par une maladie mentale sont également confrontées à des problèmes d’usage de substances, à la recherche d’un logement convenable et à des listes d’attente pour obtenir des soins. « C’est du cas par cas. Je suis sur une liste d’attente pour une évaluation en matière d’autisme; en revanche, je pense que si je vais à l’hôpital, je pourrai obtenir de l’aide assez rapidement. Si j’ai besoin d’un rendez-vous d’urgence avec mon psychiatre, c’est aussi possible. »
Expériences individuelles
Madame Corsiatto tient à ce que les gens sachent que toutes les personnes atteintes de schizophrénie vivent leur maladie de manière différente. Si vous souhaitez connaître la réalité d’une personne, « adressez-vous à elle, et ne faites pas de généralisation », dit-elle.
Quant aux jeunes qui suivent un traitement pour lutter contre la schizophrénie, elle ajoute : « Il ne faut pas seulement se centrer sur le traitement médicamenteux et la maladie. Il est très important de se pencher sur ce qui vous procure du bonheur. Qu’est-ce que vous aimez faire? De quoi tirez-vous une grande fierté? Qu’aimeriez-vous accomplir? »
En répondant à ces questions pour elle-même, madame Corsiatto a l’impression de « vivre un rêve ».
Chaque fois qu’elle s’exprime en public, elle a le sentiment de dissiper des préjugés. « J’aime transformer la mentalité des gens qui pensent comprendre ce qu’est la schizophrénie. “Voilà comment une personne atteinte de schizophrénie va se comporter”… et puis je me pointe. Puis, ils se disent que cette personne est tout à fait normale. Cela me plaît beaucoup. Changer la façon dont les gens conçoivent la schizophrénie et leurs interactions avec les personnes aux prises avec cette maladie. Ils peuvent me parler comme si j’étais une personne normale – parce que c’est le cas. »
Ressource : Où obtenir des soins – Un guide pour s’orienter dans les services publics et privés de santé mentale au Canada.
Ressource : Lutter contre la stigmatisation dans les soins de santé.
Moira Farr
Journaliste, auteure et professeure primée, est diplômée de l’Université Ryerson et de l’Université de Toronto. Ses écrits ont été publiés notamment dans The Walrus, Canadian Geographic, Châtelaine et The Globe and Mail, et abordent des thèmes comme l’environnement, la santé mentale et les enjeux de genre. Outre l’enseignement et l’édition, elle travaille à son compte en tant qu’auteure, et a également été rédactrice universitaire dans le cadre du programme de journalisme littéraire du Banff Centre for Arts and Creativity.
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Qu’est-ce qui arrive quand une personne qu’on aime sombre dans les abîmes de la maladie mentale?
C’est la question que pose Stephanie Kain en couverture de son roman-mémoire Lifeline: An Elegy (ECW Press, octobre 2023). Kain répond à cette question et à une foule d’autres, dans plus de 210 pages de prose, d’échanges de textos, de nouvelles et d’essais.

Veuillez noter que cet ouvrage est disponible en anglais seulement.
Son ouvrage détonne par son format fragmenté qui reflète le cheminement laborieux de l’autrice face à un système de santé qui craque de toutes parts, à ses propres préjugés et perspectives, à la maladie mentale d’une personne proche et aux défis du quotidien durant la phase d’urgence de la pandémie.
Les dynamiques amoureuses, amicales et familiales sont nommées et commentées avec un humour pince-sans-rire et mises en relief par des références à la culture populaire (avec des citations de Shawn Mendes, Sara Bareilles, Mumford & Sons et autres).
Par exemple, dans Lifeline, le fait de réclamer des soins est rebaptisé d’après le personnage de Shirley MacLaine dans Tendres passions. Dans une scène mémorable de ce film, on voit le personnage de MacLaine livrer une supplication désespérée pour que l’infirmière administre l’injection d’antidouleurs dont sa fille a besoin. Elle finit par avoir gain de cause, et le ton et le volume de sa voix changent drastiquement. « Merci », souffle-t-elle à l’infirmière, bouleversée.
Kain aussi a été confrontée à cette dure réalité. Son récit porte sur sa relation compliquée avec une femme ayant un diagnostic de dépression et d’idées suicidaires. Elle parle des conditions abjectes de son pavillon sécurisé, de la puissante médication, de la difficulté de soutenir une personne souffrant des séquelles d’une thérapie électroconvulsive, et de son propre bien-être. Professeure en création littéraire à l’Université d’Ottawa, l’autrice séjourne à l’Î.-P.-É., province qui joue un rôle de premier plan dans son cheminement.
