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Le VecteurConversations sur la santé mentale

Phoenix Residential Society : Renaître de ses cendres

J’ai joint Ian Morrison à son bureau de la filiale de Regina de l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM). Diplômé en écriture comique, au Humber College, il enseigne aux gens une manière d’exploiter leurs expériences, avec la maladie mentale et la vie en général, à l’aide de sketches comiques.

« C’est tout ce que j’ai toujours voulu faire », a-t-il déclaré. « Juste raconter des blagues, faire rire les gens. »

Mais, il y a 12 ans, ce rêve me semblait aussi lointain que le rêve hollywoodien. Morrison s’est retrouvé dans un refuge de l’Armée du Salut, sans médicaments et sans solutions. « Honnêtement, je pensais que ma vie était finie. Cela aurait été le cas s’il n’y avait pas eu Phoenix [Residential Society]. »

Ici, il a fait une pause. « Je n’essaie pas d’être dramatique », a-t-il déclaré en faisant référence à la passion de sa vie. « Mais, si ce n’était pas pour Phoenix, je serais maintenant mort. C’est simplement la vérité. »

Dès son plus jeune âge, Morrison présentait des symptômes de maladie mentale. Ses troubles obsessionnels compulsifs (TOC), son déficit d’attention et ses difficultés d’apprentissage n’ont été diagnostiqués qu’à l’âge de 16 ans. Mais, il sentait depuis longtemps que ses schémas de pensée étaient différents de ceux des autres.

« Les gens ne comprennent pas à quel point les TOC entraînent des pensées si envahissantes et totalement hors de propos. Ensuite, ces pensées sont ruminées encore et encore. Cela devient un cercle vicieux. À 28 ans, je me sentais complètement déchu. »

En faillite et n’ayant nulle part où vivre, Morrison s’est finalement fait tendre une bouée de sauvetage qu’il n’a jamais relâchée.

La recette magique

Fondée en 1979, la Phoenix Residential Society a des origines modestes.

« Nous avons commencé avec une poignée de clients, environ neuf », a déclaré la directrice générale Sheila Wignes-Paton, qui travaille pour l’organisation depuis plus de 30 ans. « J’ai commencé en première ligne, en aidant des personnes à retrouver l’équilibre après avoir connu l’itinérance ou l’hospitalisation en raison d’une maladie mentale. La famille Phoenix, composée aujourd’hui de 190 personnes, s’est élargie pour inclure des personnes ayant des besoins divers, par exemple des personnes ayant des lésions cérébrales acquises ».

Mme Wignes-Paton a aussi déclaré que le succès de l’organisation ne reposait pas seulement sur les principes de rétablissement, qui donnent aux clients le respect et l’autodétermination nécessaires pour prendre en charge leurs propres soins, mais aussi sur un environnement qui encourage et soutient le personnel.

Pour Lynne Scott, membre du personnel de Phoenix qui travaille directement avec les résidents, ce type de soutien se veut une formation qui l’aide à gérer la pression psychologique liée au fait de soutenir des personnes au moment où elles se sentent particulièrement vulnérables.

« On nous apprend comment nous fixer des limites, recharger nos propres ressources émotionnelles et comprendre que nous ne pouvons rien verser à partir d’un verre vide », a laissé entendre Mme Scott, qui travaille pour Phoenix depuis plus de 15 ans.

« Le mandat de Lynne n’est pas insolite », a affirmé Mme Wignes-Paton. « Nous avons un rythme de croisière ici. Nous effectuons ce travail extrêmement important, qui est gratifiant en soi. Mais nous accordons également une grande importance à notre personnel. Ainsi, nous renforçons le message selon lequel le bien-être de chaque personne représente notre santé globale en tant qu’organisation. »

Pour Mme Scott, la recette du succès est simple, mais cela ne veut pas dire qu’elle est facile. « Nous accueillons les gens comme ils sont, et nous ne portons pas de jugement sur eux. Nous demeurons à leur écoute, nous leur posons des questions, et les résultats sont souvent surprenants. »

Un esprit ouvert et un cœur ouvert

Pour illustrer comment cela fonctionne, Mme Scott a décrit son expérience avec un jeune homme qui était arrivé épuisé, portant des vêtements en lambeaux et ayant besoin de prendre un bain. « Je m’étais dit qu’il faudrait peut-être commencer par mettre l’accent sur l’hygiène, mais j’avais attendu de voir comment les choses allaient se passer. »

Il se trouvait que le jeune homme vivait dans des conditions indécentes, n’ayant même pas accès à de l’eau potable. « Dès qu’une douche était disponible, il n’attendait jamais qu’on lui suggère de s’en servir », a ajouté Mme Scott, qui s’est également rappelé qu’il avait de la difficulté à se réveiller au début, ce qui le mettait souvent en retard pour la thérapie de groupe et d’autres réunions.

« Une consultation chez le médecin avait révélé un cas grave d’apnée du sommeil qui l’empêchait de passer une bonne nuit de repos. Après lui avoir procuré le traitement prescrit, il était désormais toujours à l’heure. »

Mme Scott a été témoin de ce genre de petites transformations à maintes reprises. « J’ai eu une fois un résident qui était arrivé avec des cheveux emmêlés et qui était en situation d’itinérance depuis un certain temps. Je lui avais demandé s’il voulait aller chez le coiffeur. Je n’avais pas eu à lui demander deux fois. »

Ce même résident avait tellement apprécié sa visite chez le coiffeur qu’il s’était acheté une tondeuse et avait commencé à s’exprimer par des styles créatifs. « Il avait les cheveux hérissés un jour, et adoptait un autre style le lendemain », dit Mme Scott en riant, qui admet ne jamais en finir d’être surprise par ce qui capte l’imagination des résidents et par l’immense joie qu’elle éprouve de les aider à explorer leurs champs d’intérêt.

La liberté d’explorer ses champs d’intérêt est exactement le type de soutien qui a conduit Morrison à être là où il en est aujourd’hui. « Je me souviens qu’après avoir quitté le refuge et être arrivé à Phoenix, mon assistante sociale m’avait demandé ce que j’aimerais faire », a-t-il dit. À l’époque, ayant une dépression et se sentant dépourvu de toute perspective, tout en étant reconnaissant d’être logé, Morrison avait répondu : « Je suppose qu’il faudra juste me trouver un autre emploi minable. »

Il n’avait pas osé rêver plus grand, et il n’avait pas cru que quelque chose de plus significatif pouvait se manifester à l’horizon. « Mais, je suis à jamais reconnaissant parce qu’elle [son assistante sociale] m’avait dit : « Je t’ai demandé ce que tu voulais faire ».

Morrison raconte qu’il avait lancé une boutade : « Je veux faire des sketches comiques », en s’attendant à une réponse sarcastique en exprimant son souhait le plus cher qu’il avait abandonné depuis déjà longtemps.

« Mais, elle m’a dit : d’accord, voyons comment tu peux faire ça. »

Un domicile, un emploi et un ami

Cette approche du rétablissement, axée sur l’autonomie de l’individu, est le cœur même de Phoenix. Non seulement Morrison s’était retrouvé à travailler au sein de l’ACSM qui répond à son désir de création, mais il est également en mesure d’aider les autres à trouver leur voix d’humoristes.

« J’ai un endroit où vivre, aussi longtemps que je le veux. J’ai un filet de sécurité qui est prêt à intervenir et à m’aider quand j’en ai besoin. Et je suis entouré de personnes qui peuvent combler les lacunes que je traîne peut-être encore. »

Morrison reconnaît que la gestion des médicaments peut représenter un défi pour lui. « Je prends 14 pilules par jour et je fais une injection toutes les deux semaines », a-t-il expliqué, un programme de traitement qui mettrait au défi n’importe lequel d’entre nous. Mais le personnel de Phoenix assure un suivi pour l’aider à garder le fil. Il admet aussi volontiers que son cerveau est davantage orienté vers les blagues que les finances. Les conseils financiers que lui prodigue Phoenix sont donc essentiels pour l’aider à maintenir son indépendance.

« Ils m’ont aidé à ouvrir un compte d’épargne », a déclaré M. Morrison. « Du coup, quand mon climatiseur est tombé soudainement en panne, j’avais des fonds pour couvrir les frais de réparation».

Cette victoire peut sembler modeste, mais le modèle de Phoenix est financièrement sain à tous points de vue.