Le ton est vivant et accrocheur, et la représentation des frustrations et des réalités qui accompagnent le fait d’aider un proche vivant avec la maladie mentale est honnête et profonde, mais exempte de jugement et de stigmatisation, deux obstacles pouvant empêcher les gens de demander des soins.
L’insomnie est un personnage présenté comme un enfant adulte qui revient à la maison pour sa quarantaine; on ne peut pas l’expulser, même s’il se montre insupportable.
Le chapitre intitulé Eight Things I’m Putting in Your Care Package présente les réflexions de l’autrice qui justifie chacun des articles choisis.
Stylos multicolores : Le bleu et le noir sont carrément déprimants, et comme tu détestes tous les crayons à mine qui ne sont pas de première qualité, je ne prendrai même pas la peine de t’en envoyer. À la place, tu pourras dessiner avec des stylos multicolores sans poser de jugement sur toi-même et ton travail, parce que personne n’attend d’un dessin fait avec des stylos multicolores qu’il soit bon. Ces dessins ne servent qu’à passer le temps.
Tu l’as peut-être oublié en raison de ta #dépression, mais la dernière fois que tu étais ici, tu as réalisé une œuvre dans l’atelier d’art, avant de passer une demi-heure à la critiquer. J’ai fini par te crier que tu étais dans un hôpital psychiatrique et que l’art créé ici n’avait pas besoin d’être bon, que c’était peut-être là le problème!
Le livre m’a fait réfléchir au portrait qu’on dresse de la maladie mentale dans la fiction contemporaine. Le magazine de la Commission de la santé mentale du Canada, Le Vecteur : Conversations sur la santé mentale s’intéresse à ce sujet dans sa section Représentations. On s’y penche sur des récits populaires en lien avec le bien-être mental pour marquer leur évolution. Si vous avez vu Vol au-dessus d’un nid de coucou ou Treize raisons, vous savez qu’il y a place à amélioration en ce qui concerne les nuances, les représentations honnêtes et les idées erronées.
Pour rédiger cet article, je me suis inspirée d’une série parue dans The Walrus qui revenait sur certaines œuvres classiques problématiques. Ce réexamen faisait la lumière sur les changements qui se sont opérés dans la société et dans la littérature. L’autrice Myra Bloom se penche sur le côté sombre de Leonard Cohen en examinant les stéréotypes dans Beautiful Losers sous une nouvelle lumière, au moyen de réflexions sur le mythe du génie et de ce que l’historien Martin Jay appelle « l’alibi esthétique », parfois utilisé pour justifier de mauvais comportements. Au sujet de L’insoutenable légèreté de l’être, Amanda Perry affirme : « À l’âge de 17 ans, je supposais encore que les phrases belles étaient vraies et je voyais les personnages comme des guides dans ma vie. » Perry s’interroge sur « les auteurs masculins dont les mots ont façonné [son] esprit » et se demande « s’il serait le temps de s’en défaire ».

Stephanie Kain
En lisant ces phrases, je revois les représentations de la santé mentale qui peuplent mon imaginaire. J’ai grandi en écoutant la musique des Ramones, dont plusieurs chansons tournent le bien-être mental en ridicule (I Wanna Be Sedated : je veux des tranquillisants; Go Mental : devenir fou; Mental Hell : enfer psychologique; I Wanna Be Well : je veux aller bien – de quoi monter toute une liste de lecture), sans parler de l’obsédant vidéoclip de la pièce Psycho Therapy. Je repense à Sylvia Plath, qui était, comme nous le sommes tous, un produit de son époque. En relisant La cloche de détresse, je vois son œuvre comme une étude de cas sur l’autostigmatisation et la stigmatisation structurelle. Des termes qui n’étaient pas employés à cette époque. Nous sommes mieux renseignés aujourd’hui.
Les portraits problématiques dans les médias de masse ne disparaîtront pas : des images sensationnalistes et romancées sont souvent utilisées pour propulser l’arc narratif. Toutefois, le rôle prépondérant que joue la culture populaire dans la compréhension et la représentation de la santé mentale peut faire de livres comme Lifeline des ouvrages particulièrement pertinents, qui racontent le soutien à prodiguer à une personne vivant avec la maladie mentale et illustrent les hauts et les bas, les contradictions, les formes et les textures de ce parcours quotidien.
« La guérison n’est pas un processus linéaire, ma chérie », écrit l’autrice. Et elle fait ingénieusement écho à cet énoncé au moyen de sauts dans le temps, en tentant d’imaginer le moment où la personne qu’elle aime tant ira mieux.
Veuillez noter que cet ouvrage est disponible en anglais seulement.
Autres lectures : Éliminer la stigmatisation, sauver des vies.
Ressource : Une vision pour des soins de santé mentale de qualité pour tous.
Fateema Sayani
Une habituée des organismes à vocation sociale, ainsi que des salles de presse, où elle a passé plus de 20 ans aux commandes de nombreuses activités, de la stratégie à la collecte de fonds. Ses écrits, qui couvrent une foule de sujets allant des politiques à la culture populaire, sont parus dans des publications de premier plan à la grandeur du Canada et lui ont valu des prix pour ses reportages sur la justice sociale. Forte de ses diplômes, de ses certificats et de ses activités bénévoles, elle s’est donné pour mission de changer l’image des communautés sous-représentées. Malgré son horaire chargé, elle trouve encore le temps de se plonger dans la scène musicale canadienne.
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Quand vous pensez à la santé mentale, est-ce que vous cherchez à vous dilater la rate?
L’humour est l’un des moyens les plus efficaces utilisés par les annonceurs pour capter l’attention et faire en sorte que les gens se rappellent des marques publicisées. Ce n’est pas simple, mais quand on réussit à trouver le juste équilibre entre le ton du message et le sens de l’humour du public, cela vaut de l’or.
Malheureusement, pour la plupart des marques associées à la santé, l’humour comporte des pièges. Elles craignent de faire preuve de mauvais goût ou de diminuer les sentiments des gens. Pour éviter cela, nous essayons plutôt de toucher les cordes sensibles des gens ou nous présentons les patients comme de braves soldats, courageux et déterminés.
Il y a quelques années, l’hôpital SickKids a conjugué ces deux tactiques dans sa brillante campagne « VS Limits » : des enfants étaient montrés comme des guerriers intrépides combattant la maladie et les blessures. Malgré certaines critiques adressées à cette campagne, elle a dépassé son objectif de recueillir 1,5 milliard de dollars.
Lorsqu’on fait la promotion de la santé mentale, l’enjeu est grand. Il y a tant de stigmatisation entourant la santé mentale que tout élément risquant d’accroître la confusion peut être un piège s’il est véhiculé sur le mauvais ton. Pourtant, quand on vit avec la maladie mentale, on se passerait parfois de la représentation lugubre qui accompagne souvent les récits de détresse psychologique. Malheureusement, depuis longtemps, la maladie mentale est illustrée par des personnes recroquevillées se tenant la tête entre les mains.

Nous abritons une multitude d’univers intérieurs
La réalité est tellement plus dynamique. Les discussions sur la santé mentale, même les plus difficiles, peuvent aussi porter sur l’optimisme, le changement et le rétablissement. Nous ne sommes pas obligés d’opter pour l’image du guerrier. Il est possible de récolter du succès avec le Saint-Graal en matière de promotion de la santé : l’humour.
Santé publique Ottawa épouse souvent cette approche. Selon Kevin Parent, porte-parole de l’organisation dans les médias sociaux, si celle-ci mise régulièrement sur l’effet comique, elle connaît du succès d’abord et avant tout parce que ses messages sont toujours authentiques. En effet, elle se fait l’écho d’une grande diversité de voix sur son fil d’actualité. Certaines publications visent à alléger l’ambiance par un effet comique, d’autres sont sérieuses, tristes, éducatives, informatives – de quoi couvrir tout le spectre des émotions humaines.
Par exemple, durant la pandémie, les débats sur le port du masque avaient perdu tout potentiel humoristique à mes yeux, et pourtant l’amatrice de science-fiction en moi a été titillée par la citation « Voici la voie » reprise par la parodie The Maskalorian. On a su redonner du mordant à un sujet ennuyeux.
« Nous faisons tout notre possible pour rester authentiques, explique M. Parent. Si on comprend l’auditoire, si on prend le temps d’apprendre à le connaître, on sait ce qu’il trouve drôle. On sait quand il a besoin de rire. Une démarche n’est jamais catégoriquement bonne ou mauvaise; il s’agit seulement de déterminer ce qui convient dans la situation présente. »
Par exemple, durant la phase d’urgence de la pandémie, les blagues sur la mauvaise haleine sous le masque n’auraient pas provoqué l’hilarité; aujourd’hui, la plupart des gens sont familiers avec ce phénomène et comprendraient l’allusion.