Un investissement judicieux

En 2018, l’organisation a dressé une vue d’ensemble de son programme Logement d’abord financé par le gouvernement fédéral et destiné aux personnes en situation d’itinérance chronique ou périodique. Après avoir calculé l’argent des contribuables économisé en se basant sur 49 clients sur quatre ans, les chiffres ont montré que leur service d’hébergement et les mesures d’aide connexes coûtaient beaucoup moins cher pour les finances publiques comparativement aux fonds engagés dans le cadre des interventions de crise répétées.

« Nous savons que le programme Logement d’abord fonctionne », a affirmé Michel Rodrigue, président et directeur général de la Commission de la santé mentale du Canada, qui a été chargée de mettre en œuvre le plus grand projet de recherche expérimental du genre. « En tant que comptable de métier, je peux voir la valeur des économies qu’un tel projet permet de réaliser. Mon côté compatissant ne me permet toutefois pas de mettre un prix sur l’espoir, la dignité et l’inclusion que procure un endroit sécuritaire où vivre. »

Les économies réalisées sont sans aucun doute significatives. Selon Phoenix, les coûts liés aux séjours à l’hôpital ont à eux seuls été réduits de plus de 335 000 dollars. Les dépenses liées aux consultations en salles d’urgence, trop coûteuses, tant en termes de ressources financières que de ressources humaines, sont passées de plus de 500 000 dollars à seulement 100 000 dollars. Mais la plus forte baisse concerne les coûts engagés pour offrir des séjours de désintoxication, qui ont été réduits d’environ un million de dollars.

« À vrai dire, nous passons davantage de temps à faire le travail plutôt qu’additionner des chiffres », reconnaît Mme Wignes-Paton. Pourtant, les résultats parlent d’eux-mêmes.

Qu’il s’agisse de logements propres, de possibilités de bénévolat, de thérapies de groupe, de soutien par les pairs, de conseils financiers ou de gestion des médicaments, Phoenix adapte ses services aux besoins des résidents, afin qu’ils reçoivent des soins personnalisés qui peuvent être ajustés au fil du temps.

« Les gens peuvent penser que le rétablissement signifie redevenir exactement comme avant de tomber malade », a expliqué Mme Scott. « Mais ce n’est pas forcément le cas. Morrison a connu un succès extraordinaire à tous points de vue en faisant un travail utile et en améliorant la vie de tous les jours. Mais, le rétablissement peut prendre une trajectoire tout à fait différente pour une autre personne. »

Cela est l’une des raisons pour lesquelles l’approche de Phoenix célèbre les petites victoires, offre un filet de sécurité pour les revers (prévus) et, surtout, fournit aux personnes qui en ont besoin un endroit bien à elles.

« Lorsque j’étais à Saskatoon, se souvient Morrison, j’ai été mis à la porte de deux pensionnats en une seule journée, simplement parce que j’avais mentionné que mes médicaments me fatiguaient. Ce sentiment d’être indésirable et indigne demeure vif. Il y a tellement de fausses idées sur les personnes vivant avec une maladie mentale. C’est frustrant et blessant », a-t-il déclaré.

Du haut de ses six pieds quatre et de ses plus de 200 livres, Morrison donne l’impression d’être un gentil géant qui ne demande qu’à vivre ses journées en faisant rire les gens et en leur apprenant à rire d’eux-mêmes.

« Aux côtés de Phoenix, le rire est le meilleur remède. Mais je ne pouvais pas avoir l’un sans l’autre. »

Suzanne Westover

Une écrivaine d’Ottawa, ancienne rédactrice de discours et gestionnaire des communications à la Commission de la santé mentale du Canada (CSMC). Casanière, toujours le nez dans un livre, elle prépare un excellent pain au citron (certains diraient qu’elle fait des merveilles en un seul mets) et aime regarder des films avec son époux et sa fille de 11 ans. Le temps que Suzanne a passé à la CSMC a renforcé son intérêt envers la santé mentale, et elle continue d’apprendre toute sa vie sur le sujet.

illustrateur : Remie Geoffroi w: remgeo.com ig: @remgeo

Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article appartiennent uniquement à l’auteur(e) et ne représentent pas nécessairement les politiques officielles de la Commission de la santé mentale du Canada.

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