Ces dernières années, diverses contraintes ayant freiné le recours à l’humour dans le secteur de la santé se sont dissipées, avec la popularité des influenceurs sur les réseaux sociaux et la reconnaissance par les professionnels de la santé que les voix des personnes ayant un savoir expérientiel sont non seulement pertinentes, elles sont essentielles d’un bout à l’autre du spectre, de la recherche au rétablissement.
Ce changement de perspective a été judicieusement démontré lorsque l’Université Harvard, ce bastion de la rigueur académique, a réalisé des séances éducatives sur les pratiques exemplaires avec Rachel Havekost et Trey Tucker, influenceurs en santé mentale sur TikTok. Cette initiative diffusée par des comptes populaires a permis de transmettre une information de plus grande qualité en matière de santé. Toutefois, un partenariat n’offre pas de garantie de succès si les connaissances et le ton ne sont pas assortis. Toutes les bonnes intentions du monde et les recherches les plus approfondies ne feront pas en sorte qu’un contenu sera visionné s’il n’est pas divertissant.
Certains experts conseillent aux spécialistes du marketing de la santé de jouer de prudence lorsqu’ils ont recours à l’humour. Ce conseil n’est pas mauvais, mais donne souvent lieu à du contenu fade. Lorsque la Commission de la santé mentale du Canada a entrepris de rafraîchir son image il y a quelques années, elle souhaitait mettre sa marque en lumière et manifester occasionnellement un esprit comique. Pour ce faire, elle a banni les images évoquant le malheur profond. Vous la connaissez, la représentation d’une personne triste, assise seule sur un lit, tournée vers un coin de la pièce, par une journée sombre. La photo est souvent en noir et blanc pour évoquer la morosité du sujet. Comme si ça ne suffisait pas, le ciel est couvert de nuages.
Voir les bons côtés
La transition vers une imagerie optimiste n’a pas été simple. Comme l’ont signalé de nombreux experts, le domaine de la santé mentale n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Il faut comprendre ce que l’auditoire recherche afin de pouvoir lui fournir de l’information qu’il sera en mesure d’assimiler.
Je ne suis pas la seule à trouver que les images mornes n’attirent en rien mon attention et ne me donnent pas envie d’en savoir plus. Si on veut me faire un exposé bourré de jargon technique, je passe mon tour. Ce n’est pas que le cheminement en santé mentale ne comporte aucun moment sombre, mais il me semble très peu innovant d’alimenter le défilement morbide. Ce n’est pas non plus que le public est fermé à l’information approfondie, mais quiconque a déjà vécu des problèmes de santé mentale sait que le processus n’est pas simple. Il y a de bons moments et des moments difficiles, parfois au cours d’une même journée. Où que vous soyez sur le continuum, une touche d’humour peut faire le plus grand bien. Rire un bon coup peut réduire le stress et la tension, soulager la douleur, améliorer l’humeur, en plus de nombreux autres bienfaits bien documentés.
La clé est de trouver l’équilibre entre information et divertissement. L’infodivertissement – facile à dire, difficile à réussir. On a beau expliquer que le rire est le meilleur remède et citer une pléthore d’études scientifiques, insuffler de l’humour tout en transmettant des renseignements de façon responsable à un public qui comprend souvent des personnes à risque n’est pas chose aisée.
Parler de santé mentale peut être amusant, mais ce sujet peut également être triste, épeurant et compliqué. Pour les promoteurs, les annonceurs et les publics, le juste équilibre est non seulement essentiel, il peut aussi changer des vies.
Autres lectures : En finir avec la sinistrose : Comment nous utilisons la photographie pour susciter l’espoir.
Ressource : Fiche d’information :Idées reçues et mythes courants sur la santé mentale.
Debra Yearwood
Professionnelle des communications qui compte plus de 20 ans d’expérience en tant que cadre dans le secteur de la santé, est passée maître dans tous les domaines, du marketing social aux communications en période de crise. Lorsqu’elle ne siège pas au conseil d’administration de PartenaireSanté ou de Top Sixty Over Sixty, elle se consacre à l’écriture de son livre sur l’épanouissement des personnes âgées (pourquoi s’arrêter maintenant?). Cadre certifiée en santé le jour, militante de la diversité et collaboratrice de magazine la nuit, Debra est celle à qui l’on fait appel lorsque vient le temps d’expliquer ou de résoudre un problème.